Jefferson a écrit :
Voici ce que je retire de mon cher "Evernote". Vous avez sans doute ces bouquins chez vous.
Lentz, Napoléon diplomate : Selon Lentz, les plus "progressistes" (ou polémistes) des historiens sur-exploiteraient le sujet colonial pour attaquer Napoléon, esclavagiste au service d'un lobby colonial (p. 233). Si Lentz évoque les travaux d'Yves Brenot (La démence coloniale), c'est pour lui donner une position historiographique médiane (qu'il n'a peut-être pas - Brenot n'hésite pas à parler de Nap comme d'un "soudard borné", après tout...). Lentz invite à "chasser les anachronismes, à repousser les jugements de valeur, à éviter la polémique". Ce qui semble très sage, par ailleurs.
Je possède en effet l’ouvrage en question. Le passage auquel vous faites référence est celui-ci :
« Une sur-exploitation du fait colonial par les pans les plus « progressistes » de la recherche historique ou les spécialistes de la polémique médiatique vise à une simplification pas plus acceptable : Napoléon n’aurait été qu’un infâme esclavagiste, manipulé par le lobby colonial, voire même un partisan du génocide du « peuple noir ». Il n’y aurait à retenir de l’action outre-mer du Consulat et de l’Empire que l’offensive manquée de Saint-Domingue, les massacres de la Guadeloupe et, bien sûr, le rétablissement de l’esclavage dans certaines colonies. On sait depuis les travaux d’Yves Benot que ces accusations, sur fond de vérité, doivent être étudiés à la loupe et ne se résument pas à une lutte entre le »bien » et le « mal », les »bons » et les « méchants ». Il y a des documents, des textes et des faits qu’il faut tenter de comprendre pour en tirer les leçons, sans les plaquer sur notre présent. Plus que jamais, dans, ces sujets sensibles, l’historien doit faire la chasse aux anachronismes. L’histoire est une discipline suffisamment complexe pour ne pas encore la compliquer par des jugements de valeurs qui, pour universellement admis qu’ils soient aujourd’hui, étaient loin de l’être il y a deux cents ans. »
Jefferson a écrit :
Et aucun mot sur le mouvement abolitionniste de l'époque.
Dans l’ouvrage (coécrit avec Branda) « Napoléon, l’esclavage et les colonies », Lentz ne s’épanche guère plus :
« Pour un Volney ou un Grégoire farouchement abolitionnistes, il y avait des milliers d’individus qui, comme Barbé-Marbois ou Cambacérès, étaient convaincus que l’abolition était contraire aux intérêt du pays.
[…]
Dès lors, toute propagande favorable à la liberté des Noirs fut interdite par la police consulaire puis impériale. Seuls Grégoire et, depuis la Suisse, Mme de Staël ou Benjamin Constant persistèrent dans leurs écrits hostiles à l’esclavage. L’ex-évêque constitutionnel publia De la littérature des nègres, en 1808, mais vit interdire la publication d’un autre ouvrage deux ans plus tard. Il fallut attendre la chute de l’Empire pour que le mouvement abolitionniste puisse lentement renaître. »
Jefferson a écrit :
Gueniffey adopte à peu près la même position que Lentz dans sa biographie consacrée à Bonaparte, chez Gallimard. J'ai noté : Bonaparte a réintroduit l'esclavage par pragmatisme, et non par antipathie vis-à-vis des Noirs (p. 595).
« La question de la condition des Noirs n’était pas de celles qui le tourmentaient. Il connaissait l’esclavage […] il ne s’en indignait pas. L’esclavage était un fait, une institution ; il devait donc être jugé, comme toute institution, à l’aune du seul critère de l’utilité. Etait-il avantageux à la nation, à sa prospérité, à la puissance, ou non ? »
(Gueniffey, Bonaparte)
Jefferson a écrit :
J'ai beaucoup d'estime pour ces deux historiens, mais je trouve que cette manière de justifier l'esclavagisme de Bonaparte et de ses acolytes est à la limite de la mauvaise foi.
Je ne vois pas chez Lentz et Gueniffey une démarche de justification mais d’explication.
Jefferson a écrit :
Pour le reste, que Guillemin ait dit d'énormes bêtises, je ne l'ai jamais contesté.
Pour ma part, je reste persuadé que ces bêtises ont été prononcées en toute connaissance de cause. C'est en cela que je trouve son discours (au delà de la simple bêtise) malhonnête ; ce qui, du coup, lui hôte toute valeur.