J'ai retranscrit plus haut un extrait de la lettre de Napoléon où il aborde après de Louis la question de la clémence. Dans la même missive, l'Empereur évoque également le droit de grâce : « Le droit de grâce est un des plus beaux et des plus nobles attributs de la souveraineté. Pour ne pas le discréditer, il ne faut l'exercer que dans le cas où la clémence royale ne peut déconsidérer l'œuvre de la justice, que dans le cas où la clémence royale doit laisser après les actes qui émanent d'elle l'idée de sentiments généreux. [...] Ne croyez pas que le droit de faire grâce puisse être exercé impunément, et que la société applaudisse toujours à l'usage qu'en peut faire le monarque : elle le blâme lorsqu'il l'applique à des scélérats, à des meurtriers, parce que ce droit devient nuisible à la famille sociale. Vous avez trop souvent et en trop de circonstances usé du droit de grâce. La bonté de votre cœur ne doit point être écoutée lorsqu'elle peut nuire à vos peuples. »
A propos de refus de grâce, on peut ici évoquer l'affaire de l’attaque de la voiture convoyant les fonds des receveurs d’Alençon et d’Argentan.
L'affaire eut lieu le soir du dimanche 7 juin 1807, sur la route de Falaise à Caen. Côté Blanc : six Chouans menés par Allain, dit le général Antonio, et Flierlé, dit Marchand. Côté Bleu : Le voiturier Gousset et, pour escorte : un seul gendarme !
L’embuscade fut rondement menée et le malheureux gendarme, bien que renforcé par deux de ses collègues accourus au bruit de la fusillade, ne put guère opposer de résistance. Le butin était tout à fait honorable : un peu plus de 60 000 francs. La bande fila, confia l’argent aux frères Buquet, à Donnay, et se dispersa.
L’affaire fit grand bruit et les arrestations dans les milieux royalistes, et même révolutionnaires, se multiplièrent. Le promoteur de l’opération, Armand-Victor Le Chevalier, fut pris à Caen et enfermé en la prison du Temple, à Paris. Il s’en évada le 14 décembre et se constitua prisonnier, le 9 janvier suivant, après que l’on ait donné l’ordre d’arrêter sa fille et sa belle-sœur. Repris à 8 heures, passé devant une commission militaire à 9, il fut fusillé à 16 à la barrière de Grenelles.
Caroline Aquet de Férolles, maîtresse d’Armand-Victor, qui avait caché et nourri les Chouans d’Allain, et repéré les lieux de l’embuscade, malgré toutes ses précautions, finit par être arrêtée et traduite avec d’autres suspects devant la cour de Rouen. Dix accusés, dont Caroline, furent condamnés à mort : Flierlé, quatre de ses Chouans, un fournisseur en armes, un des frères Buquet, un complice chargé de renseigner la bande sur les horaires de passage du convoi et un aubergiste ayant caché la petite troupe. L’exécution eut lieu le jour même de leur condamnation, le 30 décembre 1808. Alors que sa mère, qui avait participé au transport d’une partie des fonds était, malgré ses 67 ans, condamnée à l’exposition du pilori et à 22 ans de fers, Caroline se déclara enceinte. On dut surseoir à son exécution. Deux de ses filles, conduites par leur tante et le médecin de famille, se présentèrent alors devant l’Empereur afin d’obtenir la grâce de leur mère.
Le duc de Rovigo a conté dans ses Mémoires la rencontre entre les deux enfants et Napoléon :
« L’empereur rentrait un jour d’une course à cheval ; il trouva dans la cour du château [de Schönbrunn] une dame d’un extérieur respectable accompagnée de deux petits enfants ; tous trois étaient en noir. L’empereur crut un instant que ce fut la preuve de quelque officier tué à la bataille. Il s’approcha d’eux avec intérêt. Sa contenance changea quand il apprit qu’elle amenait ces enfants de Caen en Normandie pour solliciter de l’empereur la grâce de leur mère, condamnée à mort par le tribunal criminel de cette ville. L’empereur n’avait, pour le moment, aucun souvenir d’avoir entendu parler de cette affaire ; il voyait cependant qu’elle devait être bien sérieuse pour que l’on fût venu de si loin pour lui demander la grâce d’une condamnée. Cette dame n’était munie d’aucune lettre de recommandation ; elle venait absolument surprendre un mouvement de sensibilité à l’empereur, qui lui demanda le nom de la personne en faveur de laquelle elle intercédait. C’est alors qu’elle nomma madame de D… ; ce nom rappela à l’empereur toute l’affaire, et il répondit à cette dame qu’il était fâché de ne pouvoir la dédommager d’un aussi pénible voyage que celui qu’elle venait de faire, mais qu’il ne pouvait lui répondre sans connaître l’opinion du conseil, surtout sur un cas comme celui dont il était question, parce qu’il rappelait à son esprit des circonstances tellement graves, qu’il ne croyait pas pouvoir user du droit de faire grâce dans cette occasion. J’ai vu le moment où il allait l’accorder ; son cœur avait déjà prononcé, mais d’autres considérations lui parlaient plus haut que la sensibilité ; il était fort en colère contre le ministre de la police, qui, après avoir fait grand éclat de cette affaire et s’en être fait un mérite, donnait ensuite des passeports pour que l’on vînt lui demander grâce de l’exécution d’un jugement sur lequel il ne lui avait rien écrit ; il disait avec raison : « si c’est un cas graciable, pourquoi ne me l’avoir pas écrit ? et s’il ne l'est pas, pourquoi avoir donné des passeports à une famille que je suis obligé de renvoyer désolée ? » Il se plaignit beaucoup de ce manque de tact de la part du ministre de la police. »
Caroline Aquet de Férolles fut guillotinée le 7 octobre 1809.
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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