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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 16:48 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Bonjour,

Vous m'interpelez, je vous réponds et je n'y reviendrai pas car c'est faire tribune et montre d'intérêt pour un personnage bien peu respectueux de lui-même et encore moins des autres.
Jefferson a écrit :
...son humour, son élégance, sa maîtrise de la langue.

Je n'ai pas la même définition de l'humour, de la maîtrise de la langue et de l'élégance.
Maîtrise de la langue ? Rien qui ne dépasse la narration, pas de signature dans le style, des fautes dans la concordance des temps et dans l'emploi de certains.
Citer :
- s'il y a bien quelque chose que je n'aurais jamais pensé qu'on pouvait reprocher à Guillemin, c'est la vulgarité. Ces gens sont des gagne-petits, Guillemin était d'une autre trempe. C'était un penseur, un érudit, certes radicalement engagé à gauche. Ceci explique cela.

M. Guillemin ne vous semble pas "vulgaire" ? Il l'est à deux niveaux : d'abord parce-qu'il donne dans la vulgarisation et ensuite parce-que le choix de ses mots n'est pas grossier (regarder une telle émission serait gênant...) mais il contourne l'obstacle en utilisant des métaphores et autres tournures, annonce avec un air faussement dégoûté que "non, ceci il ne peut le dire... mais pour la vérité de l'Histoire et quoiqu'il lui en coûte et bien voilà..." ; le tout avec une jubilation non feinte. Appuyez un instant sur pause et regardez l'homme, relancez avant et puis après et regardez les expressions.
Un penseur ? Un érudit ? Est-ce penser et être érudit que de réciter de mémoires et avec quelques feuilles un résumé de vingt minutes ? L'expression "gagne-petits" est étrange vu vos positions.
Citer :
Moi, voyez, je suis tout aussi scandalisé lorsque je lis sous la plume de Lentz ou de Gueniffey que la décision de Bonaparte de rétablir l'esclavage est "de son temps"

Vous évoquiez le recul, il en faut tout autant.
Citer :
... le cadeau du domaine de Crone fait à Sieyes, et critiquaient très sérieusement cet appât du gain et les compromissions du nouveau gouvernement.

C'est l'échange qu'il faut voir comme une normalité semble-t-il pour Sieyes, qui l'oblige à accepter ? Et pourquoi ?
M. Guillemin ne frappe pas "là où ça fait mal" mais dans ce qu'il y a de plus bas et met à l'appréciation des moments tronqués sur fond de ton docte. Il est le Tartuffe d'une farce qui ratisse large.
Vous avanciez "faire du Guillemin", ce n'est pas faux : "... c'est violent ... je ne suis pas entièrement d'accord ... mais il a raison ... et ça m'amuse ..." ; nous valons, vous valez mieux dans une autre forme d'échange.
:-|

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 17:29 
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Eginhard
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Drouet Cyril a écrit :
Jefferson a écrit :
Moi, voyez, je suis tout aussi scandalisé lorsque je lis sous la plume de Lentz ou de Gueniffey que la décision de Bonaparte de rétablir l'esclavage est "de son temps", que le critiquer sur ce sujet serait faire une sorte d'anachronisme.


Lentz (Napoléon, l'esclavage et les colonies) :
"Si, évidemment, nous condamnons l'esclavage - sans que la loi ait d'ailleurs besoin de nous y contraindre-, nous tenterons de montrer que si Napoléon partageait avec son temps des préjugés raciaux, ses décisions concernant l'esclavage n'étaient pas de principe. Comme dans tous les domaines de son gouvernement, il se montra ici pragmatique, forgeant lentement ses convictions et, une fois fixé, allant jusqu'au bout de ses décisions."

Jefferson, Pouvez-vous nous dire ce qu'écrit exactement Gueniffey à ce sujet, s'il vous plait ?


J'aimerais bien, mais je n'ai pas les livres chez moi. Uniquement mes fiches de lecture, notes et références de pages. Voici ce que je retire de mon cher "Evernote". Vous avez sans doute ces bouquins chez vous.

Lentz, Napoléon diplomate : Selon Lentz, les plus "progressistes" (ou polémistes) des historiens sur-exploiteraient le sujet colonial pour attaquer Napoléon, esclavagiste au service d'un lobby colonial (p. 233). Si Lentz évoque les travaux d'Yves Brenot (La démence coloniale), c'est pour lui donner une position historiographique médiane (qu'il n'a peut-être pas - Brenot n'hésite pas à parler de Nap comme d'un "soudard borné", après tout...). Lentz invite à "chasser les anachronismes, à repousser les jugements de valeur, à éviter la polémique". Ce qui semble très sage, par ailleurs.

Pour autant, Lentz se sent obligé d'ajouter que non seulement il n'y eu, lors de l'abolition "sauvage" de Sonthonax et Polverel, "aucune compensation pour les colons", mais que Grégoire regretta plus tard cette "brusque émancipation" ( p. 238). Et aucun mot sur le mouvement abolitionniste de l'époque.

Loin de moi l'idée de dire que Lentz est favorable à l'esclavage, mais il y a là une posture qui me déplaît un peu, je l'avoue. Personnellement, j'y vois une manière de défendre la figure de Bonaparte, en sous-entendant que finalement, être esclavagiste, à l'époque, c'était plus ou moins normal. Ce qui est faux. Lentz cite ce qui l'arrange chez Benot. Il y a des silences gênants.

Gueniffey adopte à peu près la même position que Lentz dans sa biographie consacrée à Bonaparte, chez Gallimard. J'ai noté : Bonaparte a réintroduit l'esclavage par pragmatisme, et non par antipathie vis-à-vis des Noirs (p. 595).

Maintenant, avec le "pragmatisme", on peut bien tout justifier. Carrier, à Nantes, c'était du pragmatisme, après tout. Tout comme l'exécution du duc d'Enghien.

J'ai beaucoup d'estime pour ces deux historiens, mais je trouve que cette manière de justifier l'esclavagisme de Bonaparte et de ses acolytes est à la limite de la mauvaise foi. Il faut appeler un chat un chat : Bonaparte n'était pas obligé de rétablir l'esclavage. D'ailleurs, ce fut une belle boulette puisque c'est en partie ce qui lui fit perdre Saint-Domingue.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 17:55 
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Eginhard
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Mon allusion au domaine de Crone et à Sieyes n'était là que pour montrer que certaines positions de Guillemin ne sont pas "anachroniques" : oui, la fortune soudaine de certains, après le coup d'Etat, a choqué certains acteurs, notamment les républicains avancés (selon la terminologie de Aulard), républicains avancés dont Guillemin est dans le droit héritage. Il ne faut pas oublier cela. Guillemin était marxiste, il me semble bien. Bonaparte représentait tout ce qu'il détestait. C'était un tyran, pour Guillemin, qui avait assassiné la République. Guillemin, malgré sa profession de foi du premier épisode, ne fait pas œuvre d'historien, au sens contemporain. Son émission est un tribune.

Et oui, le rétablissement de l'esclavage a également choqué certains acteurs de l'époque, qu'il s'agisse, encore, des républicains avancés ou des Idéologues de l'Institut et de La Décade.

Mon propos est de dire que Guillemin se place dans un certain héritage dont les racines sont contemporaines de Bonaparte. Pour le reste, que Guillemin ait dit d'énormes bêtises, je ne l'ai jamais contesté. Pour les attaques ad hominem (ou ad personam, d'ailleurs), à l'encontre de Guillemin, je ne les partage pas, vous l'aurez compris. Mais Guillemin est une personnalité clivante - je ne souhaite pas vous convaincre.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 20:06 
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Fustel de Coulanges
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Jefferson a écrit :
Voici ce que je retire de mon cher "Evernote". Vous avez sans doute ces bouquins chez vous.

Lentz, Napoléon diplomate : Selon Lentz, les plus "progressistes" (ou polémistes) des historiens sur-exploiteraient le sujet colonial pour attaquer Napoléon, esclavagiste au service d'un lobby colonial (p. 233). Si Lentz évoque les travaux d'Yves Brenot (La démence coloniale), c'est pour lui donner une position historiographique médiane (qu'il n'a peut-être pas - Brenot n'hésite pas à parler de Nap comme d'un "soudard borné", après tout...). Lentz invite à "chasser les anachronismes, à repousser les jugements de valeur, à éviter la polémique". Ce qui semble très sage, par ailleurs.


Je possède en effet l’ouvrage en question. Le passage auquel vous faites référence est celui-ci :
« Une sur-exploitation du fait colonial par les pans les plus « progressistes » de la recherche historique ou les spécialistes de la polémique médiatique vise à une simplification pas plus acceptable : Napoléon n’aurait été qu’un infâme esclavagiste, manipulé par le lobby colonial, voire même un partisan du génocide du « peuple noir ». Il n’y aurait à retenir de l’action outre-mer du Consulat et de l’Empire que l’offensive manquée de Saint-Domingue, les massacres de la Guadeloupe et, bien sûr, le rétablissement de l’esclavage dans certaines colonies. On sait depuis les travaux d’Yves Benot que ces accusations, sur fond de vérité, doivent être étudiés à la loupe et ne se résument pas à une lutte entre le »bien » et le « mal », les »bons » et les « méchants ». Il y a des documents, des textes et des faits qu’il faut tenter de comprendre pour en tirer les leçons, sans les plaquer sur notre présent. Plus que jamais, dans, ces sujets sensibles, l’historien doit faire la chasse aux anachronismes. L’histoire est une discipline suffisamment complexe pour ne pas encore la compliquer par des jugements de valeurs qui, pour universellement admis qu’ils soient aujourd’hui, étaient loin de l’être il y a deux cents ans. »


Jefferson a écrit :
Et aucun mot sur le mouvement abolitionniste de l'époque.



Dans l’ouvrage (coécrit avec Branda) « Napoléon, l’esclavage et les colonies », Lentz ne s’épanche guère plus :
« Pour un Volney ou un Grégoire farouchement abolitionnistes, il y avait des milliers d’individus qui, comme Barbé-Marbois ou Cambacérès, étaient convaincus que l’abolition était contraire aux intérêt du pays.
[…]
Dès lors, toute propagande favorable à la liberté des Noirs fut interdite par la police consulaire puis impériale. Seuls Grégoire et, depuis la Suisse, Mme de Staël ou Benjamin Constant persistèrent dans leurs écrits hostiles à l’esclavage. L’ex-évêque constitutionnel publia De la littérature des nègres, en 1808, mais vit interdire la publication d’un autre ouvrage deux ans plus tard. Il fallut attendre la chute de l’Empire pour que le mouvement abolitionniste puisse lentement renaître. »


Jefferson a écrit :
Gueniffey adopte à peu près la même position que Lentz dans sa biographie consacrée à Bonaparte, chez Gallimard. J'ai noté : Bonaparte a réintroduit l'esclavage par pragmatisme, et non par antipathie vis-à-vis des Noirs (p. 595).


« La question de la condition des Noirs n’était pas de celles qui le tourmentaient. Il connaissait l’esclavage […] il ne s’en indignait pas. L’esclavage était un fait, une institution ; il devait donc être jugé, comme toute institution, à l’aune du seul critère de l’utilité. Etait-il avantageux à la nation, à sa prospérité, à la puissance, ou non ? »
(Gueniffey, Bonaparte)



Jefferson a écrit :
J'ai beaucoup d'estime pour ces deux historiens, mais je trouve que cette manière de justifier l'esclavagisme de Bonaparte et de ses acolytes est à la limite de la mauvaise foi.


Je ne vois pas chez Lentz et Gueniffey une démarche de justification mais d’explication.


Jefferson a écrit :
Pour le reste, que Guillemin ait dit d'énormes bêtises, je ne l'ai jamais contesté.


Pour ma part, je reste persuadé que ces bêtises ont été prononcées en toute connaissance de cause. C'est en cela que je trouve son discours (au delà de la simple bêtise) malhonnête ; ce qui, du coup, lui hôte toute valeur.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 21:13 
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Eginhard
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Drouet Cyril a écrit :
Jefferson a écrit :
J'ai beaucoup d'estime pour ces deux historiens, mais je trouve que cette manière de justifier l'esclavagisme de Bonaparte et de ses acolytes est à la limite de la mauvaise foi.


Je ne vois pas chez Lentz et Gueniffey une démarche de justification mais d’explication.


C'est un point de vue. Pour ma part, quand je lis chez Gueniffey que Bonaparte a assumé la dictature pour préserver les acquis de la révolution, et qu'il a réussi, j'attends plus qu'une phrase perdue dans le pavé d'une biographie pour justifier qu'il ait rayé d'un trait de plume négligent, parce que c'était un homme de son temps, l'un des acquis les plus nobles de cette Révolution - et qui était perçu comme tel par les "progressistes" (vous me pardonnerez d'employer ce terme tout à fait anachronique) de l'époque.

Ha, par contre, l'affaire du duc d'Enghien, on en a des pages entières, avec remise en contexte, réactions des uns et des autres, et pourquoi, et comment, et dans quelles circonstances.

Mais pour l'esclavage, il faudra se contenter d'un simple "pragmatisme", et passons à autre chose. Je trouve ça simplement trop court. Mais enfin, le sujet, c'est Guillemin, pas l'esclavage.

Drouet Cyril a écrit :
Jefferson a écrit :
Pour le reste, que Guillemin ait dit d'énormes bêtises, je ne l'ai jamais contesté.


Pour ma part, je reste persuadé que ces bêtises ont été prononcées en toute connaissance de cause. C'est en cela que je trouve son discours (au delà de la simple bêtise) malhonnête ; ce qui, du coup, lui hôte toute valeur.


Et vous avez sans doute raison :) Ce propos de Guillemin n'a aucune valeur historique, je n'ai jamais cessé d'abonder dans votre sens.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 02 Juin 2016 22:43 
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Marc Bloch
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À propos de l'esclavage, la critique faite n'est elle pas franco centrée ? En effet je crois qu'aucun État colonial (ni aucun État islamique mais c'est peut être un autre sujet) n'avait supprimé l'esclavage en 1800. La France faudrait exception et le pragmatisme était donc de revenir à la norme internationale en cette matière même si cela revenait à rejeter les thèses des Lumières.

Le fait que l'esclavage ait été supprimé par la Convention après avoir été conservé par la constituante et la Législative n'était pas non plus à donner une grande crédibilité à la thèse abolitionniste dans un régime qui haïssait le jacobinisme.


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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 03 Juin 2016 0:59 
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Eginhard
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En fait, à l'époque, en France, il y avait une idée qui traînait encore, qui disait que l'abolition ne pouvait être sérieusement envisagée que si toutes les nations esclavagistes le faisaient en même temps. C'était bien pratique, cette idée. Ça permettait de se dire que, tout de même, c'était vraiment une bien vilaine chose de mettre son semblable, même Noir, sous les fers, mais qu'en l'état, on ne pouvait pas faire grand chose. On pouvait repousser ainsi la décision aux calendes grecques. Je ne sais plus quel partisan de la traite, un tribun dont j'ai oublié le nom, disait, le nez pincé, que l'esclavage et la guerre, c'était la même chose : une mauvaise affaire, assurément, mais il fallait bien s'y résoudre pour rester dans la course.

Le "Grégoire" anglais s'appelait Wilberforce, un parlementaire qui tempêtait tout ce qu'il pouvait pour faire abolir la traite et l'esclavage. La traite fut effectivement abolie dans l'empire britannique en 1807, l'esclavage en 1833. Wilberforce mourut quelques jours après l'abolition. Heureux, j'imagine. Il pouvait être fier de lui. Aux Etats-Unis, alors que Bonaparte le rétablissait, l'esclavage avait déjà été aboli dans la plus grande partie des Etats du Nord. Il a subsisté encore un bout de temps dans le Sud, comme chacun sait.

Mais enfin, l'acte d'abolition de la Convention demeure une première, et c'est sans doute sa plus noble réalisation. D'où la grande peine des esprits éclairés de l'époque de voir cet acte généreux, et unique, saccagé quelques années plus tard. Mais on dit que Bonaparte a terminé la Révolution, et qu'il en a conservé les principaux acquis. Quel dommage que dans son esprit, les acquis de la Révolution s’arrêtaient à 1792...

Pour ce qui est du Jacobinisme, les Idéologues et le groupe de Coppet étaient de fervents abolitionnismes, pour la plupart. Et on ne peut guère les soupçonner de la moindre connivence avec les républicains avancés. C'est la Convention qui avait aboli l'esclavage, certes, alors qu'elle se trouvait sous influence montagnarde, mais il n'y avait pas que des Montagnards à la Convention en 1794. Et un acte généreux et noble demeure tel, même si ce sont vos ennemis qui l'ont accompli. C'est du moins le cas chez les gens honnêtes.

Alors quand je lis, ici ou là (non, je n'ai pas de sources, Cyril, mais je peux vous les trouver :)) que la grande "faute" de Bonaparte, c'est d'avoir fait fusiller un descendant des Bourbons, oui, j'aime Guillemin ;)

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 03 Juin 2016 11:16 
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Fustel de Coulanges
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Jefferson a écrit :
Je ne sais plus quel partisan de la traite, un tribun dont j'ai oublié le nom, disait, le nez pincé, que l'esclavage et la guerre, c'était la même chose : une mauvaise affaire, assurément, mais il fallait bien s'y résoudre pour rester dans la course.


Il s'agit d'Adet qui présenta devant le Tribunat, le 19 mai 1802, au nom de la commission spéciale désignée à cet effet, le rapport relatif au projet de loi concernant l'esclavage.
Voici ses mots :
« Il en est de l'esclavage des noirs comme de la guerre. Depuis longtemps les philosophes ont gémi sur la fureur qui altère les nations de sang, et leur fait compter leurs jours de gloire, par des jours de carnage. Cependant tous les peuples se font la guerre, et les Gouvernements, en gémissant sur cette cruelle nécessité, sont obligés de se tenir tous en état de défense. Quelle serait la condition du peuple qui, abjurant la guerre, renoncerait à fabriquer des armes, à s'en servir, et à entretenir une armée prête à le protéger. En rompant l'équilibre de forces qui le contrebalancent, ne deviendrait-il, pas comptable, envers les autres nations, des maux que sa renonciation à l'usage commun pourrait attirer sur elles, et ne s'exposerait-il pas lui-même à tous les fléaux ?
Ce que je viens de dire de la guerre peut s'appliquer à l'esclavage des noirs. Quelqu'horreur qu'il inspire à la philanthropie, utile dans l'organisation actuelle des sociétés européennes, aucun peuple ne peut y renoncer sans compromettre les intérêts des autres mitions. On peut le regarder comme une de ces institutions qu'il faut respecter lors même qu'on voudrait s'en affranchir, parce qu'elles intéressent la sûreté de ses voisins. »



On en a parlé dans ce fil :
viewtopic.php?f=55&t=19947

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 03 Juin 2016 12:27 
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Eginhard
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Tout à fait. On goûtera d'autant plus la tartufferie d'Adet en lisant cette note de février 1799, extraite du Moniteur, quand on était encore fier, aux Cinq-Cents, du décret d'abolition :

"Moniteur) 21 pluviôse an 7 (9 février 1799) : Conseil des Cinq-Cents, présidence de Leclerc, Séance du 16 pluviôse. Intervention de Thomany, "Ce jour est un jour de fête pour tous les amis de l'humanité". Il évoque évidemment l'abolition de l'esclavage, proclamé par la Convention. "Peuple généreux [...] heureuse révolution que la liberté a opérée dans les Colonies [sans laquelle] l'Anglais règnerait exclusivement aux Antilles [...] La République l'a pas de citoyen plus zélé que celui devenu libre". C'est un discours anti-esclavagiste enlevé. Thomany propose que le 16 pluviôse, "anniversaire de la liberté des Noirs" soit célébré comme fête nationale dans les colonies. L'avis est adopté".

Vraiment ? Une France esclavagiste ? Volney et Gregoire étaient-ils si isolés ? Il est vrai qu'au même moment, on louait Toussaint pour avoir rétabli le calme à Saint-Domingue et on pouvait écrire que la liberté élevait l'homme. Même Noir.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 03 Juin 2016 16:03 
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Jefferson a écrit :
"Peuple généreux [...] heureuse révolution que la liberté a opérée dans les Colonies [sans laquelle] l'Anglais règnerait exclusivement aux Antilles [...] La République l'a pas de citoyen plus zélé que celui devenu libre".


Mots qui ne sont pas sans rappeler ceux de Bonaparte lors de la séance du 16 août 1800 :
"La question n'est pas de savoir s'il est bon d'abolir l'esclavage, mais s'il est bon d'abolir la liberté dans la partie libre de Saint-Domingue. Je suis convaincu que cette île serait aux Anglais, si les nègres ne nous étaient attachés par l'intérêt de leur liberté.
Ils feront moins de sucre, peut-être, qu'étant esclaves; mais ils le feront pour nous, et ils nous serviront, au besoin, de soldats. Si nous avons une sucrerie de moins, nous aurons de plus une citadelle occupée par des soldats amis.
[...]
Je parlerai de liberté dans la partie libre de Saint-Domingue ; je confirmerai l'esclavage à l'île de France, même dans la partie esclave de Saint-Domingue; me réservant d'adoucir et de limiter l'esclavage, là où je le maintiendrai; de retablir l'ordre et d'introduire la discipline, là où je maintiendrai la liberté. »

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 03 Juin 2016 23:02 
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Marc Bloch
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Tout cela est intéressant.

Ne tombons pas dans l'anachronisme. En 1804 existe un consensus pour considérer que l'exécution d'un prince du sang est un sujet d'une extrême gravité - alors que l'esclavage est une pratique fréquente même si elle commence à être discutée !


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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 04 Juin 2016 0:30 
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Eginhard
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Jerôme a écrit :
Tout cela est intéressant.

Ne tombons pas dans l'anachronisme. En 1804 existe un consensus pour considérer que l'exécution d'un prince du sang est un sujet d'une extrême gravité - alors que l'esclavage est une pratique fréquente même si elle commence à être discutée !


Je ne crois pas être dans l'anachronisme, justement. Je crois qu'on peut juger le rétablissement de l'esclavage comme quelque chose d'immoral, nous citoyens du monde contemporain, et en être révoltés, mais cette pratique était déjà considérée comme immorale à l'époque. Nous sommes sur un forum d'histoire, pas en train de rédiger un mémoire académique. Et puis nous sommes sur un fil consacré à Guillemin. Cela nous autorise à quelques libéralités !

Le rétablissement de l'esclavage gène encore certains historiens modernistes spécialistes de Bonaparte. Et ils bottent en touche, justement parce qu'ils considèrent que l'esclavage était une pratique à peu près normale à l'époque.

Je pense que c'est faux. Je pense que c'était une pratique courante, certes, mais que tout le monde savait bien désormais que mettre son semblable dans les fers était quelque chose de très discutable. Les abolitionnistes portaient un combat, ils étaient une minorité, sans doute, mais leur voix se faisait entendre, et résonnait dans les débats. Leurs idées avaient déjà profondément infusé les sociétés occidentales. On savait très bien, partout, que l'esclavage était une pratique dégoûtante, mais les gens s'en accommodaient, par pragmatisme ou par intérêt (ou par désintérêt, justement).

Les justifications de l'esclavage sonnent presque toutes faux - lisez Adet, cité par Drouet Cyril. Est-ce que cela sent la conviction ? Une rhétorique misérable pour justifier l'injustifiable. Et Bonaparte ? Est-ce qu'il trouvait que l'esclavage est une pratique "juste" ? Certainement pas.

Et plus encore. N'oublions pas que Bonaparte rétablit l'esclavage. Oui, je mets en gras, parce que je trouve que c'est cela le plus important. Ce n'est pas comme s'il se refusait simplement de l'abolir, comme les Anglais, par exemple. Il aurait juste été borné. Non, il le remet en place alors que les esclaves étaient libres. Il refuse de rendre libre, même sous condition, même avec une abolition graduelle comme les Américains, les habitants des îles rendues par les Anglais. Ce n'est même pas une question morale : c'est illégal. Lorsque les îles furent rendues aux Français, les esclaves qui s'y trouvaient auraient dû être libres de facto juste pour avoir découvert que leurs pieds touchaient de nouveau le sol français.

N'en doutons pas : s'il avait pu le faire, l'esclavage aurait été rétabli à Saint-Domingue après la Guadeloupe. Parce qu'on peut parler aussi des lois et décrets concernant les gens "de couleur" en métropole, aussi.

Bonaparte, et ses acolytes coloniaux, sont indéfendables sur ce sujet. La faute de Bonaparte, et de tous ces hommes sans scrupules qui l'ont poussé à prendre des décisions effroyables, c'est celle là. Cette excuse de l'anachronisme est un chiffon rouge qu'on agite trop souvent dans cette affaire.

Quant au relativisme historique, fort bien, je veux bien l'entendre, mais réservons-le pour les époques moins"éclairées". Que César ou Cléopâtre aient eu des esclaves ne me choque pas. Mais après le siècle des Lumières, le rétablissement de l'esclavage dans une nation qui l'avait aboli n'est rien d'autre qu'un épouvantable scandale. Aucun Bourbon ne vaut plusieurs centaines de milliers de vies humaines trahies par leur propre gouvernement.

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 04 Juin 2016 6:26 
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Fustel de Coulanges
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Jefferson a écrit :
Je ne crois pas être dans l'anachronisme, justement. Je crois qu'on peut juger le rétablissement de l'esclavage comme quelque chose d'immoral, nous citoyens du monde contemporain


Mais dans le cadre qui est le nôtre est-ce bien si essentiel ? Il me semble au contraire autrement plus utile de tenter d’estimer l’influence dans le temps des abolitionnistes et des esclavagistes et de recontextualiser (du point de vue social, politique, économique, militaire, international…) les événements, afin de tenter de comprendre l’évolution de la politique de Bonaparte en la matière : celle qui a conduit des déclarations du 16 août 1800 à la loi du 20 mai 1802, de la généralisation de l’esclavage à l’abolition de la traite négrière sous les Cent-Jours.

Jefferson a écrit :
Bonaparte, et ses acolytes coloniaux, sont indéfendables sur ce sujet. La faute de Bonaparte, et de tous ces hommes sans scrupules qui l'ont poussé à prendre des décisions effroyables, c'est celle là.


« La faute » ? Tulard (Napoléon, les grands moments d’un destin) parle lui, concernant le rétablissement de l’esclavage, d’ « erreur ».
Mais Jean Tulard ne disait-il pas l’air amusé :
« Quand je suis historien, je pense qu'il faut disparaître, qu'il ne faut trahir aucun sentiment, qu'il faut poser sur le personnage historique que l'on a choisi le regard froid du libertin, disait Roger Vaillant, devant sa proie.
Eh bien, j'ai le regard froid du libertin. Je n'ai jamais abordé Napoléon avec passion, tendresse, haine ni quoi que ce soit. C'est comme un entomologiste qui regarde un insecte et qui étudie le comportement de cet insecte en notant toutes les variations de l'insecte. »
(Interview tirée de l'émission télévisée « Histoires d'historiens »).


Jefferson a écrit :
on peut parler aussi des lois et décrets concernant les gens "de couleur" en métropole, aussi.


Un fil sur la question :
viewtopic.php?f=55&t=38632

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 05 Juin 2016 11:33 
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Eginhard
Eginhard
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Vous avez évidemment raison. Le travail académique d'un historien doit tendre vers cette saine posture adoptée par Tulard. Pour autant, entre cette approche "d'entomologiste" et celle de Guillemin, qui est son exact opposé (je n'oublie pas que nous sommes dans un fil consacré à "son" Napoléon), il y a la place pour des positions médianes, comme celle d'Yves Benot, dans son livre La démence coloniale ou celle de Jean-Paul Bertaud, pour ne citer que ces deux là. Leurs travaux sont sérieux, fondés sur des sources, discutables et discutés, respectueux de la méthode historique, et ils n'en portent pas moins des jugements forts sur la politique coloniale, et esclavagiste, de Bonaparte.

Dans tous les cas, contextualiser Bonaparte, je le dis à nouveau, c'est aussi montrer dans quelle mesure sa pensée était à contre-courant d'un mouvement abolitionniste qui gagnait toutes les grandes nations au début du XIXeme siècle et auquel il n'a pas été sensible, parce qu'il était prisonnier de vieilles conceptions d'Ancien Régime (au moins sur ces sujets que nous évoquons, qui incluent entre autre l'empire colonial français dans le Nouveau Monde, les représentations des Noirs, l'esclavage, le commerce triangulaire, l'exclusif, etc.).

Si Lentz regrette la posture de certains historiens polémistes (et je parle d'historiens sérieux, pas de clowns comme Ribbe) qui insistent sur l'affaire scandaleuse du rétablissement de l'esclavage, c'est aussi parce que les historiens napoleonnistes n'insistent pas assez dessus, ou adoptent une posture de "ce n'est pas si grave, c'était de son temps", en y consacrant deux pages, au mieux, de leurs monographies en limitant l'abolitionnisme à quelques agités "en avance sur leur temps" (expression téléologique au possible et à rejeter absolument, à mon avis).

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 Sujet du message : Re: Le Napoléon de Guillemin
Message Publié : 05 Juin 2016 12:22 
Jefferson a écrit :
Et oui, le rétablissement de l'esclavage a également choqué certains acteurs de l'époque, qu'il s'agisse, encore, des républicains avancés ou des Idéologues de l'Institut et de La Décade.
Et William Pitt, antiesclavagiste notoire.


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