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 Sujet du message : Talleyrand et la prusse en 1815
Message Publié : 19 Juin 2015 12:19 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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bourbilly21 a écrit :
grognard1 a écrit :
Pardon, mais le pire était l'œuvre du plus génial diplomate de tous les temps (selon certains,) Talleyrand... il installe la Prusse sur la frontière du Rhin...

Rappelons tout de même que c'était une exigence non négociable de l'Angleterre; les conséquences en ont été dramatiques pour l'histoire de l'Europe.



A ce propos, voici ce qu'en a dit Thiers au printemps 1857 à Lacombe (notes publiées dans le Correspondant, t.289, 1922) :

« Je me demande si M. de Talleyrand, en n'appuyant pas la politique de la Russie et de la Prusse, n'a pas été plus perspicace et plus sage.
La grande idée de la politique française avait toujours été d'empêcher l'unité de l'Allemagne. Malgré quelques erreurs, quelle admirable habileté à cet égard ont déployée nos rois, Henri II, Henri IV, Louis XIII avec Richelieu, Louis XIV, même Louis XVI C'est cette idée qui a évidemment dominé la conduite de M. de Talleyrand à Vienne. Frédéric le grand, par le génie des armes et de la diplomatie, avait réussi à constituer en Allemagne une puissance, le royaume de Prusse, qui dépassait toutes les autres. Mais cette puissance, faite de pièces et de morceaux mal assemblés, trop longue et par endroits trop étroite, « Etat de lisières », comme disait Voltaire, avec ses frontières pleines d'échancrures, ses possessions lointaines et en l'air, n'avait pas de cohésion ni de solidité, elle était vulnérable sur une foule de points.
Avec la Saxe, elle acquérait la force qui lui manquait. Non seulement elle arrondissait son territoire, mais, à la place de Polonais, dont elle n'avait jamais su dompter le capricieux caractère slave, elle obtenait de bonnes têtes germaniques, toutes prêtes à se laisser façonner à la prussienne.
Voilà ce que M. de Talleyrand a vu, voilà ce dont il n'a pas voulu. La Prusse, maîtresse de la Saxe, devenait maîtresse de l'Allemagne. Elle n'avait plus qu'à tendre les bras pour y recevoir toute la Germanie se groupant par elle et autour d'elle. Sans doute, laisser prendre pied à la Prusse sur la rive gauche du Rhin était fâcheux c'était rapprocher de la France son ambition et sa turbulence. Mais c'était moins fâcheux, somme toute, que de laisser détruire l'équilibre germanique et de préparer l'unité allemande.
Nourri des principes de notre politique, M. de Talleyrand pensa au péril que serait pour la France une Allemagne ayant la Prusse à sa tête, une Prusse dont ses souverains, électeurs ou rois, avaient fait une caserne, où tout revêtait une forme militaire, et qui deviendrait pour les masses germaniques une école de guerre. Il se rappela que les plus redoutables généraux contre lesquels avait eu à lutter Napoléon étaient prussiens, Blucher, Bulow et d'autres. Car ce ne sont pas des généraux de cour et de salon comme à Vienne, s'échappant d'un bal pour courir à une revue, qu'on forme à Berlin, ce sont des généraux de métier, appliqués et travailleurs, étudiant la stratégie, s'exerçant à la manoeuvre, imposant la discipline, et pour qui la guerre n'est pas une parade, mais un art et une science.
Laisser la Prusse s'emparer de la Saxe, c'était, en conduisant à l'unité allemande, fournir de millions de soldats ces généraux-là, les généraux du roi de Prusse. Puisqu'il fallait choisir entre deux maux, que la Prusse prît la Saxe ou qu'elle eût une colonie sur la rive gauche du Rhin, M. de Talleyrand choisit le moindre. Sur la rive gauche du Rhin, où les populations étaient catholiques et imprégnées par notre civilisation, elle serait moins à craindre. Lui connaissait l'histoire, que d'autres ignorent. Lorsque Frédéric II, dédaignant comme trop lointains les duchés de Juliers et de Berg qu'on lui offrait, avait arraché à Marie-Thérèse la Silésie, afin de donner à son royaume l'ampleur qui lui faisait défaut, un élargissement de sa base, nous l'avions permis, et cette faute nous avait coûté cher. Mais la Silésie polonaise n'était même pas, entre des mains prussiennes, ce que pouvait y devenir la Saxe allemande. M. de Talleyrand ne voulut pas qu'avec la complicité de la France se poursuivît l'oeuvre de Frédéric II. Sa clairvoyance, que les traditions et les souvenirs du passé rendaient plus nette, comprit que l'erreur commise au dix-huitième siècle, il ne fallait pas la renouveler, et avec des conséquences cent fois pires. »

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Message Publié : 20 Juin 2015 19:21 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Rétrospectivement, un contre-sens absolu : 2 morceaux séparés du royaume de Prusse, cela incitait à les réunir.


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Message Publié : 21 Juin 2015 22:07 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 16 Jan 2010 19:18
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Oui,mais l'Autriche tenait-elle beaucoup à voir s'installer une Prusse dangereuse à sa frontière avec la Saxe ? Dans ce cas un arrangement de bonnes grâces avec Metternich ? laissant libre possibilité à une alliance France-Autriche ultérieurement ?


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Message Publié : 21 Juin 2015 22:13 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Je croyais que l'engagement de Talleyrand en faveur de la Saxe avait une toute autre raison : faire sa cour à Louis XVIII dont la mère était une princesse saxonne.

Il est vrai que sur le plan géopolitique, la. Saxe pouvait être un pion utile pour la France soit contre la Prusse soit contre l'Autriche.

Et comme le dit Sir Peter, il y avait sans doute là aussi matière à un utile rapprochement avec l'Autriche - ce qui était l'axe de la diplomatie de Talleyrand depuis toujours.


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Message Publié : 22 Juin 2015 0:03 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 16 Jan 2010 19:18
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Si cour à Louis XVIII il y eut ,elle fut mal récompensée, 3 mois après le congrès,Talleyrand dut s'en aller......


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Message Publié : 22 Juin 2015 7:24 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 27 Août 2012 15:49
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Finalement les 2 points de vues se tiennent, avons nous des remarques de Talleyrand à ce sujet ?


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Message Publié : 23 Juin 2015 20:03 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
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Le bonapartiste a écrit :
Finalement les 2 points de vues se tiennent, avons nous des remarques de Talleyrand à ce sujet ?


Quelques mots tirés de la correspondance de Talleyrand :

Talleyrand (évoquant une entrevue avec Metternich) à Louis XVIII, le 9 octobre 1814 :
« Je vais vous dire franchement à quoi je peux consentir et à quoi je ne consentirai jamais. Je sens que le roi de Saxe, dans sa position présente, peut être obligé à des sacrifices. Je suppose qu'il sera disposé à les faire, parce qu'il est sage : mais si on veut le dépouiller de tous ses états, et donner le royaume de Saxe à la Prusse, je n'y consentirai jamais. Je ne consentirai jamais à ce que Luxembourg ni Mayence soient non plus donnés à la Prusse. Je ne consentirai pas davantage à ce que la Russie passe la Vistule, ait en Europe quarante-quatre millions de sujets et ses frontières à l'Oder. Mais si Luxembourg est donné à la Hollande, Mayence à la Bavière ; si le roi et le royaume de Saxe sont conservés, et si la Russie ne passe pas la Vistule, je n'aurai point d'objection à faire pour cette partie de l'Europe.»
M. de Metternich m'a pris alors la main en me disant: «Nous sommes beaucoup moins éloignés que vous ne pensez. Je vous promets que la Prusse n'aura ni Luxembourg ni Mayence. Nous ne désirons pas plus que vous que la Russie s'agrandisse outre mesure, et, quant à la Saxe, nous ferons ce qui sera en nous pour en conserver du moins une partie.»


Talleyrand à Louis XVIII, le 19 octobre 1814 :
« La disposition qui donnerait [la Saxe] à la Prusse serait regardée en Autriche, même par les hommes du cabinet, comme un malheur pour la monarchie autrichienne, et en Allemagne comme une calamité. On l'y regarderait comme destinant infailliblement l'Allemagne même à être partagée plus tôt ou plus tard, comme l'a été la Pologne. »

Talleyrand à Louis XVIII, le 20 décembre 1814 :
« Il est évident que l’Allemagne, après avoir perdu son équilibre propre, ne pourrait plus servir à l’équilibre général, et que son équilibre serait détruit si la Saxe était sacrifiée. »

Talleyrand à Louis XVIII, le 8 février 1815 :
« La Saxe sera réduite à moins de quinze cent mille âmes. Mais, outre cette population, il faut compter encore celles des duchés de Saxe et des états de Schwarzbourg et de Reuss, enclavés dans le royaume, et qui, si celui-ci eût appartenu à la Prusse, se seraient trouvés lui appartenir de fait. En ne consentant point à ce que le royaume de Saxe fût réduit à moins de quinze cent mille âmes, il aurait fallu protester. En protestant, on aurait compromis le principe de la légitimité, qu'il était si important de sauver, et que nous n'avons sauvé, pour ainsi dire, que par miracle. On aurait de fait donné à la Prusse deux millions de sujets, qu'elle ne pourrait acquérir sans danger pour la Bohême et pour la Bavière; on aurait prolongé, peut-être indéfiniment, la captivité du roi qui va se trouver libre.
[…]
La Saxe, quoique nous n'ayons pas obtenu pour elle tout ce que nous voulions, reste puissance du troisième ordre. Si c'est un mal qu'elle n'ait pas quelques centaines de mille âmes de plus, ce mal est comparativement léger et peut n'être pas sans remède, au lieu que, si la Saxe eût été sacrifiée en présence de l'Europe qui n'aurait pas voulu ou n'aurait pas pu la sauver, le mal aurait été extrême et de la plus dangereuse conséquence. Ce qui importait avant tout était donc de la sauver, et Votre Majesté seule a la gloire de l'avoir fait.
[…]
[Les Prussiens] n'auront ni Luxembourg ni Mayence. Les instructions de Votre Majesté nous prescrivaient de faire en sorte qu'ils n'eussent pas la seconde de ces deux places ; ils n'auront pas non plus l'autre. »

Talleyrand à Louis XVIII, le 15 février 1815 :
« Le duché de Luxembourg avec le pays de Limbourg et quelques territoires adjacents sont donnés au prince d'Orange comme indemnité de ses anciens pays héréditaires qu'il a cédé à la Prusse, et celle-ci ne touche notre frontière sur aucun point, ce qui semblait à Votre Majesté très important. Le duché de Luxembourg reste d'ailleurs pays allemand, et la place de Luxembourg sera une place fédérale. »


A ce sujet on peut citer ce passage des instructions de Louis XVIII (août 1814) :
« Si tous les petits Etats doivent être conservés, à plus forte raison le royaume de Saxe. Le roi de Saxe a gouverné pendant quarante ans en père, donnant l’exemple des vertus de l’homme et du prince. Assailli pour la première fois par la tempête, à un âge avancé qui devait être celui du repos, et relevé incontinent par la main qui l’avait abattu, et qui en avait écrasé tant d’autres, s’il a eu des torts, ils doivent être imputés à une crainte légitime, ou à un sentiment toujours honorable pour celui qui l’éprouve, quel qu’en soit l’objet. Ceux qui lui en reprochent en ont eu de bien réels et d’incomparablement plus grands, sans avoir les mêmes excuses. Ce qui lui a été donné l’a été sans qu’il l’eût demandé, sans qu’il l’eût désiré, sans même qu’il le sût. Il a supporté la prospérité avec modération, et maintenant il supporte le malheur avec dignité. A ces motifs, qui suffiraient seuls pour porter le roi à ne le point abandonner, se joignent les liens de parenté qui les unissent et la nécessité d’empêcher que la Saxe ne tombe en partage à la Prusse, qui ferait par une telle acquisition, un pas immense et décisif vers la domination absolue en Allemagne.
Cette nécessité est telle que, si, dans une hypothèse dont il sera parlé ci-après, le roi de Saxe se trouvait appelé à la possession d’un autre royaume, il faudrait que celui de Saxe ne cessât point d’exister, et fût donné à la branche ducale, ce qui devrait convenir particulièrement à l’empereur de Russie, puisque son beau-frère, le prince héréditaire de Weimar, s’en trouverait alors le présomptif héritier.
Les ambassadeurs du roi défendront, en conséquence, de tous leurs moyens la cause du roi de Saxe, et, dans tous les cas, feront tout ce qui est en eux pour que la Saxe ne devienne point une province prussienne.
De même qu’il faut que la Prusse ne puisse acquérir la Saxe, de même il faut empêcher qu’elle n’acquière Mayence, ni même aucune portion quelconque du territoire à la gauche de la Moselle ; aider la Hollande à porter, aussi loin qu’il sera possible de la rive droite de la Meuse, la frontière qu’elle doit avoir sur cette rive ; seconder les demandes d’accroissement que feront la Bavière, la Hesse, le Brunswick et particulièrement le Hanovre (bien entendu que ces demandes ne porteront que sur des objets vacants), afin de rendre d’autant plus petite la partie des pays disponibles qui restera pour la Prusse. »

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