Jefferson a écrit :
Vaste sujet. Quelques pistes de réflexion. D'abord, il me semble que Bonaparte est moins un homme providentiel (même si cette composante est indubitable) qu'un homme dont l'arrivée a été préparée par toute une classe d'hommes politiques, d'intellectuels, de publicistes, qui ont plaidé pendant tout le second Directoire (à partir de 1797, disons), pour un renversement des valeurs républicaines qui avaient cours jusque là : les futurs Brumairiens voulaient un pouvoir exécutif fort, incarné (on ne veut plus de la collégialité), au moins égal (voire supérieur) au pouvoir législatif. La Constitution de l'an VIII comble toutes les espérances. Pour Cabanis, c'est le régime parfait. Même si je pense, personnellement, que la Constitution de l'an VIII était un rétropédalage démocratique, ça aurait pu bien se passer, évoluer à nouveau par la suite. Mais il y a la composante Bonaparte, et les ambitions personnelles du Premier consul.
Bonaparte est la créature du centre (et même de l'extrême centre, selon la terminologie de Pierre Serna), mais comme toute les "créatures", il échappe à ses "créateurs". A partir de Brumaire an VIII, c'est un dictateur républicain - à la manière de la République romaine, entendu comme "une dictature qui prendra fin lorsque la Révolution sera stabilisée". Il apparaît modéré, au-dessus des factions, couvert de gloire militaire, mais législateur avant tout, soucieux de donner à la France la paix extérieure et le repos intérieur.
Ce qui les rassemble tous, en revanche, c'est leur aspiration à une république d'ordre, dans laquelle la gauche démocrate et la droite royaliste ne sont plus, par leur affrontement, une menace pour la stabilité.
Bref, un mouvement de fond, le Centre, et un ambitieux de grand talent, Bonaparte, qui en profite pour instaurer un régime autoritaire qui trouve, par le plébiscite, sa source dans le peuple lui-même.
Je vous félicite cher Jefferson pour cette brillante synthèse. Vous rejoignez je crois la présentation faite par Guenifrey dans son "18 Brumaire" et par Lentz dans "le grand consulat".
Et vous avez raison de mentionner le plébiscite. J'irais même plus loin pour ma part en rappelant que l'empire a toujours conservé un système électoral reposant sur une certaine forme de suffrage universel (les assemblées de canton dont j'essaie de parler dans un autre fil...). Cela combiné avec une société hiérarchisée (notables, LH, titres, ...).