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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 24 Juil 2014 15:57 
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Eginhard
Eginhard

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Pas de colonisation ici, il s'agit de réprimer un acte de guerre (piraterie).

Durant les guerres napoléoniennes, l'absence des flottes françaises et britanniques permit une ultime recrudescence de la piraterie barbaresque, requérant l'intervention américaine en Tripolitaine.


Un acte de guerre est réprimé, certes, mais les conséquences sont disproportionnées par rapport à la réprimande affichée. C'est le début de la colonisation.


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 24 Juil 2014 16:59 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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La piraterie et l'esclavage ont donné une justification morale aux puissances européennes en pleine phase d'expansion. Ils en profitent ensuite.

Sans les deux premiers éléments cela aurait été peut-être un peu plus compliqué à lancer. Quoi que...

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 24 Juil 2014 18:09 
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Georges Duby
Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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C'est la répétition des mêmes actes de piratage, soutenus de manière évidente par des ports du Maghreb, qui a mené l'europe à vouloir passer à une solution définitive du problème.
Les européens étaient très renseignés sur le système devenu une institution très profitable du piratage des bâteaux par les barbaresques, système ancien prolongé encore au début du 19è siècle.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 24 Juil 2014 23:31 
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Eginhard
Eginhard

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La piraterie et l'esclavage ont donné une justification morale aux puissances européennes en pleine phase d'expansion. Ils en profitent ensuite.


Je vous rejoins sur votre propos Isidore. Morale je ne sais pas, car les Etats européens ne sont pas plus moraux à la même période. Economique et politique sans aucun doute. Et effectivement, la politique de colonisation ne survient qu'après l'expédition d'Alger.


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 25 Juil 2014 0:02 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
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Saladin a écrit :
les Etats européens ne sont pas plus moraux à la même période
Clairement, d'où l'usage du terme "justification moral".

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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 25 Juil 2014 10:00 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
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J’ai abordé plus haut la crise franco-algérienne de 1802. Voici quelques mots sur celle qui eut lieu six ans plus tard.
En 1808, Alger revint en effet sur le devant de la scène. Ainsi, le 2 février, Napoléon écrivait à Champigny, son ministre des Relations extérieures :
« Monsieur de Champagny, je donne ordre au ministre de la marine d'expédier un brick de Toulon à Alger. Vous lui enverrez vos dépêches pour le sieur Dubois-Thainville auquel vous donnerez l'ordre que si, 48 heures après la demande qu'il en aura faite, le dey ne rend pas les esclaves génois, corses et italiens, conformément à nos traités, il ait à quitter Alger et fasse connaître au dey que je lui déclare la guerre. »

La mission ici ordonnée n’était pas sans rappeler celle qui avait été confiée en juillet 1805 à Jérôme. Disposant d’une division de trois frégates, deux bricks et une corvette, ce dernier avait du lui aussi se présenter à Alger afin de faire libérer tous les esclaves génois, italiens ou français détenus dans les bagnes algériens (Napoléon était devenu roi d’Italie et la république ligurienne avait été annexée à l’Empire). Cette démonstration de force n’avait cependant pas été accompagnée, comme ici, de menaces de guerre. La mission avait été remplie avec succès et Jérôme était revenu à Gênes, le 31 août, avec à son bord 231 anciens esclaves.

Mais revenons à l’année 1808.
Le jour même - mais est-ce bien là un hasard ? – où Napoléon notifiait Champagny l’ultimatum destiné au dey d’Alger, il écrivait également à Alexandre et à Caulaincourt, ambassadeur à Saint-Pétersbourg, afin de laisser entrevoir la possibilité de partage de l’Empire ottoman.
Toutefois, malgré l’avenir envisagé pour ce dernier état, Napoléon tenait à agir dans les formes vis-à-vis de Constantinople concernant les affaires d’Alger, qui, elles, étaient bien concrètes. Le 4 février, il faisait en effet savoir à Champagny qu’il désirait avertir les Turcs de ses démarches belliqueuses. La missive reprenait les informations transmises deux jours plus tôt et adoptait un ton toujours aussi menaçant :
« Il est nécessaire de préparer l'expédition d'un courrier à Constantinople pour les affaires d'Alger. Vous ferez venir l'ambassadeur turc, et vous lui ferez connaître que, par condescendance pour la Porte, je n'ai point fait d'expédition contre Alger; mais que si, au retour du courrier que vous envoyez à Constantinople, mes esclaves ne sont pas rendus, je suis résolu à faire une descente à Alger et à m'emparer de ce pays. Je vous ai écrit avant-hier que je chargeais le ministre de la marine d'expédier un aviso à Alger, qui sera porteur de vos dépêches au sieur Dubois-Thainville, par lesquelles vous lui ferez connaître qu'il doit sur-le-champ quitter Alger, et notifier au Dey que je lui déclare la guerre s'il ne relâche aussitôt les esclaves génois, corses et italiens qu'il aurait. S'il retient mon consul de force, il lui fera connaître que le retour de l'aviso sans lui produira le même effet, et qu'une armée française débarquera à Alger si mon pavillon n'est pas respecté, et les Anglais traités comme doivent l'être les ennemis des Musulmans. »

Ces menaces n’étaient pas sans rappeler la crise de 1802 et l’ultimatum (aux menaces sans rapport avec les réels préparatifs du moment) du 27 juillet de cette année-là : « Si vous refusez de me donner satisfaction, et si vous ne réprimez pas la licence de vos ministres qui osent insulter mes agents, et de vos bâtiments qui osent insulter mon pavillon, je débarquerai 80 000 hommes sur vos côtes, et je détruirai votre régence. »
S’ajoutait ici la problématique britannique (ce qui ne se posait pas en 1802, la crise franco-algérienne ayant éclaté quatre mois après la signature du traité de paix d’Amiens) sans doute née ici des privilèges concernant la pêche au corail cédés en 1807 aux Anglais aux dépens des Français. On retrouvait là d’une certaine manière ce qui avait été dit au Portugal sept mois plus tôt :
« Vous ferez connaître au ministre de Portugal qu'il faut que le 1er septembre les ports du Portugal soient fermés à l'Angleterre ; à défaut de quoi, je déclare la guerre au Portugal. »
(Napoléon à Talleyrand, 19 juillet 1807)

Deux jours plus tard, 6 février, les affaires se durcissaient. Il ne s’agissait plus en effet seulement d’envoyer à Alger un brick ou un aviso, mais une escadre, celle de Lorient (deux vaisseaux, deux frégates et une corvette). Fort de cette puissance offensive, la mission définie le 2 février évoluait : un refus de libérer les esclaves ne signifiait plus un simple notification de déclaration de guerre, mais bien le commencement des hostilité ; l’escadre du capitaine de vaisseau Troude devant de suite ravager les côtes et prendre tout ce qu’il pourrait avant de revenir vers la France après trois ou quatre jours de présence le long du littoral de la Régence.
Troude n’était pas seulement porteur de l’ultimatum impérial mais également de ce décret pris pour l’occasion :
« Art. 1er. Le séquestre sera mis sur tous les bâtiments algériens dans tous les ports de notre empire, et dans ceux de notre royaume d'Italie.
Art. 2. Tous les sujets algériens seront arrêtés et mis en sauvegarde dans des châteaux forts.
Art. 3. Toutes les marchandises et effets appartenant au dey d'Alger, ou à des sujets algériens dans notre empire et dans notre royaume d’Italie, seront mis en séquestre.
Art. 4. Ces mesures auront lieu pendant tout le temps que le dey d'Alger retiendra nos sujets génois, ou de notre royaume d'Italie, qu'il retient, contre les traites, dans ses bagnes. »

Troude, bloqué à Lorient, ne put quitter le port avec son escadre (il ne le put d’ailleurs qu’un an plus tard). Le 24 mars suivant, l’option lorientaise était abandonnée, et Napoléon faisait savoir à Decrès qu’il désirait finalement voir partir de Toulon pour Alger deux frégates et un brick afin d’y prendre Dubois-Thainville et courir sus à tous bâtiments algériens. Aucune négociation n’était stipulée dans cette dernière missive.
La petite division toulonnaise n’eut pas la peine d’appareiller. L’affaire d’Alger avait finalement été réglée avant son départ. Napoléon fit part de sa satisfaction à Champagny le 1er avril :
« Le dey d'Alger ayant reconnu les Génois comme français et les peuples de mon royaume d’Italie comme mes sujets et rendu les 123 esclaves qui étaient détenus dans ses bagnes, la bonne intelligence se trouve rétablie entre nous. Mon intention est donc que l’ordre qui avait été donné à mes bâtiments de guerre et de course de courir sur les bâtiments algériens soit reporté et que l’embargo mis sur les bâtiments et marchandises de cette régence soit levé, soit en France, soit dans les Etats d’Italie. »


Depuis que la guerre avec Alger avait cessé, Napoléon avait donc du mener trois opérations d’envergure afin de faire respecter les stipulations du traité de paix du 28 décembre 1801. Si, une nouvelle fois, le dey s’était soumis, l’empereur gardait à l’esprit la possibilité de régler, et ce, de manière définitive le problème algérien. Outre le piratage à châtier, ces préparatifs s’inscrivaient aussi dans la volonté de forcer (et cela ne concernaient pas que Toulon) l’Angleterre à multiplier les dépenses et les efforts afin de couvrir les zones d’où étaient susceptibles de partir des opérations navales ennemies ; mais s’inscrivaient également dans un domaine, là beaucoup plus nébuleux, celui du démantèlement de l’Empire ottoman. Ainsi, onze jours seulement après s’être réjoui du rétablissement de la « bonne intelligence » entre la France et la Régence, Napoléon, le 12 avril, évoquait dans sa correspondance avec Decrès de nouveaux plans d’opérations navales où Alger était évoqué comme une éventualité parmi d’autres :
« {L’année prochaine,] j’aurai 111 vaisseaux de guerre [64 français, 25 espagnols, 12 russes et 10 hollandais] ; situation qui ne laisserait pas de donner lieu à toute espèces de combinaisons, surtout appuyés à la flottille. L’Irlande, les possessions d’Amérique, Surinam, le Brésil, Alger, Tunis, l’Egypte, la Sicile, sont des points vulnérables. »

Le 18 du même mois, toujours auprès de Decrès, l’Empereur se faisait plus précis :
« Monsieur Decrès, méditez l'expédition d Alger, tant sous le point de vue de mer que sous celui de terre. Un pied sur cette Afrique donnera à penser à l'Angleterre. Y a-t-il sur cette côte un port où une escadre soit à l'abri d'une force supérieure ? Quels seraient les ports par où l'armée, une fois débarquée, pourrait être ravitaillée ? et combien l'ennemi pourrait-il bloquer de ports différents ? Il n'y avait guère en Egypte que le port d'Alexandrie. Rosette était un port très dangereux ; cependant on le comptait. Ici, je crois qu'il y en a une douzaine. Combien peuvent-ils contenir de frégates, de bricks et de gabares ? L'escadre de l'amiral Ganteaume entrerait-elle à Alger et y serait-elle à l'abri d'une force supérieure ? Quelle est la saison où la peste n'est plus à craindre et où l'air est bon ? Je suppose que ce doit être en octobre.
Après avoir étudié l'expédition d'Alger, étudiez bien celle de Tunis. Ecrivez-en confidentiellement à Ganteaume, qui, avant de venir à Paris, peut prendre des renseignements ; ils peuvent s'étendre jusqu'à Oran et s'appliquer à la terre et à la mer. Les renseignements à prendre par terre sont s'il y a des chemins et de l'eau. Je suppose que cette expédition demande 20 000 hommes. Vous sentez bien que cette expédition, l'ennemi la supposerait pour la Sicile, et qu'il serait bien déjoué si, au lieu de cela, elle se rendait à Alger.
Je ne vous demande une réponse que dans un mois; mais, pendant ce temps, recueillez des matériaux tels qu'il n'y ait pas de mais, de si, de car. Envoyez un de vos ingénieurs discrets sur un brick, qui puisse causer avec le sieur Thainville; mais il faut que ce soit un homme de tact et de talent. Il faudrait que cet ingénieur fût un peu officier de marine et un peu ingénieur de terre. Il faut qu'il se promène lui-même en dedans et en dehors des murs, et que, rentré chez lui, il écrive ses observations, afin qu'il ne nous rapporte pas de rêveries. Vous pourriez même vous concerter avec [le directeur du bureau topographique] Sanson pour avoir un homme capable. Vous devez trouver des renseignements dans les archives des relations extérieures et de la guerre. Faites faire des recherches dans ces archives et dans les vôtres. De tout temps on a demandé en France des renseignements sur ces pays. »

Le 18 avril, Napoléon avait donné un mois à Decrès pour y voir plus clair sur la faisabilité d’une éventuelle expédition d’Alger. Le 13 mai, l’Empereur faisait le point et confiait à son ministre de la marine espérer réunir à Toulon pour le début du mois de septembre 1808 une flotte (dont 12 vaisseaux et 7 frégates) susceptibles de porter 19 000 hommes et 900 chevaux, dont le dessein était l’invasion de l’Egypte. Alger n’était pas pour autant oublié.
Comme déjà dit, rien ne semblait en effet être bien clair et arrêté dans l’esprit de Napoléon, puisque le jour même où il notifiait ces dernières réflexions à Decrès, il écrivait au vice-amiral Ganteaume, commandant de l’escadre de la Méditerranée :
« Je voudrais jeter 20 000 hommes et 800 chevaux sur un point important. Prenez des renseignements sur une expédition qui aurait pour but Tunis et Alger. »

Le 26 mai, l’expédition méditerranéenne était toujours d’actualité et susceptible d’être destinée « ou pour Alger ou pour la Sicile ou pour l’Egypte ». Au même moment, l’Espagne se soulevait…
Deux mois plus tard, l’influence de ce dernier théâtre d’opérations se faisait clairement sentir sur les plans de Napoléon, comme le confiait ce dernier à Decrès le 7 juillet :
« Je vous ai déjà mandé que, les affaires d'Espagne ayant pris, depuis un mois, une tournure assez sérieuse, il ne sera peut-être plus dans mon projet de hasarder une si grande quantité de forces sur les mers, même de terre; mais mon parti ne sera pris que dans le courant de juillet. Dans tout état de choses, quelques expéditions sont nécessaires ; mais des expéditions si considérables devront être ajournées, si l'arrivée du Roi en Espagne n'améliore pas promptement l'état des insurrections. »

Les affaires d’Espagne ne s’améliorant pas, bien au contraire, et la Royal Navy dominant toujours les mers, les projets relatifs à Alger furent logiquement abandonnés, ou plutôt remis à de meilleurs jours où l’éventualité d’une telle expédition pourrait à nouveau être étudiée.
Ainsi, deux ans plus tard, le 16 juillet 1810, Napoléon établissait de nouveaux plans pour l’automne 1811 : « Avec 60 bâtiments de transport et mon escadre forte de 17 vaisseaux, de 10 frégates, 13 corvettes, bricks ou petits bâtiments, formant 40 bâtiments, j'aurais en tout une expédition de 100 bâtiments avec laquelle je pourrais jeter sur un point quelconque de la Méditerranée, soit à Salonique, soit en Egypte, soit à Tunis et Alger, 40 000 hommes et 1 500 chevaux. »

Là encore, tout resta à l’état de projets…
La Royal Navy restait toujours aussi puissante et dominatrice, et Napoléon, en cette fin d’année 1811, aurait l’esprit tourné vers d’autres contrées…

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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 25 Juil 2014 10:14 
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Plutarque
Plutarque

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Cyril, que pensez-vous de ceci : http://www.histoiredumaghreb.com/L-Affa ... -1827-1830
Les créances Bacri

De 1793 à 1798, les armées françaises d’Italie et d’Egypte s’étaient fait ravitailler par des négociants juifs d’Alger, les Bacri et les Busnach (originaires de Livourne, en Toscane). D’année en année, les dettes de la France envers ces deux familles enflèrent démesurément d’autant plus facilement que ces dernières se montraient très conciliables quant aux délais de paiement. Mais, finissant par vouloir récupérer leur dû, et devant à leur tour payer des dettes au dey d’Alger, ils convainquirent ce dernier de porter les deux affaires ensemble auprès de la France. Une fois à Paris, le représentant de la maison Bacri, Jacob Bacri, écrira au sujet des négociations menées avec Talleyrand : « Si le Boiteux n’était pas dans ma main, je ne compterais sur rien » [2] Mais, même après avoir reçu un acompte de quatre millions de francs par l’intermédiaire de Talleyrand, les Bacri et Busnach ne rendirent pas les 300 000 francs qu’ils devaient au dey d’Alger, poussant même ce dernier à monter le ton envers Bonaparte en lui écrivant que leur argent devait être considéré comme le sien et donc une question d’honneur…qui pourrait dégénérer en affaire d’Etat. En 1803, Jacob Bacri écrivait donc à Busnach qu’il fallait : « faire écrire par notre maître [le dey] au Petit [Bonaparte] une lettre qui lui dira que l’argent réclamé par Bacri et Busnach est à lui et qu’il les prie de le faire payer à cause de lui. » [3] L’affaire de ces créances ennuya tellement Napoléon qu’il pensa même à l’idée de lancer une expédition contre Alger, y envoyant en reconnaissance un chef de bataillon du génie, Vincent-Yves Boutin, du 24 mai au 17 juillet 1808 auprès du consul Dubois-Thainville, afin qu’il puisse y rédiger un rapport sur l’éventualité d’une telle action militaire. Mais, les événements européens empêchèrent la réalisation d’une telle entreprise. Nullement touché par les soubresauts européens, les Bacri gonflaient leurs intérêts an après an jusqu’à ce que leurs dettes réclamées atteignissent 24 millions de francs. Ils mirent de leur côté le nouveau consul général français d’Alger Pierre Deval, nommé par Talleyrand durant la courte période où il fut président du Conseil (9 juillet-26 septembre 1815), lequel trainait derrière lui une réputation sulfureuse d’escroc et d’homme retors. Si retors et perfide que les Européens d’Alger le tenaient en piètre estime et s’appliquaient scrupuleusement à ne pas répondre aux invitations qu’il leur envoyait afin de participer aux grandes occasions organisées par le consulat général… C’est dans ce climat d’insolite rouerie autour du dey d’Alger que l’affaire du fameux coup d’éventail allait se produire.


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 25 Juil 2014 14:13 
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Fustel de Coulanges
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Maumo a écrit :


Pour rester dans les limites chronologiques du forum, je m'en tiendrai à la partie relative à la Révolution et l'Empire. Une phrase me gêne : « L’affaire de ces créances ennuya tellement Napoléon qu’il pensa même à l’idée de lancer une expédition contre Alger »

Quand on se penche sur les crises de 1802 et 1808, les éléments pouvant pousser Napoléon à envisager de monter une expédition contre Alger étaient nombreux, et à l'heure d'exposer ses griefs, il ne mettait pas en avant le problème de la dette.

On peut cependant rappeler que lorsque Decrès demanda en 1802 à Jeanbon Saint-André des renseignements sur les hommes bénéficiant d'une grande influence sur le dey, l'ancien consul axa la quasi totalité de ses réflexions sur Bacri et Busnach :
« Ces ministres ont nécessairement une grande influence, surtout l'aga, ou général de la milice, devenu premier ministre après la mort de Hassan. Celui-ci est maîtrisé par des hommes bien méprisables, dont le gouvernement français a fait la fortune, et qui travaillent avec une astuce et une persévérance incroyable à détruire jusqu'au nom français en Barbarie. Ce sont les juifs Bacri et Busnah. Leur fortune a commencé sous le dey Hassan. Devenus riches par les libéralités de ce prince, ils ont étendu leurs vues commerciales, et ils ont jeté un coup d'œil de convoitise sur nos établissements de Bone et de la Calle, dont l'usurpation mettrait à leur disposition tout le commerce de la compagnie d'Afrique. La révolution sans doute leur fit concevoir ce plan, et leur donna les moyens d'en tenter l'exécution. La compagnie , transformée en agence, ne pouvait faire passer que difficilement des fonds pour le paiement de ses achats. Ils offrirent au dey d'acheter, de payer comptant, de faire même des avances. On le leur permit, mais avec des réserves gênantes ; l'agence, acquittant très exactement les redevances portées par les traités, ne pouvait pas être dépouillée des privilèges dont ces redevances étaient le prix. Impatients d'arriver à leur but, et voulant rompre les entraves qui les retenaient, ils se firent par cupidité les ennemis de la France. Tandis qu'ils s'établissaient chez elle et fondaient un comptoir à Marseille ; tandis qu'ils lui vendaient des blés, qu'ils flattaient le gouvernement, qu'ils salariaient des subalternes pour se faire des amis , et acheter jusque dans les bureaux le secret de la correspondance de l'agent de la république en Barbarie, ils se réunissaient à Alger à ceux qui prêchaient la croisade contre la France. Ils sollicitaient le dey de déclarer la guerre, ils faisaient persécuter les négociants français, ils poussaient le dey à renvoyer les prises faites par nos corsaires qui relâchaient dans ses ports. Si le Premier Consul veut connaître ces hommes perfides, qui jouent encore en ce moment à Paris et à Marseille un rôle bien extraordinaire aux yeux de ceux qui connaissent la Barbarie, qu'il ordonne aux relations extérieures de mettre sous ses yeux une analyse exacte des faits énoncés dans ma correspondance de ce temps-là; qu'il fasse interroger les négociants de Marseille intéressés au commerce d'Afrique, et il se. convaincra de l'influence dangereuse que ces Israélites exercent sur le dey.
Dès lors il les remettra à leur véritable place, il leur ôtera en France cette confiance usurpée dont ils abusèrent et dont ils abuseront encore ; à Alger, cette influence politique qui les a transformés en une véritable puissance, devant laquelle ne rougissent pas de s'humilier lâchement tous les envoyés des gouvernements étrangers.
Il fera plus; si la guerre éclate contre Alger, les juifs conseillers‘du dey doivent pour leur part en porter la peine et être responsables du mal qui a été fait par le passé, et qui pourra l'être à l'avenir aux Français par les Algériens. Si l'on se saisit de la personne de ceux de leur famille qui sont en France; si on met le séquestre sur leurs navires, leurs maisons, leurs magasins à Marseille, on verra changer le ton et les prétentions du dey. Mais surtout, citoyen ministre, dans l'hypothèse d'une guerre, et quand nos bâtiments marchands seront exposés aux insultes des corsaires barbaresques, ou devront être protégés par nous pour s'en garantir, qu'on ne souffre pas que les navires et les cargaisons des marchands juifs d'Alger échappent à nos croiseurs. Ils se déguisent sous tous les pavillons possibles; mais quand le gouvernement le permettra, l'œil de nos officiers saura bien les démêler à travers tous ces déguisements. Les lois de la guerre sont des lois de réciprocité, et quand le Français est exposé à être pris , pourquoi l'Algérien ne le serait-il pas ? »

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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 25 Juil 2014 22:40 
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Plutarque
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Merci Cyril. Quelles sources directes peut-on consulter sur cela ? Les acteurs ont laissé des mémoires ?


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 26 Juil 2014 8:07 
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Fustel de Coulanges
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Pour ma part, je me suis principalement servi de la Correspondance Napoléon.
Mais on peut se tourner également vers celles de Decrès, de Dubois-Thainville, des deys, ou encore de Talleyrand. Pour l'affaire de 1802, ce dernier a d'ailleurs présenté un rapport au Sénat, le 7 septembre.

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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 28 Juil 2014 21:27 
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Plutarque
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Avez-vous une idée d'où on peut trouver ces textes ?


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 29 Juil 2014 7:30 
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Fustel de Coulanges
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Pour Napoléon, on peut se référer bien évidemment à l’excellente Correspondance générale dont la publication est en cours ; et pour Dubois-Thainville et les deys, à la Correspondance des deys d’Alger avec la cour de France, d’Alcan. D’autres lettres peuvent aussi en partie être retranscrites dans des ouvrages plus ou moins généralistes comme par exemple La démence coloniale sous Napoléon, d’Yves Bénot.
Mais on peut aussi se tourner également vers le Net comme par exemple ce site consacré à Talleyrand où vous pourrez trouver diverses missives ou notamment le rapport relatif à la situation d’Alger présenté en septembre 1802 :
http://www.le-prince-de-talleyrand.fr/fructidor2.html

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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 04 Août 2014 0:30 
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Fustel de Coulanges
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Plus haut, j’ai rapidement évoqué l’opération menée à Alger par Jérôme Bonaparte. En voici un récit un peu plus long qui montrera qu’outre l’intérêt direct de la démarche relativement à la question des esclaves, ladite expédition offrira l’occasion de monter une belle opération politique.




Le 25 mai 1805, la veille du couronnement de Napoléon roi d’Italie à Milan, le Sénat de la république ligurienne décrétait qu'il serait demandé auprès de l'Empereur la réunion de Gênes à France. Dans les considérants dudit décret la question de la piraterie issue des régences était mise en avant : « Les puissances barbaresques, en désolant le commerce ligurien, rendent presque impraticables toutes nos communications maritimes. »
La 4 juin suivant, à Milan, Napoléon, qui avait déjà formulé la même intention avant le vote du décret du 25 mai, répondit logiquement favorablement à la demande qui venait de lui formuler officiellement la députation génoise. Il prononça alors un discours où fut notamment dit :
« Je n'ai pas tardé moi-même à me convaincre de l'impossibilité, où vous étiez, seuls, de rien faire, qui fût digne de vos Pères. Tout a changé. Les nouveaux principes de la législation des mers, que les Anglais ont adoptés […] et qui n'est autre chose que le droit d'anéantir à leur volonté le commerce des peuples ; les ravages toujours croissants des Barbaresques ; toutes ces circonstances ne vous offraient qu'un isolement dans votre Indépendance.
[…]
Où il n'existe pas d'indépendance maritime pour un peuple commerçant, naît le besoin de se réunir sous un plus puissant pavillon. Je réaliserai votre vœu; je vous réunirai à mon Grand Peuple.
[…]
Vous vous trouverez [«dans votre union avec mon peuple »] absolument à l'abri de ce honteux esclavage, dont je souffre, malgré moi, l'existence envers les puissance plus faibles, mais dont je saurai toujours garantir mes Sujets. »

La réunion de la république ligurienne à l’Empire impliquait en effet de facto l’application pour ces nouveaux Français, des traités signés entre la France et Tripoli (19 juin 1801), Alger (28 décembre 1801), et Tunis (29 février 1802)

De suite, le ministre de l'Intérieur, Champagny fut envoyé à Gênes afin d'y abolir la constitution de la République ligurienne. A cette occasion, le 9 juin 1805, ce dernier affirma que les navires génois étaient désormais bien à l'abri des attaques barbaresques.
En conformité avec la promesse de Milan du 4 juin, Napoléon arriva à Gênes le 30 du même mois. Outre les audiences accordées aux autorités civiles, religieuses, militaires et diplomatiques, l’Empereur inspecta les forts, les chantiers de construction navale, les divers établissements publics de la ville et bien évidemment le port (4 juillet). Il y rencontra son frère Jérôme qui y commandait une petite division navale. Ce dernier, nouvellement promu capitaine de frégate, était à Gênes depuis la mi-mai, et tentait d’y faire oublier sa malheureuse aventure américaine.
L’inspection de la division navale de Gêne était d’importance pour Napoléon.
D’une part, le blason passablement terni de Jérôme se devait d’être redoré ; si les rapports entre les deux frères étaient à présent bien meilleurs, la colère de l’Empereur n’était en effet pas si lointaine :
« Si dans la seule entrevue que je lui accorderai, il se montre peu digne du nom qu'il porte, s'il persiste à vouloir continuer sa liaison [jérôme s’était marié à Elizabeth Patterson, le 24 décembre 1803, à Baltimore], s'il n'est point disposé à laver le déshonneur qu'il a imprimé à mon nom en abandonnant ses drapeaux et son pavillon pour une misérable femme, je l'abandonnerai à jamais. »
(Napoléon à Letizia, 22 avril)
D’autre part, et surtout, il était temps de faire bénéficier les nouveaux sujets de l’Empire des bienfaits du traité de paix liant le dey d'Alger à la France. La tension fortement abaissée en Méditerranée facilitait d'ailleurs l'opération : Villeneuve et Nelson en chasse étaient alors dans l'Atlantique revenant tous deux vers l'Europe, et l'Empereur n’estimait plus les forces britanniques en Méditerranée qu’à sept vaisseaux : trois entre Gênes et Toulon, trois autres entre Cadix et Carthagène, et un dernier face à Naples.

Des promesses avaient été faites, il fallait les honorer.

Dès le lendemain, avant de reprendre la route de Paris, les ordres fusaient :
« Mon Frère, votre division, composée de 3 frégates [la Pomone, l’Uranie et l’Incorruptible] et de 2 bricks [le Cyclope et l’Endymion], doit être approvisionnée d'au moins trois mois de vivres et de trois ou quatre mois d'eau. Vos équipages seront complétés en matelots de Gênes. Il sera mis 50 hommes en sus sur chaque frégate, afin de les rendre susceptibles d'un plus haut degré de résistance. Ces 50 hommes seront fournis par l'infanterie. A cet effet, la compagnie du 102e que vous avez à bord de la Pomone sera portée à 100 hommes. De plus, un maréchal des logis et 15 canonniers de ma Garde tiendront garnison sur la Pomone pendant cette sortie. J'ai ordonné que 100 hommes du 20e de ligne soient mis à votre disposition, pour augmenter la garnison de l'Uranie de 50 hommes et celle de l'Incorruptible de 50 hommes. Vous ferez compléter les batteries des gaillards avec de l'artillerie de bronze qui est à Gênes, et vous augmenterez l'artillerie de vos frégates de plusieurs des caronades de 15 qui se trouvent à l'arsenal de Gênes. Vous enverrez un courrier extraordinaire à Toulon, pour demander qu'on vous envoie des canonniers français pour remplacer les Génois qui sont sur votre division. Ils pourraient vous arriver à temps, parce que les vents peuvent apporter du retard à votre départ.
Du moment que votre division sera en état, vous mettrez à la voile. Vous vous présenterez devant Bastia; vous demanderez au général qui y commande 100 bons matelots, ayant au moins six ou sept ans de mer, et vous les répartirez sur votre division.
Vous recueillerez tous les renseignements que vous pourrez avoir sur la situation des Anglais aux îles de la Madeleine.
Après cela, vous naviguerez en côtoyant la Sardaigne, jusqu'aux trois quarts de la côte, de manière à ne point trop approcher de Cagliari. S'il y avait des corvettes, des bricks ou des transports anglais dans la rade de la Madeleine, vous les enlèveriez.
Vous vous rendrez de là devant Alger. Vous ferez remettre la lettre ci-jointe à mon chargé d'affaires, commissaire des relations commerciales, qui se rendra à votre bord. Le but de votre mission est de retirer tous les esclaves génois, italiens et français qui se trouvent dans les bagnes d'Alger. Si, cependant, cela éprouvait plus de difficultés que je ne pense, vous ne resterez pas plus de six jours à Alger, et vous opérerez, selon le temps, votre retour, soit sur Toulon, soit sur Gênes. Vous l'opérerez sur Gênes, si vous ramenez des esclaves génois, et vous les garderez deux jours après votre arrivée, pour les faire débarquer en pompe.
A Alger, vous ne débarquerez point, ni pour voir mon commissaire, ni pour voir le Dey, que vous enverrez complimenter. Ce ne serait que dans le cas où le Dey viendrait au bord de la mer que vous pourriez vous rendre auprès de lui dans votre canot. »


Jérôme, souffrant de difficultés pour compléter ses équipages, n'appareilla que 7 août. Un fort coup de vent le força cependant à relâcher à Toulon quatre jours plus tard. Il fit à cette occasion le rapport suivant à Decrès :
« J'ai l'honneur de vous informer, Monsieur le Ministre, de ma relâche à Toulon, où je suis entré ce matin. J'ai appareillé de Gênes dans la nuit du [7 au 8 août], dans l'intention de suivre directement les instructions que Sa Majesté Impériale et Royale avait bien voulu me laisser en partant. J'ai eu calme et de petits vents jusqu'au [10 août]. Étant près des îles d'Hyères, j'ai éprouvé un coup de vent d'ouest qui a occasionné des avaries à ma division. La Pomone a eu la vergue du petit hunier cassée; l'Incorruptible et l'Uranie, ainsi que le Cyclope, celles de leurs grands huniers aussi cassées. J'avais eu auparavant mon bout-dehors de beaupré emporté. La division n'ayant pas de ces objets de rechange et sentant la nécessité d'y remédier promptement, j'ai été mouiller aux îles d'Hyères dans la soirée, et ce matin le temps s'étant remis au beau, je suis venu au mouillage que j'occupe maintenant.
Cette sortie a complètement confirmé, Monsieur le Ministre, l'opinion que je m'étais formée de mon équipage. Il est presque tout composé de Génois, comme j'ai eu l'honneur d'en prévenir Votre Excellence. Ces gens, n'entendant pas le français, ne peuvent exécuter promptement les manœuvres et ne sont pas d'ailleurs accoutumés au service des bâtiments de guerre. Quant à la frégate la Pomone, elle ne marche pas du tout, et pour en donner une idée à Votre Excellence, il me suffira de lui dire que le Muiron a sur elle beaucoup d'avantage. Je ne m'arrêterai ici que quarante-huit heures, pendant lesquelles je prendrai tout ce qui m'est nécessaire. Aussitôt mon arrivée, l'Incorruptible et l'Uranie ont eu le long de leur bord les caronades que Sa Majesté avait ordonné de tenir prêtes pour elles. Cette dernière a été jugée trop faible pour en porter plus de deux. Je fais compléter à toute ma division trois mois de vivres, afin de ne pas être obligé de m'arrêter encore ici à mon retour et suivre ma destination pour Gênes, suivant l'intention de Sa Majesté. Je refais entièrement mon arrimage.
Les bricks l'Endymion et le Cyclope étant mauvais marcheurs, j'ai fait à M. le préfet maritime la demande du brick l'Abeille pour faire partie de la division et éclairer sa marche. Ce bâtiment n'ayant point reçu de Votre Excellence une destination particulière, j'ai pensé que ma demande obtiendrait son approbation. J'aurais désiré avoir aussi avec moi la frégate le Muiron, qui est parfaitement armée et installée; mais le préfet n'a pas voulu prendre sur lui de la laisser sortir de Toulon. Le vaisseau le Borée n'est pas encore prêt; mais il peut l'être dans vingt jours. »

Jérôme appareilla le 14 août et parvint à Alger le 18. Le 31 du même mois, il était de retour à Gênes et rendait compte de sa mission en ces termes :
« J'ai l'honneur d'annoncer à Votre Excellence [Decrès] que la mission dont Sa Majesté avait bien voulu me charger a été heureusement remplie. La division sous mes ordres vient de mouiller dans le port de Gênes, ayant à bord deux cent trente et un esclaves, tous bien portants, ainsi que les équipages. Dans deux jours je les débarquerai, conformément aux instructions que je tiens de Sa Majesté. La ville d'Alger et les lieux circonvoisins jouissaient, à l'époque de mon départ, d'une parfaite salubrité, comme le constate la déclaration que m'en a faite M. Dubois-Thainville, le chargé d'affaires de l'Empereur.
Cette expédition aurait été plus promptement terminée sans les circonstances qui ont nécessité ma relâche à Toulon, et dont j'eus l'honneur de rendre compte à Votre Excellence par ma dépêche du [11 août]. Je n'y ai pas été longtemps retenu, grâce aux soins et à l'activité de M. le préfet maritime. Dans soixante-douze heures, la division fut en état de remettre à la voile et de poursuivre sa destination. J'avais expédié deux jours auparavant la corvette l' Abeille, sous les ordres du capitaine Eydoux, pour prévenir le commissaire-général des relations commerciales à Alger de ma prochaine arrivée et de l'objet de ma mission. Je lui avais en même temps écrit pour l'engager à négocier d'avance la liberté des esclaves et m'éviter, par ce moyen, les difficultés et les lenteurs que j'aurais pu éprouver.
J'appareillai de Toulon le [14 août], à dix heures du matin, par une brise très forte de nord-ouest, ayant les huniers aux bas ris. Je dirigeais ma route sur Mahon, où j'espérais rencontrer quelque croiseur ennemi. J'en passai à une lieue, n'ayant vu et visité que des bâtiments neutres et alliés, du nombre desquels se trouvait un Ragusais parti de Gibraltar depuis vingt-deux jours. J'appris du capitaine que le contre-amiral Bickerton avec cinq vaisseaux y était à cette époque occupé à se réparer et à prendre des vivres, et que lord Nelson croisait devant Cadix.
Le quatrième jour de mon départ de Toulon, j'étais à Alger. La corvette l'Abeille y était arrivée quarante-huit heures avant moi. M. Dubois-Thainville, aussitôt la réception de ma lettre, avait voulu entamer la négociation dont je l'avais chargé; mais il avait été arrêté par des difficultés qu'il n'était pas en son pouvoir d'aplanir. Le dey était peu disposé à acquiescer aux demandes qui lui étaient faites. Il ne voulait pas comprendre dans le nombre des esclaves que je réclamais ceux qui avaient été pris à Oran et qui, depuis plus de vingt années, étaient au pouvoir de la Régence. Il ajoutait qu'ayant été faits prisonniers en combattant sous le pavillon espagnol, ils ne devaient point participer à la même faveur, et que d'ailleurs il les avait déjà refusés à la France à plusieurs époques. Il ajoutait cependant que pour l'honneur du frère de l'Empereur il consentirait à m'accorder trente de ces esclaves.
Je répondis au dey, par l'organe de M. Dubois Thainville qui était venu à bord de la Pomone me rendre compte de ses dispositions, que mon intention n'était pas de remplir à demi la mission que m'avait confiée Sa Majesté; qu'il ne me suffisait pas de trente esclaves qu'il m'offrait, mais que je tenais à avoir tous les Français, Italiens et Liguriens qu'il avait en sa puissance, et que si, dans vingt-quatre heures, ma proposition n'était point agréée, je n'en aurais plus à lui faire et romprais toute négociation. Le lendemain matin j'eus une réponse favorable, et le soir je reçus à bord de la division deux cent trente et un esclaves que le dey me fit délivrer, contre l'usage du pays, après le coucher du soleil.
Je remis à la voile dans la même soirée, [20 août]. Le [25 août], étant à douze lieues dans le nord-est de Mahon, j'eus connaissance d'une frégate à neuf milles au vent à moi, le vent soufflant alors de la partie nord-nord-est grand frais; la mer était extrêmement grosse et m'obligeait à avoir tous les ris pris. Dans ces circonstances, je ne pouvais espérer de joindre ce bâtiment, qui tenait le vent à contre-bord.
[…]
Je continuai ma route, et après cinq jours de calme et de petit temps, je suis arrivé dans la rade de Gênes le [31 août], à six heures du matin. »



Les seuls canons des trois frégates de Jérôme n’avaient cependant pas suffit à soumettre le dey, près de 450 000 francs avaient également été versés. Cette rançon fut logiquement tue…



A Gênes, l'heure était à l’annonce du succès de la mission confiée à la division navale de Jérôme. Le jour même de l’arrivée de ce dernier, l’archi-trésorier Lebrun, mandaté à Gênes afin de régler la réunion de l’ancienne république ligurienne à l’Empire, écrivait cette lettre aux préfets et sous-préfets des départements de Gênes, Montenotte et des Apennins :
« Le frère de l’Empereur, commandant des forces navales, revient à Gènes, Messieurs, après avoir rempli avec le plus grand succès la mission la plus chère au cœur de Sa Majesté et la plus douce pour le sien.
Deux cent trente et un captifs sont délivrés des fers de l'esclavage et rentrent dans leurs foyers.
Cet événement doit être célébré dans les trois départements avec la reconnaissance que mérite un si grand bienfait.
Vous voudrez bien le faire connaître à tous les arrondissements et à toutes les communes de votre département et ordonner qu'il soit dans toutes l'objet de la réjouissance publique.
Vous saisirez cette occasion pour faire sentir à tous les citoyens les avantages d'une union qui les affranchit pour jamais de la crainte de l'esclavage.
Vous ferez sentir surtout aux marins tout ce qu'ils doivent à l'Empereur, et combien doit leur être cher désormais un pavillon qui doit être la sauvegarde de leur commerce, de leur honneur et de leur liberté. »

Il en lançait une seconde, cette fois aux évêques liguriens :
« L'intention de Sa Majesté est que cet événement soit célébré dans les trois départements avec les sentiments dont elle est pénétrée elle-même : elle le regarde comme un bienfait du ciel, qui a daigné le choisir pour être envers la Ligurie l'instrument de sa bonté.
Vous entrerez dans ses vues, Messieurs : en conséquence vous ferez chanter dans votre église cathédrale, et ensuite dans toutes les églises de votre diocèse, un Te Deum en action de grâce de cette faveur signalée.
Vous saisirez cette occasion pour faire sentir aux pasteurs et au peuple ce qu'ils doivent de reconnaissance à un souverain occupé tout entier de leurs intérêts et de leur bonheur. »

L’archevêque de Gênes, Joseph Spina, se fit trois jours plus tard le relais zélé de l’Archi-trésorier :
«Aux vénérables frères et fils bien-aimés en Jésus-Christ, les pasteurs et le peuple de la ville et du diocèse de Gènes,
Salut et bénédiction.
Nous vous annonçons, vénérables frères et fils bien-aimés en Jésus-Christ, un événement aussi heureux qu'inattendu. Une foule de nos concitoyens liguriens, de tout âge et de tout sexe, gémissant depuis longues années sous le poids des chaînes barbaresques, et sur les bords inhospitaliers de l'Afrique, par suite des cruautés que la nation musulmane se plaît à exercer contre ceux qui ont arboré l'étendard de la croix de Jésus-Christ, soupirait en vain après le moment où une main bienfaisante, brisant leurs fers, les rendrait enfin à leur patrie, à leurs proches, à leurs temples et à leurs sacrifices.
Tel est, nos fils bien-aimés, tel est notre très auguste Empereur, que sa clémence égale toujours sa valeur; et la grandeur de son âme est telle que, chargé par la Providence du soin de nos destinées, il s'occupe uniquement de notre bonheur, et que tournant ses regards sur cette portion malheureuse de ses sujets, il ne voulut confier qu'à son auguste frère l'exécution des mesures qui devaient les rendre à la liberté.
Réjouissons-nous, fils bien-aimés, de cet heureux événement, comme il convient à de bons chrétiens, à des sujets fidèles et reconnaissants. Ainsi le peuple hébreu, échappé par un prodige nouveau au glaive des Égyptiens, répétant le cantique de son chef choisi, Cantemus Domino, etc., fit retentir les rivages de la mer Rouge des accents de sa reconnaissance, ainsi que l'intrépide veuve du Manassès, après avoir tranché la tête du général des Assyriens incirconcis, et délivré la ville de Béthulie des maux affreux qui la menaçaient, entonna le cantique Landate Dominum Nostrum, que ses concitoyens répétèrent à l'envi pour célébrer les miséricordes du Seigneur.
Nous voyons le zèle de Moïse et la ferveur de Judith imités par le très religieux prince notre auguste Souverain, qui veille sans cesse pour notre félicité ; lui-même nous invite par sa lettre, dont les papiers publics ont déjà annoncé la teneur, à faire célébrer cet heureux événement par des cantiques de louange.
Empressons-nous donc, fils bien-aimés, à seconder cette religieuse invitation; courons en foule au temple, et que nos cœurs s'y répandent en cris d'allégresse. En rendant grâce au Seigneur de ce bienfait inespéré, célébrons aussi la miséricorde qui nous a rendus sujets d'un monarque à la fois puissant et généreux; répétons tous : Qu'il vive, qu'il vive toujours, notre auguste Empereur !
Et vous surtout, marins de la Ligurie, qui naguère ne pouviez mettre à la voile, de vos ports, sans ce cruel pressentiment que peut-être vous embrassiez pour la dernière fois une épouse chérie et des enfants en bas-âge, quels transports doivent vous animer maintenant que vous pouvez avec sûreté naviguer sur toutes les mers, certains de rapporter au sein de vos familles les fruits de votre industrie. Redoublez donc de courage ; que la fidélité due à votre Souverain, que votre reconnaissance pour ses bienfaits vous attachent à ses drapeaux, et vous accoutument à combattre, s'il le faut, à vaincre et à illustrer votre nom. Un jour viendra peut-être (et nous ne l'augurons pas en vain), que le jeune héros qui, par son pouvoir, a brisé les chaînes de vos concitoyens, s'élèvera comme un autre Bouillon, à une entreprise plus glorieuse, et que votre nom, ô Liguriens ! sera de nouveau gravé en caractères d'or sur cette tombe qui rendit si célèbre le nom de vos aïeux, et qui, retombée sous la tyrannie musulmane, peut à peine être approchée des dévots pèlerins.
Et vous, vénérables frères, destinés comme nous à nourrir du pain de la parole , et à encourager par votre exemple les peuples confiés à votre sollicitude et à la nôtre, ne cessez point de leur inspirer l'obéissance et la fidélité envers le Souverain : faites-leur connaître combien ils doivent déjà à sa bienfaisance; retracez-leur l'exemple des premiers fidèles dont parle Tertullien; faites qu'ils adressent continuellement leurs vœux au ciel, pour que Dieu daigne répandre la plénitude de ses bénédictions sur notre très-glorieux Empereur et Roi Napoléon, sur la très-pieuse Impératrice Joséphine et sur toute la Famille Impériale. Pressez-les de faire hommage à la suprême Majesté, au Roi de tous les rois, des faveurs qu'ils ont déjà reçues; secondez les intentions de notre très-auguste Monarque qui se fait gloire de nous montrer ses sentiments, exprimés si dignement dans cette loi du très-religieux empereur Théodose le Jeune : que chacun se tienne pour assuré de nous avoir rendu les devoirs de sujets dès qu'il a été adorateur du Dieu tout-puissant et imitateur de ses vertus et de ses perfections.
A ces causes, dimanche prochain, second dimanche de septembre, jour destiné à célébrer la Nativité de la Mère de Dieu, notre protectrice, dans les églises paroissiales et collégiales de nos villes et diocèse, après la messe solennelle , on chantera l'hymne de saint Ambroise, avec le Tantum ergo, et la bénédiction du Très-Saint-Sacrement. Nous accordons à tous ceux qui y assisteront, et qui prieront pour la prospérité de notre très-auguste Empereur et Roi, et de toute la Famille Impériale, cent jours d'indulgence, lesquels s'étendront à toutes les religieuses, aux personnes cloîtrées, et à tous ceux qui, dans la même intention, adresseront en ce jour à Dieu leurs ferventes prières.
La paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit toujours avec vous, vénérables frères et fils bien-aimés; à cette fin, nous vous donnons de tout notre cœur, notre bénédiction pastorale. »


Suite aux quelques jours de quarantaine imposés à la division navale, vinrent les réjouissances. La Gazette de Gênes s’en fit l’écho :
« Une si heureuse nouvelle répandit à l'instant la joie la plus vive dans toute la cité, et l'on ne peut exprimer la douce sensation qu'elle a produite dans toutes les classes d'habitants. Nous espérions bien, à la vérité, que, vu notre réunion à la France, les Liguriens détenus chez les Barbaresques seraient un jour rendus à la liberté par la puissante médiation de S. M. l'Empereur et Roi; mais il était impossible de supposer une si prompte et une si heureuse réussite dans une opération qui, en elle-même, n'était pas sans difficulté.
[…]
La fête a été annoncée le matin par des décharges d'artillerie de tous les forts. On fit passer les captifs délivrés sur deux pontons élégamment ornés. La gondole de M. le commandant suivait au milieu, accompagnée des gondoles des capitaines et officiers de la division. Les bâtiments de guerre et marchands, et un nombre extraordinaire de batelets chargés de spectateurs étaient disposés sur deux lignes sur leur passage. Lorsque le cortège s'est mis en mouvement pour s'approcher du pont National, tous les bâtiments le saluèrent de vingt et un coups de canon. Tous les bâtiments étaient depuis le matin pavoisés et avaient toutes leurs bannières déployées.
Une heure auparavant, les officiers généraux et supérieurs et toutes les autorités civiles et militaires s'étaient rendues au palais de S. A. S., qui, avec une suite très nombreuse, s'est mise en marche pour rencontrer sur le pont National, M. le commandant Jérôme Bonaparte, et se rendre avec lui à la cathédrale Saint-Laurent. On ne peut imaginer rien de plus touchant que ce spectacle. Les parents des captifs délivrés étaient accourus de tous les points de la Ligurie pour avoir le bonheur de les revoir. Partout on voyait couler des larmes d'attendrissement, et l'on n'entendait que les expressions du sentiment et de la reconnaissance. Les captifs parvenus au temple, se sont prosternés et en ont baisé le seuil. Ce spectacle a redoublé l'attendrissement des spectateurs.
Après la cérémonie religieuse, les captifs furent reconduits à la mer, où ils furent réunis à un banquet à bord du vaisseau le Génois.
Le même jour, en exécution des ordres bienfaisants de S. M. l'Empereur, on délivra de la Malapaga treize individus qui étaient détenus pour dettes ne s'élevant pas au-dessus de 300 livres, et des galères quarante-trois autres individus qui n'étaient coupables que de simple désertion.
S. A. S. Mgr l'archi-trésorier a donné ensuite un repas splendide de cent couverts, et le soir une fête et un bal brillants; la façade extérieure de son palais était illuminée de feux de différentes couleurs, au milieu desquels brillait le chiffre de S. M. l'Empereur et Roi. »

Le Journal de l’Empire du 21 septembre commenta les festivités en ces termes :
« Si on excepte les triomphée de l'ancienne Ligurie, aucune des fêtes qui ont eu lieu depuis plusieurs siècles ne peuvent se comparer à celle-ci, tant pour l'importance que pour la nouveauté de l'objet. »


On ne pouvait mieux entamer la réunion de l’ancienne république ligurienne à l’Empire…
Le 8 octobre suivant, un senatus-consulte consacra finalement le rattachement de Gênes à la France.



Par l’opération d’Alger, Napoléon faisait d’une pierre deux coups. Ainsi, en plus de montrer concrètement quels bénéfices Gênes pouvait tirer de sa réunion à l’Empire, l’expédition permettait à Jérôme de rentrer en grâce après ses péripéties américaines.

Le 11 septembre, Decrès lui écrivait en effet cette lettre élogieuse :
« M. le Commandant, la plus brillante réussite vient de couronner la mission que S. M. l'Empereur vous avait confiée. Vous portant rapidement de Toulon sur Alger, l'arrivée inattendue de votre division ainsi que la fermeté de vos demandes ont affermi la considération de la Régence pour le pavillon de S. M. Vous avez brisé les fers d'un grand nombre de Liguriens qui, depuis longtemps, souffraient les horreurs de la captivité, et votre retour à Gênes a été marqué par les bénédictions des nouveaux Français.
Personne ne pouvait, et à plus de titres que moi, prendre plus de part à des succès aussi flatteurs pour vous, et je m'empresse de joindre mes sincères félicitations à celles qui vous ont été déjà offertes.
Toute l'Europe a les yeux sur vous, et particulièrement la France et la marine de S. M. Vous devez à celle-ci de lui donner l'exemple de l'activité et du dévouement à votre métier. Vous le concevez comme moi-même, et ce sera pour moi un devoir agréable à remplir que de faire remarquer à l'Empereur le développement de ces qualités dans toutes les opérations dont vous chargera sa confiance. »


Le 1er novembre, Jérôme (« cet enfant prodigue », pour reprendre une expression de Napoléon alors que son frère venait tout juste de revenir en Europe) était promu capitaine de vaisseau, avec pour mission d’intégrer l’escadre du contre-amiral Willaumez (7 vaisseaux et 2 frégates) chargée d’une longue opération évaluée à quatorze mois dans l’Atlantique, du Cap à Terre Neuve en passant par les Antilles et Sainte-Hélène.



Les problèmes avec Alger ne disparurent cependant pas pour les Génois.
Ainsi, le 17 octobre 1807, Champagny écrivait à Dubois-Thainville :
« Sa Majesté a vu, Monsieur, avec surprise et mécontentement que le Dey d'Alger continue de s'emparer des bâtiments de Gênes, et de retenir des Génois prisonniers après avoir reconnu comme il l'a fait, que ce pays est réuni à l'Empire Français. Si le Dey persiste dans cette disposition, Sa Majesté vous ordonne de quitter Alger ; la France déclarera la guerre à cette Régence.
J'espère encore, Monsieur, que vos représentations pourront amener ce Gouvernement à éviter une rupture; mais si vos conseils sont sans effet, je vous prie de chercher, avant votre départ, de mettre à couvert les personnes, et garantir les propriétés des Français. »

On marchait droit vers une nouvelle crise ; celle de 1808…

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 04 Août 2014 3:10 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
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http://academiccommons.columbia.edu/dow ... 13.JMH.pdf
Une recension, en anglais je suis désolé, du livre de Gillian Weiss - Captives and Corsairs: France and Slavery in the Early Modern Mediterranean - Captifs et corsaires : la France et l'esclavage dans la première méditerranée moderne , qui traite sur la longue durée des relations entre la France les esclaves en terre barbaresque du XVème au XIXème siècle.

Le livre est traduit en français et la campagne de promotion a donné lieu à deux articles en accès restreint sur Médiapart et au Monde. Les anglophones ne perdront rien à se concentrer sur la recension anglophone parue dans une revue universitaire.

Un autre article anglophone plus complet et antérieur de quatre ans à la parution du livre mais qui en donne déjà la thèse centrale :
http://www.eastasia.ntu.edu.tw/chinese/ ... /49-68.pdf

Durant des centaines d'années les corsaires Barbaresques (compris ici comme allant du Maroc à la Lybie). Entre le milieu du XVIIème siècle et le début du XIXème siècle la France mena ce qu'on peut appeler deux croisades (crusade terme employé par l'auteure) contre la captivité en Afrique du Nord : la première pour racheter les français catholiques, et une deuxième pour libérer les autres captifs européens.

La passage d'une quête religieuse à une quête sécularisée permit de justifier l'invasion de ce qui deviendra l'Algérie. Les efforts pour contrer puis éradiquer l'esclavage barbaresque aida à définir tant les attributs du pouvoir en France (passage des congrégations à l'état pour racheter les captifs par exemple, rapprochement des provinces maritimes avec la capitale...) que de démarquer les frontières de l'Europe.

Sous la révolution, nonobstant le faible nombre de prisonniers restant, la France révolutionnaire s'intéresse à nouveau aux captifs mais non plus seulement français mais aussi ceux des républiques sœurs ... les autres européens. Pour la période napoléonienne il est fait référence aux échanges mentionnées plus hauts.

L'auteure souligne aussi le rôle du soutien aux combats pour l'indépendance des grecs contre l'empire Ottoman dans le contexte du philhellénisme. Elle insiste aussi sur le fait que les colonisations anglaises et françaises de l'Afrique plongent leurs racines dans la rhétorique anti-esclavagiste.

_________________
« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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 Sujet du message : Re: Expéditions d'Alger
Message Publié : 04 Août 2014 8:56 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
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Drouet Cyril a écrit :
Geopolis a écrit :
Saladin a écrit :
Une affaire honnête ? La colonisation ?


Qu'entendez-vous par là ?

Pas de colonisation ici, il s'agit de réprimer un acte de guerre (piraterie).


En effet, pas de démarche coloniale clairement établie en 1802. Même si une phase terrestre (possible marche pied à une éventuelle colonisation ?) fut à l'époque évoquée dans le cadre des menaces, on était encore loin sur le terrain de la seule constitution d'un corps expéditionnaire dans le dessein d'une opération purement militaire. On peut également noter que dans les demandes d'informations auprès de Jeanbon Saint André, la possibilité d'une démarche coloniale de fut pas abordée.

Toutefois, quand la crise se ralluma entre Paris et Alger en 1808, les choses évoluèrent quelque peu sur ce point...




Même s’il faut lire avec prudence les multiples plans évoqués ou ébauchés à partir de 1808, Napoléon parlait là de corps expéditionnaires de 20 à 40 000 hommes. Une telle force de conquête, dans le contexte mouvant de l’éventuel partage de l’Empire Ottoman, peut bien apparaître comme un premier pas vers une possible colonisation, dans la lignée de la campagne d’Egypte.

On peut également se référer au rapport de Boutin (remis en novembre 1808), où ce dernier écrit que sa reconnaissance fut réalisée « pour servir au projet de descente » mais aussi à celui « d’établissement définitif ». A ce sujet, Boutin rédigea ces réflexions :
« On ne peut guère s'en tenir à Alger et à la banlieue, quoique les environs, jusqu'à la plaine de la Mitidjah exclusivement, pussent suffire à la nourriture de la ville et de l‘armée. On aurait sans cesse à craindre les incursions des beys, les obstacles qu'ils pourraient mettre aux approvisionnements, etc.; il faudrait donc, dès qu'on serait maître d'Alger, songer à s'emparer de Constantine, Tittery, Oran, et surtout du premier point. Il resterait pour cela 20 à 25 000 hommes au plus, ce qui ne serait pas sûrement trop, si l'on considère les distances, le disséminement et tout ce qui peut arriver d'imprévu.
[…]
Une fois maître d'Alger, on ne pourra être trop attentif à établir une police sévère, mais juste, envers les habitants. D'un autre côté, respecter les mosquées, les femmes, les jardins en maisons de campagne, et surtout payer exactement, sont des articles de rigueur. La violation d'un seul pourrait entraîner de grands malheurs.
Quant à l'intérieur du pays, dans la direction du sud, il faut songer à y pénétrer bien plus par la persuasion que par la force des armes; c'est surtout l'affaire du temps, et nous ne devons espérer ce résultat qu'en nous faisant aimer sur le littoral. Il faut que les gens qui viendront aux marchés et dans les ports soient, pour ainsi dire, nos précurseurs et nos avocats dans leurs tribus. En brusquant, en violentant, nous travaillerons contre nous-mêmes. Toutes les fois que la Régence envoie des troupes dans ces contrées pour faire razia ou rafle, ou pour tout autre objet qui contrarie les habitants, ceux-ci cachent leur grain, plient tentes et bagages, et se retirent sur des montagnes inaccessibles, où ils cultivent sur des terres rapportées, s'il le faut, tout juste le nécessaire pour leur subsistance. C'est une chose très remarquable que, depuis neuf ans, les troubles occasionnés par les vexations du dey, des beys, etc., ont porté un si grand nombre de cultivateurs dans les montagnes, que ce pays, qui auparavant exportait une quantité immense de grains, n'en récolte presque plus que pour sa propre consommation. »

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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