Je n’ai pas souvenir d’un trait particulier de sa voix au cœur des batailles ; ce qu’il disait, de quelle manière, alliés à son charisme et son aura importaient plus pour emporter les rangs. On peut par exemple citer ce passage du Mémorial : « L'Empereur, parlant d'éloquence militaire, disait : « Quand, au fort de la bataille, parcourant la ligne, je m'écriais : Soldats, déployez vos drapeaux, le moment est venu, il eût fallu voir nos Français, ils trépignaient de joie ; je les voyais se centupler; rien alors ne me semblait impossible. On connaît une foule d'allocutions militaires de Napoléon. En voici une que je tiens de celui-là même qui l'a recueillie sur le terrain. Passant en revue le second régiment de chasseurs à cheval, à Lobenstein, deux jours avant la bataille d'Iéna, il demande au colonel : « Combien d'hommes présents ? -Cinq cents, répond le colonel ; mais parmi eux beaucoup de jeunes gens. -Qu'importe, lui dit l'Empereur d'un air qui marquait sa surprise d'une pareille observation ; ne sont-ils pas tous Français ?... » Puis, se tournant vers le régiment, il ajouta : « Jeunes gens, il ne faut pas craindre la mort ; quand on ne la craint pas, on la fait rentrer dans les rangs ennemis. » Et le mouvement de son bras exprimait vivement l'action dont il parlait. A ces mots, on entendit comme un frémissement d'armes et de chevaux, et un soudain murmure d'enthousiasme, précurseur de la victoire mémorable qui, quarante-huit heures après, renversa la colonne de Rosbach. A la bataille de Lutzen, la plus grande partie de l'armée se trouvait composée de conscrits qui n'avaient jamais combattu. On raconte que l'Empereur, au plus fort de l'action, parcourait en arrière le troisième rang de l'infanterie, le soutenant parfois de son cheval en travers, et criant à ces jeunes soldats : « Ce n'est rien, mes enfants ; tenez ferme; la patrie vous regarde, sachez mourir pour elle. »
D’ailleurs, les mots tenus à ses hommes au cœur de la mitraille n’étaient pas forcément couronnés de succès. Je pense ici à l’échec de l’assaut face à Arcole après avoir rappelé à ceux qui hésitaient le souvenir de Lodi.
D’autre part, Napoléon se montra lui-même assez sceptique vis-à-vis des grandes harangues : « Ce ne sont pas des harangues, au moment du feu, qui [...] rendent [les troupes] braves : les vieux soldats les écoutent à peine, les jeunes les oublient au premier coup de canon. Il n'est pas une seule harangue de Tite-Live qui ait été tenue par un général d'armée, car il n'en est pas une qui ait le trait de l'impromptu; le geste d'un général aimé, estimé de ses troupes, vaut autant que la plus belle harangue. Si les harangues, les raisonnements sont utiles, c'est dans le courant de la campagne, pour détruire les insinuations, les faux bruits, maintenir une bonne opinion dans le camp, fournir des matériaux aux causeries des bivouacs. L'ordre du jour imprimé a bien plus d'avantage que les harangues des anciens. Quand Napoléon disait, en parcourant les rangs de son armée, au milieu du feu : Déployez ces drapeaux ! le moment est arrivé ! Le geste, l’action, le mouvement, faisaient trépigner le soldat français. » (Montholon, Mémoires pour servir à l’histoire de la France, sous Napoléon ; notes de l’Empereur sur l’ouvrage Considérations sur l’art de la guerre, de Rogniat)
Rogniat écrivait ceci : « Il ne suffit pas de préparer et de répandre le germe des passions dans le sein des soldats, il faut encore savoir le faire éclore au moment du combat; il faut toucher, émouvoir, agiter, enflammer, et mettre en jeu les passions qui dorment au fond de leurs cœurs, afin de les aveugler sur les périls qu'ils vont courir. On y parvient par l'éloquence, non pas cette éloquence qui convainc, par le raisonnement, une assemblée choisie, mais celle qui parle à l'imagination et aux passions d'une multitude d'autant plus crédule, qu'elle est plus ignorante. Aussi les généraux romains ne négligeaient-ils jamais de haranguer leurs troupes avant le combat; ils réveillaient dans leurs cœurs des sentiments de religion, d'amour de la patrie, de gloire nationale, d'ambition, de richesses, et ils leur présentaient en perspective un tableau de tous les biens, de tous les plaisirs propres à flatter leurs passions, qui les attendaient dans les bras de la victoire. Habitués à parler à la tribune devant le peuple romain, ils étaient tout formés à ce genre d'éloquence vif et passionné qui séduit et entraîne la multitude. Nos généraux modernes au contraire ne savent pas parler en public, ce qui les prive d'un puissant levier pour remuer les troupes. Faute de savoir parler, nous écrivons des proclamations qui sont ensuite lues froidement et avec négligence à la tête de chaque bataillon. Mais ces gestes oratoires, ces charmes du débit, cet accent passionné, cette chaleur, ce feu qui pénètre de la bouche de l'orateur dans l'âme de ses auditeurs; cette multitude dont les passions fermentent d'autant plus vivement qu'elle est plus nombreuse; cette autorité que les paroles empruntent du prestige de la puissance; cette pompe qui commande l'attention, tout manque aux froides lectures de nos proclamations. Ces discours mal lus soutiennent à peine l'attention du soldat, et le laissent aussi glacé qu'auparavant. Nous couvrons notre ignorance et notre incapacité du vain prétexte de l'impossibilité de nous faire entendre d'une grande multitude. Comment faisaient donc les consuls romains pour haranguer des armées quelquefois de quarante mille hommes ? Au reste, au défaut d'expérience, le calcul seul doit nous démontrer qu'un général peut se faire entendre d'un corps d'armée de trente mille hommes, rangé avec ordre auprès d'une tribune élevée en gazon comme chez les Romains; car cette multitude, formée en colonne serrée autour de l'orateur, ne doit occuper qu'un demi-cercle de cinquante toises de rayon, espace assez circonscrit pour qu'une voix élevée puisse le parcourir. Ne haranguons point nos troupes au hasard, en nous servant de lieux communs; que nos discours soient en rapport avec leurs idées et leurs passions habituelles, et évitons surtout l'éloquence verbeuse. Parlons religion à des fanatiques, richesses à des gens avides, amour de la patrie à des républicains, et honneur à des Français; saisissons surtout les sentiments qui naissent des circonstances du moment pour les animer. C'est ainsi que le général Kléber sut enflammer d'un seul mot ses troupes en Égypte. L'amiral anglais avait proposé à une armée française, fière de sa bravoure et de ses succès, qui demandait à quitter l'Egypte, de mettre bas les armes et de se rendre prisonnière. C'était vouloir la rendre invincible, et transformer tous ses soldats en héros. Kléber fait assembler ses troupes, et leur lit cette infâme proposition : ce ne fut qu'un cri d'indignation ! Mes camarades, s'écrie aussitôt le général français, on ne répond à une telle insolence que par des victoires; préparez-vous à combattre. Une prompte et brillante victoire fut en effet l'unique réponse des Français. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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