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 Sujet du message : Rêves orientaux de Bonaparte
Message Publié : 09 Avr 2013 19:55 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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La question des rêves nourris par Bonaparte de grande campagne embrasant tout l’Orient vers Constantinople ou les Indes, ou même, et surtout, d’empire oriental enflamme toujours les esprits. Cette question est d’ailleurs fort ancienne et a même reçu, après les faits, réponse de la part de l’intéressé lui-même.
Napoléon s’est montré en effet assez clair sur ce point. Les témoignages (sur lesquels nous reviendrons plus tard abondent) :

La veille d’Austerlitz :
"Si je m'étais emparé d'Acre, je prenais le turban ; je faisais mettre de grandes culottes à mon armée ; je ne l'exposais plus qu'à la dernière extrémité ; j'en faisais mon bataillon sacré, mes immortels ! C'est par des Arabes, des Grecs, des arméniens que j'eusse achevé la guerre contre les Turcs ! Au lieu d'une bataille en Moravie, je gagnais une bataille d'Issus, je me faisais Empereur d'Orient, et je revenais à Paris par Constantinople !"
(Ségur, Un aide de camp de Napoléon)

Face à Mme Rémusat :
"En Egypte, je me trouvais débarrassé du frein d'une civilisation gênante : je rêvais toutes choses et je voyais les moyens d'exécuter tout ce que j'avais rêvé. Je créais une religion, je me voyais sur le chemin de l'Asie, parti sur un éléphant, le turban sur ma tête, et dans ma main un nouvel Alcoran que j'aurais composé à mon gré. J'aurais réuni dans mes entreprises les expériences des deux mondes, fouillant à mon profit le domaine de toutes les histoires, attaquant la puissance anglaise dans les Indes, et renouant par cette conquête mes relations avec la vieille Europe. Ce temps que j'ai passé en Egypte a été le plus beau de ma vie, car il en a été le plus idéal."
(Mémoires)

Face au comte de Narbonne :
"Sans le corsaire anglais et l'émigré français qui dirigeaient le feu des Turcs, et qui, joints à la peste, me firent abandonner le siège, j'aurais achevé de conquérir une moitié de l'Asie et j'aurais pris l'Europe à revers pour revenir chercher les trônes de France et d'Italie."
(Villemain, Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature)

Et bien sûr l’exil et Sainte-Hélène, période propice aux soupirs et à la réécriture de l'histoire :

A Maitland :
"Sans vous, les Anglais, j'aurais été empereur d'Orient. Votre Sidney Smith m'a fait rater ma fortune."

A Montholon :
"J'ai manqué mon destin devant Saint-Jean-d'Acre."
(Récit de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène
)

A Gourgaud :
"Si j'y étais resté, je serai à présent empereur d'Orient. Sans Saint-Jean d'Acre, toute la population se déclarait pour moi. J'aurais pu aller aux Indes.
[…]
Cette compagnie [de dromadaires] était un essai que je voulais tenter pour reconnaître le moyen d’aller aux Indes. Je désirais acheter 15 000 nègres du Darfour, qui, avec de bons cadres, auraient fait d’excellents soldats. J’aurais pu avoir un noyau d’armée de 60 000 à 70 000 hommes. Dans le désert, j’aurais fait des marches de 10 lieues par jour, sur trois colonnes, en échelons, afin de trouver assez d’eau aux puits. J’aurais eu autant de Dromadaires qu’il m’eût fallu. Mes malades, mes munitions auraient été placés sur ces animaux. Je n’aurais eu de voitures que pour les canons. J’aurais tout rallié avant d’entrer sur les terres habitées. Je serais ainsi arrivé sur l’Indus et aurais détruit la puissance des Anglais. Il y a environ 1 000 lieues ; j’aurais fait une grande halte sur l’Euphrate et d’autres, selon les circonstances. J’aurai préparé des rations, portées sur les dromadaires, de riz, de farine, de café, afin de donner une livre par jour à chaque homme.
Je me serais allié de suite avec les Mahrattes, qui auraient donné une excellente cavalerie ; d’ailleurs les cipayes sont indiens et les Anglais redoutaient fort mon entreprise. C’est pourquoi ils s’étaient emparés dernièrement d’Alexandrie."
(Journal de Sainte-Hélène
)

A Las Cases :
« Saint-Jean d’Acre enlevée, l’armée française volait à Damas et à Alep, elle eût été en un clin d’œil sur l’Euphrate ; les Chrétiens de la Syrie, les Druses, les Chrétiens de l’Arménie se fussent joints à elle ; les populations allaient être ébranlées.
Un de nous ayant dit qu’on eût été bientôt renforcé de 100 mille hommes : « Dites de 600 mille » a repris l’Empereur ; « qui peut calculer ce que c’eût été ? J’aurais atteint Constantinople et les Indes ; j’eux changé la face du monde !
»
(Mémorial)

A Bertrand :
« Il espérait qu’à la nouvelle de la prise de Saint-Jean d’Acre, les Mamelouks, les Arabes d’Egypte, les partisans de la maison de Daher, se joindrait à lui ; qu’il serait en juin maître de Damas et d’Alep ; que ses avant-postes seraient sur le mont Taurus, ayant sous ses ordres immédiats, vingt-six mille Français, six mille Mamelouks et Arabes à cheval d’Egypte, dix-huit mile Druses, Maronites et autres troupes de Syrie ; que Desaix serait en Egypte prêt à le seconder, à la tête de vingt mille hommes, dont dix mille Français et dix mille noirs, encadrés. Dans cette situation, il serait en état d’imposer à la Porte, de l’obliger à la paix, et de lui faire agréer sa marche sur l’Inde. Si la fortune se plaisait à favoriser ses projets, il pouvait encore arriver sur l’Indus au mois de mars 1800, avec plus de quarante mille hommes en dépit de la perte de sa flotte. Il avait des intelligences en Perse, il était assuré que le schah ne s’opposerait pas au passage de l’armée par Bassora, Chyraz et le Mékran. Les évènements ont déjoué ses calculs. »
(Cahiers de Sainte-Hélène)

A tous ces témoignages postérieurs aux faits, Bourrienne, dans ses Mémoires, prétend avoir obtenu des révélation tout aussi explicites sur une marche sur les Indes et même sur la fondation d’un nouvel empire, au moment même de la campagne :
« Avant d'avoir pris la résolution d'attaquer l'avant garde des Turcs, dans les vallées de la Syrie, Bonaparte pensait encore au projet d'aller attaquer l'Inde britannique, par la Perse. Il avait acquis la certitude, par des agents envoyés sur les lieux, que le shah de Perse consentirait, moyennant un paiement fait d'avance, à laisser établir dans les lieux que l'on désignerait, des magasins d'objets militaires, d'habillement et d'équipement. Bonaparte m'a dit souvent que si, après la soumission de l'Egypte, il eût eu quinze mille hommes à y laisser et trente mille hommes disponibles, il marchait sur l'Euphrate : il avait plusieurs fois, dans la journée, l'attention fixée sur les déserts qu'il faut traverser pour arriver en Perse. Combien de fois ne s'est-il pas couché à plat ventre sur les belles cartes qu'il avait apportées ? Il me faisait placer à côté de lui pour me développer cette marche. Cela lui rappelait les triomphes d'Alexandre, son héros favori, auquel il désirait tant d'associer son nom. Mais je dois dire qu'il sentait bien que tous ces projets étaient trop peu en harmonie avec nos moyens, la faiblesse du gouvernement et le dégoût qu'éprouvait déjà l'armée dans ces déserts : les privations et la misère sont inséparables de toutes ces opérations lointaines.
[…]
Je soulève et j’arme toute la Syrie, qu’a tant indignée la férocité de Djezzar, dont vous avez vu que la population demandait à chaque assaut la chute à Dieu. Je marche sur Damas et Alep. Je grossis mon armée, en avançant dans tout le pays, de tous les mécontents ; j’annonce au peuple l’abolition de la servitude et des gouvernements tyrannique des pachas. J’arrive à Constantinople avec des masses armées. Je renverse l’empire turc. Je fonde dans l’Orient un nouvel et grand empire qui fixera ma place dans la postérité, et peut-être retournerai-je à Paris par Andrinople ou par Vienne, après avoir anéanti la maison d’Autriche. »


A l’époque, les choses semblent pourtant bien plus complexes, même si, il est vrai, Bonaparte, en Orient, ne s’interdisait pas d’entrevoir des perspectives particulièrement ambitieuses. Ainsi, Treilhard, le 4 novembre 1798, écrivait ceci au général en chef de l’expédition d’Egypte :
« Le retour en France paraissant difficile en ce moment, il parait vous laisser trois partis parmi lesquels vous puissiez choisir :
-Demeurer en Egypte en vous y formant un établissement qui soit à l’abri des attaques des Turcs ; mais vous n’ignorez pas qu’il y a des saisons extrêmement funestes aux Européens, surtout quand ils ne reçoivent pas de secours de la métropole ;
-Pénétrer vers l’Inde, où, si vous arrivez, il n’est pas douteux que vous y trouviez des hommes prêts à s’unir à vous pour détruire la domination anglaise ;
-Enfin, marcher vers Constantinople au-devant de l’ennemi qui vous menace.
C’est à vous à choisir »


Cette lettre ne parvint, après pas mal de péripéties, à Bonaparte que le 25 mars. Le siège d’Acre venait de commencer…
De retour au Caire (comme il l’avait prévu, afin de faire face aux menaces de débarquement ottoman), il évoqua la lettre du 4 novembre dans sa missive au Directoire exécutif. Il y dit d’ailleurs ceci :
« Si vous voulez que nous nous soutenions, il nous faut, d’ici [la fin janvier 1800], 6000 hommes de renfort.
Si vous nous en faites passer en outre 15 000, nous pourrons aller partout, même à Constantinople. »


« Partout »… Le mot peut porter à l’imagination… imagination qui se verra fort débridée quand Napoléon évoquera plus tard, avec bien de nostalgie, sa campagne d’Orient.



Tentons d’y voir plus clair dans cette hypothétique campagne des Indes dans les dictées héléniennes.
L’expédition en question apparaît sous deux volets : un volet maritime et un volet terrestre.

Le volet maritime nous vient de Bertrand (Guerre d’Orient. Campagnes d’Egypte et de Syrie) :

« Il avait été convenu en France que le gouvernement ferait partir en octobre ou novembre 1798, trois vaisseaux de soixante-quatorze, quatre frégates et cinq flûtes portant trois mille hommes, pour ravitailler l'Ile-de-France, et croiser dans les mers des Indes ; que dès que l'époque de la marche de l'armée sur l'Indus serait décidée, une escadre de quinze vaisseaux de guerre, six frégates, quinze grosses flûtes, partirait de Brest, portant cinq mille hommes, des vivres et des munitions de guerre. Cette escadre devait communiquer avec l'armée de terre sur les côtes du Mékran Après avoir donné tous les secours à l'armée pour l'aider à s'emparer d'une place forte, Surate, Bombay ou Goa, elle devait se partager en petites divisions pour croiser dans les mers depuis l’lndus jusqu'à la Chine. Trois divisions devaient partir de l'Ile-de-France pour former des magasins aux trois ports de la côte du Mékran qui avaient été désignés. Les trois mille hommes de troupes qui se trouveraient à l'Ile-de-France, ayant des cadres pour six mille hommes, devaient être complétés par quinze cents colons blancs, et quinze cents noirs. Ces six mille hommes serviraient à la garde de ces établissements ou échelles, et suivraient l'armée à son passage. »

On peut s’interroger sur de telles dispositions prises avant le début de la campagne d’Egypte.
Les arrêtés établis par le Directoire parlent bien de l’Ile de France et du concours que pourrait apporter cette position à l’expédition d’Egypte, mais, si je ne m’abuse aucunement de la constitution d’une pareille flotte comptant pas moins de 18 vaisseaux et 10 frégates (pour mémoire, la flotte qui partit vers l’Egypte s’élevait à 13 vaisseaux et 6 frégates).
L’arrêté auquel je fais référence est celui-ci (12 avril 1798) :
« Art. 1. Les frégates de la République qui se trouvent à l'Ile-de-France se rendront dans le port de Suez, où elles seront sous les ordres du citoyen Bonaparte, général en chef de l'armée d'Orient.
Art. 2. A cet effet, elles mettront à la voile immédiatement après la réception du présent arrêté.
Art. 3. Elles amèneront avec elles tous les bâtiments de transport, capables de faire le trajet, qui se trouvent dans les différents ports de l'Ile de France et de la Réunion. »


On est loin ici de la constitution d’une flotte impressionnante visant les Indes britanniques, mais plus d’une petite escadre en rapport avec les objectifs définis par le Directoire dans un autre arrêté pris le même jour :
«Art. 2. Il chassera les Anglais de toutes les possessions de l'Orient où il pourra arriver, et notamment il détruira tous leurs comptoirs sur la mer Rouge.
Art. 3. Il fera couper l'isthme de Suez, et il prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la libre et exclusive possession de la mer Rouge à la république française.


Dans cet arrêté, ce qui peut paraître étonnant au regard de la flotte prévue selon Napoléon, aucun article ne fait référence à une vaste opération en direction de l’Inde. Chasser les Anglais de « toutes les possessions de l’Orient » laisse cependant le champ libre à bon nombre de projets, mais dans l’immédiat c’est le contrôle du golfe de Suez et de la mer Rouge qui est la priorité et l’arrêté relatif aux frégates de l’Ile de France est rédigé en ce sens.

J'ouvre ici une parenthèse. On peut noter qu’une expédition maritime vers les Indes était tout de même dans les cartons. On peut notamment se souvenir du rapport de Talleyrand (13 février 1798), rédigé dans la lignée de ce qui avait pu s’imaginer sous l’Ancien Régime et dans les dernières années :
« Cette expédition [celle visant la conquête de l’Egypte] nous offre en outre les moyens de chasser les Anglais de l’Inde, en y envoyant du Caire par Suez un corps de troupe de 15 000 hommes.
Si cette seconde partie du projet est adoptée, alors l’armée qui débarquerait à Alexandrie devrait être de 35 000 hommes, au lieu de 20 à 25 000.
[à noter que ce premier nombre correspond environ aux effectifs qui furent ensuite définis pour mener la campagne d’Egypte].
[…]
Pour faire embarquer avec plus de sûreté et de commodité ces troupes, il faudrait avoir fait passer à bonne heure, soit d’Europe, soit des îles de France ou de la Réunion, une escadre et des transports à Suez. Mais, n’en ayant pas le temps, on pourrait se servir des bâtiments qui portent de l’Yémen et de Djeddah les cafés à Suez. Ils y arrivent généralement au commencement de juin ; ils sont au nombre de cinquante à soixante, gros et petits, et ils seraient suffisants pour transporter ces 15 000 hommes avec leurs munitions de guerre et de bouche.
Ces bâtiments ne sont pas comparables à ceux des Européens ; mais dans un cas urgent on pourrait s’en servir. Au mois de juillet jusqu’au 10 août, la mousson est très favorable pour aller dans l’Inde. Les navires européens pourraient aller en trente-cinq jours jusqu’à la côte de Malabar ; ceux-ci mettraient dix jours de plus.

[…]
Ce projet tenu secret pourrait être assez tôt exécuté pour que les Anglais ne pussent y porter obstacle ; et s’ils n’en étaient informés qu’à l’instant où nos troupes partiraient de nos ports, nous serions dans l’Inde avant qu’ils pussent y mettre opposition. Il faudrait six mois à leurs forces pour s’y rendre et nous y serions en moins de quatre.
Je dois observer au Directoire exécutif que, s’il lui paraissait plus prudent de renvoyer à l’année prochaine l’expédition dans l’Inde par Suez, afin de la concerter d’une manière plus solide, elle deviendrait bien plus difficile, car à peine les Anglais nous sauront maîtres de l’Egypte qu’ils se précautionneront contre nos entreprise, en envoyant dans l’Inde des forces imposante. »


Le projet de Talleyrand est tout de même bien différent de celui rapporté à Sainte-Hélène. D’un part, il n’évoque pas de volet terrestre à l’expédition (alors que ce point est essentiel pour Napoléon dans ses dictées héléniennes), d’autre part, la flotte n’a pas grand-chose à voir avec celle évoquée par l’Empereur devant Bertrand ; les 18 vaisseaux et les 10 frégates laissant place à une soixantaine de navires issus des armements commerciaux locaux. On peut d’ailleurs s’étonner du caractère aussi risqué d’une telle entreprise où l’escorte d’une flotte de transport ne semble pas important.
Quoi qu’il en soit le projet de Talleyrand ne sera pas concrètement repris dans l’arrêté du Directoire qui définira deux mois plus tard les objectifs de l’expédition d’Egypte.


Il est également fort étonnant que Bonaparte, soi-disant au courant de tels projets maritimes n’en n’évoque pas une fois l’existence une fois rendu en Egypte, alors qu’il multiplie les demandes de renforcement de sa flotte méditerranéenne avant et après le désastre d’Aboukir.

Concernant l’arrêté relatif aux frégates de l’Ile de France, il en parle le 18 décembre 1798 au général Bon : « Il serait nécessaire que vous fissiez sonder la rade pour savoir si des frégates de l’Ile de France, que j’attends, pourraient, étant arrivées à Suez, s’approcher de la côte jusqu’à 200 toises, de manière à être protégées par des batteries de côte ». Il écrit plusieurs lettres à l’Ile de France (sans qu’il semble avoir pu en obtenir de réponse). La première qui est venue jusqu’à nous ne date que du 30 juin 1799 (lettre à Malartic, commandant général des territoires français au-delà du Cap de Bonne-Espérance), Bonaparte ne parle plus de frégates mais d’avisos devant seulement servir à l’envoi d’armes et à la correspondance avec les Indes (la lettre envoyée cinq mois plus tôt, à Tippoo Sahib l’avait été via le sultanat d’Oman). Rien sur la flotte supposément prévue...

Tout autant étonnant est sa note en date du 13 avril 1798, où il ne parle pas du tout d’une éventuelle expédition maritime sur les Indes, mais au contraire du renforcement de la flotte de Brest (notamment avec une partie de celle qui devait servir à voguer vers l’Egypte) en vue d’un débarquement en Angleterre (il s’y montre d’ailleurs autrement plus optimiste que dans son rapport présenté deux mois plus tôt où face au difficultés, il évoque une expédition vers le Levant ; voir aussi à sujet les Mémoires de Marmont), l’expédition d’Egypte devenant dans le même cadre une habile diversion attirant les forces de la Royal Navy en Méditerranée, en mer Rouge et dans l’Océan Indien, en amoindrissant du coup considérablement la défense de la Manche. Là encore cela ne va pas dans le sens d’un soutien massif de la marine française à une éventuelle marche vers les Indes, les regards étant toujours prioritairement dirigés vers Albion. A noter que ce rapport fut déposé par Bonaparte le lendemain même des arrêtés créant l’armée d’Orient et définissant les objectifs militaires de cette dernière.

Enfin, quand il demande des renforts au Directoire exécutif (28 juin 1799) dans l’éventualité d’aller jusqu’à Constantinople, ou « partout » ailleurs, il ne rappelle pas la flotte supposément promise par ce même Directoire en vue d'appuyer une campagne des Indes qui pourrait pourtant être imaginée au travers de cette dernière missive.

La fameuse flotte des dictées à Bertrand, du vent ?
J'ai plus que tendance à le penser...

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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Message Publié : 09 Avr 2013 19:56 
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Passons donc volet terrestre.
Si le volet maritime soi-disant planifié avant l’expédition n’apparaît si je ne m’abuse que dans les dictées à Bertrand (pas même dans la relation de Berthier écrite pourtant durant la Consulat et sous l’œil du maître), le volet terrestre a été, lui, plus ou moins développé face à de nombreux interlocuteurs.



1-Le prélude indispensable à la campagne : la chute d’Acre

Napoléon, à Sainte-Hélène, prétendit avoir, en collaboration avec le Directoire, planifié une opération en direction des Indes avant même son départ de Toulon. La manière dont commença la campagne d’Egypte, toujours selon l’Empereur, voila temporairement le projet, avant que sa marche en Palestine ne le relance finalement. Ainsi, à croire Napoléon, l’expédition des Indes avait pour marchepied la campagne de Syrie, et la chute d’Acre établissant de nouvelles données géopolitiques et militaires dans la région, devait être suivie, à plus ou moins brève échéance (Napoléon envisage alors la soumission préalable et rapide des Ottomans), d’un vaste mouvement vers de bien lointaines contrées.

Ainsi, on peut lire chez Las Cases (Mémorial de Sainte-Hélène) :
« Saint-Jean d’Acre enlevée, l’armée française volait à Damas et à Alep, elle eût été en un clin d’œil sur l’Euphrate »

Dans « En traîneau avec l’Empereur » (Caulaincourt) :
« Si […] l’artillerie pour le siège d’Acre n’eût pas été prise par les Anglais, il se serait passé de grands évènements, soit dans l’Orient, soit dans l’Inde, où il aurait détruit la puissance anglaise. »

A Bertrand (Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799 : Mémoires pour servir à l'histoire de Napoléon, dictés par lui-même à Sainte-Hélène, et publiés par le général Bertrand) :
« Il espérait qu’à la nouvelle de la prise de Saint-Jean d’Acre, les Mamelouks, les Arabes d’Egypte, les partisans de la maison de Daher, se joindrait à lui ; qu’il serait en juin maître de Damas et d’Alep ; que ses avant-postes seraient sur le mont Taurus, ayant sous ses ordres immédiats, vingt-six mille Français, six mille Mamelouks et Arabes à cheval d’Egypte, dix-huit mile Druses, Maronites et autres troupes de Syrie ; que Desaix serait en Egypte prêt à le seconder, à la tête de vingt mille hommes, dont dix mille Français et dix mille noirs, encadrés. Dans cette situation, il serait en état d’imposer à la Porte, de l’obliger à la paix, et de lui faire agréer sa marche sur l’Inde.

Cependant, Bonaparte, au moment des faits, était autrement moins ambitieux et beaucoup plus réaliste et, une fois Acre prise, devait revenir au plus tôt en Egypte afin de faire face à une descente ottomane sur les côtes ; opération que l’on savait en préparation. On peut lire à ce sujet la lettre du commandant de l’armée d’Orient à Directoire du 10 février 1799 où les objectifs de la campagne de Syrie sont clairement définis :
«J'ai, dans l'opération que j'entreprends, trois buts :
1e- Assurer la conquête de l'Egypte en construisant une place forte au delà du désert, et, dès lors, éloigner tellement les armées, de quelque nation que ce soit, de l'Egypte, qu'elles ne puissent rien combiner avec une armée européenne qui viendrait débarquer sur les côtes ;
2e- Obliger la Porte à s'expliquer, et, par là, appuyer les négociations que vous avez sans doute entamées, et l'envoi que je fais à Constantinople, sur la caravelle turque, du consul Beauchamp ;
3e- Enfin ôter à la croisière anglaise les subsistances qu'elle tire de Syrie, en employant les deux mois d'hiver qui me restent à me rendre, par la guerre et par des négociations, toute cette côte amie. »
De même, à l’heure des bilans auprès du Directoire, Bonaparte écrivait :
« Il restait encore deux mois avant la saison propre au débarquement ; je résolus de poursuivre les débris de l’armée ennemie et de nourrir pendant deux mois la guerre dans le cœur de la Syrie. Nous nous mîmes en marche sur Acre »
(lettre du 10 mai 1799).

Même son de cloche dans sa lettre à ce même Directoire le 27 mai suivant :
« La résolution où j’étais de repasser promptement le désert pour retrouver en Egypte avant le mois de juin » ; objectifs confirmés par Berthier (Relation des campagnes du général Bonaparte en Egypte et en Syrie) :
« Revenir en Egypte aussitôt après pour battre l’expédition sur mer ; expédition qui, vu les obstacles, ne pouvait avoir lieu avant le mois de messidor [fin juin] ».

De la même manière, Bonaparte, lors de ladite campagne, a constamment, tout en étant muet sur la fameuse campagne supposée des Indes, rappelé à ses subordonnés sa volonté de revenir en Egypte dès les objectifs de la campagne atteints.
A Marmont, face à Acre, 8 avril 1799 :
"Je compte, dans le mois prochain, être en Egypte et avoir fini toute mon opération en Syrie."

A Marmont, face à Acre, 14 avril 1799 :
"Je serai dans le courant du moi de mai en Egypte."

A Desaix, face à Acre, 19 avril 1799 :
"Je serai de retour en Egypte dans le courant de mai ; je compte être maître d'Acre dans six jours."

« Acre sera pris le 6 floréal [25 avril], et je partirai sur-le-champ pour me rendre au Caire. »
(Bonaparte à Dugua, 19 avril 1799)

« Le retour du général en chef est très proche. »
(Bonaparte à Berthier, 1er mai 1799)

On le voit, lors de la campagne de Syrie, bien malheureuse pour les armes françaises (quoiqu’ait pu dire Bonaparte ou Napoléon sur le sujet pour masquer son échec), les pensées de Bonaparte étaient ailleurs ; menaces de débarquement et de perte de l’Egypte obligent.

Passons maintenant à la manière dont Napoléon, après coup, imaginait le « what-if ? » indien.



2-L’armée

a- Les supplétifs de Syrie

Selon l’Empereur, l’annonce des succès français contre la tyrannie de Djezzar devait provoquer un vaste mouvement insurrectionnel en Syrie.

« Napoléon résolut [suite à la conquête de la Syrie] d'armer les chrétiens de la Syrie, de soulever les Druses et les Maronites, et de prendre ensuite conseil des circonstances.
[…]
Dix-huit mille Druses, Maronites et autres troupes de Syrie »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799)

« Sans Saint-Jean d'Acre, toute la population se déclarait pour moi. »
(Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)

« Maître d’Acre […] toutes les populations chrétiennes fussent venues à lui et il aurait fait de grandes choses avec ces peuples. »
(Caulaincourt, En traîneau avec l’Empereur)

« Les Chrétiens de la Syrie, les Druses […] se fussent joints à [l’armée française] ; les populations allaient être ébranlées »
(Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène)

« Les Druses du mont Liban, les Mutualis, les Chrétiens de Syrie, tout le parti du scheik d'Ayer [Daher] en Syrie, pouvaient se réunir à l'armée maîtresse de cette contrée »
(Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène, par les généraux qui ont partagé sa captivité, et publiés sur les manuscrits entièrement corrigés de la main de Napoléon)

(Sauf boule de cristal rétroactive) Il est impossible de savoir si ce fameux soulèvement aurait eu lieu suite à la chute d’Acre.
Outre le fait de s’interroger sur la valeur combattante de ces masses et de leur capacité à suivre l’armée d’Orient jusqu’en Inde (se soulever et lutter localement pour ses propres intérêts est une chose, batailler jusqu’aux lointaines Indes pour les Français en est une autre), on peut également noter que lors du siège (et on peut comprendre pourquoi…), les prétendants à la grande insurrection armée ne se sont pas bousculés au portillon.
Pourtant, tout en appelant les provinces voisines des routes de marche de l’armée d’Orient à la soumission ou à la collaboration, ordre avait été donné d’opérer des recrutements locaux :
« Le général en chef exhorte les généraux et chefs des corps à mettre la plus grande activité à recruter leurs corps parmi les habitants du pays, et spécialement parmi ceux de la montagne de Safed et de Nazareth; on prendra les jeunes gens depuis dix-huit à vingt-cinq ans. »
(Ordre du jour du 19 avril 1799)

Concernant les faibles apports en combattants palestiniens, Napoléon le reconnaît lui-même dans ses dictées Bertrand (Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799) :
« Daher ne pouvait offrir sur-le-champ que deux cents hommes; les Bédouins qui faisaient sa force ne voulaient s'engager qu'au préalable Acre ne fût prise et remise dans ses mains. »
Cette petite force servit notamment sous Murat. Pour mémoire, Daher avait accueilli Bonaparte à la tête de 400 cavaliers.

De même, les chiites du Liban (que l’on nomme par différents termes : Mutualis, Motoualis, Motoualy…), furent également bien peu nombreux à servir sous la bannière française.
Journal du général Vial :
« Dans la nuit du 13 au 14, je reçu l’ordre de me rendre à Sour, ancienne Tyr, avec 500 hommes, pour prendre possession de cette place, et y établir une garnison de Mathonalis : je partis à la pointe du jour et j’arrivai à Sour après dix à onze heures de marche.
Le scheick Nassur, fils de Nakef, qui fut tué il y a six ans dans une affaire contre les Arnautes du pacha d'Acre, avait eu du général Bonaparte l'ordre de s'y rendre par la vallée de Bucan ; il y était aussi avec 200 hommes de sa nation
»


Restent les Druses et les Maronites. Là encore, peu furent au rendez-vous et se contentèrent d’alimenter les marchés de l’armée assiégeante.


On le voit, on est bien loin des 18 000 hommes de troupes syriennes annoncés par Napoléon à Sainte-Hélène. Mais il vrai, qu’ici, l’Empereur se situe dans l’hypothèse de la prise d’Acre. Avec des « si »…
A noter tout de même, qu’à l’époque, Napoléon n’était pas le seul à croire en l’insurrection de la Syrie. Je pense ici tout particulièrement à l’orientaliste Volney et à celui qui était aux premières loges lors du siège d’Acre : l’amiral Smith.

Par la suite, l’Empereur, argumentant sur le fait qu’une insurrection était inéluctable, avança que des promesses avaient bien été faites :
« Par une convention secrète faite avec les Druses et les Maronites, il fut convenu que le général en chef prendrait à sa solde six mille Druses et six mille Maronites commandés par leurs officiers, qui joindraient l'armée française sur Damas. »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799)

Mêmes choses du côté des Motoualy :
« Les Montoualis se présentèrent en masse, hommes, femmes, vieillards, enfants, au nombre de neuf cents; deux cent soixante seulement étaient armés, dont moitié montés et moitié à pied. Le général en chef revêtit d'une pelisse les trois chefs, et leur restitua les domaines de leurs ancêtres. Ces Moutoualis étaient autrefois dix mille.
[…]
Ils se chargèrent d'éclairer la côte jusqu'au pied des montagnes ; ils se recrutèrent, et promirent cinq cents chevaux bien armés pour marcher sur Damas au mois de mai.»

Idem pour les partisans de Daher :
« [Daher] signa une convention par laquelle il s'engagea à fournir cinq mille hommes à pied et à cheval pour suivre l'armée au-delà du Jourdain »

En somme, dans une marche sur Damas, suite à la chute d’Acre, 6 000 Druses, 6 000 Maronites, 5 000 partisans de Daher et 500 Motoualy étaient promis ; soit 17 500 hommes (d’où les 18 000 Syriens rapportés en synthèse dans les mêmes dictées à Bertrand).
En attendant, comme dit plus haut, Bonaparte dut se contenter d’environ seulement 200 partisans de Daher et 200 Motoualy…

Que penser de ces fameuses promesses ?
Je ne sais… Cependant, on peut noter qu’elles n’apparaissent pas dans la Correspondance.
Passons tout de même en revue ces supposés futurs auxiliaires :

On peut remarquer que si Daher fut le chef palestinien qui s’investit le plus auprès des Français (il en fut d’ailleurs remercié en étant nommé par Bonaparte cheik de Safed et du pachalik d’Acre) l’engagement de ce dernier ne fut pas à la hauteur de celui des siens : 200 seulement. On peut donc s’interroger sur cette promesse (25 fois plus d’hommes qu’il n’en alignait) alors que ledit Daher avait déjà très clairement pris fait et cause pour les Français.

La question de l’émir Bachir, maronite, chef des Druses, est plus délicate encore.
Bonaparte, arrivé devant Acre, lui avait aussitôt écrit (lettre du 20 mars 1799) :
« Je m'empresse de vous faire connaître toutes ces nouvelles, parce que je sais qu'elles vous doivent être agréables, puisque toutes ces victoires anéantissent la tyrannie d'un homme féroce qui a fait autant de mal à la brave nation druse qu'au genre humain.
Mon intention est de rendre la nation druse indépendante, d'alléger le tribut qu'elle paye, et de lui rendre le port de Baïrouth et autres villes, qui lui sont nécessaires pour les débouchés de son commerce.
Je désire que, le plus tôt possible, vous veniez vous-même, ou que vous envoyiez quelqu'un pour me voir ici devant Acre, afin de prendre tous les arrangements nécessaires pour vous délivrer de nos ennemis communs. »


Bachir ne répondit pas et opta pour une position attentiste.
Bonaparte ne fut cependant pas le seul à tenter de correspondre avec l’émir ; Sidney Smith s’y essaya également (lettre du 14 avril) :
« Avec les Arabes, Bonaparte veut passer pour Musulman, se vantant d’avoir détruit les églises, brisé les crucifix et réduit le siège du Souverain Pontife. Il n’est donc pas étonnant qu’il déclare le contraire aux habitants de la Montagne. Il promet sans tenir ses promesses et, quand il atteint son but, il rejette toute pitié.
Quand à nous, nous tenons parole, car nous sommes d’origine noble et de foi chrétienne. Notre politique est loyale ; elle est contre l’oppresseur pour secourir l’opprimé.

[…]
Nous vous conseillons de n’avoir aucune relation avec les Français pour ne pas indisposer les Puissances. N’ayez aucune confiance en eux, mais ayez recours à notre protection. Désirant par amitié entrer en pourparlers avec vous, nous vous demandons de nous envoyer un émissaire à qui nous communiquerons sincèrement tout ce qui est dans votre intérêt et pour votre bien. »

Mais ici, Bachir eut une tout autre attitude. Il accueillit favorablement le représentant de Smith : le lieutenant Wright, envoya des émissaires à Acre et écrivit en ces termes à l’amiral anglais :
« J’avais avant l’envoi de mon précédent message, parlé de vous à mon frère Ahmad Pacha Jazzar, avec lequel je désire que vous soyez en bons termes. Nous avions décidé que nos relations seront amicales avec vous si vous vous déclarez hostiles aux Français. Or, ayant constaté cela, je me propose d’en saisir le Grand Vizir en l’informant que vous êtes notre allié et en obtenant de lui des firmans dans le sens que vous désirez.
Nous vous demandons d’être prêt avec vos hommes en attendant l’arrivée du Grand Vizir. Il convient de conseiller à la population tant musulmane que chrétienne de s’éloigner de la nation athée et d’être fidèle au gouvernement ottoman. Malheur à ceux qui ne vous écouteront pas ; nous considérons votre nation comme la nôtre et vos ordres comme émanant de nous-mêmes. »


Dans l’hypothèse de la chute d’Acre, on pourrait toujours imaginer un retournement de veste ; mais toujours est-il que durant le siège, l’émir, ignorant Bonaparte et correspondant avec les Anglais, avait choisi son camp.


b-Les supplétifs d’Orient

Nous avons parcouru les partis qu’espérait rassembler sous son commandement Napoléon. Or ce dernier, à Sainte-Hélène, ne s’est pas contenter d’imaginer un soulèvement de la Syrie, mais est allé bien plus loin en évoquant rien de moins qu’un véritable printemps des peuples. Il ne s’agissait plus désormais dans son esprit d’un simple mouvement en réponse à la tyrannie de Djezzar mais bien d’une insurrection générale de l’Orient face à la domination des Ottomans :

« La commotion se communiquait à toute l'Arabie. Les provinces de l'empire ottoman qui parlent arabe, appelaient de leurs vœux un grand changement, et attendaient un homme. »
(Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon)

« Les Chrétiens de l’Arménie se fussent joints à [l’armée française]. »
(Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène)

« C'est par des Arabes, des Grecs, des Arméniens que j'eusse achevé la guerre contre les Turcs ! »
(Ségur, Un aide de camp de Napoléon)

Là encore, Napoléon trace des plans sur la comète qu’il est bien impossible de vérifier… Et force est de constater que ces bien lointaines contrées ne bougèrent pas lors de l’entrée de l’armée d’Orient en Syrie.


c-Les supplétifs d’Egypte

Mais après l’insurrection de la Syrie, de l’Arabie et de l’Arménie, Napoléon, de Longwood, non content de voir ses troupes considérablement secondées, grossit encore son armée par de nouveaux renforts :

D’abord les esclaves soudanais :
« Desaix serait en Egypte prêt à le seconder, à la tête de vingt mille hommes, dont dix mille Français et dix mille noirs, encadrés. »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799)

A noter que ce nombre (et pour cause…) est fluctuant :
« Quinze mille esclaves noirs de Sennaar et de Dârfour. »
(Toujours chez Bertrand)

De tels chiffres laissent songeurs…
Bonaparte, au moment des faits, a bien évoqué l’achat d’esclaves pour compléter ses troupes, mais d’une part ce ne fut pas en si grand nombre et, d’autre part, la Correspondance ne parle pas de ce genre d’initiative avant la campagne de Syrie.
Voici trois lettres :
« Je vous prie, citoyen, de me procurer 200 esclaves noirs d’un âge au-dessus de 16 ans pour en faire des soldats, et de me faire connaître à quel prix on les pourrait avoir. »
(Bonaparte à Poussielgue, 22 juin 1799)

« Je désirerais, Citoyen Général, acheter 2 ou 3 000 nègres ayant plus de seize ans, pour pouvoir en mettre une centaine par bataillon. Voyez s'il n'y aurait pas moyen de commencer ce recrutement en commençant les achats. Je n'ai pas besoin de vous faire sentir l'importance de cette mesure. »
(Bonaparte à Desaix, 22 juin 1799)

« Je vous prie de renvoyer, par la première caravane, 2 000 esclaves noirs ayant plus de seize ans, forts et vigoureux ; je les achèterai tous pour mon compte. »
(Bonaparte à Abd-El-Rahmân, sultan du Darfour, 30 juin 1799)


Finalement, il semble que ce soit plutôt sous le commandement de Kléber que ce genre d’achats et d’incorporations eut lieu. Les informations manquent cependant. Voir à ce sujet l’ouvrage de Bernard Gainot : « Les officiers de couleur dans les armées de la République et de l’Empire ».
De la même manière qu’on a pu le faire concernant les levées syriennes, on peut également s’interroger sur la valeur combative de ces milliers d’hommes tirés de l’esclavage. Napoléon, à Sainte Hélène, semble croire à une utilisation très rapide et massive. En Egypte, le général Bonaparte était autrement plus prudent sur ce point. Ainsi, partant pour l’Europe, il laissa des notes à Kléber sur sa manière de voir la gestion du pays qu’il lui laissait. On peut notamment y lire :
« Il faut surtout se procurer chaque année plusieurs milliers de noirs du Sennaar, du Darfour et les incorporer dans les régiments français, à raison de 20 par compagnie. Accoutumés aux déserts, aux chaleurs de l’équateur, après trois ou quatre ans d’habitude ou d’exercice, ce seront de bons soldats et des soldats dévoués. »
Napoléon, de son exil hélénien, semble avoir oublié ce paramètre…


Autres auxiliaires devant venir d’Egypte : les Mamelouks et les Arabes.
« Jeunes mamelouks, Maugrabins et musulmans de la Haute-Egypte, accoutumés au désert et aux chaleurs de la zone torride.
[…]
Il espérait qu'à la nouvelle de la prise de Saint-Jean d'Acre, les Mamelouks, les Arabes d'Égypte […] se joindraient à lui
[…]
, six mille Mamelouks et Arabes à cheval d'Egypte »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799)


« Les Mamelucks de Mourah-Bey et d'Ibraïm-Bey, les Arabes du désert de l'Égypte […] pouvaient se réunir à l'armée »
(Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon)

Là encore, Napoléon imagine que la prise d’Acre, à la manière de la Syrie ou d’autres provinces de l’empire ottoman, pouvait servir d’électrochoc en Egypte. Ce ralliement égyptien, misant alors sur l’islamisme et sur ses succès du début de la campagne, il l’avait déjà espéré et avait du pourtant en rabattre face à la continuation de la lutte par les Beys, l’insécurité des campagnes et l’insurrection du Caire.
Ce que la prise du Caire et ses opérations en Haute et Basse Egypte, ne lui avait pas permis, à Sainte-Hélène, il le prédisait avec la conquête de la Syrie.
Voyons à présent ce qu’il en était à l’époque et tentons de lister les unités formées localement en Egypte :

On connaît, surtout pour sa sinistre réputation, la compagnie de Mamelouks ralliés commandée par Bartolomeo Serra. On peut également citer les Mamelouks déserteurs de l’armée D’Ibrahim Bey qui, suite au retour de la campagne de Syrie, furent organisés (avec d’autres cavaliers syriens) en deux compagnies de janissaires sous le commandement du cheik Yacoub Habalïly et d’Youssef Hamaoui. Ces trois unités seront sous Menou regroupées dans le régiment des Mamelouks de la République (253 hommes).
Bonaparte avait également formé des unités à pied. Ainsi, le 25 juillet 1798, il ordonnait de lever au Caire un corps de troupes turques de 5 compagnies de 65 hommes chacune (deux autres compagnies furent formées le 6 août suivant pour Boulak et le Vieux-Caire). Deux jours plus tard, de la même manière, il exigeait la formation, dans chacune des six provinces de l’Egypte, d’une compagnie de janissaires de 60 hommes.
Le 2 septembre la compagnie du janissaire Omar, qui comprendra 121 hommes, intégrait les Guides (cette troupe accompagna les Français en Syrie et fut d’une fidélité douteuse : 20 exécutions eurent lieu suite à la campagne), et deux jours plus tard était ordonnée la formation d’une compagnie de 60 hommes à Atfyed et d’une autre de 25 hommes pour la garde du fort d’Alexandrie.
On peut aussi se souvenir de son ordre du 7 septembre 1798 :
« Article1 : Tous les jeunes Mameluks ayant plus de huit ans et moins de seize, tous les garçons du même âge, esclaves noirs ou blancs, appartenant aux Mameluks, qui, ayant été d'abord délaissés, se trouvent dans ce moment chez différents particuliers, seront, cinq jours après la publication du présent ordre, restitués et déposés chez le commandant de la place.
Art. 2 : Le commandant de la place les mettra en subsistance dans les corps qui forment la garnison de la place, et enverra l'état desdits esclaves à l'état-major général, qui les incorporera dans les divers corps de l'armée, à raison de neuf par bataillon et de quatre par escadron.
Art. 3 : Vingt-quatre heures après que ces enfants auront été attachés au bataillon, le chef de bataillon les fera habiller à l'uniforme du corps. Ceux qui auront moins de quatorze ans seront employés comme tambours. »


de celui du 19 avril 1799 (à Dugua) :
« Vous pouvez incorporer dans les différents corps qui sont dans la basse Égypte les Mameluks qui n'auraient pas plus de vingt ans. »

ou encore de la compagnie de sapeurs égyptiens de Desaix dont la formation fut autorisée le 15 novembre ou de l’amnistie lancée une semaine plus tard (et qui semble avoir eu peu d’effets) :
« Le général en chef accorde amnistie et pardon à tous les Albanais, tant turcs que chrétiens, qui étaient au service de Mourad-Bey et qui voudraient revenir de la haute Egypte, soit pour rester paisiblement au Caire, soit pour entrer au service de la République. »

On reste de toute manière bien loin des 6 000 Mamelouks et Arabes d’Egypte, d’autant plus que la plupart des unités précitées avaient été formées afin d’assurer des missions de police et de maintien de l’ordre à un niveau local plutôt que d’assister l’armée française dans d’éventuelles opérations « extérieures ».
Mais là encore, comme dit plus haut, l’Empereur se situe dans l’hypothèse de la prise d’Acre…

Une dernière chose sur les Mamelouks : face à Gourgaud, Napoléon imaginait l’aide des troupes d’Ibrahim Bey et de Mourad Bey. Il convient tout de même de dire que si des hommes du premier (qui ne cessa de combattre l’invasion) désertèrent pour rejoindre les Français, leur nombre fut finalement assez faible ; et que le second ne fit sa soumission que sous le généralat de Kléber en avril 1800. La commotion faisant suite à l’hypothétique chute d’Acre aurait-elle émue les mamelouks d’Ibrahim et de Mourad au point de les pousser à quitter leur bannière pour venir servir celle de Bonaparte ? Il est tout de même permit de s'interroger…


Autres unités supplétives d’Egypte : les Grecs et les Coptes.

« [L’armée française] pouvait donc recevoir trente mille recrues du pays [dont] quinze mille Grecs, Coptes, Syriens, jeunes mamelouks, maugrabins et musulmans de la Haute-Egypte, accoutumés au désert et aux chaleurs de la zone torride. »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799)

En somme, là encore, Napoléon met en ligne plusieurs milliers d’autres auxiliaires.
Au moment de la campagne de Syrie, les effectifs étaient bien moindres… Petit retour en arrière
Le 27 octobre 1798, Bonaparte avait ordonné la formation de trois compagnies grecques au Caire, à Rosette et à Damiette. Ces trois unités avaient pour mission d’escorter les convois et participèrent aux opérations des colonnes mobiles dans le Delta. Les effectifs grossiront ensuite, mais sous le commandement de Kléber. Ainsi, une légion grecque sera formée et comptera, en septembre 1800, 670 hommes.

Pour ce qui est des Coptes, sous Bonaparte, ils aidèrent les Français dans le domaine de l’administration. Il faudra attendre Kléber, et le mois d’avril 1800, pour entendre parler d’une légion. Formée, elle compta 805 hommes.


Près de 1 500 hommes seulement donc. Et au moment de la campagne de Syrie, environ 300… S’il faut croire Napoléon, ce serait pourtant plusieurs milliers qui se seraient levés pour le seconder…


d-Les effectifs de l’armée coalisée

Comme on l’a vu plus haut, devant Bertrand, à la suite de la campagne de Syrie, Napoléon imaginait mettre en marche 26 000 français épaulés de 24 000 auxiliaires (Syriens, Mamelouks et Arabes d’Egypte), et suivis de 20 000 hommes de renforts (10 000 Français et 10 000 noirs achetés aux marchands d’esclaves du Darfour) ; en somme 70 000 hommes.
Face à Gourgaud (Journal de Sainte-Hélène), l’Empereur avance sensiblement le même nombre : « 60 000 à 70 000 hommes ».
A noter que cette armée supposée devait être renforcée par l’insurrection de provinces ottomanes opposées à la domination de Constantinople :
« Avec des chances heureuses on pouvait se trouver sur l'Euphrate, au milieu de l'été, avec cent mille auxiliaires »
(Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon)

Plus fort encore : Las Cases (Mémorial de Sainte-Hélène) :
« Un de nous ayant dit qu’on eût été bientôt renforcé de 100 mille hommes : « Dites de 600 mille » a repris l’Empereur ; « qui peut calculer ce que c’eût été ? »

« Qui peut calculer ce que c’eût été ? »
Personne en vérité ; voilà bien le problème. On pourrait également évoquer les difficultés énormes de ravitaillement que pose une armée d’une telle taille ; d’autant plus quand on pense aux problèmes rencontrés par l’armée de la campagne de Syrie sur ce point (voir plus bas), alors que les effectifs n’étaient que de 13 000 hommes seulement (48 fois moins que les myriades imaginaires marchant vers l’Indus !).

Laissons donc rêver Napoléon à son armée de plus de 600 000 hommes pour nous pencher sur le noyau de cette mythique troupe.
Napoléon ne le cachait pas : la force de ces masses résidait dans les divisions françaises :
« Je faisais mettre de grandes culottes à mon armée ; je ne l'exposais plus qu'à la dernière extrémité ; j'en faisais mon bataillon sacré, mes immortels ! »
(Ségur, Un aide de camp de Napoléon)

« Pour réserve vingt-cinq mille vétérans français des meilleures troupes du monde »
(Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon)

Quand, on voit comment les Français, en Orient, en très nette infériorité numérique, ont parfois balayé des masses ennemies, on peut comprendre les doutes que pouvaient susciter de tels apports en auxiliaires tant du point de vue de la formation militaire, que de l’armement ou de la combativité.

Ici, on peut malgré tout s’attarder sur les chiffres du fameux « bataillon sacré ». Napoléon nous donne donc 25 000 hommes par Gourgaud.
Au commencement de la campagne de Syrie, l’armée d’Orient comptait 29 000 hommes (environ 13 000 furent employés à ladite campagne). Au retour en Egypte, si on en croit les chiffres donnés par La Jonquière (L’expédition d’Egypte 1798-1801), Bonaparte, sans compter les pertes éprouvés par Desaix en Haute-Egypte, avait perdu 2 200 hommes.
En somme, Napoléon, à Sainte-Hélène, s’imaginait partir pour les lointaines Indes en ne laissant pour la défense de l’Egypte (sans compter les autres provinces à laisser derrière soi) qu’environ 2 000 hommes seulement. Ici, Napoléon considérait les Turcs matés et en paix avec Paris, mais des chiffres aussi bas laissent tout de même songeurs.
Avec Bertrand, Napoléon va beaucoup plus loin, puisque que ce sont 26 000 Français secondés de 10 000 autres qui filent vers les Indes. L’Empereur, ici, s’embrouille (ou nous embrouille) dans ses comptes. 36 000 Français, c’est tout bonnement, 7 000 de plus que l’effectif total de l’armée d’Orient (sans compter les pertes éprouvées durant la campagne de Syrie).
Pour marcher vers l’Indus, Napoléon avait un impérieux besoin de troupes d’élite. Et on le voit, même à posteriori, il a bien du mal à en trouver.

A l’époque, Bonaparte ne le cachait pas. Ainsi, le 28 juin 1799 (soit deux semaines après son retour au Caire, suite à son échec syrien), il confiait au Directoire :
« Si vous voulez que nous nous soutenions, il nous faut, d’ici à pluviôse, 6 000 hommes de renfort.
Si vous nous en faites passer en outre 15 000, nous pourrons aller partout, même à Constantinople. »


Pour se placer dans des dispositions offensives et fort ambitieuses, Bonaparte avait donc besoin de 21 000 hommes de renforts de métropole.
De tels besoins sont oubliés à Sainte-Hélène…



3-La Campagne des Indes

a-La traversée des déserts

Quand on évoque Bonaparte en Orient et plus précisément marchant vers l’Indus, on ne peut ne pas penser à Alexandre. Des campagnes mythiques de ce dernier, on se souvient des souffrances de son armée, notamment dans la traversée du désert du Mékran (dans l’actuel Balouchistan pakistanais) où la moitié des effectifs périt de soif et de sous-alimentation. Napoléon n’ignorait rien des cruels déboires de son illustre prédécesseur. Ainsi il confiait à Bertrand (Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799) :
« De tous les obstacles qui peuvent couvrir les frontières des empires, un désert pareil à celui-ci [celui séparant l’Egypte de la Syrie] est incontestablement le plus grand. Les chaînes de montagnes, comme les Alpes, tiennent le second rang, les fleuves, le troisième; car, si on a tant de difficulté à transporter les vivres d'une armée que rarement on y réussit complètement, cette difficulté devient vingt fois plus grande, quand il faut traîner avec soi l'eau, les fourrages et le bois, trois choses d'un grand poids, très difficiles à transporter et qu'ordinairement les armées trouvent sur les lieux. »

Quelques lignes plus tard, de tels dangers étaient gommés d’une docte et péremptoire réflexion :
« Avec des vaisseaux on franchit l’Océan, avec des chameaux les déserts cessent d’être un obstacle. »
Ajoutant devant Gourgaud (Journal de Sainte-Hélène) :
« Dans le désert, j’aurais fait des marches de 10 lieues par jour »

Comme la guerre devient aisée quand on la fait enfoncé dans un fauteuil. Les obstacles qui étaient incontestablement les plus grands au monde s’évanouissent d’un trait de plume…

Napoléon a-t-il oublié les difficultés logistiques qui émaillèrent la campagne de Syrie et tout particulièrement lorsque l’armée d’Orient s’engagea en milieu désertique ? Dès le départ, on pointa du doigt les graves manquements à l’organisation de la traversée.
On peut à ce sujet écouter Vigo-Roussillon (Journal de campagne) nous contant la traversée du désert du Sinaï au tout début de la campagne :
« Les troupes avaient reçu l’ordre de n’emporter que dix jours de vivres. La marche dura onze jours ; il fallu mettre les troupes à la demi-ration, et elles souffrirent beaucoup. Quand elles arrivèrent devant la place [d’El-Arish], le 18 février, les vivres étaient en grande partie épuisés.
Le général Bonaparte était parti persuadé que le fort d’El-Arish ne résisterait pas, il en fut autrement, et les troupes assiégeantes y subirent les souffrances de la faim. Elles y auraient péri peut-être sans un évènement tout à fait du au hasard. L’imprévoyance du général en chef avait été si grande, que non seulement il avait fait emporter que dix jours de vivres pour une marche qui devait durer au moins autant, mais qu’il n’avait laissé aucun ordre pour lui expédier des convois de ravitaillement. Cependant les chameaux et les ânes ne manquaient pas, et l’on avait au Caire, des farines avec lesquelles on aurait pu faire, à l’avance, du biscuit.
L’expédition arriva donc devant la place presque affamée, et comme celle-ci ne voulait pas capituler, il fallut manger pendant le siège les chameaux et les ânes. Arrivés aux derniers jours, les soldats ne se nourrissaient plus que d’oseille marine, qu’ils déterraient sous le sable. Elle était saumâtre et donnait la dysenterie. »


Pareillement, on pourrait citer le Journal du capitaine François :
« Nous nous trouvions dans ce désert, sans vivres ni munitions
[…]
On distribua aux troupes les vivres pris aux Mamelouks. Ce secours était nécessaire, car l’armée mourrait de faim.
[…]
Nous quittons ce village [Kan-Younes] à quatre heures du matin, et nous errons quarante huit heures dans le désert, exposés à toutes les misères de la chaleur et de la soif. Nous avions reçu un biscuit pour quatre jours à El-Arish.
Si, dans ces contrées désertes, on s’écarte de la route des caravanes, on ne rencontre plus de puits. Aussi, avons-nous éprouvé des besoins insurmontables et qu’il m’est impossible de dépeindre. »


Ou encore Richardot (Relation de la campagne de Syrie) :
« Dès le 18 toute l'armée était réunie devant El-Arisch. Elle avait traversé le désert d'Egypte sans autre vivre que le morceau de biscuit dans le sac, que l'on n'avait même pu mouiller d'un peu d'eau. Les puits que l'on trouve à chaque marche dans ce désert avaient été dégradés dans la retraite des Mameloucks d'Ibrahim-Bey, et le peu d'eau saumâtre qu'ils contenaient ne pouvait pas suffire seulement à une compagnie. Dans cette pénurie extrême on fouillait le sable dans tous les bas-fonds qui se rencontrent fréquemment dans ce désert, pour y trouver un peu d'eau, qui, de la mer peu éloignée, filtre dans ces sables arides ; et lorsque, dans le creux de la main, on avait humé, sur le sable humide, quelques parcelles de cette eau extrêmement saumâtre, on en était encore plus altéré.
Mais les chevaux, les chameaux, les dromadaires ?
Il n'y avait, évidemment, nul moyen de les abreuver. Le quadrupède du désert allait son train ; mais celui des prairies était haletant, efflanqué : plusieurs jeunes chevaux, surtout, tombaient tout à coup, se tuméfiaient soudainement et périssaient à l'instant.
Telle fut la cruelle position de l'armée pendant huit jours dans le désert !
La question de faire porter, à la suite de l'armée, un approvisionnement d'eau, avait été discutée ; mais on avait trouvé la précaution sinon impossible, du moins impraticable.

[…]
Le général en chef crut cependant pouvoir en faire porter pour lui et les plus nécessiteux, sur douze chameaux : mais dès le premier jour on ne put se dispenser d'en délivrer à la compagnie des guides à pied, et le lendemain l'eau fut gaspillée, de sorte que le général lui-même n'avait pas plus d'eau que le soldat. »

Nous étions pourtant au début de la campagne et aux portes de l’Egypte. Et Napoléon ose nous dire que les déserts ne sont pas des obstacles…


b-La logistique

Une réflexion tenue devant Gourgaud (Journal de Sainte-Hélène) :
« J’aurais eu autant de Dromadaires qu’il m’eût fallu. Mes malades, mes munitions auraient été placés sur ces animaux. Je n’aurais eu de voitures que pour les canons. »

Outres le fait que les bêtes de somme manquèrent dès le début de la campagne, il convient de rappeler que les lourdes pièces de siège (sans parler de munitions et de vivres) ne furent pas transportées par voie de terre mais par voie de mer. Face à l’obstacle des déserts (qui, quoique puisse en dire Napoléon, en constitue bien un), Bonaparte opta en effet pour le transport sur des navires.
« Un équipage de siége de quatre pièces de vingt-quatre, quatre de seize, quatre mortiers de huit pouces avec tout le nécessaire , étaient embarqués à Damiette sur six petits chebecs ou tartanes ; il était impossible de traîner dans les sables mouvants du désert de si fortes pièces. Un pareil équipage de siége embarqué sur les trois frégates la Junon, la Courageuse et l'Alceste, était en rade d'Alexandrie, sous les ordres du contre-amiral Perrée. »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799)

Cette précaution coûta cher à Bonaparte et la flottille de ravitaillement tomba dans les griffes de la Royal Navy. Hardi pari que celui de penser passer entre les mailles du filet tendu par Smith.
La longue marche vers les Indes pouvait-elle se passer d’une flotte susceptible de ravitailler l’armée en munitions, vivres, artillerie, troupes embarqués, sans parler de l’appui feu et des blocus éventuels à mettre en place ?
Comme dit plus haut, Napoléon répondit à Sainte-Hélène logiquement par l’affirmative. Logiquement, d’une part parce que Bonaparte avait été passablement échaudé par la prise de son matériel de siège et que l’expérience avait toutes les chances de se reproduire face aux escadres protégeant les Indes ; et d’autre part, parce que l’armée d’Orient du côté de l’océan Indien (le contact n’ayant pu se faire avec les frégates de la Réunion) ne disposait que d’une petite flottille dont la mission n’était en aucun cas de faire voile vers l’Inde mais seulement de protéger le port de Suez et de contrôler le nord de la mer Rouge.
Ce que l’armée française n’avait pas fait quand elle fila vers Acre, elle devait finalement le réaliser dans une campagne autrement plus longue et avec des effectifs autrement plus importants.
Chacun appréciera…

c-Le plan de marche vers les Indes

C’est face à Bertrand (Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799) que Napoléon se montra le moins évasif concernant la marche vers l’Indus.
« Il serait en juin maître de Damas et d'Alep ; que ses avant-postes seraient sur le mont Taurus, ayant sous ses ordres immédiats, vingt-six mille Français, six mille Mamelouks et Arabes à cheval d'Egypte, dix-huit mille Druses, Maronites et autres troupes de Syrie ; que Desaix serait en Egypte prêt à le seconder, à la tête de vingt mille hommes, dont dix mille Français et dix mille noirs, encadrés. Dans cette situation, il serait en état d'imposer à la Porte, de l'obliger à la paix, et de lui faire agréer sa marche sur l'Inde. Si la fortune se plaisait à favoriser ses projets, il pouvait encore arriver sur l'Indus au mois de mars 1800 »

De la même manière que les déserts dans la prose hélénienne cessent d’être des obstacles, les villes et les provinces tombent comme des châteaux de cartes…
Magie des « what-if ? »…

Pourtant dès le commencement de la campagne de Syrie, une position comme celle d’El-Arich ne devait pas présenter de véritables soucis. Ainsi, Bonaparte écrivait le 27 janvier 1799 à Caffarelli du Falga :
« Le général Reynier, Citoyen Général, partira le 17 [pluviôse] de Qatyeh, pour se rendre à El-A'rych. Il est indispensable qu'il ait avec lui au moins 250 sapeurs et le plus d'ouvriers et de maçons possible, et la quantité d'officiers du génie, des ponts et chaussées et d'ingénieurs géographes, nécessaire pour, 1° construire à El-A'rych un fort de la dimension de celui de Qatyeh, à l'exception que je désirerais qu'il fût en pierre et qu'on pût tirer parti de celui qu'on dit y exister ; »

Alors que la campagne de Syrie allait être lancée (elle devait débuter dans neuf jours), on ne savait encore pas grand-chose sur le fort d’El-Arich, « celui qu'on dit y exister ». Situé pourtant aux portes de la Palestine, à environ une centaine de kilomètres des premiers postes français, la position résistera à l’armée de Bonaparte durant dix jours.

Le problème du renseignement est oublié par Napoléon quand il narre sa campagne de Syrie. Logiquement, ce paramètre est pareillement voilé quand il passe à son imaginaire marche vers les Indes. Lointaines Indes… Bombay se trouve près de 5 000 kilomètres du Caire (pour comparaison Moscou se situe à environ 3 000 km de Paris) ; soit dix fois plus que la distance que Bonaparte avait parcouru, en 38 jours, pour atteindre les murs d’Acre.
A l’époque, on ne connaissait guère les provinces frontalières de l’Egypte, mais la conquête victorieuse de pays si éloignés devenait au contraire, près de vingt après les faits, réglée comme du papier à musique. Voilà un air que j’ai du mal à apprécier…


Autre point qui ne semble pas poser de problème pour Napoléon : la traversée de la Perse.
« Il avait des intelligences en Perse, il était assuré que le schah ne s'opposerait pas au passage de l'armée par Bassora, Chyraz et le Mékran. »
(Bertrand, Guerre d'Orient. Campagnes d'Egypte et de Syrie, 1798-1799)

On aimerait bien retrouver une telle assurance dans la Correspondance ; voire même seulement ce qu’il entendait par intelligence en Perse. Rien n’appuie les lignes que l’Empereur trace à Sainte-Hélène.
Et pourtant, ce point est pourtant essentiel, car entre l’Empire ottoman et les Indes se dresse la Perse avec laquelle il aurait fallu forcément s’entendre.
Non seulement Bonaparte ne parvint pas à établir des relations concrètes avec la Perse, mais ce furent les Anglais qui lui coupèrent l’herbe sous le pied.
Dans un premier temps, il convient tout de même de rappeler que la Compagnie des Indes orientales avait repris ses activités en Perse depuis plus de trente ans, sous le règne de Karim Khan Zand. Les rapports entre les deux pays évoluèrent alors grandement avec l’expédition d’Egypte et les menaces que cette dernière faisait peser sur les Indes britanniques. Ainsi, quand il apprit que l’armée d’Orient marchait sur la Syrie (à ce moment, nous étions déjà en août 1799), Duncan, gouverneur de Bombay, chargea le résidant de la Compagnie des Indes en Perse de « faire tout son possible pour s’assurer des dispositions que prendrait [le shah Fath Ali Shah] pour résister à l’ennemi au cas où ce dernier parvenait à pénétrer à l’intérieur ou à proximité de ses états. »
Finalement, ce fut un ambassadeur, John Malcolm, qui quitta Bombay et prit la route de Perse afin d’établir une alliance entre Téhéran et Londres ; alliance tournée contre les Français et les Afghans qui menaçaient régulièrement le nord des Indes. Malcolm partit en décembre 1799, débarqua sur les côtes persanes en février suivant et n’arriva à la cour du shah qu’en novembre. A cette date, le danger représenté par la présence française en Egypte s’était très largement dégonflé. Les négociations durèrent trois mois et aboutirent à une alliance par laquelle la Grande-Bretagne et la Perse s’engageaient à mettre en commun leurs forces si la France tentait une opération militaire en territoire persan. L’accord franco-persan, indispensable accord, que Napoléon sort miraculeusement de son bicorne à Sainte-Hélène ; ce furent finalement (et réellement) les Anglais qui l’obtinrent.
Pour un rapprochement entre Téhéran et Paris, il faudra attendre l’année 1803. La campagne de Syrie était bien loin…




Pour conclure, je vais ici me référer à ce que écrivait Volney, célèbre orientaliste et auteur du Voyage en Syrie et en Egypte, pendant les années 1783, 1784 et 1785, dans le Moniteur du 21 novembre (deux jours plus tôt alors que la campagne de Syrie n’était pas encore décidée, Bonaparte, du Caire, avait lancée un ultimatum à Djezzar, le menaçant d’aller le châtier à Acre s’il ne cessait d’apporter son soutien à Ibrahim Bey) :
« En vain les gazettes font voyager à Jérusalem, Damas et Alep [Trois jours plus tôt, le 18 novembre, le Moniteur avait annoncé l’entrée de Bonaparte à Alep]. Il y a du Caire à Jérusalem 270 milles arabes, qui font plus de 100 de nos lieues, dont 55 dans un désert sans eau et sans herbe ; de Jérusalem à Damas il y a 34 lieues ; de Damas à Alep 70. Tout cela sans route percée ; et les armées ne voyagent pas sur le papier comme les nouvellistes. Que Bonaparte envoie quelques partis pour soulever la Syrie, cela est dans l'ordre ; mais il ne bougera pas de l'Egypte de tout l'hiver, et, s'il en sort au printemps, ce ne sera pas pour aller dans l'Inde. Il ne le peut par mer, il manque de vaisseaux, et l'ennemi prévenu est en défense. Il le peut encore moins par terre, car cette route des gazettes par l'Euphrate, les déserts de la Perse et de l’Indus, est une folie dont ne s'aviserait pas même une caravane d'Arabes, et une armée française vit à plus de frais »


Beaucoup de réalisme dans ces lignes ; et je ne suis pas loin de penser que le raisonnement de Bonaparte lors de la campagne de Syrie ne devait pas être bien différent…
Lointaines Indes, lointains rêves...

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Message Publié : 11 Déc 2014 18:00 
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Comme dit plus haut, Napoléon a souvent prétendu (j'ai dis ce que je pensais de ce genre de réflexion) que l'échec d'Acre l'avait contraint d'abandonner ses rêves d'empire d'orient.
Avant même le supposé « électrochoc » militaire d'Acre, la conversion à l'islam a également nourri, à postériori, ses rêves orientaux :

« Si j'avais été à la mosquée (du Caire) avec mes généraux, qui en sait l'effet ? Cela m'eut donné 300 000 hommes et l'empire d'Orient. »
(Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène)

On retrouve des propos ressemblant dans « Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799», où l'Empereur, dans ses dictées à Bertrand rapporte cette déclaration du cheik El-Cherqâouy, chef des ulemas de Gâma el-Azhar :
« Faites-vous Musulman : 100 000 Egyptiens et 100 000 Arabes viendront de l'Arabie, de Médine, de la Mecque, se ranger autour de vous. Conduits et disciplinés à votre manière, vous conquerrez l'Orient »

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Message Publié : 25 Août 2015 8:16 
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Autre témoignage, celui de Bernoyer (Avec Bonaparte en Égypte et en Syrie, 1798-1800) qui écrivit ceci le 19 avril 1799 :

« Djezzar-Pacha était détesté à cause des tyrannies et des cruautés qu’il exerçait dans les provinces. Aussi, était-il évident que leur promesse avait de la valeur. En conséquence, nous pouvions compter sur les Druzes d'autant plus qu'ils nous renouvelaient cette promesse chaque jour. Pour cette raison, Bonaparte conçut de beaux projets, comptant sur les ressources importantes que cette province lui offrait. On prétend que son ambition extrême de régner en souverain fit naître en lui l'idée de conduire son armée, une fois Saint-Jean-d'Acre prise, jusque dans le Royaume de Perse ; là, il se serait fait proclamer roi. Ce projet lui convenait parfaitement car il flattait son orgueil. »

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Message Publié : 26 Août 2015 10:28 
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Salluste
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Drouet Cyril a écrit :
Comme dit plus haut, Napoléon a souvent prétendu (j'ai dis ce que je pensais de ce genre de réflexion) que l'échec d'Acre l'avait contraint d'abandonner ses rêves d'empire d'orient.
Avant même le supposé « électrochoc » militaire d'Acre, la conversion à l'islam a également nourri, à postériori, ses rêves orientaux :

« Si j'avais été à la mosquée (du Caire) avec mes généraux, qui en sait l'effet ? Cela m'eut donné 300 000 hommes et l'empire d'Orient. »
(Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène)

On retrouve des propos ressemblant dans « Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799», où l'Empereur, dans ses dictées à Bertrand rapporte cette déclaration du cheik El-Cherqâouy, chef des ulemas de Gâma el-Azhar :
« Faites-vous Musulman : 100 000 Egyptiens et 100 000 Arabes viendront de l'Arabie, de Médine, de la Mecque, se ranger autour de vous. Conduits et disciplinés à votre manière, vous conquerrez l'Orient »

C'est intéressant ce côté militaro-mathématique de l'analyse des populations chez Bonaparte et puis Napoléon. A travers ces approches, on dirait qu'il n'y a en lui que le militaire mais exclusivement en mode "conquérant".

Il alignera aussi des chiffres pour la reconstitution de l'armée après la débâcle de 1812 et à son bref retour aux affaires en 1815.
D'une part, tout cela est tellement théorique qu'il devait bien constater que sur le terrain les nuances pouvaient être importantes; d'autre part les populations son ramenée à un sentiment collectif simpliste du genre: "je suis bon général, je devient musulmans... et des centaines de milliers de musulmans vont se précipiter pour se battre sous mes ordres".

A-t-il vraiment cette vision des choses qui consiste à croire que les peuples aspirent principalement à la "découverte" d'un leader militaire pour conquérir leur voisin?


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Message Publié : 26 Août 2015 13:28 
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Rigoumont a écrit :
tout cela est tellement théorique qu'il devait bien constater que sur le terrain les nuances pouvaient être importantes; d'autre part les populations son ramenée à un sentiment collectif simpliste du genre: "je suis bon général, je devient musulmans... et des centaines de milliers de musulmans vont se précipiter pour se battre sous mes ordres".


D'où la nécessité de bien faire la différence entre les rêves d'empire oriental (et la valse des chiffres qui leur est liée...) énoncés bien après les faits, et la stratégie autrement plus pragmatique établie lors de la campagne par Bonaparte afin de sauvegarder sa conquête.

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Message Publié : 26 Août 2015 13:47 
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Grégoire de Tours
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Drouet Cyril a écrit :
On retrouve des propos ressemblant dans « Guerre d'Orient. Campagnes d'Égypte et de Syrie, 1798-1799», où l'Empereur, dans ses dictées à Bertrand rapporte cette déclaration du cheik El-Cherqâouy, chef des ulemas de Gâma el-Azhar :« Faites-vous Musulman : 100 000 Egyptiens et 100 000 Arabes viendront de l'Arabie, de Médine, de la Mecque, se ranger autour de vous. Conduits et disciplinés à votre manière, vous conquerrez l'Orient »

"La religion de Mahomet est la plus belle." ; "J'aime mieux la religion de Mahomet. Elle est moins ridicule que la nôtre." (Gourgaud - Journal de Sainte Hélène)
"Ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l'être. C'est la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. C'est en me faisant catholique que j'ai gagné la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultra-montain que j'ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon."
Peut-être a-t-il réellement envisagé ce "rêve", il est terriblement de son siècle (le rêve et l'homme) mais ce que Bonaparte envisage semble, quelque temps suivant, un passé bien lointain.
Sent-il que sa "Fortune" est en France ?
Dommage qu'il n'ait pas eu la sagesse de "renoncer" lors de la campagne de Russie. Manifestement l'esprit n'arrivait plus à embrasser tous les paramètres comme lors de cette campagne.
;)
Merci pour ce véritable "précis" très précieux.

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Message Publié : 26 Août 2015 14:20 
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ezio-auditore a écrit :
Dommage qu'il n'ait pas eu la sagesse de "renoncer" lors de la campagne de Russie.


Pour rester dans le sujet, même pendant la préparation de la campagne de 1812 (s'il faut en croire Villemain contant un échange entre Narbonne et Napoléon, dans "Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature") l'Orient (et la lointaine campagne de Syrie) était encore présent :

"Après tout, mon cher, dit-il, comme dans l'exaltation d'un rêve, cette longue route est la route de l'Inde. Alexandre était parti d'aussi loin que Moscou, pour atteindre le Gange. Je me le suis dit, depuis Saint-Jean-d'Acre. Sans le corsaire anglais et l'émigré français qui dirigèrent le feu des Turcs, et qui, joints à la peste, me firent abandonner le siége, j'aurais achevé de conquérir une moitié de l'Asie, et j'aurais pris l'Europe à revers, pour revenir chercher les trônes de France et d'Italie. Aujourd'hui, c'est d'une extrémité de l'Europe qu'il me faut reprendre à revers l'Asie, pour y atteindre l'Angleterre. Vous savez la mission du Général Gardanne et celle de Jaubert en Perse; rien de considérable n'en est apparu ; mais j'ai la carte et l'état des populations à traverser, pour aller d'Érivan et de Tiflis jusqu'aux Possessions anglaises dans l'Inde. C'est une Campagne peut-être moins rude que celle qui nous attend sous trois mois. Moscou est à trois mille kilomètres de Paris ; et il y a bien quelques batailles, en travers de la route. Supposez Moscou pris, la Russie abattue, le Czar réconcilié, ou mort de quelque complot de palais, peut-être un trône nouveau et dépendant ; et dites-moi, si pour une grande armée de Français, et d'auxiliaires partis de Tiflis, il n'y a pas accès possible jusqu'au Gange, qu'il suffit de toucher d'une épée française, pour faire tomber dans toute l'Inde cet échafaudage de grandeur mercantile. Ce serait l'expédition gigantesque, j'en conviens, mais exécutable du dix-neuvième siècle."

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Message Publié : 26 Août 2015 19:11 
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Je sais que c'est sensible ;) mais ces dans ces moments que je songe qu'il y avait tout de même "quelque chose" qui ne tenait ni du siècle, plus des rêves, les illusions ne sont plus de mise et l'homme lui-même convient qu'il est revenu de tout mais... d'un étage supérieur empreint d'un délire récurrent.
Jeune, on peut comprendre... En 1812, on peut se questionner... :-$
D'ailleurs, Villemain -sans le savoir- donne un indice : "... comme dans l'exaltation du rêve...", je retiens "exaltation".

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Message Publié : 26 Août 2015 22:12 
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ezio-auditore a écrit :
Jeune, on peut comprendre... En 1812, on peut se questionner... :-$


Encore faut-il que Villemain ait correctement retranscrit les propos de l'Empereur. Et là, le doute est plus que de mise...

Si une campagne orientale franco-russe fut évoquée en 1801 (puis en 1808), le contexte de 1812 me parait suffisamment différent pour imaginer Napoléon s’épancher sur ce genre d'expédition aux allures chimériques.

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Message Publié : 26 Août 2015 22:37 
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Bonsoir,

Merci pour la précision concernant Villemain.
Une campagne orientale franco-russe, en 1801, avec Paul Ier comme empereur ? Son choix d'axe franco-russe était en effet connu et nullement apprécié de certains.
En 1808 : après le traité de Tilsitt donc. Ce traité a été traité (avec la fameuse interrogation : "qui fut dupe de qui ?"). ;)
Une telle campagne aurait été évoquée avec l'empereur de Russie ? Avec l'effet domino inhérent (Autriche, Angleterre) ? En sachant déjà que la médiation d'Alexandre pour l'Angleterre n'avait rien donné ? En laissant l'empereur de Russie interrogatif quant à la Pologne ? On peut reprendre le cahier des charges laissé à Alexandre...
Là aussi, était-ce sérieux ?
Catherine II avait songé au trône de Constantinople pour son second petit-fils, d'où le prénom, mais ç'aurait été laisser un état chaotique et en plein conflit à son fils qui -elle n'en doutait pas- aurait mis fin à ceci quitte à perdre ce qui avait été gagné, ne serait-ce que pour espérer la neutralité du Royaume-Uni dans son envie d'axe franco-russe.
Napoléon Ier avait-il un candidat dans le cas où cette campagne eut été -évidemment- réussie ?

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Message Publié : 27 Août 2015 11:24 
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ezio-auditore a écrit :
Une campagne orientale franco-russe, en 1801, avec Paul Ier comme empereur ?


Napoléon a abordé la question à Sainte-Hélène face à O’Meara (Napoléon dans l’exil) :
« Si Paul eût vécu, vous auriez déjà perdu l'Inde. Nous avions fait ensemble le projet de nous en emparer. J'avais fourni le plan. Je devais envoyer 30 000 hommes de bonnes troupes, et lui un nombre égal des meilleurs soldats russes et 10 000 Cosaques. J'aurais fourni une somme de 10 millions pour concourir à l'achat des chameaux et des choses nécessaires pour traverser le désert. Nous devions tous les deux demander au roi de Prusse d'accorder le passage à mes troupes à travers ses états; il y aurait bientôt consenti. J'avais en même temps fait la même demande au roi de Perse, qui n'aurait certainement pas refusé, quoique les négociations ne fussent pas entièrement terminées; mais elles auraient réussi, parce que les Persans désiraient en profiter eux-mêmes. Mes troupes se seraient rendues à Varsovie, où les Russes et les Cosaques devaient les joindre. De cette ville, nos troupes réunies se seraient dirigées vers la mer Caspienne, où elles se seraient embarquées, ou bien elles auraient continué leur voyage par terre, suivant les circonstances. »

Et Bertrand (Cahiers de Sainte-Hélène) :
« Si Paul 1er eût vécu, je l’aurais envoyé aux Indes. Cette expédition était facile. Gengis Khan, Tamerlan l’ont faite. Le désert à traverser n’est pas aussi aride que ceux de l’Egypte. Il y a des villages et de l’eau. On souffre un peu, voilà tout. Il ne faut pas de chameaux. »

Bourrienne parle également du sujet dans ses Mémoires :
« Bonaparte me disait: « J’étais sûr de porter, de concert avec le czar, un coup mortel à la puissance anglaise dans l'Inde. »



Sous le Consulat, ce document circula dans la presse d’Outre Manche :
« But de l’expédition :
Chasser, sans retour, les Anglais de l'Indostan, délivrer ces belles et riches contrées du joug britannique, ouvrir de nouvelles routes à l'Industrie et au Commerce des Nations civilisées de l'Europe, et à la France en particulier; tel est le but d'une expédition digne d'immortaliser la première année du XIXe siècle, et les Chefs des Gouvernements qui ont conçu cette utile et glorieuse entreprise.


Puissances qui doivent y concourir :
La République française et l'Empereur de Russie, pour envoyer sur les bords de l’Indus, une armée combinée de soixante-dix mille hommes.
L'Empereur d'Allemagne, pour donner passage aux troupes françaises, et leur faciliter les moyens de descendre le Danube jusqu'à son embouchure dans la mer Noire.


Rassemblement à Astrakan d’une armée russe de 35 000 hommes et son transport jusqu’à Astrabad :
Du moment ou le Projet de l'expédition aura été définitivement arrêté , PAUL Ier donnera des ordres, pour qu'il soit rassemblé à Astracan une armée de trente-cinq mille hommes,dont vingt-cinq mille de troupes réglées de toutes armes, et dix mille Cosaques.
Ce corps d'armée s'embarquera de suite, sur la mer Caspienne, et sera conduit à Astrabad, pour y attendre que l'armée française arrive.
Astrabad sera le quartier-général des armées combinées : on y établira tous les magasins de guerre et de vivres; il deviendra le centre des communications entre l'Indostan, la France et la Russie.


Route que tiendra l’armée française pour se rendre des bords du Danube aux bords de l’Indus :
Il sera détaché de l'armée du Rhin un corps de trente-cinq mille hommes de toutes armes.
Ces troupes seront embarquées, dans des bateaux, sur le Danube, et descendront ce fleuve jusqu'à son embouchure dans la mer Noire.
Arrivée au Pont-Euxin, les troupes passeront sur des bâtiments de transports fournis parla Russie, traverseront la mer Noire et la mer d'Azoff, et iront débarquer sous Taganrok.
Ce corps d'armée doit ensuite côtoyer le Don, en remontant la rive droite du fleuve, jusqu'à une petite ville des Cosaques nommée Piati-Isbianka.
Parvenue à ce point, l'armée traversera le Don et voyagera par terre jusqu'aux environs de la ville de Taritsin, bâtie sur la rive droite du Volga.
Elle s'embarquera sur ce fleuve et le descendra jusqu'à Astrakan.
Là, les troupes s'embarqueront sur des navires marchands, traverseront, dans toute sa longueur, la mer Caspienne, et arriveront à Astrabad, ville maritime de la Perse.
Alors les Français ayant joint les Russes, l'armée combinée se mettra en marche, passera par les villes d’Hérat, de Férah, et de Candehar, et atteindra bientôt la rive droite de l'Indus.


Durée du voyage de l’armée française :
Pour descendre le Danube jusqu'à son embouchure dans la mer Noire : 20 jours
De l'embouchure du Danube à Taganroc :16
De Taganroc à Piati-Isbianka : 20
De Piali-Isbianka à Tsaritsin. : 4
DeTsaritsin à Astracan : 5
D'Astrakan à Astrabad : 10
D'Astrabad aux bords de l'Indus : 45
Total : 120 jours

N.B.Ainsi, l'armée française emploierait quatre mois pour se rendre des bords du Danube aux rives de l'Indus; mais, pour ne rien forcer, on suppose que le voyage durera cinq mois entiers : si donc l'armée part au commencement de mai 1801 (v. s.), elle doit être rendue à sa destination vers la fin de septembre.
On observe que la moitié du trajet sera faite par eau, et l'autre moitié par terre.


Moyens d’exécution
En s'embarquant sur le Danube, l'année française doit conduire avec elle les pièces de campagne et leurs caissons.
Elle n'aura besoin d'aucun objet de campement.
La cavalerie, les troupes légères et l'artillerie ne doivent point emmener leurs chevaux, on embarquera seulement les selles, les harnois , les bâts, les traits, les brides, etc, etc, etc.
Ce corps d'armée doit être approvisionné de biscuits pour un mois.
Des commissaires précéderont l'armée, pour faire préparer et distribuer l'étape partout où il sera jugé nécessaire.
Parvenue à l'embouchure du Danube, l'armée montera sur les bâtiments de transport fournis par la Russie, et approvisionnés de vivres pour quinze à vingt jours.
Pendant que l'embarquement se fera, des commissaires et des officiers d'état-major se rendront par terre et en poste, les uns à Taganroc et à Tsaritsin, les autres à Astrakan.
Les commissaires envoyés à Taganroc se concerteront avec des commissaires russes, pour régler la marche, par terre, de l'armée, depuis Taganroc jusqu'à Piati-Isbianka, pour préparer l'étape et faire les logements,enfin pour rassembler tous les chevaux et les voitures nécessaires au transport de l'artillerie et des bagages de l'armée.
Ces mêmes commissaires s'entendront avec ceux détaches à Tsaritsin, pour réunir le nombre de bateaux qu'exigera le passage du Don, lequel, sur ce point, est un peu plus large que la Seine à Paris.
Les commissaires placés à Tsaritsin auront eu soin, et à l'avance:
1° De réunir sur trois à quatre points, entre le Don et le Volga, tous les objets de campement et les vivres nécessaires à l'armée pendant sa marche;
2° De rassembler, sous Tsaritsin, le nombre suffisant de bateaux pour embarquer l'armée française sur le Volga et la faire descendre jusqu'à Astracan.
Les commissaires envoyés à Astracan tiendront des navires prêts pour recevoir l'armée, et il sera embarqué des vivres pour quinze jours.
Lorsque l'armée française débarquera à Astrabad, elle y trouvera les objets ci-après, qui auront été rassemblés et préparés par les commissaires des deux gouvernemens :
1° Des munitions de guerre de toute espèce, et de la grosse artillerie.
N.B.Ces munitions peuvent être tirées des arsenaux d'Astracan, de Casan, et de Saratof, qui en sont abondamment pourvus.
2°. Des chevaux de trait pour le transport de l'artillerie et des munitions de l'armée combinée
3°. Des voitures et des chevaux pour le transport des bagages, des pontons, etc.
4°. Des chevaux de selle, pour monter la cavalerie française et les troupes légères.
N.B.Ces chevaux pourront être achetés entre le Don et le Volga, chez les Cosaques et les Calmouks: ils s'y trouvent en quantités innombrables, sont les plus propres au service dans les pays qui seront le théâtre des opérations militaires, et le prix en sera plus modique que partout ailleurs.
5°. Tous les objets de campement nécessaires à l'armée française, pendant sa marche jusqu'aux bords de l'Indus et au delà;
6°. Des magasins de draps, de toiles, d'habits, de chapeaux , de casques, de gants, de bas , de bottes, de souliers, etc. , etc., etc.
N.B.Tous ces objets se trouvent en grande abondance en Russie, et à meilleur marché que dans les autres Etats de l'Europe. Le Gouvernement français peut traiter pour ces fournitures avec les directeurs de la colonie de Sarepta, à six lieues de Tsaritsin, sur la rive droite du Volga ; cette colonie d'évangélistes, qui passe pour la plus riche, la plus industrieuse et la plus exacte à remplir ses engagements, a son chef-lieu en Saxe; c'est là qu'il faut obtenir des ordres pour que la colonie de Sarepta se charge des fournitures.
7°. Une pharmacie approvisionnée de toute espèce de médicaments.
N.B.Elle peut être fournie par la colonie de Sarepta, où il existe .depuis longtemps, une pharmacie qui rivalise par la variété, la bonté des drogues,avec la pharmacie impériale de Moscou.
8°. Des magasins de riz, de pois, de farines, de gruaux , de salaisons, de beurre, de vins, d'eaux-de-vie, etc. , etc.
9°. Des troupeaux de boeufs et de moutons.
N.B.Les pois, les farines, les gruaux, les salaisons et le beurre seront tirés de Russie ; tous les autres objets se trouvent abondamment en Perse.
10°. Des magasins de fourrages d'orge et d'avoine.
NB.L'avoine sera tirée d'Astracan: le pays donnera les fourrages et l'orge.


Marche de l’armée combinée, depuis Astrabd jusqu’aux bords de l’indus ; mesures pour assurer le succès de l’expédition :
Avant le débarquement des Russes à Astrabad , des commissaires des deux Gouvernements seront envoyés à l'effet de notifier à tous les Khans et autres petits despotes des pays que l'armée combinée devra traverser:
« Qu'une armée des deux Nations les plus «puissantes de l'univers, doit passer sur leurs domaines,pour se rendre aux Indes; que le seul but de cette expédition est de chasser de l’Indostan les Anglais,qui ont asservi ces belles contrées, jadis si célèbres, si puissantes, si riches en productions et en industrie, qu'elles attiraient tous les peuples du monde pour prendre part aux dons et aux faveurs de tout genre dont il avait plu au ciel de les combler; que l’état horrible d'oppression, de malheur et de servitude sous lequel gémissent aujourd'hui les peuples de ces contrées, ont inspiré le plus vif intérêt à la France et à la Russie; qu'en conséquence, ces deux Gouvernements ont résolu d'unir leurs forces,pour affranchir les Indes du joug tyrannique et barbare des Anglais ; que les Princes et les peuples de tous les Etats que doit traverser l'armée combinée, n'ont rien à craindre d'elle; qu'au contraire, ils sont invités à coopérer,de tous leurs moyens au succès de cette utile et glorieuse entreprise; que cette expédition est aussi juste dans sa cause qu'était injuste celle d'Alexandre qui voulait conquérir le monde entier; que l'armée combinée ne lèvera point de contributions; qu'elle achètera de gré à gré, et paiera, argent comptant, tous les objets nécessaires à sa subsistance; que la discipline la plus sévère la maintiendra dans le devoir; que le culte, les lois, les usages, les mœurs, les propriétés, les femmes seront partout respectés, etc. etc. »
D'après une semblable proclamation, et en agissant avec douceur, franchise, loyauté, il n'est pas douteux que les Khans et les autres petits Princes accorderont un libre passage dans leurs Etats respectifs; d'ailleurs, divisés comme ils le sont tous entre eux, ils se trouvent trop faibles pour opposer une sérieuse résistance.
Les commissaires français et russes seront accompagnés par d'habiles ingénieurs qui lèveront la carte topographique des pays que l'armée combinée devra traverser : sur leurs cartes ils marqueront les lieux des campements, les rivières qu'il faudra franchir, les villes auprès desquelles l'armée devra passer, les points où le transport des bagages de l'artillerie et des munitions pourrait éprouver quelques difficultés, en indiquant les moyens de surmonter les obstacles.
Ces commissaires traiteront avec les Khans les Princes el les particuliers, pour les fournitures de vivres, des chariots, etc, etc, signeront les traités, demanderont et obtiendront des otages.
Lorsque la première division française arrivera à Astrabad, la première division russe devra se mettre en marche; les autres divisions de l'armée combinée suivront successivement, à la distance de cinq à six lieues l'une de l'autre; ces divisions communiqueront entre elles par de petits détachements de Cosaques.
Un corps de quatre à cinq mille Cosaques, mêlé avec de la cavalerie légère des troupes réglées, formera l'avant-garde : les pontons doivent toujours la suivre immédiatement : cette avant-garde jettera des ponts sur les rivières, en défendra les approches , et veillera à la sûreté de l'armée, en cas de trahison ou de quelqu'autre accident.
Le Gouvernement français fera remettre au Général en chef de l'expédition, des armes de la manufacture de Versailles, telles que fusils, carabines, pistolets, sabres etc, etc; des vases et autres objets de porcelaine, de la manufacture de Sèvres ; des montres et des pendules des plus habiles artistes de Paris; de belles glaces; de superbes draps de France, de différentes couleurs, comme écarlate, cramoisi, vert et bleu, qui sont les couleurs favorites des Asiatiques, et en particulier des Persans ; des velours ; des draps d'or et d'argent; des galons et des soieries de Lyon; des tapisseries des Gobelins, etc, etc, etc.
Tous ces objets, distribués à propos, aux Princes de ces contrées, et offerts avec la grâce et l'amabilité qui sont si naturelles aux Français, serviront à donner à ces peuples, la plus haute idée de la munificence, de l'industrie et de la puissance de le Nation française, et à ouvrir, par la suite, une branche importante de commerce.
Un corps choisi de savants et d'artistes en tout genre, doit prendre part à celte glorieuse expédition. Le Gouvernement leur confiera les cartes et les plans qui peuvent exister sur les pays que devra parcourir l'armée combinée, ainsi que les mémoires et les ouvrages les plus estimés qui traitent de ces contrées.
Des aérostiers et des artificiers seraient très utiles.
Pour inspirer à ces peuples la plus haute idée de la France et de la Russie, il conviendra, avant que l'armée et le quartier-général partent d'Astrabad, de donner, dans celte ville quelques fêtes brillantes, accompagnées d'évolutions militaires, comme dans les fêles par lesquelles on célèbre à Paris de grands événements et de mémorables époques.
Toutes choses étant ainsi disposées, il n'y a point de doute sur la réussite de l'entreprise; mais son succès dépendra de l'intelligence, du zèle, de la bravoure et de la fidélité des chefs auxquels les deux Gouvernements confieront l’exécution du projet.
Aussitôt que l'armée combinée sera parvenue aux bords de l'Indus, les opérations militaires devront commencer.
N.B.On observe que les monnaies d'Europe, qui ont le plus de cours et qui sont les plus recherchées en Perse et dans les Indes, sont les sequins de Venise, les ducats de Hollande, les ducats de Hongrie, les impériales et les roubles de Russie.


Réponses aux objections contre le projet
1ère objection. Y a-t-il assez de bateaux pour transporter une armée de trente-cinq mille hommes sur le Danube, jusqu'à son embouchure ?
Réponse : Je crois qu'il sera facile de rassembler une quantité suffisante de bateaux; dans le cas contraire, l'armée descendrait par terre jusqu'à Ibrahilof, port sur le Danube dans la principauté de Valachie, et jusqu'à Galatz, autre port sur le même fleuve, dans la principauté de Moldavie; alors, l'armée française s'embarquerait sur les navires préposés et envoyés par la Russie, et elle continuerait sa route.

2e objection. Le Grand-Seigneur ne consentira pas à laisser descendre une armée française par le Danube, et il s'opposera à ce qu'elle s'embarque dans des ports qui sont de la dépendance de l'Empire Ottoman.
Réponse : Paul 1er obligera la Porte à faire tout ce qu'il voudra; ses forces imposantes feront respecter sa volonté par le Divan.

3e objection. Y a-t-il, dans la mer Noire, assez de navires et de bâtiments pour le transport de l'armée, et Paul 1er en a-t-il assez à sa disposition ?
Réponse : L'Empereur de Russie peut aisément rassembler dans ses ports de la mer Noire, plus de trois cents navires et bâtiments de toutes grandeurs; tout le monde sait les accroissements que la marine marchande russe a pris dans la mer Noire.

4e objection. Le convoi sorti du Danube ne courra-t-il point le risque d'être inquiété ou dispersé par la flotte Anglaise de l'amiral Keith, qui, au bruit de cette expédition, franchissant les Dardanelles, entrera dans la mer Noire , pour empêcher la sortie de l'armée française, et la détruire ?
Réponse : Si M. Keith veut franchir le détroit, et que les Turcs ne s'y opposent pas, PAUL 1er s'y opposera; pour le faire, il a des moyens plus efficaces qu'on ne pense.

5e objection. L'armée combinée étant réunie à Astrabad, comment pourra-t-elle aller jusqu'aux Indes par des pays presque sauvages, et dénués de ressources, ayant à parcourir une distance de trois cents lieues, depuis Astrabad jusqu'aux frontières de l’Indostan ?
Réponse : Ces pays ne sont point sauvages et arides ; la route est ouverte et pratiquée depuis longtemps; les caravanes arrivent ordinairement en trente-cinq ou quarante jours, des bords de l'Indus à Astrabad. Le sol n'est point couvert, comme l'Arabie et la Lybie. de sables mouvants; il est arrosé presqu'à chaque pas, par des rivières ; les fourrages n'y manquent pas ; le riz y abonde , et forme la principale nourriture des babitants ; les boeufs, les moutons et le gibier y sont communs, les fruits variés et délicieux. La seule objection raisonnable que l'on puisse faire, c'est la longueur de la marche,mais cela ne doit pas faire rejeter le projet. Les armées française et russe sont avides de gloire; elles sont braves, patientes, infatigables; leur courage, leur persévérance et la sagesse des chefs vaincront tous les obstacles, quels qu'ils puissent être.
Un fait historique vient à l'appui de celte assertion. En 1759 et 1740, Nadir-Chah, ou Thamas-Couli-kan partit de Dhély, avec une nombreuse armée, pour faire une expédition en Perse, et sur les bords de la mer Caspienne : il passa par Candahar, Férah, Hérat, Mechehed, et il arriva à Astrabad; toutes ces villes étaient alors considérables ; quoiqu'elles soient bien déchues de leur ancienne splendeur, elles en ont conservé une grande partie.
Ce qu'une armée vraiment asiatique (et c'est tout dire) fit en 1739 et 1740, certes on ne doutera point qu'une armée de Français et de Russes puisse l'exécuter aujourd'hui !
Les villes qu'on vient de nommer, formeront les points principaux de communication entre l'Indostan, la Russie et la France: à cet effet, il sera nécessaire d’organiser une poste de l’armée et d’y employer les Cosaques, qui sont les plus propres à ce genre de service. »

Parallèlement à ces lignes qu’il est nécessaire de lire avec beaucoup de prudence, il convient de préciser que, du côté français, aucune mesure militaire allant dans le sens de cette gigantesque expédition ne fut mise en place à l’époque. Je n’ai pas souvenir d’ailleurs dans le Correspondance de Bonaparte de lettres en rapport avec la campagne projetée tel que décrite ici.

Du côté russe, une opération sur les Indes fut bien envisagée. Le 24 janvier, Paul écrivait en effet à l’ataman de l’armée du Don, Orlov, ces deux lettres :
« Les Anglais se préparent à attaquer, avec leur flotte et leurs armées, moi et mes alliés, les Suédois et les Danois. Je suis prêt à les recevoir, mais il faut les attaquer eux-mêmes et là où le coup peut leur être le plus terrible et où ils l'attendent le moins. D'Orenbourg à l'Inde, il y a trois mois et de l'endroit où vous êtes à Orenbourg un mois, en tout quatre. Je vous confie cette expédition, à vous et à votre armée. Rejoignez vos troupes et partez pour Orenbourg par l'une des trois routes. Vous marcherez avec l'artillerie tout droit à travers la Boukharie et Khiva sur l'Indus et les établissements anglais qui y sont situés. Les troupes de ce pays sont de la même nature que les vôtres, des troupes légères ; vous aurez donc sur elles tout l'avantage que vous donnera votre artillerie. Préparez tout pour cette campagne. Envoyez vos éclaireurs reconnaître et réparer les routes. Tous les trésors de l'Inde seront votre récompense. Une telle entreprise vous couronnera tous d'une gloire immortelle, vous assurera, dans la mesure de vos services, ma bienveillance vous comblera de richesses, ouvrira un débouché à notre commerce, frappera l'ennemi au cœur. »

« L'Inde, où je vous envoie, est gouvernée par un chef suprême (le grand Mogol) et quantité de petits souverains. Les Anglais y possèdent des établissements commerciaux qu'ils y ont acquis à prix d'argent ou conquis par les armes. Le but de cette campagne est de ruiner les établissements anglais, d'affranchir les souverains opprimés, de les mettre vis-à-vis de la Russie dans la même dépendance où ils sont vis-à-vis des Anglais, enfin, de nous assurer le commerce de ces régions. »

Le lendemain, le Tsar poursuivait :
«De l'Indus vous vous rendrez sur le Gange. En chemin, vous maintiendrez la Boukharie pour qu'elle ne se livre pas aux Chinois. A Khiva, vous délivrerez quelques milliers de mes sujets, qui y sont retenus prisonniers. S'il vous faut de l'infanterie, je l'acheminerai sur vos traces. Il n'y a pas moyen autrement. Le mieux est que vous vous suffisiez à vous-mêmes. »


Orlov rassembla 22 500 Cosaques et 24 pièces d’artillerie et marcha sur Orenbourg le 11 mars. L’assassinat de Paul 1er mit fin à l’expédition.
Mais quoi qu’il en soit ces trois lettres ne parlent pas une campagne combinée entre la France et la Russie.



ezio-auditore a écrit :
En 1808 : après le traité de Tilsitt donc. Ce traité a été traité (avec la fameuse interrogation : "qui fut dupe de qui ?").
Une telle campagne aurait été évoquée avec l'empereur de Russie ?


Je faisais ici référence à la lettre écrite par Napoléon à Alexandre le 2 février 1808 :
« Une armée de 50,000 hommes, russe, française, peut-être même un peu autrichienne, qui se dirigerait par Constantinople sur l'Asie, ne serait pas arrivée sur l'Euphrate, qu'elle ferait trembler l'Angleterre et la mettrait aux genoux du continent. Je suis en mesure en Dalmatie ; Votre Majesté l'est sur le Danube. Un mois après que nous en serions convenus, l'armée pourrait être sur le Bosphore. Le coup en retentirait aux Indes, et l'Angleterre serait soumise. Je ne me refuse à aucune des stipulations préalables nécessaires pour arriver à un si grand but. Mais l'intérêt réciproque de nos deux États doit être combiné et balancé. Cela ne peut se faire que dans une entrevue avec Votre Majesté, ou bien après de sincères conférences entre Romanzof et Caulaincourt, et l'envoi ici d'un homme qui fût bien dans le système. M. de Tolstoï est un brave homme, mais il est rempli de préjugés et de méfiances contre la France, et est bien loin de la hauteur des événements de Tilsit et de la nouvelle position où l'étroite amitié qui règne entre Votre Majesté et moi ont placé l'univers. Tout peut être signé et décidé avant le 15 mars. Au 1er mai nos troupes peuvent être en Asie, et à la même époque les troupes de Votre Majesté à Stockholm. Alors les Anglais, menacés dans les Indes, chassés du Levant, seront écrasés sous le poids des événements dont l'atmosphère sera chargée. Votre Majesté et moi aurions préféré la douceur de la paix et de passer notre vie au milieu de nos vastes empires, occupés de les vivifier et de les rendre heureux par les arts et les bienfaits de l'administration ; les ennemis du monde ne le veulent pas. Il faut être plus grands, malgré nous. Il est de la sagesse et de la politique de faire ce que le destin ordonne et d'aller où la marche irrésistible des événements nous conduit. Alors cette nuée de pygmées, qui ne veulent pas voir que les événements actuels sont tels qu'il faut en chercher la comparaison dans l'histoire et non dans les gazettes du dernier siècle, fléchiront et suivront le mouvement que Votre Majesté et moi aurons ordonné; et les peuples russes seront contents de la gloire, des richesses et de la fortune qui seront le résultat de ces grands événements.
Dans ce peu de lignes, j'exprime à Votre Majesté mon âme tout entière. L'ouvrage de Tilsit réglera les destins du monde. Peut-être, de la part de Votre Majesté et de la mienne, un peu de pusillanimité nous portait à préférer un bien certain et présent à un état meilleur et plus parfait; mais, puisque enfin l'Angleterre ne veut pas, reconnaissons l'époque arrivée des grands changements et des grands événements. »

Cette lettre était accompagnée des instructions suivantes à Caulaincourt :
« Dites à Romantzov et à l’empereur que je ne suis pas loin de penser à une expédition dans les Indes, au partage de l’Empire ottoman, et à faire marcher à cet effet une armée de 20 à 25 000 Russes, de 8 à 10 000 Autrichiens et de 35 à 40 000 Français en Asie, et de là dans l’Inde ; que rien n’est facile comme cette opération ; qu’il est certain qu’avant que cette armée soit sur l’Euphrate la terreur sera en Angleterre ; que je sais bien que, pour arriver à ce résultat, il faut partager l’Empire turc ; mais que cela demande que j’aie une entrevue avec l’empereur ; que je ne pourrais d’ailleurs m’en ouvrir à M. de Tolstoï, qui n’a pas de pouvoirs de sa cour et ne paraît pas même être de cet avis. Ouvrez-vous là-dessus à Romantzov ; parcourez avec lui les cartes et fournissez-moi vos renseignements et vos idées communs. »


La lettre à Alexandre fut logiquement très favorablement reçue à Saint-Pétersbourg. Mais, lors des échanges qui suivirent, les divergences de vue éclatèrent. Si dans un premier temps, le Tsar avait imaginé établir à Constantinople un gouvernement libre, il avait, au regard des sacrifices à faire dans le cadre de l’expédition vers les Indes, changé d’avis et exigeait à présent le contrôle des Détroits. Or une telle demande était inacceptable pour la France qui n’entendait pas offrir une telle position à son allié.
Au même moment les affaires d’Espagne occupaient toute l’attention de l’Empereur. La question orientale passa alors sur un second plan.

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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Message Publié : 27 Août 2015 15:44 
Drouet Cyril a écrit :
Bourrienne parle également du sujet dans ses Mémoires :
« Bonaparte me disait: « J’étais sûr de porter, de concert avec le czar, un coup mortel à la puissance anglaise dans l'Inde. »
C'est un détail, mais n'aurait-il pas trouvé en face de lui un certain Arthur Wellesley, futur Wellington, qui commandait alors les forces anglaises en Inde ?


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Message Publié : 27 Août 2015 16:16 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Il était au printemps 1801 colonel à Mysore.

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Message Publié : 27 Août 2015 23:19 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 18 Avr 2015 15:58
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Localisation : Kaamelott
Bonsoir,

Que n'aurait-on pas fait si Paul Ier avait vécu.
L'Inde. Paul Ier reçoit une lettre de Bonaparte lui proposant une alliance acceptée le 2 janvier 1801.
- dehors Louis XVIII
- dehors les émigrés
- accélération des préparatifs de guerre contre l'Angleterre
- l'Ataman du Don est chargé d'une expédition contre les Britanniques en Inde.

Ce sont précisément ces revirements qui vont précipiter la chute de Paul. L'expédition militaire en Inde est des plus hasardeuses et le complot en gestation depuis plusieurs mois avec Pahlen trouve son moment.
Loin de s'apparenter à la machination d'une poignée de nobles soucieux d'en finir avec les bizarreries insupportables d'un despote, le complot prend désormais la dimension d'un acte de salut national, empreint d'esprit de sacrifice.

Bonaparte n'est pas sans connaitre les multiples revirement de Paul Ier. Pacifiste, puis haïssant la France et sa révolution qui risque de mettre à mal le traité de 1774 avec les Ottomans, accueillant des fournées d'émigrés, offrant à Louis XVIII le logis, prenant Condé et son armée sous sa protection, s'associant à la 2nde coalition, signant un traité avec les Ottomans en 1798 se garantissant mutuellement leurs possessions territoriales :
"... il a fallu l'apparition de monstres tels les Français pour assister à un spectacle que je n'aurais jamais cru voir de mon vivant : une alliance avec la Porte et le passage de notre flotte par les Détroits..." (Bezborodko)
Souvorov est rappelé de son exil pour se montrer à Novi ; les Français sont chassés des îles ioniennes par une flotte russo-ottomane...
Décès de Bezborodko. Début 1797, Paul Ier montre déjà d'étranges sautes d'humeur qui le rende despotique, imprévisible, plus que méfiant. Par des exils répétés, il s'est mis à dos l'aristocratie. Paul Ier punit les abus constatés lors de voyages avec ses deux fils sur le territoire, ces personnes habituées à vivre loin du pouvoir le ressentent très mal.
L'armée ne suit plus : les Ukrainiens et les germano-baltes ont des promotions plus rapides.
Pour avoir une idée de l'ambiance :
" … il commença à exiler, non les plus coupables, car personne ne songeait à l'être mais les plus froids, les plus empressés, les plus prosternés. Les exils refroidirent extrêmement les autres, nouveaux exils, nouveaux refroidissements et bientôt consternation générale de part et d'autre, soupçons et fureur en permanence si bien qu'au bout de 3 ans il ne se trouva plus à St P. un homme en place ni une famille de tout ce qu'y avait laissé en mourant Catherine II..." (Eidelman)
Paul Ier fait venir à la Cour Eugène de Wurtemberg, l'observe et une rumeur court que le jeune homme pourrait remplacer Alexandre. Paul Ier voit des complots partout :
[... Un jour voyant son épouse parler bas près d'une cheminée avec le prince Kourakine, il entra en fureur. "Vous voulez Madame vous faire des amis et vous préparer à jouer le rôle de Catherine ; mais sachez que vous ne trouverez pas en moi un Pierre III !"]
Il réussi, en 1800, à se mettre l'église orthodoxe à dos, quitte la 2nde coalition en mars et ordonne à Londres le rappel de Whitworth.
La raison : Rostopchine et Souvorov font miroiter une alliance franco-russe qui a le grand avantage de rompre l'alliance de Catherine II "Le système du Nord".
Et Rostopchine soumet un plan diplomatique : une alliance avec la France qui permettra à terme à la Russie d'imposer un partage de l'empire ottoman, de reprendre Constantinople et les détroits pour in fine aboutir à la fusion des trônes de Pierre Ier et Constantin.
Paul Ier a été interpelé par le 18 Brumaire et son côté militaire admire Bonaparte :
"Il se produit un changement en France dont il faut attendre la tournure qu'il prendra, avec patience, sans s'épuiser... Je suis plein de respect pour le 1er consul et ses talents militaires... Il agit et c'est un homme avec lequel on peut être en affaires."
Dans un échange, ces plans sur comète sont agréables. Répétés obsessionnellement, ceci tient du délire.
Le "suivant les circonstances" marque bien la déconexion totale d'avec le monde et ses réalités.

Mais depuis Bonaparte ne pouvait ignorer par sa police le complot visant à faire abdiquer Paul Ier puisque sa police le renseignera de l'ambiance russe après, via l'interception à Vienne du courrier d'une femme française présente lors de la première apparition d'Alexandre. Pourquoi n'a-t-il pas tenté de sauver son nouvel ami ?

Citer :
Et Bertrand (Cahiers de Sainte-Hélène) :

Paul Ier était-il homme à se faire dicter des ordres. Et puis ce délire : "L'expédition était facile..." ; argumentation : "... Gengis Khan et Tamerlan l'ont faite".
Auriez-vous des documents exprimant l'avis de la Prusse quant au passage "assuré" des troupes françaises ?
Et tant d'années après, NB n'a toujours pas revu son analyse ?

Citer :
Route que tiendra l’armée française pour se rendre des bords du Danube aux bords de l’Indus :

:rool: et c'était en 1801 ce style de prose ?
Bonaparte n'a pas songé un instant sonder l'opinion, lui qui a des hommes partout ?

------

1801 : "c'est avec les cours de Vienne, Londres et Berlin que l'intérêt général aussi bien que ceux de mon empire, me portent à désirer une solide union". (Alexandre Ier)
En Juin, signature d'une convention maritime avec l'Angleterre. La France : "Si le 1er Consul de la République française continue à faire dépendre le maintien et l'affermissement de son pouvoir de la discorde et de troubles qui agitent l'Europe... s'il se laisse entraîner par le torrent de la révolution, s'il se confie à la fortune seule, la guerre pourra se prolonger... dans cet ordre de choses mes soins pour le rétablissement de la tranquillité générale ne pouvant être que faiblement secondés, le négociateur chargé de mes intérêts en France devra se borner à observer la marche du gouvernement et à amuser le tapis, jusqu'à ce que des circonstances plus propices permettent l'usage de moyens plus efficaces."

Le 26 septembre un traité de paix était signé entre les deux puissances mais Alexandre privilégie toujours l'entente avec l'Angleterre.
Bonaparte peut être un partenaire mais ne sera jamais un égal. Si les cabinets russes et prussiens ont le plus grand mal à échanger, les deux souverains se comprennent. Le lien est dans l'affect.Il n'y aura pas de relations privilégiées avec la France. Autre chose, NB a des serviteurs, des courtisans ; Alexandre aura des amis :
"Je laisse à votre jugement à communiquer au ministère anglais les actes ci-joints qui ont été conclus à Paris, soit en entier soit en partie faisant voir par là ma franchise et en prenant d'eux l'assurance que les conditions secrètes ne soient pas dévoilées. Je crois nécessaire à cette occasion de vous communiquer pour votre information, qu'absolument je ne compte entrer avec le gouvernement français dans aucun projet ultérieur quelconque et que l'expression d'un concert ultérieur employée par Talleyrand dans ses conférences avec le comte Morcoff peut tout au plus se rapporter, si l'affaire en vient là, au concert sur les mesures relatives aux affaires de l'Allemagne" (Vorontsov)
Alexandre et les Indes ? Ce n'est ni sa politique ni sa priorité. Il accepte, il endure et ensuite il trouve mille et une manières afin que ce que l'on veut lui imposer n'aboutisse pas. On le verra avec les projets d'unions.
L'un de ses proches disait qu'il était très endurant et que ce trait pouvait le desservir à des yeux novices qui le verraient comme un homme sans caractère. Cependant l'homme se traçait un cercle de fer au-delà duquel, rien ne pouvait plus passer.
Citer :
Au même moment les affaires d’Espagne occupaient toute l’attention de l’Empereur. La question orientale passa alors sur un second plan

De toutes les manières, si vous évoquez l'Espagne, alors les dés étaient déjà jetés.
;)

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"L'histoire remplit le vide du présent et se transforme elle-même en espérance !"


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