Inscription : 06 Fév 2004 7:08 Message(s) : 3532
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Citer : en 1815 l'Ecole de St Germain serait restée fidèle à Louis XVIII ! Comme dit plus haut, Saint-Germain n’existait plus à cette date. Peut-être faites-vous ici référence à l’adresse que les élèves de Saint-Cyr écrivirent au roi le 8 mars 1815 : « Sire, L'homme qui avait conduit notre patrie sur le bord du précipice vient encore y porter le fer et la flamme, et chercher des parjures dans les rangs d'une armée aussi célèbre par sa fidélité que par son courage. Les élèves de l'École militaire, de cette Ecole que la munificence de Votre Majesté a ramenée à sa première institution animés du véritable esprit français, pénétrés d'indignation contre l'ennemi public, s'empressent de renouveler à Votre Majesté le serment qu'ils lui ont déjà prêté, celui d'être toujours prêts à verser leur sang pour la défense de leur souverain et de cette Constitution qui sous l'égide de Votre Majesté, fait le bonheur des Français. »Citer : D'autre part quelle était l'ambiance dans ces écoles : plutôt militaire ? plutôt scolaire ? Pour l’Ecole spéciale militaire, l’ambiance apparaît fort austère : Girod de l’Ain ( Souvenirs) : « Nous passâmes l’hiver de 1805 sans feu et sans capotes ; nous nous levions tous les jours à cinq heures du matin ; notre temps était entièrement rempli (sauf les heures de récréation et celles des repas) par les études, les exercices militaires, jusqu’à neuf heures du soir, heure à laquelle nous devions être couchés. Chacun de nous avait sa couchette garnie d’un matelas de soldat, d’un traversin et de draps pars trop grossiers, qu’on changeait tous les quinze jours. Nous faisions nous-mêmes nos lits et balayions à tour de rôle ou par corvée les chambres, corridors, escaliers et jusqu'aux latrines. Enfin nous étions soumis au même régime que les soldats casernés, mangeant, comme eux, à la gamelle, mais avec cette différence que nous ne faisions pas nous-mêmes notre soupe, allant seulement la chercher toute faite à l'économat, d'où nous apportions le pain dans des sacs, le vin dans des brocs, la viande et les légumes dans de grandes gamelles de fer-blanc. »Martin ( Souvenirs) : « Nous menions la vie la plus propre à nous rendre malades ou insensibles à toutes les intempéries, car, pendant le rigoureux hiver de 1812, nous n'eûmes jamais pour nous vêtir que le frac et la culotte que nous portions en été. Dès huit heures du matin, au mois de décembre, quand le jour luisait à peine, on nous conduisait trois fois par semaine à l'exercice, soit du fusil, soit du canon, et là, sous des flocons de neige ou mordus par la bise, nous rivalisions pendant deux heures avec nos frères aînés de Moscou. N'étant pas encore dignes de geler en Russie, on nous essayait à Saint-Cyr. Le détail d'une seule de nos journées donnera l'idée de toutes les autres, car elles se succédaient toujours les mêmes dans leur triste monotonie. En hiver comme en été, à quatre heures et demie du malin, l'inexorable tambour faisait retentir les voûtes de la caserne. Au moment le plus doux du sommeil, quand, par l'heureux privilège de la jeunesse, nous retrouvions dans nos songes les illusions du foyer domestique, le fatal instrument venait bruyamment les mettre en fuite. Il fallait, sans hésiter, quitter la chaude atmosphère du lit pour se jeter sur les carreaux glacés de nos dortoirs, et se laisser pénétrer par un humide et froid brouillard, hôte assidu de ces vastes salles où jamais le feu ne fut admis. Heureux encore, quand on pouvait se rendre paisiblement dans les combles pour y étudier à la lueur de quelques lampes. Plus d'une fois, je me suis vu contraint de prendre le fusil et d'aller passer mes deux heures d'étude au peloton. Le peloton, invention diabolique et bien digne du démon qui l'inventa, le peloton se tenait sous un hangar ouvert à tous les vents. Là, depuis cinq heures jusqu'à sept, et sous la garde d'affreux sergents dont la cruauté était proverbiale, les condamnés devaient rester immobiles au port d'arme. Quelques intervalles de repos, plus ou moins courts et plus ou moins rares, suivant l'humeur de notre jeune bourreau, interrompaient seuls le supplice auquel il présidait. Parfois, un pauvre nouveau venu, incapable de le subir plus longtemps, se laissait tomber de faiblesse et de désespoir ; mais s'il n'était qu'à moitié évanoui, on lui faisait boire un grand verre d'eau claire et on le replantait sur ses pieds. A sept heures, rentrée à la caserne pour le service des chambres et de l'équipement, et à huit, l'inspection. C'est ici surtout que s'acquérait le droit d'aller au peloton. Il serait trop long d'indiquer toutes les minutieuses vétilles qui pouvaient amener cette redoutable condamnation ; je ne parlerai que de la manière de faire son lit. Il fallait qu'il présentât l'aspect d'un parallélépipède à angles droits, parfaitement régulier, et que le traversin, roulé sous la couverture, formât un cylindre sans pli, accompagné de deux oreilles irréprochables. Ce n'est pas tout : cette couverture devait offrir un dessin agréable et varié, laissé, du reste, à la libre recherche des élèves. Aussi voyait-on chacun de nous, armé chaque matin d'un peigne et d'une brosse, travailler sa malheureuse couverture, relevant les brins de laine d'un côté, les couchant de l'autre, pour arriver à représenter un vase de fleurs, des arabesques, un tombeau, quelque chose enfin qui pût satisfaire le sergent inspecteur. Après quoi, debout, la tête fixe, le petit doigt à la couture de la culotte, tous attendaient leur sort. Alors le terrible sergent, passant d'un air sombre, jetait un regard sur l'homme et sur le lit, et, si un pli le choquait, si le dessin lui déplaisait, s'il avait quelque chose contre l'élève ou seulement s'il était de mauvaise humeur, sans dire un seul mot, il lançait la couverture à terre et tout était à recommencer. Plus, bien entendu, le peloton pour le lendemain, sans explication, ni réclamation possibles. Nous apprenions durement ainsi cette leçon d'histoire, que le pouvoir sans contrôle engendre toujours une tyrannie capricieuse et cruelle. De huit heures à dix, le bataillon faisait l'exercice, auquel succédait le repas du matin. Les élèves se répartissaient ensuite entre les différents cours d'étude, chacun suivant le degré d'instruction où il était parvenu. Il y avait, s'il m'en souvient bien, trois divisions principales dans l'enseignement de l'Ecole. La littérature dans toutes ses branches (y compris l'orthographe qui n'était pas la moins ardue pour beaucoup d'entre nous ). Les mathématiques, depuis l'arithmétique jusqu'à la trigonométrie et au tracé des plans. Enfin, l'administration, c'est-à-dire la connaissance exacte de tous les règlements touchant le service militaire de place ou en campagne, etc. Il fallait avoir franchi tous les degrés dans chacune de ces divisions pour pouvoir être admis au concours, c'est-à-dire à l'examen final qui décidait, d'ordinaire au bout de deux ans, si l'on sortait officier. Hélas ! combien restaient en route, faute de goût pour le travail de tête, ou qui n'arrivaient qu'après trois années, ou même plus, d'une cruelle attente ! C'étaient les anciens des anciens, et l'on comprend qu'ils devinssent, selon le langage de l'Ecole, toujours plus féroces. A quatre heures, toutes les classes finies, l'on prenait le second repas, suivi d'une heure ou deux de promenade dans la cour, quand le temps ne s'y opposait pas absolument. Puis l'on remontait dans les salles d'étude, c'est-à-dire dans des greniers dallés de briques, et là, comme le matin, sans manteau et sans feu, on devait rédiger les devoirs du jour, dresser ou copier des plans, en un mot, étudier jusqu'à neuf heures. Après quoi l'on allait se coucher pour recommencer le lendemain et le surlendemain, pour recommencer toujours jusqu'à la sortie définitive de Saint-Cyr. Telle était notre vie habituelle, et elle n'offrait guère pour diversités que quelques vexations inattendues. Aussi nos meilleurs moments étaient ceux où une pluie battante nous empêchant de descendre dans la cour, nous pouvions nous coller aux barreaux des fenêtres et jeter un long regard vers la campagne. Que de soupirs s'exhalaient alors ! Comme on enviait le sort du plus pauvre laboureur ! Comme le cœur palpitait, si l'on apercevait au loin les fumées d'un hameau ! Joies domestiques, contentement du cœur, âge d'or, vous habitiez évidemment sous ces toits rustiques. La souffrance de l'âme pouvait-elle exister ailleurs que sous les barreaux de Saint-Cyr ? »Rilliet de Constant dans son Journal nous dépeint la vie à Saint-Germain : « Nos travaux étaient pratiques et théoriques; ainsi l'exercice à pied comme dragon, l'équitation, l'exercice à cheval occupaient une partie de nos journées ; mais, à mon point de vue, on donnait trop de temps à l'exercice à pied, et l'on ne montait pas assez a cheval. Il aurait fallu faire de nous des écuyers accomplis et non des fantassins incomplets. Cependant le manége était bon. Il y avait beaucoup de chevaux de l'ancien manège de Versailles dressés par le célèbre écuyer Coupé; deux d'entre eux avaient figuré dans des carrousels devant Marie-Antoinette. On ne nous faisait pas assez panser nos chevaux, et on ne nous donnait que des notions superficielles de maréchalerie et d'hippiatrique. Nous aurions dû apprendre à fond ces choses-là pendant nos deux ans d'école, si on avait voulu nous les enseigner. Il me semble qu'on aurait dû aussi nous donner quelques notions sur la sellerie, car lorsqu'un officier sait soigner un cheval, le guérir d'un accident ou des petites maladies qui surviennent journellement, le ferrer, ajuster et corriger la selle et son équipement, il peut rendre les plus grands services à la troupe qu'il commande. Puisque je suis en train de critiquer mon école de Saint-Germain, je dirai que j'ai toujours regretté qu'on négligeât autant la gymnastique et la voltige, car rien n'est plus propre à former des cavaliers lestes et vigoureux. Dans la pratique, je dois encore ranger le dessin topographique et quelques applications de levées de plan sur le terrain, mais ce n'était pas assez développé. On nous enseignait aussi les mathématiques, l'histoire militaire, la composition littéraire, l'administration militaire; mais on laissait de côté les langues vivantes. A cette époque, les Français occupaient à peu près toute l'Europe; ils étaient convaincus qu'ils avaient porté leur langue partout, que c'était aux étrangers à l'apprendre, et qu'ils n'étaient nullement tenus de savoir l'allemand, l'italien, l'espagnol ou les langues slaves. Quant à l'anglais, c'eût été un acte de haute trahison que d'avoir la possibilité de s'entretenir avec les tyrans des mers. Malgré ces critiques, que j'abandonne à l'appréciation de plus habiles que moi, on menait une vie occupée à Saint-Germain, et c'était heureux ; sauf cela, on s'y serait cruellement ennuyé, car il n'était pas question d'aller chercher ailleurs des divertissements. Pendant les vingt-sept mois que j'ai passés à Saint-Germain, j'ai obtenu une permission de trente-six heures, et j'ai déjeuné une fois à la Malmaison, chez l'impératrice Joséphine, avec le général Clément. Le dimanche, de midi à deux heures, nous pouvions voir nos parents et nos amis au parloir, encore fallait-il n'être pas consigné, et on l'était pour peu de chose. Cher parloir, qu'il me rappelle de bons souvenirs ! »Concernant le statut social des élèves de Saint-Germain, j’ai apporté quelques informations dans mon précédent post. J’y ajoute ce que nous dit à ce sujet Rilliet de Constant : « La fondation de l'école de Saint-Germain avait un double but, celui de donner une instruction appropriée à leur arme aux jeunes officiers de cavalerie, mais plus encore peut-être le désir d'attirer dans une école bien composée, et dans un point de vue assez aristocratique, les jeunes gens de bonne famille de l'empire que le régime austère de Saint-Cyr et les difficultés d'admission à l'école polytechnique effrayaient. Pour en écarter la classe peu aisée, le prix de la pension était fixé très haut, surtout pour l'époque dont je parle. Cent louis par an, sans compter des frais accessoires, et l'on n'y accordait aucune place gratuite.[…] Les élèves de Saint-Germain, pour la plupart, appartenaient aux premières familles de la France, tant anciennes que nouvelles; là se trouvaient Mailly, Baufremont, Brissac, la Rochefoucauld, Regnault de Saint-Jean-d'Angely, Passy, d'Outremère, Suleau, de Bylandt, Pisani, etc. Lorsque, dans un des départements réunis à la France, une famille ne démontrait pas un dévouement absolu à l'empereur, pour la rattacher au système, on envoyait à celui des fils qui avait l'âge requis l'ordre de se rendre à Saint-Germain. C'était un système d'otages bien organisé; l'empereur ne voulait pas entendre parler de brevets de faveur. »J’ai évoqué plus haut la visite de Napoléon à Saint-Germain. La voici contée par Rilliet de Constant : « Mme de la Rochefoucauld, dame d'honneur de l'impératrice Marie-Louise, lui demandait un jour une sous-lieutenance pour son fils. - Il faut qu'il aille à Saint-Germain, nous ne l'y tiendrons pas longtemps. - Alors, j'y renonce, répondit Mme de la Rochefoucault. -Pourquoi donc?' -Parce que les élèves y sont trop mal tenus. Sire. -Comment, mais c'est une erreur. -Je crois être bien informée. Sire. -Je m'en assurerai. Dès le lendemain le général Dejean, aide de camp de l'empereur, vint faire une inspection assez superficielle de l'école. Mais, huit jours après, l'empereur chassait à Saint-Germain, ce qui lui arrivait assez souvent quand il était à Versailles. Dans ces occasions, on nous faisait prendre une tenue un peu plus soignée qu'à l'ordinaire, mais c'était toujours en pure perte; nous voyions passer devant nous les piqueurs, les cavaliers, les voitures de l'empereur et son escorte, nous entendions les chiens, les cors, mais le souverain ne donnait jamais signe de vie à ses enfants de Saint-Germain. Nous pensions qu'il en serait de même ce jour-là, et nous avions vu le matin la chasse défiler devant le château avec assez d'indifférence, lorsque vers le milieu du jour on aperçut dans la grande avenue des Loges un petit groupe de cavaliers qui paraissaient se diriger vers le château; bientôt l'un d'eux se détache, il approche avec la rapidité de l'éclair, c'est un page, les portes lui sont ouvertes et il s'élance dans la cour en criant : « L'empereur, l'empereur. » On se heurte, on se précipite, on prend les armes à pied, et a peine le bataillon est-il formé que l'empereur arrive, suivi d'un petit nombre d'officiers. On compatira, j'en suis sûr, à ma mésaventure ; je n'étais pas sous les armes, un mal de pied assez grave me retenait à l'hospice, cependant je pus suivre des fenêtres tous les détails de cette visite solennelle. L'empereur, en habit de chasse, le chapeau bien connu, les mains derrière le dos, fit exercer quelques moments le bataillon, puis il demanda au général s'il avait des élèves prêts à devenir officiers. Il en désigna seize. Après leur avoir adressé quelques paroles, l'empereur s'approcha de la droite du bataillon: «Et toi, dit-il, au premier, tu n'es pas encore en état d'être officier! -Pardon, Sire, j'en sais autant que ceux-là, répondit-il en montrant les élèves qu'on avait fait sortir du rang. C'était Nitot, le fils du joaillier de la couronne. -Ah! repartit l'empereur, puisque tu es si sûr de ton fait, passe avec eux. D'autres suivirent l'exemple de Nitot, bref, les seize furent bientôt quarante. -Vous me les enverrez à Berlin en poste, dit l'empereur au général. C'était au printemps de 1812; on préparait la campagne de Russie. Après cette promotion, l'empereur voulut faire l'inspection de détail pour laquelle il était venu : elle ne tourna pas à l'avantage du pauvre général et de l'administration de l'école. Il était tombé sur un bon jour pour nous, le pain était détestable, l'empereur en lança un morceau contre le mur, il y resta attaché tant il était humide; il demanda à goûter le vin. Le général envoya chercher du vin de l'hospice qui était potable ; un élève dénonça courageusement la fraude à l'empereur qui fit une horrible grimace en goûtant notre vin. Les arrangements intérieurs de la maison lui parurent affreux; il ne ménagea pas les expressions de voleurs et de fripons. Le général était consterné. L'empereur ordonna la construction d'un réfectoire, d'autres améliorations, le changement du pain et une meilleure nourriture. Dès le lendemain, on fit de l'ancienne chapelle un réfectoire, on chargea les tables de mets très passables, et surtout d'excellent pain. Toute la cour était venue peu à peu rejoindre l'empereur. Notre sombre cour, à nous, était remplie de brillantes calèches, et ces calèches de charmantes femmes qui entouraient l'impératrice. Après avoir vu manœuvrer les élèves a cheval, le brillant cortége reprit la route de Paris, et nous retombâmes dans notre état habituel, animés cependant par la joie de ceux qui avaient eu part à la promotion. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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