Jefferson a écrit :
gogol a écrit :
Les causes des guerres de la révolution et de l'empire se trouvent dans la peur de la contagion de la révolution francaise de 1789 éprouvée par les souverains europeens.
En un mot : non.
Comme le dit justement Lentz "Ramener le phénomène des guerres napoléoniennes à un combat entre des idéologies apparaît insuffisant". S'il ne faut pas sombrer dans la caricature, il ne faut pas en effet pour autant balayer complètement cette facette du problème qui se présente comme un élément de compréhension, parmi d'autres, des guerres révolutionnaires puis de l'Empire.
Des décrets comme ceux des 19 novembre et des 15-17 décembre 1792 avaient quand même de quoi effayer bien des monarchies :
« La Convention nationale déclare, au nom de la nation française, qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté, et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples, et défendre les citoyens qui auraient été vexés, ou qui pourraient l'être pour la cause de la liberté.
La Convention nationale décrète que le pouvoir exécutif donnera ordre aux généraux de la République française de faire imprimer et proclamer le décret préçédent, en diverses langues, dans toutes les contrées qu'ils parcourront avec les armées de la République. »
« Art. 1er. Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la République , les généraux proclameront surle-champ, au nom de la nation française, la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités établies, des impôts ou contributions existants, l'abolition de la dime, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des priviléges de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse, et généralement de tous les priviléges.
[...]
11. La nation française déclare qu'elle traitera comme ennemi le peuple qui, refusant la liberté et l'égalité, ou y renonçant, voudrait conserver, rappeler ou traiter avec le prince et les castes privilégiées ; elle promet et s'engage de ne souscrire aucun traité, et de ne poser les armes qu'après l'affermissement de la souveraineté et de l'indépendance du peuple sur le territoire duquel les troupes de la République sont entrées, qui aura adopté les principes de l'égalité, et établi un gouvernement libre et populaire.
12. Le conseil exécutif enverra le présent décret par des courriers extraordinaires à tous les généraux , et prendra les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution.
Le peuple français au peuple...
Frères et amis , nous avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons. Nous offrons de vous faire jouir de ce bien inestimable qui nous a toujours appartenu, et que nos oppresseurs n'ont pu vous ravir sans crime.
Nous avons chassé vos tyrans: montrez-vous hommes libres, et nous vous garantirons de leur vengeance, de leurs projets et de leur retour.
Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires qui vous ont gouvernés jusqu'à ce jour, et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu'ils existent; l'abolition de la dime, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels,
des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des priviléges de chasse et de pêche, des corvées, de la gabelle, des péages, des octrois, et généralement de toute espèce de contributions dont vous avez été chargés par vos usurpateurs ; elle proclame aussi l'abolition parmi vous de toute corporation nobilière, sacerdotale et autres, de toutes les prérogatives et priviléges contraires à l'égalité. Vous êtes, dès ce moment, frères et amis, tous citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et défendre votre patrie.
Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes, hâtezvous d'établir vos administrations et justices provisoires[...]. Les agents de la République française se concerteront avec vous, pour assurer votre bonheur et la fraternité qui doit exister désormais entre nous. »
En Angleterre, au début de l'année 1800, quand la question de la paix fut évoquée avec la France Consulaire, ces décrets furent logiquement rappelés.
On peut à ce sujet évoquer le discours tenu par Pitt, le 3 février, et dont voici quelques extraits :
« Je regarde bien certainement la révolution française comme l'épreuve la plus cruelle que la Providence ait jamais infligée à aucun peuple sur la terre; [...] j'aime à reconnaître [que l'Angleterre] a opposé une barrière impénétrable aux progrès de ces principes odieux, et est peut-être destiné à devenir l'instrument qui doit délivrer le monde entier des misères et des crimes qui le menacent.
[...]
[Le décret du 15 décembre 1792] est une véritable déclaration de guerre à tous les Gouvernements civilisés.
[...]
L'esprit inquiet et jaloux de la révolution française recherche dans tous les coins de l'Europe, et dans le Monde entier, ce qui peut être pour elle un objet de pillage et d'usurpation; rien n'est à dédaigner pour son ambition, rien ne doit être négligé par sa rapacité.
[...]
Ne reconnaît-on pas le système que j'ai dénoncé , un agrandissement perpétuel du pouvoir, et l'esprit d'insurrection dirigé contre les institutions civiles et religieuses de tous les pays ! enfin, l'esprit révolutionnaire ?
Cet esprit ne fera qu'augmenter jusqu'à l'instant où arrivera sa destruction totale. Fort de sa propre force, confiant dans l'exécution des moyens qu'il emploie, il ne s'abat pas dans les revers, et reste toujours croissant dans tous les périodes. Il a été le même sous Brissot comme sous Robespierre, sous Tallien comme sous Rewbell et Barras, mais jamais sous aucun de ces directeurs comme sous Bonaparte, en qui, maintenant, tous les pouvoirs sont réunis.
Et que l'on ne dise pas ici que c'est l'effet du hasard et des circonstances. Non, c'est l'alliance au contraire des plus horribles principes aux plus horribles moyens, jetés par la malédiction sur l'Europe entière. Jamais nous ne devons perdre de vue cette pensée; et comme je l'ai dit déjà dans cette Chambre, la France doit un jour demander pardon à Dieu et aux hommes d'avoir créé le moyen, sans exemple avant, de détruire tous les gouvernements de l'Europe.
Son premier principe a été d'armer le pauvre contre le riche, en lui donnant l'appât des propriétés, et lui offrant un faux système d'égalité; de renverser toutes les richesses du pays pour en faire le but d'un pillage sur lequel a été fondé un nouveau plan de finances: cela a été accompagné d'un esprit de prosélytisme qui s'est répandu sur toutes les nations de la terre, lequel, en s'appliquant à toutes les circonstances et à toutes les situations, promet aux nations injuriées le redresèment de leurs torts et une juste égalité de droits. C'est avec ces promesses que les fondateurs de cette liberté révolutionnaire se sont présentés à ceux qui vivent sous le code féodal de l'empire germanique, aux divers Etatsd'Italie, à l'ancienne république de Hollande, comme à la nouvelle de l'Amérique; aux catholiques d'Irlande qu'ils ont flatté de les délivrer de l'usurpation protestante; aux protestants de la Suisse à qui ils ont promis de les retirer du joug de Rome; enfin, jusqu'aux Musulmans d'Egypte qu'ils se sont engagés de délivrer des persécutions chrétiennes.
Ils ont osé même se présenter aux habitanst de la Grande-Bretagne, et prêcher contre la perfection de la liberté dont ceux-ci jouissent, et qui les rend, à de si justes titres, attachés à leur constitution, par habitude, par raison, et par expérience.
Rien ne peut excuser ces principes, et c'est cependant ainsi que la révolution française s'est avancée dans l'Europe, armée de terreur et de discorde. Toutes les nations en ont été les unes témoins, les autres victimes, et c'est à ce point, qu'on semble encore mettre en question, que l'on s'arrête pour demander si nous composerons avec un tel danger, tandis que nous avons encore le moyen d'y résister en continuant la guerre, tandis que l'esprit national n'est pas encore abattu, et tandis que nous pouvons encore obtenir pour cette cause une coopération en Europe.
J'aurais pu, Monsieur, rendre l'horrible tableau que j'ai esquissé mille fois plus effrayant, en faisant connaître encore plus la vérité, mais il doit suffire, ce me semble, pour déterminer à ne pas accepter une sécurité précaire; contre un danger si imminent.
[...]
L'on m'a demandé dans cette séance: croyez-vous pouvoir imposer à la France l'obligation de rétablir la monarchie contre le vœu de la nation ?
Jamais je n'y ai pensé ; jamais je ne l'ai espéré : j'ai pensé, j'ai désiré, j'ai espéré que le temps pourrait, avec le secours des armées alliées, contenir les forces françaises dans leurs limites, et donner occasion aux habitans de la France de réfléchir à ce qui est de leur plus grand intérêt.Déjà nous connaissons la disposition d'une grande partie de ce peuple; depuis le commencement de la révolution, les provincesde l'Ouest, dévastées, ravagées, ont néanmoins montré obstinément leur désir de conserver leurs lois, leur religion. Il existe des preuves de zèle à cet égard, pour la même cause. Si donc nous ne pouvons pas douter de leur persévérance dans ces principes; si tout nous porte à croire que d'autres provinces partagent ces désirs; si chacun des partis paraît fatigué de tant de changement opérés depuis la révolution; si la question n'est plus entre la monarchie et ce qu'on nomme la liberté, mais entre les princes héréditaires et un tyran militaire, un usurpateur étranger; si enfin l'armée de cet usurpateur se trouve forcée de laisser prononcer le vœu des habitanst, quelle raison aurions-nous de dire que le rétablissement de la monarchie est impossible ?
[...]
Quant à la question de savoir si l'ancienne monarchie peut être rétablie en France, je crois convenable d'y répondre en peu de mots. Peut-on mettre en question s'il ne serait pas important pour nous aussi bien que pour le reste de l'Europe, que le trône de France fût occupé par un Bourbon, au lieu de l'usurpateur dont j'ai développé la conduite et les principes ? Pouvons-nous regarder comme une chose heureuse la loterie révolutionnaire qui s'établit d'une manière fixe ? et n'est-ce donc rien que de voir un système se fonder, qui va sanctionner le transfert des propriétés des anciens propriétaires aux nouveaux, et qui donnera l'exemple le plus terrible de l'injustice et de la force révolutionnaires, établies contré toutes les puissances de l'Europe ?
Dans l'état de misère où est la France, elle ne peut, à moins d'employer encore le système de pillage révolutionnaire, subvenir aux besoins d'un état de paix. Supposons que l'héritier de la maison de Bourbon soit réinstallé sur le trône, il aura assez d'occupation s'il s'occupe uniquement à guérir les plaies et à réparer les pertes de tout genre, occasionnées par une convulsion révolutionnaire de dix années, à ranimer l'industrie et le commerce, et à faire revivre les manufactures.
Dans cette supposition, il se passerait un temps considérable avant qu'un tel monarque, quel qu'il fût, pût devenir dangereux à l'Europe, tandis que le système de la révolution continuant, il en est tout autrement. Les moyens gigantesques employés, l'influence de ses principes, la terreur de ses armes, tout est tellement fatigué, il est vrai, que mis en comparaison avec toutes les forces de l'Europe dans une guerre vigoureuse, nous pouvons raisonnablement espérer ne pas rencontrer une forte résistance. Mais supposons la paix faite, la coalition de l'Europe dissoute, nos flottes désarmées et nos armées licenciées, pouvons-nous penser que les moyens extraordinaires que le système de la révolution laisse à la France, ne seront pas toujours aux ordres du despotisme militaire ? que ce pouvoir ne peut pas de nouveau faire trembler l'Europe ? Pouvons-nous oublier qu'en dix annéés ce pouvoir a fait plus de mal que toutes les guerres que nous présente notre histoire depuis l'établissement de la monarchie en France, et même en y comprenant tous les reproches que nous pourrions y trouver à la conduite de cet ancien Gouvernement, sous certains souverains ?
Et avec des considérations aussi majeures, nous pourrions encore hésiter à décider si le rétablissement de l'ancienne monarchie ne nous offre pas plus d'espérance de paix et de stabilité que la continuation de ce pouvoir révolutionnaire sous Bonaparte.
Pour moi, je ne vois en ce moment aucune preuve de sécurité en traitant avec le pouvoir placé dans telles mains: je ne voisaucun moyen d'établir une paix solide et durable, aucune chance pour nous de suspendre nos dépenses ou nos moyens de faire la guerre, aucun espoir, enfin, de rétablir la tranquillité; et comme un des hommes qui désire le plus la paix, je cherche quelque chose qui soit plus réel que le nom. Je désire la paix telle qu'elle puisse procurer le repos et le bonheur à notre pays et à l'Europe entière. Comme ami véritable de la paix, il me faut plus que son ombre. »