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 Sujet du message : Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 06 Août 2016 16:11 
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Marc Bloch
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Au risque de paraître simplifier les processus historiques, j'ai plutôt le sentiment que la monarchie française avait globalement entretenu des relations confiantes avec la bourgeoisie. Par exemple elle pratiquait libéralement l'anoblissement, notamment par le canal des ventes de charges. Et elle recrutait ses fonctionnaires parmi les bourgeois ou les anoblis de fraîche date.

Symétriquement les relations de la Royauté avec la noblesse n'étaient pas si simple qu'on peut l'imaginer. Il suffit de lire les mémoires de Saint Simon !

D'ailleurs en 1789 les cahiers du Tiers État semblent avoir exprimé un attachement réel à la monarchie.

Je me demande donc d'ailleurs comment et pourquoi la bourgeoisie parisienne ainsi que le petit peuple, dont on pouvait comprendre qu'ils aient détesté les privilèges, se soient si vite et si facilement éloignés du Roi ? Certes Louis XVI n'était pas un grand tacticien et Marie Antoinette était mal aimée, mais cela explique t il le desamour entre le peuple de Paris et son Roi ?


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 06 Août 2016 20:03 
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Sur les relations entre le roi et la noblesse, il suffit de voir l'adhésion fréquente de la noblesse à la fronde parlementaire, comme par exemple le soutien du Prince de Conti, que Louis XV appelait pour cette raison "mon cousin l'avocat". :mrgreen:

Ce qui situe d'ailleurs l'ambiguïté de cette fronde parlementaire, vue par le peuple comme luttant pour la liberté, alors que les parlementaires sont nobles - par fonction - et que les nobles en attendent une augmentation de leur pouvoir face au roi.

Citer :
D'ailleurs en 1789 les cahiers du Tiers État semblent avoir exprimé un attachement réel à la monarchie.

Oh mais les paysans français ont sans doute parlé de "notre bon roi" jusqu'au 21 janvier 93 ! :mrgreen:

Il y a le mythe éternel du bon souverain entouré de mauvais serviteurs - "si le roi savait ça !" - le fait que Louis XVI était réellement un "brave homme", le pauvre, et une certaine distance de la province avec l'agitation quotidienne à Paris. Mais cela n'a pas empêché les paysans d'aller piller les châteaux ou d'aller y réclamer les baux seigneuriaux ! Sans compter qu'on peut à la fois aimer "notre bon roi" et faire davantage confiance aux "politiques" qu'on connaît lorsqu'il s'agit de fixer ses pouvoirs réels. (Ces histoires de "Constitution" devaient passer très au dessus de la tête d'une bonne partie du peuple.)

En réalité, dans l'opinion éduquée - disons celle qui savait lire... à haute voix ! - le prestige de la monarchie a déjà été fortement entamé sous Louis XV, qui n'a jamais compris l'importance de l'opinion publique (sa censure était inefficace, voire complice) et a laissé sa réputation d'abord au Parc aux Cerfs puis dans les jupons de la Du Barry. Les journaux - livres, mémoires, libelles, petites feuilles, feuilles à la main... tous les médias de l'époque déchaînés - n'ont fait que redoubler ensuite contre Louis XVI et "son autrichienne", jusqu'à l'affaire du Collier qui a été le clou sur le cercueil.

On a relevé récemment sur ce forum que le mot de Marie-Antoinette "s'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche" était apocryphe, mais c'est une plaisanterie, des phrases comme cela les auteurs parisiens de libelles en fabriquaient tous les jours. Celle-là est bien trouvée, certes, mais leur imagination était sans limite. Que penser quand on publie sous le manteau "les amours de la sultane et de son vizir Vergennes" ? La Révolution était engagée bien avant 1789 dans le petit peuple parisien chauffé à blanc.

La raison en est simple : le roi, monarque absolu, est l'homme à abattre, ou en tous cas à contraindre, si on veut abolir les privilèges. Louis XV l'avait fait marquer par Maupeou dans sa réforme des parlements. Le mot de trop venait du parlement de Paris :" le pouvoir que vous tenez de la Nation..." Là Louis XV pète un câble : il ne tient son pouvoir que de Dieu et les parlementaires le savent parfaitement. Licenciement du parlement de Paris, remplacement des titulaires, réforme des pratiques judiciaires (jusque là il fallait payer ses juges et les procédures s'éternisaient) et discours de Maupeou qui leur rappelle les limites de leur rôle - qui est d'abord judiciaire :" Ici s'achève votre office." La monarchie française est une monarchie absolue de droit divin, on peut vouloir changer cet état de fait mais cela s'appelle une révolution.

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 15 Août 2016 21:14 
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Jean Mabillon
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En complément des propos de Pierma, je vous propose une autre piste. La noblesse est elle même très hiérarchisée : tout en haut quelques dizaines de ducs et pairs, en dessous la noblesse de cour, qui est souvent ancienne et toujours très riche, en dessous encore des nobles anciens, la robe, etc ...

Or plus les années passent et plus les bourgeois (au moins à Paris) voient bien qu'ils sont aussi intelligents, cultivés et même plus compétents que les nobles. Or ils voient bien que l'anoblissement ne suffit pour être socialement promis.

Trois exemples : les trois consuls . Aucun d'entre eux (deux nobles provinciaux et un roturier) n'aurait pu espérer participer à la direction du pays avant 1789. Or ils pouvaient légitiment penser ne pas en être incapables....


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 16 Août 2016 7:47 
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Eginhard
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S'il y a une chose certaine entre 1789 et 1793, c'est que le "désamour" n'est pas entre le peuple (au sens large, et même très large - en y entendant tous ceux qui sont favorables à un changement) et la monarchie, mais entre le peuple et Louis XVI. C'est lui, et seulement lui, qui provoque la chaîne d'événements qui conduit au 22 septembre 1792. J'avais déjà eu l'occasion de rappeler qu'il n'y a pas de remise en cause de la monarchie, comme système politique, avant 1791. La fuite de Varenne est l'occasion, pour certains hommes politiques et publicistes, de proposer, timidement, que l'on abandonne l'idée d'un exécutif héréditaire. Ceux qui proposent, une poignée, un régime républicain sont renvoyés dans les cordes par l'ensemble de la classe politique. C'est tout simplement inconcevable à l'été 1791.

Je rejoins Pierma sur son intervention - en tempérant toutefois : le mythe du Bon Roi entouré de conseillers perfides est déjà méchamment écorné après Varenne. La mise en scène de l'événement ne parvient pas à préserver l'image du roi. S'il y a une vraie bascule, c'est juin-juillet 1791. Après, que les paysans français aient parlé du Bon Roi jusqu'en janvier 93, j'ai envie de dire : où ? En Vendée, on continuera sans doute à parler du Bon Roi bien après, mais à Paris, et c'est lâ que tout se joue, la grogne a déjà conduit le peuple (le petit, cette fois) à régler lui-même le problème le 10 août de l'année précédente :)

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 16 Août 2016 12:36 
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Jean Mabillon
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Jefferson a écrit :
S'il y a une chose certaine entre 1789 et 1793, c'est que le "désamour" n'est pas entre le peuple (au sens large, et même très large - en y entendant tous ceux qui sont favorables à un changement) et la monarchie, mais entre le peuple et Louis XVI. C'est lui, et seulement lui, qui provoque la chaîne d'événements qui conduit au 22 septembre 1792. e :)


JHesite à vous suivre. J'ai plutôt le sentiment que Louis XVI est discrédité depuis longtemps au moins dans la bourgeoisie parisienne. Il passe bien avant 1789 pour un faible, impuissant et sot incapable de maîtriser une femme volage qui est l'archétype de ce que le bourgeois déteste dans la noblesse. La lecture des philosophes a me semble t'il ébranlé la confiance des bourgeois de Paris (pour la province je serai plus prudent) dans l'absolutisme certainement et même dans la royauté probablement.

Si la bonne société de la capitale croit encore en la monarchie ne serait ce pas simplement parce que Montesquieu a affirmé qu'il s'agissait du régime naturel des grands États ?


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 16 Août 2016 15:47 
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Jefferson a écrit :
Après, que les paysans français aient parlé du Bon Roi jusqu'en janvier 93, j'ai envie de dire : où ? En Vendée, on continuera sans doute à parler du Bon Roi bien après, mais à Paris, et c'est lâ que tout se joue, la grogne a déjà conduit le peuple (le petit, cette fois) à régler lui-même le problème le 10 août de l'année précédente :)

Tout d'abord je vous rejoins sur le fait que la monarchie paraisse aller de soi : on est stupéfait de voir après Varennes les députés de la législative redonner son pouvoir au roi, et celui-ci, décidément aveugle indécrottable, continuer de faire usage de son droit de veto, alors que la moindre des choses - coincé comme il l'est aux Tuileries - serait de se "faire oublier." (Je me suis souvent demandé s'il aurait pu sauver sa vie en demandant à passer sous un régime de monarchie parlementaire, donc sans aucun pouvoir de fait, simple caution du régime, mais en réalité quand on regarde ce qui se passe jusqu'au 10 août c'est déjà l'assemblée qui sélectionne ses ministres...)

Concernant son image chez les paysans, j'avais la vision d'une paysannerie bien moins politisée que le petit peuple parisien, et ne voyant guère plus loin que le bout des droits féodaux ou la menace d'arrestation de son curé non-jureur. Mais je vous fais confiance pour cette période que vous connaissez parfaitement, et donc il semble que le mot d'ordre dénonçant la trahison du roi ait gagné après Varennes jusqu'aux plus humbles chaumières... (Ce qui signifie que dès ce moment-là il est perdu.)

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 21 Août 2016 10:41 
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Marc Bloch
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Un grand merci à tous pour ces réponses intéressantes.

Comment mesurer la pénétration des idées des Lumières dans la bourgeoisie (grande et petite) de Paris en 1788 ? Avons nous une idée des tirages des livres de Voltaire, Montesquieu, Rousseau ?


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 0:39 
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Eginhard
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Pierma a écrit :
Concernant son image chez les paysans, j'avais la vision d'une paysannerie bien moins politisée que le petit peuple parisien, et ne voyant guère plus loin que le bout des droits féodaux ou la menace d'arrestation de son curé non-jureur. Mais je vous fais confiance pour cette période que vous connaissez parfaitement, et donc il semble que le mot d'ordre dénonçant la trahison du roi ait gagné après Varennes jusqu'aux plus humbles chaumières... (Ce qui signifie que dès ce moment-là il est perdu.)


Je connais assez mal la situation dans les campagnes françaises. Pour autant, je vous rejoins tout à fait sur la politisation moindre dans les campagnes que dans les villes - et évidemment Paris. Les grands idéaux révolutionnaires comptaient évidemment moins que le rachat des droits féodaux ;) Je relis votre message, le mien - je ne sais pas pourquoi j'ai écris cela. J'ai dû mal comprendre la fin de votre intervention. Mille excuses :)

C'est intéressant, votre remarque. Tout à mon hypertrophie parisienne, je ne me suis jamais vraiment demandé comment la fuite de Varenne avait été reçue dans la province. Je vais essayer de creuser cela, tiens !

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 0:47 
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Aigle a écrit :
Jefferson a écrit :
S'il y a une chose certaine entre 1789 et 1793, c'est que le "désamour" n'est pas entre le peuple (au sens large, et même très large - en y entendant tous ceux qui sont favorables à un changement) et la monarchie, mais entre le peuple et Louis XVI. C'est lui, et seulement lui, qui provoque la chaîne d'événements qui conduit au 22 septembre 1792. e :)


JHesite à vous suivre. J'ai plutôt le sentiment que Louis XVI est discrédité depuis longtemps au moins dans la bourgeoisie parisienne. Il passe bien avant 1789 pour un faible, impuissant et sot incapable de maîtriser une femme volage qui est l'archétype de ce que le bourgeois déteste dans la noblesse. La lecture des philosophes a me semble t'il ébranlé la confiance des bourgeois de Paris (pour la province je serai plus prudent) dans l'absolutisme certainement et même dans la royauté probablement.

Si la bonne société de la capitale croit encore en la monarchie ne serait ce pas simplement parce que Montesquieu a affirmé qu'il s'agissait du régime naturel des grands États ?


Dans l'absolutisme, certainement. Et ce bien avant 1789. Dans la monarchie, certainement pas. Pas avant 1791. Et même l'été 1791. Que Louis XVI soit un mauvais roi ne remet pas en cause le régime monarchique en France, pour la raison que vous proposez : c'est le régime naturel des grands Etats. Le progrès des idées républicaines se fait sentir dans les discours dans les mois qui suivent Varennes.

Louis XVI n'était pas discrédité en 1789. Il faut lire les témoignages des députés du Tiers, très impressionnés de se trouver à quelques mètres du roi. La fonction est encore sacrée, même si elle est occupée par un homme assez commun. Il faut que Louis XVI insiste, multiplie les fautes politiques, tente de fuir, trahisse, pour que l'opinion se retourne, non seulement contre lui, mais contre l'idée même de monarchie en France.

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 6:28 
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Marc Bloch
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Localisation : Versailles
Une question à Jefferson et à tous : quelles sont les sources qui permettent de connaître l'orientation de l'"opinion publique" à Paris et ailleurs ?


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 6:40 
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Philippe de Commines
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Malgré le titre, vos interventions parlent surtout de la noblesse, peu de la bourgeoisie.
Je viens de lire les deux premiers tomes de la série "Les Rougon-Macquart" de Zola. Certes, c'est une source idéologiquement orientée, mais c'est une source. Sa thèse est que la bourgeoisie a trouvé pendant un siècle, depuis Brumaire (1799) jusqu'à la fin du second empire (1870), le moyen de s'engraisser (d'où le titre "la curée") sans scrupule, que ce soit en milieu rural ou à Paris, en prenant les postes de pouvoir (mairies, préfectures, Etc.) dans le but d'en profiter et de s'enrichir. Et pour cela, le seul adversaire était la République. Bonapartisme numéros 1 ou 3, légitimistes, orléanistes, tout était bon pour eux.

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 7:33 
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Eginhard
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Jerôme a écrit :
Une question à Jefferson et à tous : quelles sont les sources qui permettent de connaître l'orientation de l'"opinion publique" à Paris et ailleurs ?


On commence à parler d'opinion justement pendant la Révolution française. A "opinion", on préfère le terme "état des esprits", c'est à dire ce que le peuple pense de quelque chose.

Il y a la presse, bien sûr. Mais on ne saurait en tirer un état de l'opinion. La presse est autant une expression de l'opinion qu'un moyen de l'orienter. Tout va donc dépendre du moment. Pour la période 1789-1793, la presse est une bonne approche. Elle ne permet pas de saisir "l'opinion publique", mais les opinions de certains groupes plus ou moins définis. Et puis il y a la censure - après fructidor an V, après les décrets de nivôse an VIII, bon courage au chercheur qui voudrait se faire une idée de l'opinion à partir de la presse seule. Les sources policières sont un bon moyen de saisir l'opinion, en particulier à partir du Consulat. Elles ne cessent de parler de "l'état des esprits" (ce qui ne veut pas dire qu'il existe !). Petiteau s'est beaucoup appuyée dessus pour son "Napoléon et les Francais". Toutes les sources finalement peuvent donner des indices, des pistes de réflexions, mais aucune certitude.

Mais pour être honnête, saisir "l'opinion publique" entre 1799 et 1815 tient de la gageure. On peut essayer de saisir l'opinion d'un groupe particulier (et encore avec des pincettes), mais la majorité du peuple est silencieuse.

Ca renvoie aussi aux catégorisations. Dédé a peut-être raison pour une partie de la bourgeoisie. Mais parler de la "bourgeoisie française", c'est déjà inventer un idéal-type. Pratique, mais faux dès lors qu'on essayera d'entrer dans le détail. Et puis on pourrait aussi dire : c'est quoi "l'opinion publique" ? Même aujourd'hui, avec tous les sondages, les enquêtes, est-ce qu'on peut parler "d'opinion publique" ? Est-ce que ca existe, finalement ?

Reponse de Normand, mais pour travailler sur les sources de la presse, j'ai toujours en tête les remarques de Durand Echeverria, qui mettait en garde contre la tentation d'imaginer qu'une synthèse des documents littéraires, livres ou articles parus dans les périodiques représentait l'opinion. Ou Jacques Ozouf, qui écrivait en 1966 : "Certains auteurs, sans doute, continuent d'exprimer à l'égard des sources classiques - et singulièrement la presse - une confiance immédiate. Mais de plus en plus on se refuse à croire qu'une histoire de l'opinion se fabrique en cousant les unes aux autres des déclarations disparates. Même ingénieuse, toute revue se presse est un rapiéçage ; entre les citations retenues se creusent des trous vertigineux. A travers absences et présences, c'est en définitive la personnalité de l'historien qui se lit, et non l'état de l'opinion".

Bref, je crains que pour 1789-1815, l'état de l'opinion publique demeure inaccessible.

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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 30 Août 2016 22:11 
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Marc Bloch
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N'y a t il pas quelques indices ? Le tirage des journaux par exemple pourrait donner une idée des opinions de ceux qui achètent les journaux (pas les pauvres j'en conviens) ? Il y avait quand même une presse royaliste au début du directoire ! Les votes aux élections libres : celles qui eurent lieu sous la monarchie ou sous le directoire par exemple ? La pratique religieuse est elle connue ?

J'ai l'impression que lors des journées révolutionnaires on pouvait sentir une mobilisation "à gauche" des sans culottes, des quartiers du centre et de l'est de la capitale ...en vendémiaire ce sont les gardes nationaux de l'ouest qui se sont insurgés contre la République ! En 1815 c'est à l'est de Paris qu'on a trouvé les tirailleurs fédérés !

Le decret des deux tiers n'indiquait il pas "en creux" que les conventionnels craignaient d'être rejetés par les électeurs ?

Peut on en déduire que les basses classes étaient plutôt républicaines (ou bonapartistes , mais c'est la un autre débat ) et que les hautes classes étaient plutôt royalistes ? Schéma sommairement marxiste certes !


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 Sujet du message : Re: Bourgeoisie et monarchie
Message Publié : 06 Sep 2016 17:08 
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Eginhard
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Difficile de vous répondre, cher Jérôme. On peut faire l'opinion d'un journal, bien sûr. Mais un journal est-il un marqueur de l'opinion de ceux qui l'achètent ou le lisent ? Vous parlez par exemple de la presse crypto-royaliste sous le premier Directoire - mais on sait que ce qui était imprimé (par Lacretelle, par exemple) était organisé par un groupe de publicistes clichyens dont l'objectif était de porter un maximum d'estocades à l'exécutif. Ces journaux, armes politiques entre les mains de quelques royalistes, de quelle opinion sont-ils le reflet ? À part les royalistes identifiés parmi les rédacteurs ?

Les lecteurs du Moniteur, journal officiel sous le Consulat, étaient-ils bonapartistes ? Les lecteurs, plus nombreux, du Journal des Débats et des Décrets, dirigé par les très monarchistes frères Bertin, étaient-ils de sensibilité de l'aile droite ?

Des indices, oui. Un état de l'opinion à partir des journaux, je ne crois pas. Surtout sous la censure, qui s'est exercée de 1797 à 1815. La majorité du peuple est silencieuse, et donc inaccessible - en dehors des archives de la police, comme je le disais plus haut.

Et pour les catégorisations, encore plus difficile. En 1799, et jusqu'en 1802 au moins, on peut être bonapartiste et royaliste ou bonapartiste et républicain. C'est tout le talent de Bonaparte d'avoir su parler aux uns et aux autres en restant lui-même :) quant aux affinités politiques des nantis et de la plèbe, je ne crois pas qu'on puisse trouver des catégories bien déterminées, non.

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