Duc de Raguse a écrit :
Disons un peu des deux.
Une forme de subjectivité humaine en raison d'une forme d'objectivité dans l'exercice de l'Etat.
Marmont par exemple est fait duc avant d'être fait maréchal, bien tardivement par rapport à la première fournée de 1804, alors qu'il faisait partie du premier cercle de Napoléon depuis l'aventure de Toulon en 1793. Napoléon lui repproche souvent d'avoir manoeuvré comme "une huitre", en particulier à la bataille de Znaïm, où il reçoit le baton tant convoité.
Marmont serait un homme bien complexe et certes le duc de Raguse a une bonne analyse -per Napoléon- de ses talents de tacticien. Mais on oublie aussi ses talents de comptable... jusqu'à trente au moins comme trente deniers...
Napoléon dira de l'homme qu'il avait pris "
...la gloire à rebroussepoil et l'honneur à l'envers...".
R. Christophe nous montre que la trahison du plus ancien compagnon de l'Empereur ne fut pas autre chose qu'une spéculation sur la rente.
Raguse épouse la fille du banquier Perregaux.
En 1814, Perregaux est décédé et Laffitte lui a succédé. Marmont, marié sous le régime de la communauté de biens est devenu l'associé de Laffitte par son épouse. La banque a pris le nom de Perregaux, Laffitte & C° -le C° sont les époux Marmont-. Cette banque riche à milliards peut donc s'offrir le luxe de prêter à Napoléon ou aux Etats satellites de la France.
Raguse tient la dragée haute à l'Empereur ; voilà pourquoi Napoléon, tout en considérant Marmont comme "Le plus médiocre" de ses généraux le fait maréchal, conseiller d'Etat, "roi de l'Illyrie", ferme les yeux sur ses tripotages et lui pardonne ses défaites : à Wagram il "
manoeuvre comme une huître" et aux Arapiles sa conduite est telle qu'elle "
indigne" l'Empereur.
Cette étrange profession de maréchal-banquier permet à Marmont de donner un nouveau verbe "
raguser", synonyme de trahir.
30 mars 1814, on commence la "
spéculation".
Les troupes alliées se trouvent devant Paris défendu par Marmont et Mortier avec -à la louche- 30 000 hommes. La rente qui au début de la campagne de France était côtée à
87 francs ne valait alors plus que
45 francs. La banque Perrigaut, Laffitte & C° se met à acheter pour elle et pour ses clients -Talleyrand, Dalberg et le baron Louis- qui joue la chute de l'Empereur, tous les titres disponibles.
Pour tous, la capitulation de Paris avant l'arrivée de Napoléon qui approche à marche forcée signifie un gain considérable. Les spéculateurs reçoivent une aide inattendue en la personne de Joseph qui affolé par ses responsabilités envoie à Marmont et à Mortier l'autorisation de livrer Paris à l'ennemi "
...s'ils ne pouvaient plus tenir leurs positions...". La percée était colmatée et les positions tenues. Encore une journée et Napoléon entrera dans Paris avec l'espoir d'une éventuelle victoire. La rente baisse...
A 16H00, Marmont sans prévenir Mortier, envoie trois parlementaires à l'ennemi, lui offrant de capituler. La rente remonte pour atteindre
49 francs le lendemain !
C'est à l'hôtel de Raguse où Laffitte reçoit les agioteurs et supporters des Bourbons que sera signée la reddition. Laffitte et Talleyrand pressent Marmont d'abandonner l'Empereur et de favoriser le retour de la
dysnastie légitime. "
Le prince de Talleyrand se retira ayant échoué dans son entreprise" (
Mémoires - Marmont)
Momentanément semble le mot plus adéquat. Le
5 avril, Talleyrand jubilera. Après avoir signé avec les Alliés, Marmont quitte Paris avec ses hommes et occupe Essonnes placé en avant-garde de l'armée impériale arrivée sur les lieux, forte encore de 60 000 hommes.
3 avril : Schwarzenberg, commandant en chef et bien au fait par Talleyrand sur la parole de Marmont envoie un "parlementaire russe" pour l'engager à se retirer avec ses troupes. L'aide de camp de Marmont opte pour pendre le plénipotentiaire et prévenir Napoléon.
4 avril : Marmont répond qu'il "
...est prêt à quitter, avec ses troupes, l'armée de l'empereur Napoléon...", à la condition de pouvoir se rendre en Normandie et qu'une situation convenable "
dans un pays criconscrit" soit réservée à l'Empereur. La lettre partie, Marmont convoque ses généraux pour les détails de la réfection. Souham est enthousiaste, d'autres s'inclinent, Bordesoulle se montre violent :
"
Comment, Monsieur le maréchal, vous ouvrirez la route de Fontainebleau ! Vous laisserez l'Empereur à la merci de l'ennemi !"
Marmont fait mouvement le soir même. 17H00, Marmont voit arriver Caulaincourt, Ney et Macdonald qui vont à Paris négocier avec le tsar l'abdication de l'Empereur en faveur de son fils. Marmont les accompage afin d'avertir Schwarzenberg au passage que les pourparlers sont rompus mais avant de partir il remet le commandement à Souham, lui intimant de n'opérer aucun mouvement mais ajoutant :
"
Dès mon départ, vous rassemblerez la troupe et lui apprendrez l'abdication de l'Empereur !" Il se garde bien de préciser qu'il s'agit d'une abdication
conditionnelle. Par ailleurs la décision de Napoléon devait rester secrète tant que les Alliés ne l'auraient pas acceptée.
Schwarzenberg ne donne pas dans les tergiversations et Marmont peut lire, arrivé à Paris :
"
Monsieur le maréchal de Marmont, duc de Raguse, a abandonné le drapeau de Bonaparte pour embrasser la cause de la France et de l'humanité. Il est arrivé à Paris, il y sera immédiatement suivi du corps d'armée qu'il commande et que l'on estime à 12 000 hommes."
La rente passe de 49 à 58 francs ! Après avoir reçu Ney et Macdonald, Alexandre Ier est ébranlé : il ne tient nullement au Bourbons qu'il ne connaît pas et annonce qu'il va en échanger avec ses alliés en appuyant la demande des maréchaux car il lui tarde d'en finir.
Chacun s'en va souper et Marmont rejoint ses collègues. Il apprend donc que la cause napoléonienne n'est pas perdue. Un valet entre et lui annonce qu'il est attendu dans l'antichambre, il revient défait :
"
...C'est mon aide de camp. Je suis déshonnoré. Souham a désobéi, trahi ses devoirs : il est passé avec tout le 6ème corps... Je donnerai un bras pour que cela ne fut point arrivé..."
La tête en plus n'aurait pas été de trop ! En l'absence de son chef, Souham a ouvert un pli du QG :
"
Monsieur le maréchal, l'intention de l'Empereur est que vous vous rendiez ce soir au palais de Fontainebleau à dix heures !"Gourgaud arrive après le pli afin de le confirmer. Il n'est pas reçu pas les généraux affolés. Napoléon ignorant tout avait simplement convoqué tous les commandants de corps d'armée à Fontainebleau mais les généraux imaginent l'Empereur au courant de la future défection. Une fuite prudente et accélérée s'impose. On passe à l'ennemi, même Bordesoulle suit et les armes sont rendues devant deux haies parallèles russes qui, elles, les présentent !
Le chemin de Fontainebleau est ouvert, fermant là toutes éventuelles conditions à l'Empereur.
6 avril :
la rente est à 66 francs. La Banque Perrigaux, Laffitte & C° voit une abondance d'argent, les actions de la Banque de France passant de 550-520 (29 mars) à 980-920... Louis XVIII comblera le duc de Raguse d'honneurs et d'argent. L'année suivant, en exil à Gand il se montrera tout aussi généreux. Le duc touchera de l'Autriche sa dotation du domaine de Raguse jusqu'à la fin de sa vie.
Napoléon à Sainte-Hélène :
"
...La vanité a perdu le duc de Raguse... Sans sa déffection, les alliés étaient perdus ; j'étais maître de leurs arrières et de toutes leurs ressources de guerre ; il n'en serait pas échappé un seul... La postérité flétrira justement sa vie pourtant son coeur vaudra mieux que sa mémoire... J'ai été trahi par Marmont que je pouvais dire mon fils, mon enfant, mon ouvrage ; lui auquel je confiais mes destinées en l'envoyant à Paris au moment même où il consommait sa trahison et ma perte !"
Il est donc à noter que les bâtons remis à beaucoup n'avaient aucun retour de coups pour certains mais au-delà de l'anecdote, j'aimerais bien savoir si en effet cette défection a joué pour beaucoup...
Je vois là encore dans l'analyse de Napoléon un gros manque récurrent de psychologie et même de pédagogie ! On le constatera plus d'une fois (Jérôme s'en va en guerre, l'espérance de voir Marie-Louise débarquer, appréhender Alexandre Ier au mieux comme un ami au pire comme un enfant etc.)...
Merci à vous.
g