J’ai retranscrit plus haut un passage de l’article Considérations sur l’Egypte, la Syrie et la puissance des Anglais dans l’Inde, publié dans la Décade philosophique, littéraire et politique du 19 avril 1798. Suite au numéro du Monteur en date du 22 mai 1799 annonçant une proclamation de Bonaparte appelant les Juifs à « rétablir l’ancienne Jérusalem », la Décade philosophique, une semaine plus tard, publia cet article : « Les personnes qui nous font l'honneur de lire attentivement la Décade philosophique, peuvent se rappeler un article imprimé dans nos cahiers du 20 et du 30 Germinal an VI, six semaines par conséquent avant l'embarquement de Bonaparte, et dans lequel, en faisant sentir les grands avantages qui résulteraient pour la France de l'occupation de l'Egypte et de la Syrie, nous disions : « Il est un moyen assuré de donner à la Syrie surtout, une population nombreuse, active et opulente : ce serait d'y appeler les Juifs. On sait combien ils tiennent à leur ancienne patrie et à la cité de Jérusalem. Dispersés sur toute la terre par une persécution qui dure depuis 18 siècles, ils tournent encore leurs regards vers la Palestine, où ils espèrent que leur postérité, plus heureuse, sera ramenée par un prodige difficile à croire. Ils accourront des quatre parties du monde, si on leur en donne le signal. Leurs fortunes sont faciles à transporter : les hommes et l'or afflueront, etc. » On peut faire quelques rapprochements entre ce passage et ce qu'accomplit en ce moment l'invincible Bonaparte, qui maître de la Syrie et à la tête d'une armée de cent mille hommes, a proclamé la délivrance de Jérusalem et de la Judée, et appelle dans leur ancienne patrie les Hébreux dispersés sur la terre. Que sait-on ? Ils vont peut-être voir en lui le Messie, et bientôt vingt prophéties auront prédit l'événement, l'époque et jusqu'aux circonstances de sa venue. Il est au moins très vraisemblable que le peuple juif va se reformer en corps de nation, que le temple de Salomon va être relevé, et il sera digne de la Philosophie d'observer par quelles causes les plus anciennes lois connues, celles de Moïse, auront survécu à toutes les institutions postérieures. »
A propos de Messie en ce début d’année 1799, on peut citer cette lettre de François, commissaire central du Nord à Merlin de Douai, le 28 février : « Citoyen Directeur, Je ne puis résister à la tentation de vous faire part d'une conversation que j'eus dernièrement avec un juif, en revenant de Lille à Douai, et comme en voyage il est bon de tuer le temps, autant vaut causer avec un Israélite que d'examiner la forme des nuages, ou de jurer contre les aspérités des grès qui nous donnent sans cesse une mobilité aussi désagréable qu'involontaire. Bref, j'entrai en conversation avec mon vis-à-vis et, semblable au renard de la fable, je lui tins à peu près ce langage. Hé bien, hebraer (c'est ainsi qu'on les appelle en Allemagne) que pensez-vous de notre révolution ? R. Elle est faite pour étonner le monde. D. Etes-vous d'origine allemande ou portugaise ? R. Je suis allemand. D. Attendez-vous encore le Messie ? R. Non, il est arrivé. D. Je n'ai lu cette nouvelle dans aucune gazette. R. Vous n'avez donc pas vu que Bonaparte s’est emparé de la Terre Sainte ? D. Oui, je sais cela, mais qu'a de commun avec le Messie notre général qui mange du lard et du boudin ; Godefroy de Bouillon ne s'est-il pas également emparé de la Palestine, sans que le Temple de Jérusalem soit sorti de ses ruines ? R. Eh bien cette fois-ci il en sortira. Il y a 1 500 000 Juifs en Europe, qui, s’il le faut, sacrifieront leur fortune et leur vie pour cette glorieuse entreprise. Comme l’enfant d’Abraham proférait ces dernières paroles avec feu, je feignais d'approuver ses idées. Il nous en débita très long sur ses espérances, et nous répéta que Bonaparte était ce Messie. Je ne sais si mon compagnon de voyage était plus illuminé que le reste de ses frères, qui en fait de religion le sont tous un peu, plus ou moins, mais je vous avoue que l'onction avec laquelle il parlait et plus encore les 1 500 000 hébreux corps et biens, mis en avant, m'ont singulièrement chatouillé la pensée, surtout en réfléchissant que l'on peut tirer un grand parti de ces gens-là, en caressant leurs préjugés religieux. Je laisse à votre sagacité le soin de mûrir cette idée si vous la croyez de quelque valeur, ou d'en rire comme d'une plaisanterie. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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