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Message Publié : 26 Sep 2016 18:17 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Jefferson a écrit :
Et moi, je ne cessais de penser : "quelle force d'âme faut-il pour ne pas prendre ses jambes à son coup, en entendant le bruit effroyable d'une charge de cavaliers, le sol qui tremble, les premiers rangs fracassés, les hurlements et le sang qui gicle en tous sens".

Est-ce que cela n'arrivait pas que la ligne se disloque avant même l'impact ? Quelle discipline fallait-il pour maintenir la formation en face d'un tel spectacle ! Je veux bien croire qu'une troupe de vétérans tiennent la ligne, mais tous les conscrits (quelle que soit l'époque) n'étaient pas des vétérans.



Témoignage de Bourgoing (Souvenirs militaires) :
« Nous allions assister, du point où nous nous étions avancés, au plus beau des spectacles dont on puisse jouir en un jour de bataille, celui d'une grande charge de cavalerie se ruant hardiment sur le front impassible d'une ligne d'infanterie hérissée de baïonnettes ; le courage ardent, l'élan impétueux aux prises avec la fermeté inébranlable, l'imposante immobilité !
Tout dépend, dans de pareils moments, du sang-froid de la ligne d'infanterie. Les fusiliers expérimentés, les vieilles bandes qui ont l'habitude de cette lutte entre deux armes rivales, savent que le bataillon doit garder en réserve le feu qui fait toute sa force, et que c'est une faute grave de tirer de loin sur cette cavalerie qui accourt presque toujours avec des cris étourdissants. Quant aux jeunes fantassins, ils sont instinctivement disposés à répondre par un feu précipité à ces clameurs lointaines et furieuses. Ils cèdent trop souvent à cette tentation, s'ils ne sont pas contenus par des chefs exerçant sur eux l'ascendant d'un caractère éprouvé, et des autres qualités qui établissent la popularité des chefs de guerre.
Voici comment l'un des officiers qui se trouvaient avec le duc de Trévise dans le grand carré de la jeune garde, mon ami le capitaine Gillet de Kervéguen, aide de camp du général Roguet, m'a raconté ce qui se passa sur ce point assez éloigné de nous pour ne présenter, par moments, à nos regards, qu'une masse confuse voilée par la fumée de la fusillade.
Le maréchal donna une forme allongée au carré, dont il tourna l'un des grands côtés en face de la cavalerie ennemie : sa troupe était placée sur trois rangs. Ce chef entra alors, suivant l'ordonnance, dans l'intérieur de cette forteresse vivante. Je vis de loin ce carré de notre jeune garde qui, au moment de l'arrivée de son chef, poussait les cris habituels de : Vive l'Empereur! devenir tout à coup silencieux.
En cet instant, nous pouvions reconnaître et suivre du regard la marche du duc de Trévise; les fanions flottants des lanciers de son escorte, s'élevant au-dessus des rangs intérieurs du carré, nous indiquaient qu'il longeait au pas celle des faces qui attendait la cavalerie ennemie déjà lancée au galop.
On nous rapporta depuis la simple, mais énergique allocution qu'il adressa à ses soldats :
« Enfants, ne criez plus ! laissez crier l'ennemi… Ne tirez pas. silence. Ne faites feu qu'au commandement ! »
Cette voix aimée, cette voix claire et vibrante fut écoutée. La face du carré resta l'arme haute ; cette jeune infanterie demeura calme, immobile, attentive au commandement qui lui était promis.
Ce qui arrive le plus souvent en présence d'une troupe de si fière contenance se renouvela cette fois encore.
[…]
L'effet moral de la vue d'une troupe ainsi préparée, pouvant à chaque instant faire un feu d'ensemble, salve meurtrière dont le résultat sera plus terrible à mesure qu'on approche, cet effet moral agit presque toujours, même sur la cavalerie la plus déterminée.
Celle que nous voyions accourir en ce moment sembla hésiter, quand elle fut à cent pas de la ligne française; à cinquante pas, son impétueux mouvement s'arrêta tout à fait. Au même instant, les fusils de la jeune garde s'abaissèrent, la salve retentit, et cette longue ligne de cavalerie rétrograda, en abandonnant le terrain couvert de cavaliers, de chevaux morts ou blessés.
Ces escadrons aguerris se rallièrent sans tarder; leurs chefs les reconduisirent bravement dans la même direction, mais le carré du duc de Trévise ne fut pas entamé. »

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Message Publié : 26 Sep 2016 19:04 
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Eginhard
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Merci pour ce très intéressant témoignage - bien éloigné de ma représentation toute cinématographique d'un charge de cavalerie emportant tout sur son passage :)

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"Le génie mériterait les chaînes s'il favorisait les crimes des tyrans"


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Message Publié : 28 Sep 2016 15:49 
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Fustel de Coulanges
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Jefferson a écrit :
charge de cavalerie emportant tout sur son passage :)


Cela pouvait arriver. On peut par exemple citer les carrés du régiment russe de Kostroma emportés, lors du combat de Hof, le 6 février 1807, par les cuirassiers de d’Hautpoul dont la mémorable charge fut décrite comme « la plus brillante qu’on ait jamais vue », par Larrey (Mémoires de chirurgie militaire et campagnes).

Même avis de Marbot dans ses Mémoires :
« Les terribles cuirassiers du général d’Hautpoul, qui, traversant le pont et le ravin sous une grêle de mitraille, fondirent avec une telle rapidité sur la ligne russe, qu’ils la couchèrent littéralement par terre ! Il y eut à ce moment une affreuse boucherie ; les cuirassiers, furieux des pertes que leurs camarades, houssards et dragons, venaient d’éprouver, exterminèrent presque entièrement les huit bataillons russes ! Tout fut tué ou pris ; le champ de bataille faisaient horreur… Jamais on ne vit une charge de cavalerie avoir des résultats si complets. »

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Message Publié : 28 Sep 2016 16:05 
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Fustel de Coulanges
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Charge du 10e Cuirassiers à Hof :
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Message Publié : 28 Sep 2016 18:26 
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Manque de discipline et de sang-froid chez le lignard russe moyen ? (C'était sans doute de toutes les armées européennes celles où le soldat de base était le moins bien traité, je crois...)

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Message Publié : 28 Sep 2016 18:56 
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Pierma a écrit :
Manque de discipline et de sang-froid chez le lignard russe moyen ?


Pourquoi dites-vous cela ?

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Message Publié : 28 Sep 2016 22:41 
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Jean Mabillon
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D'après ce que j'ai lu,c'était en revanche le soldat le mieux vêtu et équipé,au moins en théorie.


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Message Publié : 29 Sep 2016 1:17 
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Drouet Cyril a écrit :
Pierma a écrit :
Manque de discipline et de sang-froid chez le lignard russe moyen ?


Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que les récits précédents ont montré qu'en général, un carré discipliné ne se laissait pas entamer. Mais il y faut une discipline de feu que n'ont pas toutes les troupes.

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Message Publié : 29 Sep 2016 9:44 
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Pierma a écrit :
Drouet Cyril a écrit :
Pierma a écrit :
Manque de discipline et de sang-froid chez le lignard russe moyen ?


Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que les récits précédents ont montré qu'en général, un carré discipliné ne se laissait pas entamer. Mais il y faut une discipline de feu que n'ont pas toutes les troupes.


A noter qu'au combat de Hof, la première ligne russe (composée d'infanterie, de cavalerie légère et d'artillerie, placée dans une position défensive particulièrement avantageuse) repoussa dans un premier temps une brigade de cavalerie légère, puis un brigade de dragons, et ensuite un régiment de cuirassiers. Il fallut finalement une division entière de cavalerie lourde (soit 4 régiments de cuirassiers) pour balayer l'ensemble et poursuivre le combat avec les autres troupes ennemies.

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Message Publié : 29 Sep 2016 16:38 
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Oui, ma remarque était un peu... unilatérale, disons. :oops:

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Message Publié : 29 Sep 2016 20:37 
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Si les Russes de Hoff furent finalement enfoncés par le nombre et la puissance des cuirassiers de d’Hautpoul, on peut, à contrario (toute proportion gardée) citer la bonne contenance de leurs compatriotes à Krasnoi, le 14 août 1812, face aux « quarante charges » de Murat et ses quatorze régiments de cavalerie.

« A une demi-lieue de Krasnoi , la cavalerie , commandée par le roi de Naples , a, à son tour, attaqué et poursuivi l'ennemi. L'infanterie russe, qui venait d'être abandonnée par sa cavalerie, a d'abord formé deux colonnes serrées, et ensuite un grand carré plein, qui, quoique enveloppé de toutes parts, a continué sa retraite avec promptitude et se battant toujours. Notre cavalerie légère a fait sur cette infanterie plus de quarante charges. Plusieurs escadrons ont pénétré dans le carré et en ont coupé des bataillons, mais l'ennemi a été sauvé d'une perte totale par la force d'inertie que sa masse opposait, beaucoup plus que par l'effet de son feu, qui faisait plus de bruit que de mal. Les Russes ont été poursuivis jusqu'à la chute du jour, et à la hauteur du défilé de Kanosava. On leur a pris 8 pièces de canon, fait prisonniers environ 800 hommes , et tué au moins 1000. Ainsi, cette division, qui est la 27e, composée de quatre régiments de mousquetaires, et deux de chasseurs, sous les ordres du général Niewierowski, doit avoir perdu, en tués, blessés et prisonniers, la moitié de son monde. »
(Ney à Berthier, 14 août 1812)

« Dans l'après-midi du 14 août, Murat et Ney arrivèrent à Krasnoï, petite ville à 46 verstes de Smolensk qu'un régiment d'infanterie russe chercha à défendre. Repoussé de la ville par la division Ledru, il se retira en toute hâte sur une masse d'infanterie d'environ cinq ou six mille hommes, qui battait en retraite derrière Krasnoï sur la route de Smolensk, soutenue par de la cavalerie et de l'artillerie. C'était la division de Newerowsky. Le terrain sur lequel elle fut surprise, était une vaste plaine couverte d'épis, dont les uns étaient encore debout, les autres déjà fauchés et liés en gerbes ; elle se trouvait donc exposée tout entière aux charges de la cavalerie. Cependant une petite rivière à bords creusés et profonds, et ne présentant que des ponts ruinés, séparait encore les combattants; et la difficulté de faire passer promptement ce défilé à la cavalerie en masses, donna à Newerowski le temps de se mettre aussi bien que possible en état de défense, et de former de sa division d'infanterie un seul carré de colonnes fortement serrées. A peine ces dispositions sont elles faites, qu'il voit sa cavalerie culbutée, dispersée; elle perd sa batterie de 12, et il est lui-même pressé par des charges de cavalerie fréquentes et impétueuses. Newerowski se retire avec son carré; mais s'il échappe, c'est moins à la fermeté incontestable de ses troupes qu'il doit son salut, qu'aux attaques désordonnées de Murat, à qui son impatience ne permet point de prendre part à la coopération de l'artillerie. Car à peine la 2e batterie wurtembergeoise à cheval était-elle arrivée à la portée de la mitraille la plus efficace, à peine engageait-elle son feu pour faire brèche dans cette masse d'hommes et frayer par là un passage à la cavalerie, que chaque fois la bouillante valeur de Murat poussait régiment sur régiment devant la batterie et sur cette masse compacte, qu'il fit charger plusieurs fois le sabre à la main sans pouvoir l'enfoncer, les trouées se refermant toujours sans laisser de traces. Cette manœuvre se répète de position en position, jusqu'à ce que Newerowski trouve enfin près d'un bois un défilé, par lequel il s'échappe, ayant ses flancs et son derrière couverts; et c'est ainsi qu'après avoir perdu deux mille hommes, il vole au secours de Smolensk. »
(Faber de Faur, Campagne de Russie)


« La division Névéroski quitta alors sa position, et se replia sur Smolensk, ployée en masses par brigades, ayant ses pièces aux angles des colonnes. Le général ennemi sut habilement profiter des accidents du terrain, cherchant à s’abriter, tantôt par les broussailles, qui, sur plusieurs points, couvraient le pays, et tantôt par les allées d’arbres et les fossés qui bordaient la grande route. Quoique abandonnée par sa cavalerie, qui se sauva en hâte sur Smolensk, l’infanterie moscovite tint bon, et se replia en bon ordre. Nous avions sur le terrain quatorze régiments de cavalerie, dirigés par le roi [Murat] lui-même, qui chargèrent continuellement les masses ennemies. Mais ces charges, faites successivement et sans ensemble, et n’étant pas soutenues par notre artillerie légère, qui n’avait peu rejoindre, ne produisirent aucun résultats ; nos régiments, rompus par les difficultés du terrain, ne purent jamais atteindre les fantassins en ligne, et ceux-ci les reçurent, par un feu nourri, à cinquante pas, et leur firent éprouver de grandes pertes. Cependant, vers la fin de la journée, une batterie d’artillerie wurtembergeoise vint prendre part au combat ; et, tirant à mitraille, elle fit de grands ravages dans les rangs ennemis : une des colonnes fut enfoncée par le 9e lanciers polonais, qui enleva aussi aux Moscovites cinq pièces de canon ; enfin, la nuit vint mettre Névérovski à l’abri de nos poursuites ; il perdit pourtant 1500 hommes et toute son artillerie ; mais ces mêmes soldats, qui combattirent avec tant de constance lorsqu’ils étaient sous la surveillance de leurs chefs, se débandèrent totalement pendant la nuit, et se replièrent dans le plus grand désordre, dans la direction de Smolensk, en suivant les différentes routes qui y conduisent, ce qui permit à notre cavalerie de ramasser, le lendemain, 2000 prisonniers, sans éprouver de leur part aucune résistance. »
(Soltyk, Mémoires historiques et militaires sur la campagne de Russie)

En guise d’illustration :
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Message Publié : 30 Sep 2016 15:25 
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Pierre de L'Estoile
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Autre exemple épique : La Fère Champenoise (Pacthod)

_________________
il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 30 Sep 2016 17:30 
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Fustel de Coulanges
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bourbilly21 a écrit :
Autre exemple épique : La Fère Champenoise (Pacthod)


Héroïque et vaine résistance…


Rapport du général Delort (54e de ligne, 1er régiment de gardes nationales de la Sarthe, 3e régiment provisoire de gardes nationales) au ministre de la Guerre, Dupont de l’Etang, le 29 août 1814 :
« J’envoyai prévenir le général de division [Pacthod] qui était à un demi-quart de lieue en avant sur la route, de l’approche de l’ennemi ; c’était l’armée de Silésie.
A onze heures, sa cavalerie exécuta sur nos carrés trois charges consécutives qui furent repoussées avec la plus grande intrépidité.
Cependant, toutes les masses de l’ennemi gagnaient du terrain et la cavalerie nous entourait ; dans cet état des choses, le général ordonna la retraite dans la direction de Fère-Champenoise ; à onze heures et quart, le mouvement commença au milieu d’une plaine immense sans bois, sans montagnes, sans accident de terrain qui pût donner quelque avantage à de l’infanterie contre de la cavalerie et l’arrêter dans sa marche, toujours rapide si elle est comparée à la marche de l’infanterie.
A midi, l’artillerie tirait à mitraille sur nous en queue et sur les deux flancs ; à une heure, deux pièces gagnèrent notre tête. Elles étaient soutenues par une quantité innombrable de cavalerie ; c’est dans cette situation que, de toutes parts battus par la mitraille de l’ennemi, par derrière et sur nos flancs, et en tête par ses boulets, c’est dans cette situation, dis-je, que moins de trois mille hommes ont continué leur retraite sur Fère-Champenoise pendant quatre lieues, chargés tous les quarts d’heure sans jamais être entamés, toujours forcés de se faire jour au travers de la cavalerie, et de charger les pièces qui marchaient devant la tête.
A cinq heures, à une demie-lieue de Fère-Champenoise, nous avons aperçu les hauteurs qui dominent cette ville couvertes de troupes de cavalerie, d’infanterie et d’artillerie ; dans le premier moment, nous nous étions livrés à l’espérance que ce que pourrait être les corps de MM. Les maréchaux ducs de Raguse et de Trévise, et nous nous réjouissions d’avoir opéré une jonction qui n’était pas sans gloire. L’illusion fut de courte durée.
Les forces sur les hauteurs de Fère-Champenoise se multiplièrent tellement, qu’il n’y eut plus de doute que ce ne fût l’ennemi : d’ailleurs, la décharge d’une artillerie formidable, en éclaircissant les rangs, nous confirma de plus la présence d’un nouvel ennemi.
La brigade sous mes ordres qui prêtait son flanc gauche à cette batterie ne fut pas ébranlée, et comme si elle eût acquis un nouveau degré d’énergie par l’imminence du danger, elle n’en marcha que plus fièrement et plus serrée vers le nouveau point de direction que lui avait donné le général de division, pour gagner du terrain vers la droite et échapper, s’il était possible, à l’action des troupes qui couronnaient les hauteurs de Fère-Champenoise. C’étaient les armées russes, autrichiennes et prussiennes commandées par leurs souverains en personne ; la marche fut continuée sous le feu meurtrier de cette artillerie jusqu’à six heures un quart. A cette heure, ma brigade exténuée de fatigue, après avoir laissé sur le champ de bataille plus de 700 hommes, après avoir épuisé toutes les cartouches qu’elle avait consommées en repoussant de son feu plus de vingt charges de cavalerie à 50 toises, après sept heures enfin d’un combat à jamais mémorable, est tombée au pouvoir des trois armées combinées. »

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Message Publié : 01 Oct 2016 13:13 
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Un autre témoignage sur la Fère-Champenoise, celui de Lowenstern (Mémoires) :

« Mais bientôt le nombre de nos troupes s'accroissant d'heure en heure, il ne lui resta plus que la ressource de gagner Fère-Champonoise à travers champs. Le convoi, dans cette marche, fut pris et pillé. Sa retraite se fit en échiquier, chaque régiment formant un carré, et 16 pièces de canon, placées dans les intervalles sur le front et les flancs de ces carrés, résistèrent à notre cavalerie par un feu sagement dirigé.
Le général Pacthod espérait gagner Fère-Champenoise, lorsque le comte Paul Pahlen vint s'établir sur ses derrières avec 2 régiments de chasseurs à cheval et le plaça dans l'alternative de se faire jour ou de se rendre.
Un carré ennemi se forma en colonne d'attaque, se jeta sur les régiments du comte Pahlen et les força à rétrograder. Mais ce succès ne fut que de courte durée. Le comte Pahlen profita d'un moment où l'ennemi s'était débandé, se jeta dessus, l'enfonça et le sabra.
Le général Pacthod, voyant l’impossibilité de gagner Fère-Champenoise, précipita alors sa marche vers les marais de Saint-Gond.
La division de hussards du général Wassiltchikoff arriva sur ces entrefaites. Elle fit plusieurs charges qui ne réussirent point. Le carré, car ce n'en était plus qu'un à présent, écarta continuellement par un feu roulant les efforts de la cavalerie, qui s'épuisa en vaines charges contre cette intrépide infanterie.
Dans une des charges que les hussards d'Alexandria et de la Russie Blanche venaient d'exécuter et que le général Wassiltchikoff m'avait chargé de conduire, mon cheval s'emporta et m'emmena sous les baïonnettes de l'ennemi. Je ne comprends pas comment j'ai pu échapper, car on tirait sur moi à bout portant.
Au moment où ces charges s'exécutaient et se répétaient à l'infini, nous vîmes tout à coup, sur les hauteurs qui dominaient ces plaines immenses, un groupe de cavalerie. Ayant entendu une forte canonnade dès le matin dans la direction do Sommesous, nous dûmes croire que c'était de la cavalerie ennemie qui arrivait pour dégager cette colonne, et bientôt même une batterie de 12 pièces ouvrit de la hauteur un feu terrible contre nous. Dans un clin d'œil, elle nous avait balayés de la plaine et donné à la malheureuse colonne ennemie le temps de respirer. Notre cavalerie se mit hors de portée de cette batterie [il s’agissait en fait de canons russes].
Dès que nos troupes apprirent que leur souverain [Alexandre accompagnait les renforts qui avaient tiré par erreur sur leurs compatriotes] était près d'elles, leur ardeur, qui avait été un peu calmée par des charges répétées et infructueuses, reprit de nouvelles forces.
Le colonel Markoff, qui, avec ses pièces, nous avait si maltraités, descendit des hauteurs par ordre de l'Empereur avec sa batterie et commença un feu d'enfer sur la colonne de Pacthod, qui, sans tirer un coup de fusil, dirigeait toujours sa marche vers les marais de Saint-Gond.
Deux pièces de canon du général Korff s'étaient placées dans la direction que la colonne ennemie devait prendre et, quoiqu'elles tirassent avec de la mitraille, la colonne ennemie marcha dessus et les força de quitter leur position.
Mais bientôt, l’Empereur arriva lui-même, suivi du maréréchal Schwarzenberg et du maréchal Wrede. Un enthousiasme général se communiqua aux chefs et aux troupes.
Les chasseurs à cheval de Siéversk, commandés par le colonel Denisoff, les hussards d'Alexandria par le colonel Lissoffsky furent les premiers qui entamèrent la colonne du général Pacthod. Les autres régiments arrivèrent et chargèrent successivement.

La colonne fut entièrement dispersée et sabrée. Pas un homme n’échappa. »

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La combinaison cavalerie-artillerie était en effet redoutable face à des formations telles que les carrés.


Le 4e de ligne, à Austerlitz, en fit également la cruelle expérience :

« J'étais à peu près à un quart de lieue de ma division, lorsque le capitaine Vincent, qui précédait mes éclaireurs, découvrit sur les revers d'un coteau une masse de cavalerie considérable. Il vint à moi au galop en me faisant signe de faire tête de colonne à gauche. Je mis toute la célérité possible dans ce mouvement, en continuant cependant de faire marcher en colonne à distance des sections, afin d'être prêt à tout événement à faire former le carré. La direction une fois donnée à ce bataillon que conduisait son chef Guy, je fus de ma personne avec le capitaine Vincent voir ce que c'était que cette colonne ennemie. À peine fûmes-nous sur le plateau qui dominait les deux revers du coteau, que nous la vîmes avancer au grand trot à notre rencontre. Je retournai à toute bride vers mon premier bataillon pour le faire mettre en carré. Cette colonne, composée de toute la cavalerie de la garde impériale russe, et que commandait le grand duc Constantin, se forma sur le plateau à une grande portée de fusil de mon bataillon. Elle démasqua six pièces d'artillerie légère, qui, tirant à mitraille sur ce bataillon, parvinrent à mettre le désordre dans ses rangs. Le général Vandamme, voyant ce bataillon fortement engagé, envoya à son secours le 24e régiment d'infanterie légère; mais le grand-duc Constantin, voulant tirer parti de l'isolement de mon bataillon, le fit charger par deux régiments de sa colonne. Cette première charge ne pénétra pas dans le carré, par ce qu'elle fut reçue à bout portant par une décharge de mousqueterie, mais une seconde que fit un troisième régiment russe, pendant que les armes n'étaient plus chargées, traversa le carré en allant et en revenant, et sabra plus de 200 hommes de ce régiment. Ce fut dans cette mêlée qu'un officier russe s'empara de l'aigle de ce bataillon, dans les mains d'un sergent-major nommé Saint-Cyr, qui avait reçu douze blessures sur la tête et sur le bras avant qu'on parvînt à lui enlever cette aigle. Deux de ses camarades qui l'avaient portée avant lui furent tués, l'un par la mitraille des Russes et l'autre d'un coup de pistolet. Le chef de bataillon Guy et dix officiers furent également tués ou blessés dans cette action; moi-même, je reçus plus de vingt-cinq coups de sabre sur la tête, sur les bras et sur les épaules sans en être marqué autrement que par des meurtrissures.
Le 24e régiment d'infanterie légère, qui commit la faute de déployer ses masses en face de cette nombreuse cavalerie, fut également culbuté par elle. »
(Bigarré, Mémoires)

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Quand l’infanterie s’allie à la cavalerie et à l’artillerie la situation des carrés devient encore plus délicate. La Garde impériale le vécut à Waterloo ; tout comme le malheureux 14e de ligne à Eylau :

« Je trouvai le 14ème formé en carré sur le haut du monticule mais comme les pentes de terrain étaient fort douces, la cavalerie ennemie avait pu exécuter plusieurs charges contre le régiment français, qui, les ayant vigoureusement repoussées, était entouré par un cercle de cadavres de chevaux et de dragons russes, formant une espèce de rempart, qui rendait désormais la position presque inaccessible à la cavalerie, car, malgré l'aide de nos fantassins, j'eus beaucoup de peine à passer par-dessus ce sanglant et affreux retranchement. J'étais enfin dans le carré ! Depuis la mort du colonel Savary, tué au passage de l'Ukra, le 14ème était commandé par un chef de bataillon. Lorsque, au milieu d'une grêle de boulets, je transmis à ce militaire l'ordre de quitter sa position pour tâcher de rejoindre le corps d'armée, il me fit observer que l'artillerie ennemie, tirant depuis une heure sur le 14ème lui avait fait éprouver de telles pertes que la poignée de soldats qui lui restait serait infailliblement exterminée si elle descendait en plaine qu'il n'aurait d'ailleurs pas le temps de préparer l'exécution de ce mouvement, puisqu'une colonne d'infanterie russe, marchant sur lui, n'était plus qu'à cent pas de nous.
"Je ne vois aucun moyen de sauver le régiment" dit le chef de bataillon, "Retournez vers l'Empereur, faites-lui les adieux du 14ème de ligne qui a fidèlement exécuté ses ordres, et portez-lui l'aigle qu'il nous avait donnée et que nous ne pouvons plus défendre, il serait trop pénible en mourant de la voir tomber aux mains des ennemis". Le commandant me remit alors son aigle, que les soldats, glorieux débris de cet intrépide régiment, saluèrent pour la dernière fois des cris de "Vive l'Empereur", eux qui allaient mourir pour lui. C'était le "Caesar, morituri te salutant" de Tacite mais ce cri était ici poussé par des héros.
Les aigles d'infanterie étaient fort lourdes, et leur poids se trouvait augmenté d'une grande et forte hampe en bois de chêne, au sommet de laquelle on la fixait. La longueur de cette hampe m'embarrassait beaucoup, et comme ce bâton, dépourvu de son aigle, ne pouvait constituer un trophée pour les ennemis, je résolus, avec l'assentiment du commandant, de la briser pour n'emporter que l'aigle mais au moment où, du haut de ma selle, je me penchais le corps en avant pour avoir plus de force pour arriver à séparer l'aigle de la hampe, un des nombreux boulets que nous lançaient les Russes traversa la corne de derrière de mon chapeau à quelques lignes de ma tête. La commotion fut d'autant plus terrible que mon chapeau, étant retenu par une forte courroie de cuir fixée sous le menton, offrait plus de résistance au coup. Je fus comme anéanti, mais ne tombai pas de cheval. Le sang me coulait par le nez, les oreilles et même par les yeux néanmoins j'entendais encore, je voyais, je comprenais et conservais toutes mes facultés intellectuelles, bien que mes membres fussent paralysés au point qu'il m'était impossible de remuer un seul doigt.
Cependant, la colonne d'infanterie russe que nous venions d'apercevoir abordait le monticule ; c'étaient des grenadiers, dont les bonnets garnis de métal avaient la forme de mitres. Ces hommes, gorgés d'eau-de-vie, et en nombre infiniment supérieur, se jetèrent avec furie sur les faibles débris de l'infortuné 14ème, dont les soldats ne vivaient, depuis quelques jours, que de pommes de terre et de neige fondue ; encore, ce jour-là, n'avaient-ils pas eu le temps de préparer ce misérable repas. Néanmoins nos braves Français se défendirent vaillamment avec leurs baïonnettes, et lorsque le carré eut été enfoncé, ils se groupèrent en plusieurs pelotons et soutinrent fort longtemps ce combat disproportionné. »
(Marbot, Mémoires)

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Message Publié : 22 Oct 2016 18:16 
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Polybe
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[quote="Drouet Cyril"]Comme dit plus haut, les carrés français furent d'une redoutable efficacité (sauf exception et je n'ai pas souvenir d'autres exemples pareils à celui de Sédiman) face à la cavalerie mamelouk, troupe nombreuse, brave et bien montée, mais désorganisée et légère.
Les carrés d'Egypte ne furent pas seulement, pour reprendre l'expression du titre du fil, des "remparts de l'infanterie" mais aussi (outre les divers éléments vulnérables qui pouvaient s'y réfugier) d'utiles protections pour les cavaliers, ainsi qu'on peut le voir sur ce détail de l'oeuvre de Lejeune sur la bataille des Pyramides :
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Juste une question
Comment le peintre Louis-François LEJEUNE contemporain de cette époque a-t-il pu représenter la bataille des Pyramides qui a lieu le 3 thermidor An VI (21 juillet 1798) avec des soldats français potant des shakos alors que à ma connaissance, ce couvre-chef ne remplacera le bicorne qu'à partir de l’année 1807 ??
:?:

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