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Le carré rempart de l'infanterie, certes, mais uniquement contre la cavalerie !
Il aurait été suicidaire de se former en carrés face à une colonne d'infanterie en charge (le choc aurait fait ployer la ligne attaquée, l'aurait repoussée, le carré aurait été désorganisé et, entamé, se serait effondré), encore plus face à de l'artillerie (les boulets dans les rangs compacts... Il n'y aurait plus personne au bout de quelques salves). Et cela aurait été du gaspillage contre une ligne d'infanterie qui lui confronte sa mousqueterie (vu le nombre de tireurs inutilisé.
Un carré devait être inébranlable face à une charge de cavalerie, mais n'était pas statique pour autant : des chefs habiles ont utilisé cette formation pour décimer la cavalerie ennemie, soit en l'accablant sous des feux de salve, soit en la prenant au piège. C'est ce que les Français réussirent contre les Ottomans à la bataille du Mont-Thabor (1799), en les soumettant à un feu croisé.
S'ils étaient nombreux, les carrés d'infanterie étaient ordonnés en damier les uns par rapport aux autres, afin d'éviter les accidents du type tir ami.
L'infériorité de l'infanterie en ordre dispersé devant une attaque de cavalerie est évidente : ici, lors de labataille d'Albuera (1811), le 3° régiment d'infanterie anglaise (The Buffs) est écrasé par les uhlans qui ont pu les charger de flanc, sous la pluie, alors que de plus les britanniques faisaient mouvement. Le 31° régiment, lui, aura le temps de former le carré et sera épargné
Lors de la bataille de Waterloo (1815), les carrés d'infanterie (sur quatre rangs d'hommes) des Alliés tinrent contre 11 charges de cavalerie française (laquelle n'était soutenue ni par l'artillerie montée ni par l'infanterie).
Lors de la bataille de Lützen (1813), des carrés de troupes françaises non aguerries soutinrent les charges de la cavalerie Alliée, qui pourtant était soutenue par son artillerie montée et son infanterie.
Autres exemples de l'efficacité défensive impressionnante du carré d'infanterie : la bataille d'Iéna-Auerstedt (1806), la bataille de Pultusk (1806), la bataille de Fuentes de Oñoro (1811) et la 1re bataille de Krasnoï (14 août 1812). Lors de la bataille d'Albuera (1811), la cavalerie française (uhlans et hussards) lancée par Latour-Maubourg avance cachée par un orage de pluie et de grêle (qui de plus rend les fusils des redcoats inefficaces) et détruit presque complètement la colonne Colborne; seul le 31st (Huntingdonshire) Regiment of Foot, qui a pu former le carré, échappe au massacre
Lors de laBataille des Pyramides, les cavaliers mamelouks ont chargé en vain l'infanterie française : elle s'est massée en carré et les a repoussés (toile de Antoine-Jean Gros)
Les charges de cavalerie contre un carré d'infanterie étaient menées en formation serrée, de façon à essayer de semer la panique dans les rangs de fantassins peu aguerris, provoquant leur débandade – ou d'arriver au contact pour provoquer un maximum de pertes chez l'ennemi.
La cavalerie se lançait souvent contre les coins du carré, qui étaient connus comme étant les points faibles de la formation. Elle utilisait aussi des feintes ou de fausses attaques, en espérant que les fantassins lâcheraient leur volée trop tôt, et seraient ensuite vulnérables, n'ayant plus en main que des fusils vides, qui, avec leur baïonnette, n'étaient plus que de courtes piques.
Bataille des Quatre-Bras (1815) : les Highlanders de la Black Watch, attaqués par la cavalerie française, n'ont pas eu le temps de former le carré; ils perdent pied et vont devoir se réfugier dans un bois.
En fait, si les fantassins étaient disciplinés et tenaient bon, la cavalerie n'avait pratiquement aucune chance de « culbuter un carré et de le transformer en une ruine sanglante ». Cela arriva pourtant, exceptionnellement : ainsi lors de la bataille de Medina de Rioseco (au nord de Valladolid, le 14 juillet 1808), les fantassins navarrais résistèrent longtemps, puis lâchèrent pied.
L'arme la plus efficace contre le carré d'infanterie n'était pas la cavalerie, mais l'artillerie. Cependant celle-ci devait approcher à courte distance pour être vraiment efficace contre une formation de 20 m de côté : cette cible était difficile à atteindre pour l'artillerie de campagne qui tirait généralement à des distances de 600 m ou plus. Les attaquants utilisaient donc l'artillerie montée : des canons légers de calibre moyen ou petit, que leurs attelages pouvaient approcher tout près du carré d'infanterie. Les fantassins à l'approche de la cavalerie formaient le carré, et devenaient alors une cible compacte et facile pour l'artillerie montée ; et une fois démantelé par les canons, le carré devenait une proie facile pour la charge de cavalerie.
Les dragons lourds de laKing's German Legion de Bock qui, fait d'armes sans précédent, défirent 2 carrés d'infanterie française (commandés par Maximilien Foy) lors de la bataille de Garcia Hernandez, le 23 juillet 1812
Faute d'artillerie montée, l'association cavalerie-infanterie était efficace contre un carré d'infanterie : l'attaque par l'infanterie poussait le carré à se mettre en ordre dispersé pour répondre au tir ennemi, et il devenait alors vulnérable à la charge de cavalerie. I
l y eut au moins un cas connu de carré d'infanterie chargé par des fantassins : lors de la bataille des Quatre-Bras, le capitaine Jean Baptiste Fidèle Bréa, à la tête de 140 carabiniers du 1er régiment d'infanterie légère, mena l'attaque à la baïonnette contre un carré d'Écossais (il y eut 42 morts chez les attaquants français).Il était aussi possible que la cavalerie surprenne l'infanterie avant qu'elle n'ait eu le temps de former le carré : lors de la bataille des Quatre-Bras (1815) plusieurs corps britanniques furent ainsi pris au dépourvu par la cavalerie française qui s'était dissimulée derrière un repli de terrain.
Le carré d'infanterie pouvait donc voir son efficacité fortement diminuée dans certaines circonstances. Par exemple, quand un orage détrempait sa poudre, il était réduit à un bataillon de piquiers, dépendant pour sa survie de son courage et de sa discipline : ainsi lors de la campagne d'Allemagne, le 23 août 1813, à Goldberg, les soldats du 150e régiment d'infanterie résistent à la baïonnette contre les charges de cavalerie des Coalisés bien qu'une pluie torrentielle ait détrempé leur poudre ; d'où la devise du régiment : « Par le fer quand le feu manque ».
Autres circonstances critiques : quand les soldats étaient fatigués ou démoralisés, la solidité du carré était diminuée – et quand le feu était commandé trop tôt ou trop tard… Dans ce dernier cas, un cheval mortellement blessé pouvait effondrer un de ses murs, donnant accès aux ennemis. Cela arriva lors de la bataille des Arapiles (23 juillet 1812)4 : « Les dragons lourds de la King's German Legion commandés par Bock chargent un carré formé par le 6° d'infanterie légère. Les Français tirent trop tard, et certes leur salve tue un bon nombre de cavaliers, mais un cheval mortellement blessé tombe sur le front français. Il rue, se débat, et renverse au moins une demi-douzaine d'hommes, créant une brêche dans laquelle s'engouffre le capitaine Gleichen. Ses hommes le suivent, le carré est brisé, les Français se rendent en masse. Un 2nd carré, démoralisé par le spectacle, perd pied et se désagrège dès que les dragons le chargent. »
Pendant la première guerre anglo-afghane, lors de la bataille de Gandamak (janvier 1842) : ultime tentative de survie des derniers soldats britanniques (700 morts, sans compter les milliers d'auxiliaires indiens et les civils…)
Pendant la guerre anglo-persane, lors de la bataille de Khushab (le 7 février 1857), le 3rd Bombay Light Cavalry attaqua et brisa un carré de 500 fantassins persans. Il n'y eut que 20 survivants parmi les Persans…
Pendant la guerre anglo-zouloue (1879), le carré d'infanterie fut utilisé avec profit par le lieutenant-general Frederic Augustus Thesiger (lord Chelsmford) : une fois à titre défensif (Bataille de Gingindlovu), puis comme moyen efficace d'attaque en rase campagne d'une armée de dix à quinze mille Zoulous lors de la Bataille d'Ulundi, qui marqua la fin de la guerre.
Pendant la guerre des MahdistesLe carré d'infanterie est principalement défensif, comme à Tamai et Abu-Klea.
Bataille de TamaiPris lors de la bataille de Tamai (13 mars 1884), les highlanders de la Black Watch dresserent un mur d'hommes et de fusils contre la vague d'attaquants. Des guerriers mahdistes sont cependant parvenus à l'intérieur du carré, où écossais et cavaliers les achèvent. La discipline et le sang-froid britanniques permettent de redresser la situation, et même les canons emportés par les Mahdistes ont été repris. Les pertes seront élevées : 214 britanniques, et 4 000 dervishes.
Bataille d'Abu KleaLors de la bataille d'Abu Klea (16 & 17 janvier 1885), une colonne britannique, partie au secours de Gordon assiégé dans Khartoum, est attaquée par les Mahdistes. Le tableau ci-contre donne une vue réaliste de la 1re ligne du carré britannique, sur laquelle déferlent les fuzzy-wuzzies. Le carré est enfoncé, mais les britanniques se retournent contre les guerriers noirs enfermés dans le carré et les éliminent. Pertes : 150 britanniques, et 1 500 dervishes.
Le carré d'infanterie tomba en désuétude lorsque la cavalerie hippomobile disparut comme arme d'attaque - et qu'apparurent par ailleurs les armes à feu modernes à répétition : un groupe dense de fantassins était trop exposé à leur feu!Source Wp