Nous avons évoqué l’affaire de l’arrestation du général Wintzingérode dans ce fil (
viewtopic.php?f=55&t=38993). Ce dernier portant plus particulièrement sur la Révolution et la franc-maçonnerie, je me permets de poursuivre ici les échanges commencés sur l’affaire Wintzingerode et sa supposée composante maçonnique.
Petit rappel :
Jean R a écrit :
Le même Ney, en 1812, a sauvé de l'exécution ordonnée par l'Empereur Wizingerode, officier prussien au service des Russes, donc traitre aux yeux de Napoléon.
Drouet Cyril a écrit :
J'ai plutôt lu (Mémoires de Caulaincourt) que ce sont Berthier, Murat et Caulaincourt qui ont calmé l'Empereur au sujet de l'exécution (envisagée mais non ordonnée).
La colère passée, il aurait été d'ailleurs difficile pour Napoléon de justifier la condamnation à mort de cet officier. L'aide salvatrice d'un "frère" en la circonstance me parait donc fort douteuse.
Jean R a écrit :
Je suis gêné pour aller plus loin n'ayant plus ma source sous la main, mais il me semble que les deux versions ne sont pas complètement incompatibles.
Drouet Cyril a écrit :
C'est bien le souci... Avant même de chercher un compatibilité quelconque, il convient d'y voir plus clair dans les sources. Dans le doute...
J'ai évoqué plus haut les Mémoires de Caulaincourt. Celles-ci ne sont pas sans rappeler ce que l'on peut trouver sur ladite affaire dans le Correspondance de l'Empereur :
"Je fus prendre le prince de Neuchâtel [Berthier], comme nous en étions convenus, et nous fûmes ensemble chez le roi de Naples [Murat] pour l'engager à parler à l'Empereur de M. de Wintzingerode. Nous lui avions fait demander des renseignements sur sa famille, l'époque précise à laquelle il avait quitté l'Allemagne, et le prince de Neuchâtel avait déjà saisi, en rentrant, l'occasion d'expliquer à l'Empereur qu'il n'était pas son sujet."
(Caulaincourt, Mémoires)
"Mon cousin, faites connaître au général Wintzingerode que vous m'avez mis sous les yeux la lettre dans laquelle il déclare n'être point sujet de la confédération ; qu'en conséquence, j'ai ordonné qu'il fut considéré comme prisonnier ordinaire."
(Napoléon à Berthier, 3 novembre 1812)
Caulaincourt dans ses Mémoires conte ainsi les circonstances de l’arrestation de Wintzingerode :
« Instruit probablement du départ de l’armée française, M. de Wintzingerode, qui était près de Moscou pénétra dans les faubourgs et s’aboucha avec des habitants.
[…] même résultat en détachant les soldats de leur devoir, chose que les habitants pensaient facile, parce qu’ils les croyaient mécontents.
[…]
M. de Wintzingerode, avec une redingote bourgeoise par-dessus son habit, vint causer avec les soldats de nos premiers postes. Il était accompagné de quelques habitants qui parlaient aussi français et chacun, imitant son exemple ou suivant ses conseils, les entretenaient officieusement des évènements qui venaient de se passer, des revers que nous avions éprouvés, des privations qui les attendaient, des dangers qu’ils couraient inutilement, de la bonté et de la générosité de l’empereur Alexandre, de sa bienveillance pour les étrangers, de sa prédilection pour les militaires, de l’inutilité de se battre puisque l’empereur Napoléon se retirait, de l’intérêt qu’ils avaient à déposer leurs armes et à vivre tranquilles jusqu’à la paix, dans un pays où l’on était si bien disposé à les accueillir, etc.
Plusieurs soldats, le prenant pour un simple habitant, le laissait parler sans faire attention, ni à sa personne, ni à ses discours. Un hussard, plus observateur, ayant attendu quelques-unes de ses dernières paroles, l’observa. Choqué de ses propos, il l’arrêta et le traîna au corps de garde, d’où on le conduisit, malgré ses plaintes et ses réclamations, au commandant de la place. Reconnu pour officier russe, il voulut vainement alléguer qu’il était venu en parlementaire. Ce conte n’était pas admissible. On le garda et on le conduisit chez le duc de Trévise, qui le traita avec égards, mais comme un prisonnier de guerre, ne pouvant admettre le subterfuge dont il voulait se servir pour se tirer d’affaire, puisqu’il était venu déguisé et furtivement pour chercher à débaucher nos soldats, sans se faire annoncer par un trompette comme un parlementaire. »
Même si faute d’éléments sérieux, je ne crois pas à une aide maçonnique de la part de Ney dans cette histoire, l’affaire (puisqu’il est question d’espionnage) n’est pas sans faire penser à celle contée par Marnier et rapportée, en 1859, par Gyr dans « La franc-maçonnerie en elle-même » :
« Lorsqu'en 1808, le premier corps d'armée passa le Tage près d'Almaraz, sous le commandement du maréchal duc de Bellune, je commandais une compagnie de voltigeurs du 24e régiment de ligne qui formait l'avant-garde. Parmi les habitants de l'autre rive auxquels je m'adressai pour obtenir des renseignements, un homme d'une belle figure et d'une stature colossale attira surtout mon attention. Il portait les vêtements d'un muletier qui contrastaient singulièrement avec son port majestueux, et il répondait à toutes mes questions avec une précision et une clarté qui annonçaient une grande présence d'esprit. Tout son extérieur avait quelque chose de chevaleresque. Je le donnai à un officier de l'état-major comme guide à travers les montagnes. Dès le soir du même jour j'appris que ce guide avait tenté d'égarer une colonne; on conçut des soupçons et l'on découvrit sous ses vêtements des instructions secrètes données par le général espagnol Cuesta. Je me rendis dans son cachot. Il avait été condamné à mort et se montrait résigné. Il me demanda seulement tout ce qui était nécessaire pour écrire à sa femme et à ses enfants. Son nom était Santa Croce. Après quoi il me donna la main, fit l'attouchement maçonnique; et lorsqu'il eut reconnu que j'étais un frère, il me donna le nom de libérateur. Je m'adressai ensuite à mon major, le baron Jamin, à qui je décrivis en termes chaleureux ce qui venait de se passer et j'eus le bonheur d'exciter ses sympathies. « Suivez-moi, dit-il, allons trouver le général Barrois, et songeons aux moyens de sauver ce malheureux. » Je répétai mon récit au général; celui-ci s'empressa de se rendre auprès du maréchal Victor, d'où il revint bientôt en nous annonçant que l'espagnol ne devait pas être jugé par un conseil de guerre, mais être considéré comme un prisonnier ordinaire. »
D’autres exemples de fraternité maçonnique :
Castillon (Mémorial militaire) :
« Arrivés sur une place, devant les portes de l'abbaye [Santa Maria de Guadalupe, en Estrémadure], deux moines accompagnés de l'alcade se présentèrent et me demandèrent ce que je voulais. «Vous allez le savoir, dis-je, quand ma troupe aura pris position. » Les postes placés, je vins rejoindre la députation. On me conduisit dans une maison qui servait de tournebride à l'abbaye. « Ce que je veux ? Dis-je aux moines; des vivres, du vin, des médicaments pour dix mille hommes et demain vous enverrez à Truxillo un premier convoi de deux cents sacs de grain, avec du vin, et cela escorté par les vôtres et rendu à Truxillo sous votre responsabilité. » L'un des moines s'inclina et me dit que le chef du monastère avait désigné cette maison pour nous recevoir et qu'il désirait qu'on respectât l'abbaye ; que la troupe serait logée et nourrie chez l'habitant, et que le commandant fournirait à Messieurs les officiers ce dont ils auraient besoin. « J'accepte, à condition que vous obtempérerez à mes demandes; sinon l'abbaye sera occupée militairement. » Le moine alla rapporter nos conventions, et donna des ordres à l'alcade pour qu'il eût à réunir dans la journée tout ce qui devait être fourni le lendemain. Je fis loger la troupe par demi-compagnies autour de l'abbaye avec les officiers nécessaires pour la réunir au besoin.
Le moine revint, fit dresser une grande table, qui fut lestement couverte de mets froids, et nous prîmes place. Le moine était en face de moi ; il se fit apporter le vin qu'il goûta; il en fit autant du pain et des viandes et, debout, étendant la main devant un crucifix : « Je jure que tous ces aliments sont aussi purs que le sang du Christ. » Je m'inclinai en signe de remerciement, et le moine, comme nous, fit honneur au repas pendant lequel il dardait sur moi des regards interrogateurs. Je crus remarquer qu'il buvait à la manière des francs-maçons. J'en fis autant. Il répondit à mon appel. J'avais trouvé un frère. J'abrégeai le repas et j'entrai avec le moine dans la chambre qui m'était destinée ; il parlait peu le français, mais le comprenait parfaitement. Là, après m'avoir demandé le secret sur son affiliation à la maçonnerie, regardée en Espagne comme un crime, il m'assura que toutes mes demandes seraient satisfaites ; il m'avoua que le couvent recélait des malades appartenant à la bande des guérillas. — « Je les ferai soigner par mes chirurgiens, mais j'exige que vos guérillas passent sur la rive gauche de la Guadiana et qu'ils ne rôdent plus autour de nous. » Ce qui fut fait. Le lendemain, 4 juin [1811], le convoi partit ; le jour suivant, je recevais par le retour du conducteur une lettre du général qui me félicitait sur le bon résultat de mon expédition pacifique. »
En 1813, Castillon fut fait prisonnier lors de la capitulation de Stettin :
« Les troupes sortaient avec les honneurs de la guerre et étaient conduites au Niémen où de nouveaux ordres les attendaient.
Les officiers avaient été séparés des soldats, et voyageaient avec les moyens de transport qu'ils trouvaient. Ceux qui avaient quelque argent pouvaient se procurer le nécessaire. Le négociant chez lequel je logeais à Stettin, m'avait acheté mon bagage pour la somme en or de 1 800 francs. Avec cela, je pouvais pourvoir à mes besoins. Je devais d'ailleurs recevoir pendant ma captivité la demi-solde de mon grade, et j'avais reçu l'avis de ma nomination au grade de major pendant l'armistice. A Koenigsberg, on me logea dans un hôtel où je fis la connaissance d'un négociant russe franc-maçon. Il me conseilla de m'adresser au commandant de l'escorte chargée de nous conduire, qui devait appartenir à l'ordre, et de lui exprimer le désir que j'avais de rester en Prusse. Le lendemain, après l'appel des prisonniers, j'attaquai par signes le commandant qui vint à moi en me disant : « Que désire mon frère? » — « Rester en Prusse, répondis-je. » — « Cela, dit-il, ne peut se faire que quand je remettrai le convoi aux Russes sur leurs frontières. » Dès ce jour, il me témoigna les plus grands égards.
Nous arrivâmes à Tilsitt. Il me présenta au commandant russe, qui promit d'accueillir ma demande s'il trouvait quelqu'un de solvable pour me cautionner. Le lendemain, il vint à moi avec un baron lithuanien, qui m'offrit l'hospitalité sur la rive droite du Niémen. Je m'inclinai, l'impression que j'éprouvai étant trop grande pour répondre, et je pris place dans une bonne voiture, à côté du baron qui me conduisit, en quatre heures, à sa campagne, où, après m'avoir présenté à sa famille, il me dit avec une cordialité parfaite : « Frère, vous êtes chez vous. »
La famille du baron Dowinski se composait de sa femme et de deux jeunes filles de quatorze et seize ans. La baronne possédait tous les charmes des Polonaises, et les filles étaient gracieuses, naturelles, bien élevées.
Retiré le soir dans un appartement confortable, je rendis grâces à Dieu qui me préservait d'une captivité dans l'intérieur de la Russie. »
Rochechouart (Souvenirs sur la Révolution, l’Empire et la restauration) :
« En traversant cette malheureuse ville d'Oschmiana, nous vîmes une centaine d'officiers prisonniers [français ; à noter que Rochechouart servait le Tsar], entassés dans la geôle de l'endroit, derrière les fenêtres garnies de barres de fer; ces malheureux étaient en manches de chemise, ayant été dépouillés par les Cosaques de leurs habits, pantalons, etc. En nous voyant, ces infortunés nous appelèrent à travers leurs barreaux; ils demandaient à manger et du feu, et joignaient de grands gestes à leurs cris déchirants. Des spectacles aussi tristes se représentaient à chaque pas; je fus donc bien surpris de voir mes camarades s'approcher, leur faire distribuer le reste de nos provisions et quelques vêtements, puis se rendre chez le starotz, nom slave donné au maire ou chef de village. Ils exigèrent de lui que l’on chauffât le poêle de leur prison ; enfin, ils laissèrent de l'argent pour qu'on leur achetât des vêtements, du pain et de la viande, menaçant d'une punition sévère, si l’on n'avait pas égard à leurs ordres. Je demandai à Wlodeck le motif de cet intérêt extraordinaire, il me répondit : « Ce sont des francs-maçons; ils nous ont fait le signe de détresse; étant francs-macons nous-mêmes, nous avons dû secourir nos frères, puisque nous le pouvions. »
Scheltens (Souvenirs d’un grenadier de la Garde) :
« J’ai protégé deux officiers français dans cette débâcle [Waterloo]. Ils m’avaient fait le signe maçonnique, je les ai fait conduire hors des lignes, sur les derrières. On ne les a pas dépouillés, comme cela arrive toujours ; pas toujours par le fait de ceux qui se battent, mais, plus tard, par les “fricoteurs”. Ces deux officiers sont arrivés à Bruxelles sains et saufs. Il était fort avantageux pour les officiers de cette époque de s’affilier à une loge maçonnique. Cela permettait d’établir des relations agréables avec les notabilités des villes dans lesquelles on était envoyé en garnison, et cela assurait en temps de guerre des protections civiles. »
Levasseur (Souvenirs militaires) :
« A mon entrée au régiment, on m'avait demandé si j'étais franc-maçon. Presque tous mes camarades étaient pourvus de grades dans l'institution ; les jeunes officiers s'empressaient de se faire recevoir et ils subissaient des épreuves très rigoureuses, dont le récit faisait souvent les frais de nos conversations de table. Comme le but réel de la franc-maçonnerie était caché aux nouveaux initiés et qu'aucun n'était indiqué, seul, peut-être, de tous les officiers du régiment, j'avais cru devoir m'abstenir : je narguais même mes camarades au point que si, plus tard, j'eusse voulu me faire recevoir, j'aurais été signalé au corps entier et soumis à des épreuves redoutables. La franc-maçonnerie n'était pourtant pas sans utilité. On sait que les rois et les princes, ne pouvant détruire cette organisation puissante, avaient pris le parti de s'y faire affilier, ainsi que leur famille. A l'armée, la promesse de se porter assistance et secours devenait très utile à l'occasion : entre ennemis même, on fraternisait. »
Girod de l’Ain (Six ans de mes souvenirs militaires, de 1805 à 1805) :
« D'autres évasions des prisonniers des pontons avaient eu lieu auparavant, et eurent encore lieu depuis, à l'aide de divers moyens : l'une des premières et des plus remarquables fut celle qui fut mise à exécution par les marins de la garde impériale, dont un détachement avait fait partie de l'armée du général Dupont. Ces marins, tous hommes d'élite, ayant à leur tête le commandant Grivel (depuis vice-amiral, pair de France, etc.), après avoir surpris et désarmé le poste qui les gardait, étaient parvenus à s'emparer, en plein jour, du petit bâtiment (mulet d'eau) qui venait de temps à autre renouveler la provision d'eau du ponton ; puis, embarqués sur ce petit bâtiment, au nombre d'une trentaine, ils avaient cinglé vers le port de Sainte-Marie, occupé par nos troupes ; mais il leur avait fallu traverser la flotte anglaise, qui était alors à l'ancre dans la rade de Cadix et qui, avertie de l'évasion par les signaux des Espagnols, s'apprêtait à leur fermer le passage. Le péril était des plus imminents et l'embarcation allait être foudroyée par le feu d'un vaisseau anglais, le long du bord duquel elle passait, quand l'un des marins qui la montaient eût l'idée de faire le signe de détresse des francs-maçons ; le capitaine du vaisseau anglais, qui se trouvait lui-même franc-maçon, ayant reconnu ce signe, défendit de faire feu et laissa l'embarcation s'éloigner en toute sûreté. »
Dupuy (Souvenirs militaires) :
« En arrivant [à Altenbourg], on nous renferma dans une chambre au rez-de-chaussée ; une porte vitrée donnait sur la place; des Cosaques, placés en dehors et en dedans, nous gardaient. Beaucoup d'habitants venus pour nous voir étaient tenus à distance; je m'approchai un instant de la porte et fis le signe maçonnique du secours. Une demi-heure après deux d'entre eux obtinrent la permission d'entrer dans notre prison; ils me donnèrent une redingote neuve, des chemises, des mouchoirs, du tabac et un panier de vivres;je le partageai avec mes compagnons d'infortune,qui, dans le cours de la journée, reçurent aussi des effets d'habillement. L'humanité de ces bons habitants faisait le contraste le plus frappant avec la barbare férocité des Russes, ces derniers maltraitaient souvent ceux qui venaient nous offrir quelques soulagements et cherchaient à s'emparer de ce qu'ils nous apportaient.
Que ces braves Saxons trouvent ici l'expression de la reconnaissance des officiers français faits prisonniers à Altenbourg; tous se promirent alors, de ne jamais oublier, leur bienveillance et leurs bons traitements. »
Autre affaire liée à la fraternité maçonnique, l’évasion d’un prisonnier anglais à Verdun, en 1808.
A cette occasion, le général Wirion écrivit à Fouché :
« Il existe dans la ville de Verdun une loge de francs-maçons dont les sociétaires ont admis parmi eux des Anglais prisonniers de guerre en celte place; on m'assure que le nombre de ces Anglais n'est pas au-dessous de cent.
Les Prisonniers de guerre anglais sont essentiellement soumis à l'action de la police militaire ; mais la loge étant composée de Français domiciliés à Verdun, parmi lesquels il se trouve plusieurs membres des différentes autorités civiles, la police militaire n'est point autorisée à pénétrer dans cet établissement pour y surveiller la conduite des Anglais, et pourtant il est certain que les actions et les démarches des prisonniers de guerre ne doivent point être perdues de vue en quelque lieu qu'ils se trouvent.
Un de ces prisonniers nommé Yves Harry, qui l'était sur parole d'honneur, s'est enfui du dépôt ; tout prouve que son évasion a été favorisée; on est à sa poursuite. Il était maçon de la loge de Verdun. J'ai l'honneur de placer sous les yeux de Votre Excellence un rapport de la police concernant cette évasion. L'individu désigné par ce rapport est un Français de la loge de Verdun, domicilié au Faubourg-pavé de celle ville, il se nomme Le Maire.
Votre Excellence ne pensera-t-elle pas qu'il conviendrait de défendre aux francs-maçons de Verdun de recevoir dans leur sein des Anglais prisonniers de guerre ? et d'autoriser le commandant militaire en cette place à s'assurer de l'exécution de cette disposition ?
Je prie Votre Excellence de vouloir bien me transmettre à cet égard, les ordres qu'elle jugera convenable de donner, afin de prévenir toute difficulté dans l'exécution. »
A cette missive, comme l’indique plus haut Wirion, était joint le rapport du maréchal des logis Molhe, relativement à la conversation qu’avait tenue ce dernier avec l’aubergiste Le Maire :
« Le sieur Le Maire, m'ayant engagé à boire un verre de vin chez le nommé La Guerre, aubergiste au faubourg-pavé, me dit avec le ton le plus assurant et le plus sincère, qu'il n'était pas fâché que Harry fut évadé, que mémo il ne croirait pas avoir manqué à ses devoirs, si le hasard lui avait procuré l'occasion de le rencontrer dans sa fuite, dû l'aider comme franc-maçon à la favoriser ; il m'ajouta que c'était un brave homme et qu'à sa place il en aurait fait autant. Lui ayant observé qu'il ne tenait pas le langage d'un vrai Français, il me répondit: si tu étais maçon tu penserais a l'égard d'un frère tout comme moi. Je lui répondis qu'il me laissait d'après ses dires une très mauvaise opinion de lui. »
Dupoyet (« Une séance à la loge maçonnique de Brioude (1811) », Nouvelle revue rétrospective, t. 13, 1900) :
« Qu’il me soit permis de payer ici un tribut de reconnaissance au très illustre F. Sidney Smith, amiral anglais.
Fait prisonnier, couvert de blessures, je venais d’être jeté dans les cachots de Palerme, comme une victime qu’une sanguinaire politique voulait livrer à la fureur des insurgés de Calabre et de Sicile.
Sidney Smith vint visiter ces lieux de douleurs ; je me fais reconnaître pour maçon ; aussitôt, il me prend sous sa protection, éloigne et détourne le danger qui me menace ; ce n’est pas assez pour lui de me rendre la vie, il m’obtient ma liberté, et je lui dois de pouvoir encore servir ma patrie. »
Gérard (Le Globe, Archives des initiations anciennes et modernes, 1840) :
« [La scène se passe lors de l’insurrection de Madrid, le 2 mai 1808] Nous avions à notre droite une petite rue ou plutôt une espèce d'impasse; mon ami me prit le bras, et me dit : Par ici, tâchons de... Il n'eut pas le temps d'achever, il reçut à l'instant même un coup de feu dans la poitrine (parti d'une croisée de l'angle de la petite rue), qui l'étendit mort à mes pieds... Eperdu, ne sachant plus où me diriger, je fis machinalement le signe de détresse et prononçai les paroles sacramentelles de la maîtrise. Ce ne fut point vainement : cette inspiration maçonnique me sauva la vie... Il sortit immédiatement de la maison d'où était parti le coup de feu, un homme grand, à moustaches épaisses, couvert d'un manteau militaire; il me prit par la main, me dit en français de le suivre avec confiance. Arrivés au fond d'une allée, il me fit entrer dans une espèce d'écurie; là, nous fîmes les signes, échangeâmes les attouchements et nous reconnûmes. Il me présenta une peau de bouc contenant de l'eau-de-vie, nous fraternisâmes ; puis il me dit de l'attendre un moment, sortit et m'enferma. Tout cela se fit en moins de cinq minutes. Il rentra bientôt pourvu d'un chapeau espagnol et d'un manteau dont il me couvrit, ensuite nous sortîmes ; il me prit le bras, me conduisit par différentes rues jusqu'à la sortie de la ville ; il me montra la route de mon cantonnement, dont je lui avais indiqué la position. Nous nous embrassâmes fraternellement et nous dîmes adieu. En me quittant il me dit : Mon frère, je suis officier anglais, lieutenant d'infanterie en mission en Espagne ; je me nomme Henri William Suéton; nos nations sont en guerre; si vous vous trouvez à même de rendre service à mes compatriotes, pensez à votre frère Suéton... Il partit : je ne le revis jamais.... son nom resta profondément gravé dans mon cœur, il y restera jusqu'à ce qu'il ait cessé de battre...
J'ai, depuis cette époque , pris de nombreuses informations sur mon libérateur; elles ont été infructueuses jusqu'à l'affaire de Ligny, la veille de Waterloo, qu'un capitaine anglais, prisonnier, m'assura que le bon frère Suéton était mort major, au cap de Bonne-Espérance, sur la fin de 1812.
Que le grand Architecte de l'univers le reçoive dans le séjour des bienheureux !!! »