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Et concernant le contre-amiral Lacrosse ?
La responsabilité de Lacrosse dans le soulèvement évoqué (et qui constituera, sous la direction de Richepance, le marche-pied au rétablissement de l'esclavage dans l'île) n'est pas négligeable.
Dès son arrivée, le 29 mai 1801, il procéda à quelques arrestations au sein de l’armée, exigea un lourd emprunt à Pointe-à-Pitre, suscita des jalousies en favorisant certains négociants, sans parler de la rentrée des émigrés, très mal supportée et à la base de graves débordements.
Le 5 août suivant, la mort du général Béthencourt, officier apprécié, commandant de la troupe, acheva de ternir la réputation de Lacrosse. Ce dernier, alors que le poste désormais vacant devait revenir au mulâtre Pelage, accapara les fonctions du défunt, au grand dam de l’armée et des gens de couleur qui manifestèrent haut et fort leur réprobation.
Basse-Terre fut mis en état de siège et de nouvelles arrestations eurent lieu.
La communauté des gens de couleurs était clairement désignée par Lacrosse qui menaçait de tous les faire déporter et de prendre soin qu’ils soient « vomis sur des terres étrangères », sans espoir de retour.
Un émigré sur le départ commenta :
« J’entends l’orage qui gronde et je vais chercher un abri. Tout ce qui vient de se passer à la Basse-Terre et à la Pointe-à-Pitre prouve que le citoyen Lacrosse n’a pas plus de politique que d’humanité. Où sont ses forces pour se permettre toutes les violences qu’il exerce ? Les noirs et les hommes de couleur non propriétaires composent les sept huitièmes de l’armée, et il leur déclare la guerre sans motif ! » Ce qui devait survenir arriva : le 21 octobre, à la suite de nouveaux emprisonnements, l’insurrection éclata à Pointe-à-Pitre. Le chef de brigade Pelage en prit la direction, multiplia les efforts afin d’éviter les exactions à l’encontre des Blancs et fit publier cette proclamation à l’intention des îliens :
« Des arrestations multipliées, faites depuis quatre mois, et qui se renouvelaient aujourd’hui, ont occasionné au Port-de-la-Liberté un mouvement et des mesures nécessaires pour le maintien de la tranquillité publique. Vous en avez été instruits, et vous aurez peut-être eu des craintes.
Rassurez-vous, citoyens ; si des chefs chargés d’exécuter des ordres injustes, surpris à la religion du Capitaine-général, ont été mis en arrestation, j’ai pris aussitôt les précautions que la prudence m’a suggérées pour que l’ordre ne fut pas troublé. » Lacrosse, abandonné par la majorité de ses troupes, fut fait prisonnier.
Un gouvernement provisoire, à la tête duquel se trouvait Pélage, fut mis en place. Le 5 novembre, Lacrosse fut embarqué sur un navire danois en partance pour la métropole. Son témoignage contribua à décider Bonaparte à mettre fin à l’insurrection et à y envoyer le corps expéditionnaire de Richepance.
Quand ce dernier arriva, nombreux furent les insurgés, refusant le retour de Lacrosse, à reprendre les armes, notamment à l’appel de Delgrès, dont voici quelques extraits :
« Victimes de quelques individus altérés de sang, qui ont osé trompé le Gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèle à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l’auteur de tous nos maux.
Le général Richepance, dont nous ne connaissons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’il s’annonce que comme général d’armée, ne nous fait connaître son arrivée que par une proclamation, dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même il nous promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s’écarter des termes dont il se sert. A ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle… Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie. […]
Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et vous Premier Consul de la République, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il en sera plus temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine. […]
La résistance à l’oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité : nous ne la souillerons pas par l’ombre même du crime. […]
Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits. »