ezio-auditore a écrit :
Comment se fait-il que Bonaparte n'ait pas tout de suite refusé ? Mieux, il semble adhérer :
L'expédition d'Angleterre était certes douteuse, mais aussi, en cas de succès, susceptible d'offrir à celui la menant une gloire sans pareille.
Ainsi, une semaine avant l'arrêté prescrivant le rassemblement sur les côtes d'une armée, sous l'appellation d'armée d'Angleterre, placée sous le commandement de Bonaparte, celui-ci écrivait à Talleyrand :
« Il faut que notre gouvernement détruise la monarchie anglicane, ou il doit s'attendre lui-même à être détruit par la corruption et les intrigues de ces actifs insulaires, le moment actuel nous offre un beau jeu. Concentrons toute notre activité du côté de la marine et détruisons l'Angleterre. Cela fait, l'Europe est à nos pieds. »
Pour ce qui est de son adhésion, il convient de la relativiser :
« Pour faire avec quelques probabilités l'expédition d'Angleterre, il faudrait:
1° De bons officiers de marine;
2° Beaucoup de troupes bien commandées, pour pouvoir menacer sur plusieurs points et ravitailler la descente;
3° Un amiral intelligent et ferme: je crois Truguet le meilleur;
4° Trente millions d'argent comptant. »
(Bonaparte au Directoire, 5 novembre 1797)
ezio-auditore a écrit :
[Le 8 février, Bonaparte partit inspecter les préparatifs d'invasion sur les côtes du Nord et le Pas de Calais. Le 23, il remettait au Directoire un rapport concluant que le projet était irréalisable.]
Comment comprendre cette volte-face ?
Pour pouvoir parler de « volte face » encore faudrait-il que Bonaparte ait exprimé avant de son rapport de février 1798 des opinions très arrêtées.
Concernant ledit rapport, voici ce qu'on y lit :
« Opérer une descente en Angleterre sans être maître de la mer est l'opération la plus hardie et la plus difficile qui ait été faite.
[...]
Pour cette opération, il faut de longues nuits, et dès lors l'hiver. Passé le mois d'avril, il n'est plus possible de rien entreprendre.
[...]
Notre marine est aujourd'hui aussi peu avancée qu'à l'époque où l'on a créé l'armée d'Angleterre, c'est-à-dire, il y a quatre mois.
[...]
L'expédition d'Angleterre ne paraît donc être possible que l'année prochaine; et alors il est probable que les embarras qui surviendront sur le continent s'y opposeront. Le vrai moment de se préparer à cette expédition est perdu, peut-être pour toujours.
[...]
S'il n'est pas possible de se procurer exactement l'argent demandé par le présent mémoire, ou si, vu l'organisation actuelle de notre marine, l'on ne pense pas qu'il soit possible d'obtenir cette promptitude dans l'exécution que les circonstances exigent, il faut alors réellement renoncer à toute expédition d'Angleterre, se contenter de s'en tenir aux apparences, et fixer toute son attention comme tous ses moyens sur le Rhin, afin d'essayer d'enlever le Hanovre et Hambourg à l'Angleterre.On sent bien que, pour parvenir à l'un et l'autre de ces buts, il ne faudrait pas avoir une armée nombreuse éloignée de l'Allemagne. Ou bien faire une expédition dans le Levant qui menaçât le commerce des Indes. Et si aucune de ces trois opérations n'est faisable, je ne vois plus d'autre moyen que de conclure la paix avec l'Angleterre. »
Cependant, Bonaparte n'enterrait pas pour autant un tel projet de descente. Ainsi, moins de deux mois après ce rapport et un mois après s'être vu confié le commandement de l'expédition d'Egypte, Bonaparte écrivait au Directoire (13 avril 1798) :
« Nous aurions donc, au mois de septembre, 400 chaloupes canonnières à Boulogne, et 35 vaisseaux de guerre à Brest.
Les Hollandais peuvent avoir également, dans cet intervalle, 12 vaisseaux de guerre au Texel.
Nous avons dans la Méditerranée deux espèces de vaisseaux : 12 vaisseaux de construction française, qui peuvent, d'ici au mois de vendémiaire, être augmentés de 2 nouveaux; 9 vaisseaux de construction vénitienne. Il serait possible, après l'expédition que le Gouvernement projette dans la Méditerranée, de faire passer ces 14 vaisseaux à Brest et de garder simplement les 9 vaisseaux vénitiens ; ce qui nous ferait, dans le courant des mois de vendémiaire et de brumaire, 50 vaisseaux de guerre français à Brest et presque autant de frégates.
Il serait possible alors de transporter 40 000 hommes sur le point de l'Angleterre que l'on voudrait, en évitant même un combat naval si l'ennemi était plus fort, dans le temps que 40 000 hommes menaceraient de partir sur les 400 chaloupes et autant de bateaux pécheurs de Boulogne, et que l'escadre hollandaise et 10 000 hommes de transport menaceraient de se porter en Ecosse.
Exécutée de cette manière, et dans les mois de brumaire et frimaire, l'invasion en Angleterre serait presque certaine.
L'Angleterre s'épuiserait par un effort immense et qui ne la garantirait pas de notre invasion. »
ezio-auditore a écrit :
"Il faut aller en Orient, toutes les grands gloires viennent de là" (NB à Bourrienne)]
Comment se fait-il que l'analyse d'un tel plan se trouve résumé à cette phrase, est-ce de la naïveté ?
C'est vous, et non Bonaparte, qui le résumez ainsi en reproduisant les propos de Bourrienne.
La fascination exercée par l'Egypte à l'époque a pu nourrir les projets de Bonaparte, mais on peut aussi se référer à son rapport du 23 février pour voir qu'il existait de solides argument pour rejeter provisoirement l'expédition d'Angleterre ; mais aussi à celui de Talleyrand dix jours plus tôt pour voir que les avantages possibles d'une campagne en Egypte n'étaient pas négligeables. On peut les résumer, au regard de ce document, ainsi :
-S’emparer d’un territoire au potentiel agricole important (légumes, céréales, lin, coton, indigo, café) ; et développer des capacités exceptionnelles ;
-S’emparer d’un carrefour commercial entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie ;
-Concurrencer économiquement l’Angleterre ;
-Asseoir une colonie prospère alors que celles situées aux Amériques sont appelées à disparaître ;
-Compenser les pertes du commerce français au Levant ;
-S’assurer une conquête peu coûteuse et dont les dépenses seront très vite indemnisées ;
-S’assurer une conquête facile, par le fait que les Beys ne seront pas capables d’opposer une réelle résistance et que la Porte n’osera pas entrer en guerre contre la France ; et qu'enfin l’Angleterre sera plus occupée à la défense de ses îles ;
-S’offrir un marchepied à la conquête des Indes britanniques.
ezio-auditore a écrit :
Surtout Bonaparte craignait, en restant en France, d'user sa popularité …
comment et pourquoi sa popularité se serait-elle usée ?
Sa popularité se nourrissait de la gloire militaire et diplomatique acquise (et orchestrée à dessein) en Italie. A l'armée d'Angleterre, face à un projet douteux, relevant de paramètres qu'il ne maîtrisait pas et susceptible de traîner en longueur, l'ambition était fortement freinée.
ezio-auditore a écrit :
[Bonaparte avait songé dès octobre à regagner l'Europe. Le Directoire lui avait donné l'autorisation de laisser son commandement quand il le jugerait utile.]
Comment le Directoire a pu laisser une si grande latitude à NB ?
On nourrissait, à mon avis quelque peu aveuglément, quelque espoir de voir la question égyptienne réglée diplomatiquement avec Constantinople suite à la défaite de Mamelouks.
Dans cette optique, Bonaparte pouvait ainsi être imaginé oeuvrant à nouveau en Europe après avoir conquis l'Egypte.
ezio-auditore a écrit :
Drouet Cyril a écrit :
Je me permets de vous renouveler ma question de mon dernier message : "Quels sont les documents soutenant le fait qu’un plan combiné a bien été établi entre Paul et Bonaparte ?"
Aucun document, ceci apparaissait simplement dans le rédactionnel d'une biographie de Paul Ier.
Cela ne m'étonne guère...
ezio-auditore a écrit :
[Tandis que Desaix pacifiait difficilement la haute-Egypte ... Bonaparte préparait une expédition en Syrie. Non comme il le prétendait à SH pour conquérir les Indes (avec 13 000 hommes !) mais plus prosaïquement pour rompre le blocus et attaquer une armée turque qui se concentrait dans cette région ... Mais son armée sans renfort s'affaiblissait. Des nouvelles alarmantes parvenaient d'Egypte : une armée turque se formait à Rhodes ... Bonaparte dut lever le siège. Il avait perdu 4 000 hommes et 160 officiers. La retraite fut épouvantable. L'armée épuisée, exaspérée par l'échec, était au bord de la sédition. On avait regroupé à Jaffa les soldats atteints de la peste ...]
Est-ce la réalité car je n'ai, là encore, pas de textes, que du rédactionnel ?
- La République bourgeoise, de Thermidor à Brumaire - D. Woronoff
Si rien n'est exagéré ou orienté, comment l'entourage de NB à SH pouvait prendre des notes de rêves revus sans risquer de blesser le narrateur ? Et comment en face, pouvait-on jouer cette comédie de l'écoute ? Quelle était la finalité ?
Napoléon a conté la retraite de Syrie sous un jour bien plus favorable qu'il ne le fut réellement. Il ne reprenait en vérité que ce qui avait été permis de dire déjà à l'époque.
Concernant par exemple les pertes de la campagne de Syrie :
Moniteur universel du 22 octobre 1799 :
« Le corps de l'armée de l'expédition de Syrie a perdu, en quatre mois, environ 700 hommes, morts de maladie ; 500 tués dans les combats, et environ 1800 blessés, dont 90 amputés »
Bertrand (Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie) :
« Les appels faits avec soin donnèrent onze mille cent trente-trois hommes présents. Il manquait donc deux mille hommes. Cinq cents tués sur le champ de bataille, sept cents morts aux hôpitaux, six cents qui étaient en garnison à El-Arich et à Ratiéh, deux cents qui avaient précédé l'armée ; mais sur les onze mille présents, mille cinq cents étaient blessés, dont quatre-vingt-cinq amputés. »
marc30 a écrit :
- il faudrait en fait créer un fil sur Sainte Helene et la façon d'interpréter les récits de l'exil
Il faudrait alors ouvrir autant de fils que de thématiques abordées à Sainte-Hélène. Bon courage...
Mais pour revenir sur le sujet du présent fil, il faut bien préciser que les premiers propos relatant les « rêves orientaux » ne sont pas nés avec Sainte-Hélène.
marc30 a écrit :
le livre de Woronof est vieux de 40 ans et ne traite que très marginalement de Bonaparte et de l'expédition d'Egypte. Il y a sans doute des références plus récentes et plus spécialisées
On peut notamment (la bibliographie est riche) se référer pour la campagne d'Egypte aux travaux de Laurens (L'expédition d'Egypte), ou pour la campagne de Syrie (objet de fil en question) à ceux de Derogy et Carmel (Bonaparte en Terre Sainte)