Napoléon avait un sens inné de la formule et du discours ("du haut de ces pyramides 40 siècles vous contemplent").
Son discours à l'armée d'Italie en 1796 avant qu'elle ne s'engage dans la péninsule est assez extraordinaire.
Connaissez-vous quelqu'une de ses allocutions (faites par exemple à ses soldats) particulièrement réussies ?

Merci.

_________________
Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
Proverbe Albanais

Oui...

_________________
… il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer…

Il y a beaucoup de beaux discours de Bonaparte, mais quelques citations, dont celle des pyramides, sont apocryphes me semble-t-il. Je crois bien que c'est du même acabit que le Alea jacta est de César, une jolie invention. Quelqu'un pourra peut-être ici le confirmer.

Pour le reste, je ne crois pas que ce talent pour la formule fut inné. Du moins, si Bonaparte était un général qui savait motiver ses troupes, ce n'était pas, au départ du moins, un bon orateur. Sa prestation le 19 brumaire, devant les Cinq-cents (ou les Anciens, d'ailleurs, j'ai un doute) fut tout à fait lamentable - il begayait, cherchait ses mots, lança aux députés un "n'oubliez pas que je suis accompagné du dieu de la guerre et de la fortune" menaçant, ce qui était pour le moins maladroit en face de la représentation nationale. Au final, tous les témoins, y compris ses admirateurs, ont rapporté que son discours avait été un désastre. On ne comprenait rien à ce qu'il disait. On l'a fait sortir de la salle, presque en syncope.

Donc du talent, indéniablement, mais inné, je ne crois pas. Il faudrait aussi faire la part entre ce qu'il a dit sur place, au cours de certains événements, et ce que l'on a rapporté. Il y eu beaucoup de propagande.

_________________
"Le génie mériterait les chaînes s'il favorisait les crimes des tyrans"

Il faut aussi prendre en considération le très haut niveau de culture littéraire des élites françaises de l'époque. Danton et Robespierre écrivaient aussi très bien. L'étude intensive des classiques latin au collège, la lecture approfondie de Voltaire et Rousseau comme la fréquentation de Racine et Corneille au théâtre à mon avis explique la qualité des textes écrits.


Pour les discours improvisés devant les troupes, il faut savoir s'ils n'ont pas été réécrits par les mémorialistes mais en militaire et en tant que meneur d'homme, il est clair que le général puis empereur savait faire passer son message en faisant appel aux valeurs militaires (honneur, courage, ...voire vantardise). Devant des parlementaires méfiants voire hostile ça ne pouvait pas marcher...

je mettrais en premier celui après Austerlitz avec la fameuse conclusion "voilà un Brave" !
EDIT : par contre, la déclaration à l'entrée en campagne en 1815, je la trouve faiblarde, comme s'il avait déjà le pressentiment de la défaite

_________________
… il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer…

Napoléon Bonaparte n'avait il pas de "nègre" ? On en est sûr ?

Au sujet des pièces de théâtre et de leur influence, le site CESAR (calendrier électronique des spectacles sous l'ancien régime et la Révolution) est très utile : on constate un véritable "boom" de Corneille et Racine sous la Révolution, les représentations sont bien plus fréquentes que pendant le reste du 18e s.

_________________
Ira principis mors est

Merci Cornelis.

Je crois que l'empereur avait une particulière dilection Pour Corneille.

Comme il vous a été déjà dit dans un autre fil, il pèse des doutes sur la célèbre harangue des Pyramides. Il est cependant incontestable que Napoléon a bien dicté ces mots. Mais c'était bien après les faits, à Sainte-Hélène, face à Bertrand lors de la rédaction de Guerre d'Orient - Campagnes d'Egypte et de Syrie.
Cela donnait :
"Soldats, quarante siècles vous regardent !"

De la même manière, sa fameuse proclamation à l’armée d’Italie (« Soldats, vous êtes nus, mal nourris… ») n’apparaît quand dans le Mémorial de Sainte-Hélène.

Méfiance donc.

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)

Le "Souvenez-vous que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune" (que l'on trouve également sous cette version "Sachez que je suis le dieu de la Guerre et le dieu de la Fortune"), était en effet maladroite et n'est pas sans rappeler les mots dont Bonaparte usa pendant la campagne d'Orient :

« Vous serez responsables devant Dieu, qui veut que personne ne résiste à celui à qui il donne la force et la victoire. »
(Bonaparte au commandant d’El-Arish, 20 février 1799)

« Dieu me donne la victoire »
(Bonaparte à Ahmed Djezzar, 9 mars 1799)

« C’est de Dieu que viennent tous les biens ; c’est lui qui donne la victoire. »
(Bonaparte aux cheiks, ulémas et habitants des provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa, 9 mars 1799)

« Dieu donne la victoire à qui il veut. »
(Bonaparte aux cheiks, ulémas, chérifs, orateurs de mosquées et autres habitants du pachalik d’Acre, 18 mars 1799)

« Dieu, qui a décidé que le règne des tyrans tant en Egypte qu’en Syrie devait être terminé, m’a donné la victoire. »
(Bonaparte, au mollah Mourad-Radeh, 27 mars 1799)

« Quant aux malintentionnés et à ceux qui seraient rebelles à ma volonté, faites-les-moi connaître : Dieu m'a donné la force pour les punir; ils doivent savoir que mon bras n'est pas faible. »
(Bonaparte au Divan du Caire, 27 juin 1799)

« [Dieu] m’a donné la force nécessaire pour anéantir tous mes ennemis. »
(Bonaparte au Divan de Rosette, 21 juillet 1799)


L'effet en Egypte et en Syrie fut très faible, alors à Saint-Cloud...

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)

La proclamation d'Austerlitz ("il vous suffira de dire : j'étais à la bataille d'Austerlitz pour que l'on réponde : voilà un brave") n'est pas sans rappeler celle de la Moskowa : "Que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite en cette journée ; que l'on dise de vous : il était à cette grande bataille sous les murs de Moscou !"

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)

Concernant les Bulletins, certains furent dictés par l'Empereur, d'autres seulement validés après leur rédaction par des officiers de l'état-major.

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)

Question éloquence militaire, voici ce que nous dit Napoléon :

"Je disais aux voltigeurs : "Vous êtes des couyons : un grenadier vaut soixante voltigeurs." Je disais aux grenadiers : "Vous n'êtes que de grands capons, bons pour manger, mais vivent les voltigeurs pour se battre ! Avec cela, on fait tuer tout le monde. Voilà la véritable éloquence militaire..."
A Acre, lorsque la 69e revint de l’assaut – et si elle eût tenu, Acre eût été prise ce jour-là - : « je vous donnerai des jupes. Otez-leur les culottes. Vous n’avez pas de vis entre les jambes, vous n’avez qu’un trou. Qu’on ôte les culottes de ces femmes-là ! »
(Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène)

Dans la même veine, l’allocution de Napoléon du 28 octobre 1813 aux officiers polonais, où l’Empereur aurait dit :
« Avez-vous perdu confiance en moi ? N’ai-je plus de… dans mes c… »
Tiré du « Précis historique sur le 8e corps depuis la mort du prince Joseph Poniatowski jusqu’au moment où le prince Antoine Sulkowski qui lui avait succédé dans le commandement de ce corps le quitta du consentement de l’Empereur Napoléon », dont l’auteur pourrait être Sulkowski ou l’un de ses officiers.

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)

Je me demande si Cyril Drouet a raison de rapprocher le discours du 19 brumaire (avec mention des dieux de la guerre et de la fortune) des discours égyptiens. Les seconds sont adressés à un auditoire musulman réputé fataliste. Le premier me semble plutôt puisé dans le répertoire greco-romain des collèges du XVIIIe siècle.

Les proclamations enflammées de Bonaparte en Orient étaient dans la droite ligne de ce qu’il lança le 21 juillet 1798 dès son arrivée en Egypte :
"Faites voir au peuple que, dans le saint livre du Koran, dans plus de vingt passages, ce qui arrive a été prévu, et ce qui arrivera est également expliqué.
[...]
Je sais tout, même ce que vous n'avez dit à personne ; mais un jour viendra que tout le monde verra avec évidence que je suis conduit par des ordres supérieurs et que tous les efforts humains ne peuvent rien contre moi. heureux ceux qui, de bonne foi, sont les premiers à se mettre avec moi !"

…et qu’il répéta par la suite :
« Un jour viendra que tout le monde verra avec évidence que je suis conduit par des ordres supérieurs et que tous les efforts humains ne peuvent rien contre moi. »
(Bonaparte aux habitants du Caire, 21 décembre 1798)

« Il n'y […] a qu'un seul [dieu], père de la victoire, clément et miséricordieux, combattant toujours pour les bons, confondant les projets des méchants, et qui, dans sa sagesse, a décidé que je viendrais en Egypte pour en changer la face et substituer à un régime dévastateur un régime d'ordre et de justice. »
(Bonaparte au Diva du Caire, 22 juillet 1799)


Se définir comme le bras armé de Dieu était pour Bonaparte une manière de mener la troisième guerre prédite par Volney (Voyage en Syrie et Egypte :
"Pour nous approprier l'Egypte, il faudra soutenir trois guerres [celles contre les Turcs et les Anglais]
La troisième enfin, de la part des naturels de l'Egypte, et celle-là, quoiqu'en apparence la moins redoutable, serait en effet la plus dangereuse. L'on ne compte de gens de guerre que six ou huit mille Mamlouks ; mais si des Francs, si ennemis de Dieu et du Prophète osaient y débarquer, Turcks, Arabes, paysans, tout s'armerait contre eux ; le fanatisme tiendrait lieu d'art et de courage, et le fanatisme est toujours un ennemi dangereux ; il règne encore dans toute sa ferveur en Egypte ; le nom des Francs y est en horreur, et ils ne s'y établiraient que par la dépopulation."



Les mots de Brumaire soufflent, même si le contexte est différent, comme un écho aux proclamations (finalement assez récentes) lancées en Orient. Si le Dieu donnant la victoire invoqué en Egypte et en Syrie était bien évidemment Allah, ceux du Conseil des Anciens relevaient d’une mythologie qui était susceptible de faire vibrer les soldats à qui Bonaparte ici s’adressait.

_________________
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)