Jefferson a écrit :
J'avoue ne m'être intéressé que de très loin à son procès. Drouet Cyril pourra sans doute nous en dire plus sur les charges et sur sa défense.
Petite chronologie (sur laquelle il faudra revenir pour éclaircir certains points) :
Les véritables ennuis commencèrent le 29 septembre 1794. Ce jour-là, à la Convention, Le Maignen accusait directement Turreau :
« L'état de la Vendée n'est point alarmant pour la République; mais des hommes couverts de sang, des hommes dont les crimes sont restés impunis ont organisé la guerre de la Vendée. Le premier de ces hommes est Turreau, général en chef. Il ya un an que Laignelot et Lequinio avaient réduit les brigands à 300 hommes. Charette était abandonné de tous les cultivateurs, et il n'avait plus que quelques prêtres et quelques nobles. A cette époque, Turreau divisa l'armée en douze colonnes, qui, au lieu de poursuivre les restes de l'armée de Charette, ont pénétré dans le pays sur douze points différents, et ont égorgé les malheureux qui étaient dans leurs foyers ou qui cultivaient leurs champs. Le pillage fut la récompense de ces troupes, parmi lesquelles il y en avait beaucoup de l'armée révolutionnaire.
[…]
Les chefs des divisions faisaient prendre toutes les voitures et tous les chevaux du pays où ils pénétraient, et ils voulaient ensuite forcer les habitants à transporter les grains sur les derrières de l'armée. Ces malheureux ne pouvaient point obéir, puisqu'ils n'avaient plus ni voitures ni chevaux; alors on faisait brûler les grains, et fusiller les officiers municipaux en écharpe. Carrier était rentré dans la Convention à cette époque, et il n'y avait plus alors à l'armée que Turreau, Hentz et Francastel. Ces deux derniers approuvèrent la conduite du général Turreau.
Vous vous rappelez, citoyens, que celui-ci vous écrivit que deux ou trois colonnes avaient tué cinq on six mille brigands; savez-vous comment cela se fit ? Le voici : On avait ordonné à plusieurs communes de se réunir sur un seul point, et lorsqu'elles furent rassemblées Turreau fit fusiller sans distinction d'âge ni de sexe.»
A quoi, Duquesnoy ajoutait :
« Non seulement le général [Huché] dont a parlé Carnot était soutenu au Comité de salut public, mais Turreau l’était aussi ; lorsque nous le dénonçâmes, Robespierre le défendit. Cependant il est la seule cause de la retraite des bons généraux, qui, disaient-ils, ne voulaient pas combattre avec un coquin. »
Alors que dans les travées on commençait à réclamer l’arrestation de l’ex-général en chef de l’armée de l’Ouest, Billaud-Varenne, dans la lignée de Duquesnoy, renchérissait :
« Voici un fait que Carnot ne démentira pas. C'est que quand le comité de salut public a été instruit que, contre son vœu, Turreau commettait des infamies dans la Vendée, sa destitution a été demandée; nous n'avons pu l'obtenir que quand Robespierre a cessé de venir au comité.
[…]
La vérité est encore que c'est contre le vœu du comité que Turreau se trouve encore en fonction : la Convention nationale, qui a mis la justice à l'ordre du jour, doit se lever en masse pour le décréter d'arrestation. »
Alquier prit alors la parole :
« Je demande à faire connaître à l'assemblée un fait contre le général Turreau, qui est maintenant dans l'armée des côtes de Brest; le voici : Turreau a chargé Dodun, aide de camp du général Moulins, d'un ordre ainsi conçu :
« Le général Moulins se portera avec la colonne gauche sur Mortagne, fera désarmer et égorger, sans distinction d'âge et de sexe, tout ce qui se trouvera sur son passage. »
La coupe était pleine et la Convention décréta de suite l’arrestation de Turreau (suivie immédiatement de celle de deux de ses subordonnés : les généraux Huché et Grignon).
Le jour même, le Comité de Salut public transmettait l’information aux représentants aux armées des côtes de Brest et de Cherbourg :
« La Convention nationale, chers collègues, indignée des crimes attribués à plusieurs des ci-devant officiers généraux employés à l'armée de l'Ouest, a décidé ce matin que Turreau, Huché et Grignon seraient mis sur-le-champ en arrestation. Nous avons pris les mesures nécessaires relatives à Huché, mais nous ignorons les lieux où sont retirés Grignon et Turreau; nous savons seulement que Turreau est né à Evreux, et Grignon à Loiré, district de Saumur, et nous présumons qu'ils peuvent se trouver, en ce moment, dans ces communes respectives.
Nous vous prions, chers collègues, de faire mettre, sans aucun délai, le décret à exécution, et d'envoyer les prévenus à la maison du Luxembourg, à Paris.
Il est temps, chers collègues, que la volonté de la Convention de mettre enfin, dans toute l'étendue de la République, la justice rigoureuse à l'ordre du jour, soit exécutée dans toute sa plénitude; en conséquence, nous vous invitons de rendre votre surveillance de plus en plus active et sévère, de destituer et mettre en état d'arrestation tous les généraux et autres individus qui ont participé aux crimes reprochés à ceux que frappe le décret, et qui ont contribué à perpétuer la guerre de la Vendée et des chouans, soit pour leur intérêt personnel, soit par lâcheté, soit par une insouciance coupable.
Les mesures fortes sont le seul moyen de rendre aux armées leur énergie, de ramener les citoyens égarés au devoir, et tous les bons citoyens à l'espérance de voir bientôt cesser le système d'oppression dont ils sont depuis si longtemps les victimes. »
Arrêté, Turreau, avant même d’arriver à Paris, fourbissait ses armes. Ainsi, le 9 octobre suivant, alors à Laval, il écrivait au président de la Convention :
« Je me rends à Paris avec toute la promptitude que peut comporter ma santé affaiblie par de longs travaux; mais je crains de n’être point entendu du comité avant le rapport qu’il doit faire à la Convention. Le jour de la justice est arrivé pour moi; loin de le redouter, je brûle de voir le moment où il me sera permis de me justifier enfin de toutes les dénonciations faites contre moi depuis longtemps. Quand on peut prouver des intentions pures, on ne doit s’attendre à trouver que des défenseurs dans le sein de la Convention nationale»
A cette missive était jointe cette adresse à la Convention nationale :
« Je m’indigne d’être dénoncé comme complice ou prosélyte d’un conspirateur que je n’ai jamais connu. Je suis si fort du sentiment de ma conscience, que je voudrais pouvoir être jugé par le représentant même qui m’a dénoncé. On a tronqué les faits les plus importants; on a supposé des ordres que je n’ai jamais donnés, que toute ma correspondance démentira. On m’impute des atrocités que j’ai cherché à prévenir et dont j’aurais sévèrement puni les auteurs, si j’en eusse été le témoin. Je ne fus jamais un lâche assassin, et, pour me justifier aux yeux de la Convention nationale, il me suffirait de lui présenter la lettre que j’ai écrite au comité de salut public le 29 frimaire [19 décembre 1793] , dans laquelle je proposais une proclamation dont le but eût été d'encourager, par l’espoir du pardon, la désertion qui s’était manifestée parmi les brigands lors de leur passage à Ancenis, proclamation qui aurait produit le meilleur effet sur la rive droite et peut être même sur la rive gauche de la Loire Cette lettre resta sans réponse; et peu de jours après qu’elle fut écrite, ces brigands furent condamnés par différents comités ou commissions, particulièrement à Angers, qui refusèrent d’en conférer avec moi.
J’avais calqué les mesures que j’ai employées sur le décret du 1er août 1793; les représentants Bourbotte, Francastel et Turreau avaient approuvé mes opérations.
Les représentants Garrau, Francastel et Prieur de la Marne ont pris un arrêté relatif aux libelles répandus dans Nantes sur l’évacuation de Mortagne.
Avant que le comité de salut public fasse son rapport, je demande à être entendu; je donnerai des renseignements sur cette guerre malheureuse qui n’est pas encore connue. Je prouverai quelle était la force des brigands à mon arrivée à l'armée de l’0uest ; je prouverai qu’on avait trompé la Convention en assurant que toutes leurs forces étaient sur la rive droite de la Loire et qu’on avait détruit jusqu’au dernier de quatre-vingt mille combattants ; je dirai quelles étaient les ressources des brigands sur la rive gauche, et j’invoquerai à cet égard le témoignage de Garrau, Francastel, Hentz et Prieur de la Marne, qui ont entendu la Cathelinière dire que les dernières mesures adoptées pour la destruction de son parti l’avaient réduit à la plus cruelle situation. L’établissement des camps ne pouvait qu’accélérer sa ruine et s’il s’est opéré des changements dans l’armée de l’Ouest, depuis mon départ, on ne peut m’en rendre responsable.»
Arrivé à Paris, Turreau, interné au Luxembourg, réclama de suite ses papiers au Comité de salut public afin de préparer sa défense.
Ses doléances étant restées sans réponse, il écrivait à nouveau à la Convention le 3 janvier 1795 :
« Un décret de la Convention nationale m’a assimilé aux brigands dévastateurs qui naguère déshonoraient la République en outrageant l’humanité ; ce même décret a ordonné un rapport sur la conduite des officiers généraux de l’armée de l’Ouest.
Quelque affligeant que fut pour mon cœur le 1er article du décret, le second me rendit l’espoir et la force ; je supportai avec résignation les rigueurs d’une détention imméritée. Mais un plus long silence passerait peut-être pour un aveu tacite des forfaits que la calomnie a osé m’imputer, dans un moment surtout où la Convention veut enfin connaitre ses amis et ses ennemis.
Déjà deux généraux injustement proscrits viennent d’être rendus à l’honneur et à la liberté. Moi seul en vain demande justice, je me vois oublié, calomnié et emprisonné sans pouvoir me procurer les pièces nécessaires à ma justification. A mon arrivée à Paris, j’écrivis à la Convention ; depuis j’ai écrit deux fois au Comité de salut public et le tout sans réponse. Aujourd’hui, je réclame avec force un droit imprescriptible : celui d’être entendu. Ma justification sera comme ma conduite : simple et sans art.
Pour prouver ce que j’avance, je ne demande que l’examen des papiers qui furent arrêtés lors de mon entrée au Luxembourg avant même de me les faire remettre. Lisez, consultez, examinez, soit en ma présence, soit en mon absence, ma confiance est dans vous. Songez, représentants, que lors de mon arrestation à Belle-Isle, mes papiers ne furent point séquestrés, songez qu’il m’eut été facile de les soustraire, songez que depuis j’aurais pu, imitant les folliculaires afficher, placarder, etc. mais sachez que fort de ma conscience, j’ai acquis le droit de mépriser ces vils moyens : le crime veut un voile, l’innocence marche nue.
J’ai été faussement et cruellement inculpé à la Convention nationale, c’est au sein de la Convention que votre rapport et ma voix feront entendre la vérité. La France a vu la honte dont on a essayé de me couvrir, la France saura la gloire qui suivra ma défense, elle apprendra sans doute avec intérêt et surprise que ce Turreau qu’on accuse de férocité a proposé une amnistie semblable à celle d’aujourd’hui, le 29 frimaire 2e année, amnistie qui après la fameuse défaite de Savenay eut été aussi humaine que politique. Lorsque je demandais des ordres, des plans, des conseils, des ressources, lorsque je communiquais avec fraternité mes opérations, mes espérances ou mes craintes, lorsqu’enfin j’annonçais une réunion formidable de brigands, la France sera étonnée en apprenant que c’était d’après ces lettres officielles que l’impudence disait à la tribune qu’il n’existait plus de Vendée et que les grandes mesures avaient été prises. Eh ! Qu’elles étaient ces mesures. Si sous huit jours (m’écrivait-on) tout n’est pas exterminé dans la Vendée, songe à ta responsabilité. Le sang de Biron fume encore et l’échafaud t’attend. L’échafaud, encore l’échafaud et toujours l’échafaud.
Quand aux autres inculpations ma réponse se trouve dans ma correspondance.
Je me résume donc à ces deux démarches :
1e mes papiers
2e un rapport sur ma conduite.
Je serais peut-être fondé à demander mon élargissement sous la garde de deux gendarmes pour vaquer aux soins qu’exigent ma santé et ma justifiation ; mais je ne veux composer en rien avec le jugement que je réclame.
Enfin, citoyen représentants, j’en appelle à vos cœurs ; innocent, j’ai langui trop longtemps, coupable vous avez trop tardez à frapper un méchant.
Je vous demande une réponse à ma juste demande, il n’y a que les tyrans qui étouffent l’accent de l’accusé ; sous l’empire de la liberté, il doit être écouté. »
En prairial (20 mai-18 juin), Turreau rédigeait une nouvelle note. Le 19 juillet, il fit imprimer la quasi copie conforme de cet écrit, passant de la troisième personne à la première :
« A la Convention nationale,
Citoyens représentants,
Avant la révolution, j'avais l'estime et la confiance de mes concitoyens; depuis j'ai servi la Patrie avec honneur, et la calomnie cherche à me deshonorer ! Dès le principe, je fus commandant de la garde nationale, chef de la légion et électeur dans mon canton; et dans toutes ces places, ma conduite fut irréprochable. Aux premiers cris de la Patrie en danger, j'abandonnai femme, enfants, commerce, pour voler aux frontières, à la tête du 3e bataillon de l'Eure. J'eus le bonheur de fixer les yeux des chefs à l'affaire d'Arlon ; bientôt je fus appelé comme général de brigade à la guerre de la Vendée. Des preuves non équivoques attestent ma conduite dans ces différents postes : généraux, représentants, tous m'ont estimé et m'ont donné des certificats honorables. Le citoyen Richard, maintenant à l'armée du Nord, est de ce nombre. Sans avoir fait aucune démarche indigne de moi, je fus promu au commandement en chef des armées des Pyrénées orientales ; je refusai : on me força d'accepter.
Qu'on cherche dans les cartons du comité de salut public et du ministre d'alors, on verra tous les efforts que j'ai fait pour lutter contre la faction qui voulait tout désorganiser, dont l'ignorance et la trahison ont fini par occasionner les malheurs que j'avais prédis, et dont j'eusse préservé cette armée, si on ne m'eût pas fait changer de commandement. Je profitai de cette occasion pour demander à redevenir simple général de brigade. Je venais solliciter cette grâce à Paris, lorsque je reçus en route l'ordre d'aller commander l'armée de l'Ouest. J'y restai quatre mois ; j'y fus destitué par Robespierre, et enfin envoyé ou plutôt exilé, à la tête de six mille hommes qui formaient la garnison de Belle-Ile-en-Mer. Le général Moulin, qui commandait alors l'armée des côtes de Brest, a constaté par un certificat authentique les services que j'ai rendus à la chose publique dans cette île, en y ajoutant des travaux qui doivent la rendre imprenable, si elle est défendue par un officier général assez instruit pour savoir profiter de ces nouvelles fortifications.
Lorsque la Convention eut secoué le joug sous lequel elle gémissait depuis un an, elle rechercha tous les hommes qui avaient pu être les complices de son tyran; elle crut surtout les trouver parmi ceux qui avaient commandé dans la Vendée. Plusieurs représentants firent part des dénonciations qui leur avaient été faites sur moi ; des ouï-dire furent pris pour des faits positifs ; les accusations les plus absurdes furent lancées au hasard, et la Convention décréta mon arrestation sur la motion de Billaud-Varennes, et ordonna que « le Comité de salut public ferait imprimer la correspondance des représentants, et sous huit jours présenterait le rapport réfléchi qui devait éclairer la Convention. »
Depuis dix mois j'attends en vain ce rapport.
Arrivé dans la prison du Luxembourg, fort de mon innocence, et de la preuve que ma correspondance pouvait en donner, je me préparai à me justifier. Je demandai mes papiers dans ma prison ; mes amis me les adressent. Mais quoi!... On les arrête !... Je suis instruit qu'un gendarme a dû les porter au comité de salut public, soudain je les réclame; point de réponse, et le rapport annoncé n'arrive pas et depuis dix mois je crie en vain à l'injustice ! et la commission de la guerre, le comité de salut public, celui de sûreté générale, ont également ensevelis dans l'oubli les innombrables pétitions que j'ai présentées !!! Quand je serais le plus scélérat des hommes, m'en devrait-on moins la restitution de mes papiers, jusqu 'à ce que la hache de la loi eût frappé ma tête coupable ? Ne sont-ils pas ma propriété ? Ne serait-ce pas une double injustice envers la société de ne m'avoir pas encore puni de mes crimes ?... Rien, non, rien ne peut légitimer l'acte arbitraire qui ravit à un accusé les moyens de se disculper : ainsi en agit le despotisme; aussi le despote ne juge pas, il assassine.
Mais si je suis faussement accusé, si mon arrestation est une légèreté, que le rapport promis dans la huitaine pouvait réparer, la justice et l'humanité sont également révoltées de la conduite qu'on tient à mon égard, et de la prolongation de ma captivité.
Un extrait ne peut contenir les immenses détails nécessaires pour prononcer sur la perfidie des calomnies, dont quelques représentants ont été les organes innocents ; mais voici ce que je prouverai : que le gouvernement d'alors m'a voulu sacrifier, en m'envoyant malgré moi commander dans la Vendée ; qu'après la bataille où l'impudence a proclamé en tous lieux la fin de la guerre, il existait encore une armée formidable de brigands ; que le 29 frimaire, lorsque plusieurs d'entr'eux vinrent se rendre à Angers ou à Nantes, je proposai au comité de salut public la grâce de tous ces hommes, leur renvoi dans leurs campagnes, et l'amnistie telle qu'elle vient d'être accordée, et dans un temps bien plus convenable ; que la seule réponse du comité fut des menaces de mort, si je ne marchais pas sur le champ pour tout exterminer ; que j'exigeai des ordres des représentants, ou des instructions du comité qui me furent également refusés ; que pendant ce temps on fusilla à Angers et à Nantes, par ordre des comités révolutionnaires, tous les prisonniers; que forcé de faire, avec le reste des brigands, une guerre à mort, je ne donnai cependant d'autres ordres que ceux qui résultaient du décret du premier août, relatifs aux mesures à adopter pour terminer cette guerre ; c'est-à-dire, enlèvement des subsistances, fourrages, évacuation libre et protégée de toutes les femmes, enfants et vieillards sur les derrières ; mais incendie de tout ce qui pouvait servir de repaire aux rebelles, et fusillade de tous ceux qu'on pourrait rencontrer.
Je prouverai que jamais je n'ai trompé, le comité sur l'état de la Vendée, et qu'on proclamait à la tribune le contraire de ce que je mandais. J'ai pu faire parvenir des récits d'avantages exagérés dans des affaires, mais les généraux inférieurs l'attestant, je ne pouvais refuser à en être l'organe ; au surplus, le comité, les représentants du peuple, lors de mon commandement, n'ont jamais donné de plan pour terminer la guerre ; les seules mesures qu'ils prenaient, étaient de me donner l'ordre d'exterminer les brigands dans un court délai fixé, sous peine de mort. L'échafaud t'attend, me disait-on, si la Vendée se prolonge encore,
l'échafaud, encore l'échafaud, et toujours l'échafaud !
Je prouverai que sans l'extrême clarté que j'ai mise dans ma conduite, j'eusse fini par y être entraîné par des hommes indignés de me voir si peu propre à seconder leurs infâmes projets. Je prouverai que, lorsque Robespierre ou ses agents m'eurent fait partir de la Vendée, les brigands n'avaient plus de ressources, ni de consistance politique ; que l'inertie de ceux qui m'ont succédé leur a donné cette importance, qui a fini par les conduire à traiter avec la République...
Ma conduite ainsi justifiée quant aux opérations en grand qui se sont faites dans la Vendée ; les ordres que j'ai donnés calqués sur les principes les plus purs et la stricte nécessité, étant connus, toutes les horreurs de détails dont une foule de pamphlets ont sali leurs pages mercenaires, cesseront de peser sur ma tête. J'ai défendu les crimes, je les ai prévenus de tout mon pouvoir, j'en ai fait punir quelques auteurs, c'est assez pour prouver combien il répugnait à mon cœur de verser un sang inutile...
Mille autres accusations, telles que celles d'avoir voulu faire brûler les Sables-d'Olonne, passer les habitants au fil de la baïonnette, etc., etc., tomberont d'elles-mêmes. Elles n'ont pu être inventées que par des imbéciles qui ne savent pas que les Sables, par exemple, sont le poste le plus important du pays, et qu'un fou seul pourrait en rêver la. destruction.
Mais qu'on me rende mes papiers, qu'on en fasse auparavant l'examen, et le rapport qu'il en résultera achèvera bientôt de dissiper ce vernis d'atrocité dont on m'a couvert, sans qu’il m'ait été possible de me défendre.
Une dernière réflexion... Les brigands ont leur grâce, et les généraux qui ont dû combiner leur destruction, gémissent dans les prisons ! Ne doivent-ils pas profiter des effets de l'indulgence nationale, quoiqu'ils ne réclament et n'ont besoin que de la plus rigoureuse justice ? N'exige-t-elle pas, cette justice une et éternelle, que moi, innocent et malade, je sois traité comme dernièrement les comités viennent de traiter un de mes co-accusés ?
Le général Grignon est en liberté, et moi, qui depuis longtemps réclame des juges et un tribunal, je n'obtiendrais pas ma mise en jugement ? Représentants, je n'ai besoin ni de grâce ni de pitié ; mais je demande que vous autorisiez votre comité du salut public, à prononcer définitivement sur ma mise en liberté ou mon jugement. »
A cette défense, il convient bien évidemment d’ajouter ses Mémoires rédigées en prison et dont voici quelques passages :
« J’appris [à Noirmoutier] que Stofflet et La Rochejaquelein, qui avaient suivi le prince de Talmont en-deçà de la Loire , étaient repassés sur la rive gauche; et qu’après une entrevue qu’il y avait eu dans Noirmoutier, entre Charette et La Rochejaquelein devant d’Elbée mourant, qui les exhortait à se réunir pour relever le parti dont leur désunion et celle des autres officiers-généraux avaient accéléré la ruine, ces deux chefs s’étaient séparés mécontents l’un de l’autre, et disposés plus que jamais à isoler leurs opérations. Je fus instruit que La Rochejaquelein, aidé de Stofflet et de Bernard de Marigny, parcourait tout le territoire occupé par les débris de la grande armée catholique, pour la réorganiser; qu’il n’attendait que le retour de la belle saison, surtout les munitions de guerre que l’Angleterre faisait espérer, et celles que devaient procurer de nouveaux établissements , pour attaquer en masse nos postes disséminés dans le centre de la Vendée; que, pendant l’hiver, ils se borneraient à une guerre de détail, et ne s’attacheraient qu’à couper les communications entre ces postes , à enlever nos partis, nos patrouilles, nos escortes, nos convois, surtout nos munitions de guerre.
Cette guerre de chicane était ce qui nous convenait le moins sous tous les rapports. C’était cependant ce qu’on faisait depuis trois mois, et ce qui avait redonné de l’audace et des espérances aux rebelles.
Les rapports journaliers qui m’arrivaient de tous les points, ceux d’un grand nombre de prisonniers, tous conformes, ceux mêmes de quelques espions dont j’avais essaye l’emploi, sans espoir d’en tirer un grand parti, me confirmaient tout ce que m’avait dit d’Elbée, et ce qu’il m’avait fait présumer par son refus de répondre à certaines questions que je lui avais faites sur la situation intérieure de la Vendée. J’appris, au surplus, que les rebelles faisaient la guerre en désespérés, et avec une atrocité dont l’histoire des peuples les plus féroces ne présente pas d’exemples. Les républicains, soldats ou non, qui tombaient entre leurs mains, finissaient leur vie dans des supplices affreux et prolongés.
Tout ce que la barbarie la plus ingénieuse peut inventer de tourments, était exécuté au nom de la religion catholique et de Louis XVII , et le plus souvent exécuté par des femmes, sur les prisonniers de guerre, et indistinctement sur tous ceux qui restaient fidèles à la république.
L’attachement aveugle et incurable des rebelles pour leurs chefs et leurs prêtres; les liaisons, les intelligences que ceux-ci conservaient dans les pays voisins du théâtre de la guerre ; les ravages qu’ils faisaient dans l’opinion publique par l’effet de leurs proclamations profusément répandues ; leurs complots si bien ourdis, si bien combinés, qu’ils n’étaient connus que lorsqu’il n’était plus temps de les déjouer; les nouveaux mouvements qu’ils excitaient dans le Morbihan et parmi les rebelles de la rive droite de la Loire, dont ils provoquaient les secours et la réunion ; le passage récent de plusieurs détachements de cavalerie qui, ayant abandonné les chouans, rejoignaient journellement, et en détail, les rassemblements de la rive gauche , par l’imprévoyance des commandants de Saumur, d’Angers, etc., etc.; quelques échecs que nous avions éprouvés dans différentes affaires de postes qui avaient eu lieu avant mon arrivée dans l’arrondissement de la grande armée catholique; l’expérience des événements qui avaient assigné à cette horrible guerre de si effrayants caractères; la crainte de les voir renaître lorsque la plupart des instruments de la révolte existaient encore, et présentaient à un chef habile, auquel on eût laissé le moindre délai pour les rassembler, tous les moyens de redonner au parti royaliste cette intensité qu’il avait perdue, et qui l’avait rendu longtemps si redoutable; la consistance qu’avait conservée l’armée de Charette qui, faisant véritablement la guerre en brigand, n’avait jamais compromis l’ensemble de ses forces dans une affaire générale; que trente défaites consécutives avaient à peine entamé; sur lequel enfin nous n’avions pas acquis, nous n’avions pu encore acquérir cet ascendant que donnent des victoires sanglantes et longtemps disputées, et dont le résultat infaillible est d’écraser, d’ôter toute espèce de ressource à l’ennemi vaincu; les secours que les rebelles attendaient de l'Angleterre, et qui, malgré toutes les précautions prises pour les intercepter, pouvaient leur parvenir par la moindre négligence dans le service sur les côtes, par l’effet du moindre événement fortuit, qui quelquefois rend inutiles les dispositions les plus sages, et que toute la prudence humaine ne peut prévoir; enfin , mille circonstances particulières et de localité, difficiles à bien expliquer, et qui peut-être ne pourraient être saisies, même aperçues que par ceux qui ont une parfaite connaissance du pays : voilà à peu près le résultat des renseignements que j’avais recueillis, et le fruit de mes observations sur la guerre de la Vendée, que j’avais étudiée depuis son origine.
Quant à mes instructions, je les puisais dans plusieurs décrets de la Convention, divers arrêtés des comités de gouvernement, et de ceux des représentants en mission dans l’Ouest; je les aurais même reçues de l’exemple de mes prédécesseurs qui avaient porté l’incendie et la mort dans le pays révolté, surtout de ceux qui avaient dirigé la garnison de Mayence. Le silence du gouvernement sur la proposition que je lui avais faite d’essayer des voies de douceur, et, en publiant une proclamation d’amnistie, de faire espérer le pardon des rebelles qui se rendraient spontanément et remettraient leurs armes ; cette mesure, qui aurait infailliblement réussi vis-à-vis des chouans, comprimés, effrayés par le spectacle récent de plusieurs combats terribles qui s’étaient donnés sur leur territoire, d’après lesquels les rebelles avaient été poursuivis sans relâche et exterminés sans quartier ; le silence du gouvernement, ai-je dit, obligeait de renoncer à tout système d’indulgence, que repoussaient effectivement les décrets de la Convention, et ne laissait plus de doute sur son intention déjà bien prononcée d’arracher, par le fer et le feu , jusqu’aux dernières racines de la conspiration de l’Ouest, et de continuer la guerre à outrance pour y parvenir.
Aussi, quoiqu’il ne me donnât ni plan ni conseils que je ne cessais de demander, sanctionna-t-il toutes mes mesures qui, d’ailleurs, avaient été approuvées par les représentants près l’armée.
D’après ces considérations et un examen assez réfléchi des seules mesures militaires qu’on pouvait employer dans la Vendée, en les combinant sur la nature du terrain, les obstacles de la localité, la manière de combattre des Vendéens, leur audace et leurs forces, voilà quelles furent les bases de mon plan général, dont l’objet était de priver les rebelles de toute espèce de ressources en munitions de guerre et de bouche, et de ne leur laisser que le choix de la mort dans le centre du pays révolté, en occupant fortement les principaux points de la circonférence :
1°. Empêcher les Vendéens de recevoir aucun secours de l’étranger;
2°. Couper toutes leurs communications avec les chouans et les rebelles du Marais ;
3°. Éloigner du pays révolté tous ceux de ses habitants qui n’avaient pas pris les armes, parce que les uns, sous les apparences de la neutralité, favorisaient en secret le rebelle, et que les autres, et c’était le plus petit nombre, quoique fidèles à la république, leur procuraient aussi des secours qu’ils ne pouvaient refuser à la force ;
4°. Faire enlever de l’intérieur delà Vendée, les bestiaux, les grains, tous les objets de subsistance, et en évacuer tous les postes ;
5°. Détruire les repaires des rebelles, et généralement tous les lieux qui pouvaient leur offrir un asile et des ressources ;
6°. Embrasser tout le théâtre de la guerre sur la rive gauche de la Loire, d’abord par des postes disposés sur les principaux points de la circonférence; ensuite, et au retour de la belle saison, par des camps retranchés;
7°. Faire parcourir la Vendée dans tous les sens, par des colonnes qui poursuivraient sans cesse les rebelles, détruiraient leurs repaires, et protégeraient l’enlèvement des subsistances;
8°. Occuper et fortifier Saint-Florent (aujourd’hui le Mont-Glône), placé sur la Loire au milieu du diamètre où des colonnes agissantes trouveraient toujours des vivres, et en cas d’insuccès, une retraite et un point d’appui qui, d’ailleurs, par sa situation sur le fleuve, en protégerait la navigation, et recevrait, par cette voie, tout ce qui était nécessaire aux besoins de la garnison, et à ceux des divers corps d’armée que la suite des opérations pouvait rapprocher de ses murs;
9°. N’attacher aux colonnes aucune espèce d’artillerie, ni effets de campement, ni équipages, ni bagages, ni ambulances ;
10°. Eloigner les magasins, même les entrepôts de tous les postes de première et de seconde lignes;
11°. Renouveler fréquemment les troupes des colonnes par celles des garnisons en cantonnement;
12°. Ne transmettre jamais ni les ordres ni les rapports par l’intérieur de la Vendée;
13°. Etablir sur la Loire, dans la partie de son cours, depuis Angers jusqu’à Nantes, vingt-quatre chaloupes canonnières, pour surveiller, protéger la navigation, inspecter, visiter les bâtiments qui longeraient le fleuve, surtout ceux qui passeraient d’une rive à l’autre,
14°. Changer, au moins deux fois par an, toutes les troupes de l’armée de l’Ouest , avec celles des armées des Côtes de Brest et de Cherbourg, et n’en jamais changer les officiers-généraux ;
15°. Désarmer toutes les communes voisines du théâtre de la guerre, parce que l’ennemi pouvait y faire de nouvelles insurrections, arracher les armes et les munitions aux patriotes, ou recevoir les unes et les autres de ceux des habitants attachés au parti royaliste.
La première partie de ce système général d’opérations dans l’Ouest, consistait dans l’établissement de cantonnements sur la rive droite, disposés de manière à contenir les chouans, les empêcher de faire diversion, et de tenter aucun mouvement auxiliaire, pendant que l’on combattait les Vendéens.
La seconde, à prendre les mêmes mesures vis-à-vis des rebelles du Marais, qui, n’étant séparés des Vendéens par aucun obstacle naturel, pouvaient en recevoir des secours, ou se réunir à l’armée de Charette.
La troisième, dans l’irruption simultanée de douze colonnes, sur le territoire occupé par les débris de la grande armée catholique , alors divisé en trois arrondissements.
La quatrième, dans des marches, des opérations particulières contre Charette.
La cinquième, dans l’exécution d’un plan d’attaque générale sur le Marais.
La sixième, dans l’établissement des camps retranchés.
Ce plan général, ce projet à plusieurs branches, dont je ne présente que l’analyse, considéré sous tous ses rapports, me parut devoir terminer entièrement la guerre de la Vendée; et quoique je ne me dissimulasse point les entraves qu’y apporteraient tous ceux dont il offensait les intérêts, et qui cependant devaient concourir à son exécution, je jugeai que l’indifférence dans les uns, leur répugnance à me seconder, les moyens cachés d’opposition, et la force d’inertie dans les autres; les manœuvres secrètes de quelques-uns encore qui n’étaient pas tout-à-fait étrangers à la révolte, pouvaient retarder l’effet de mes mesures, mais non pas les rendre impuissantes. Ainsi, malgré l’effrayante coalition des départements, districts, municipalités, sociétés dites populaires, tribunaux, commissions et comités, etc., etc.; enfin, des mille et une autorités qui, tantôt individuellement, tantôt collectivement , se déchaînaient contre moi , malgré leurs deux mille dénonciations écrites, leurs injures, leurs clameurs à la tribune et dans les carrefours; malgré l’emploi de tous les moyens de discordance qu’ils cherchaient à exciter parmi les troupes, mais dont une répression sévère eut bientôt arrêté les progrès; malgré les cent mille obstacles physiques et moraux qu’opposaient la localité, les rebelles et leurs complices , et cette foule d’hommes et de corporations réunies pour m’écraser, à l’exécution de mon plan, je n’y changeai pas la moindre disposition, et je n’effaçai pas une syllabe de mes ordres, toujours basés sur des ordres supérieurs, ou sanctionnés par les autorités premières.
[…]
Ainsi je ne m’occupai plus que de l’exécution de la troisième partie de mon plan général, c’est-à-dire de la marche combinée des douze colonnes que formaient environ quinze mille hommes des meilleures troupes et des moins fatiguées.
Le concours de toutes les autorités civiles, de toutes les autorités voisines du pays insurgé, était indispensable pour l’exécution de ce plan, surtout pour en accélérer le succès. Aussi, l’ordre général du 19 janvier 1794, en vertu duquel les colonnes s’ébranlèrent, fut-il précédé d’un arrêté du représentant du peuple Laplanche , qui ordonnait aux corps administratifs de faire enlever de la Vendée tous les objets de subsistance, et qui leur laissait la plus grande latitude sur le choix des moyens à employer pour que cet enlèvement se fit promptement, et que l’on profitât de la protection des colonnes marchant pour l’exécuter avec sûreté; mais cette mesure blessait tous les intérêts particuliers; et, quoiqu’elle fût salutaire, et d’autant plus urgente que déjà tous les pays riverains de la Vendée étaient atteints par la disette, on chercha à l’éluder pour atténuer toutes les autres; on prétexta des dangers, on s’excusa sur le défaut de voitures; on délibéra, on gagna du temps; enfin, quelque impérative que fût la missive circulaire du représentant du peuple, elle ne fut que très-imparfaitement exécutée, et si je suis parvenu à faire extraire de la Vendée quelques subsistances , ce n’a été que par les soins du régisseur des vivres de l’armée.
Cependant, je ne pouvais pas retarder la marche des colonnes.
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Les colonnes déjà disposées sur différentes parties de l’Est, pour ce mouvement général et agressif, entrèrent donc dans la Vendée suivant l’ordre précité.
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Enfin, les représentants du peuple près l’armée de l’Ouest, prennent deux arrêtés que je sollicitais depuis longtemps, et qui devaient accélérer le terme de la guerre, autant que toutes les opérations militaires. L’un ordonne que Cholet sera évacué ; l’autre, que tous les habitants de la Vendée quitteront le pays, sinon qu’ils seront réputés rebelles et traités comme tels. Cette nouvelle disposition donne encore plus d’activité aux opérations, en augmentant le nombre des troupes agissant offensivement.
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Mais sans donner plus de détails sur mes diverses opérations dans les mois de février et de mars 1794, je vais rapporter un fait qui suffira pour prouver l’état de détresse où j’avais réduit les rebelles. Le hasard fit tomber en mon pouvoir le chevalier de La Cathelinière, le premier des lieutenants de Charette; il dit à un aide-de-camp qui le gardait chez moi, en attendant sa traduction au tribunal militaire : « Les mesures adoptées par votre général nous ont réduits à la dernière extrémité ; mon parti est perdu sans ressource. M. de Charette ne voulait pas faire la guerre cet hiver, et, si l’on nous eût donné le temps de nous réparer, nous aurions eu au printemps cinquante mille hommes, à l’épreuve de toute espèce de dangers, de fatigues et de privations. Nous manquons de munitions de guerre, et la destruction des moulins et des fours nous privera du secours des munitions de bouche qui nous restent, etc. »
La Cathelinière a fait la même déclaration devant quatre représentants du peuple, alors en mission à l’armée de l’Ouest, Garreau, Prieur ( de la
Marne), Hentz et Francastel.
En rapprochant cette déclaration de tout ce qui avait échappé à d’Elbée, sur la situation de la Vendée, et en suivant les événements qui l’ont justifié, tout lecteur impartial est à portée d’apprécier les mesures que j’avais prises pour terminer cette malheureuse guerre, le plus terrible de tous les fléaux qui ont affligé la république. Il peut juger aussi combien j’avais d’obstacles à vaincre pour parvenir à l’exécution complète d’un plan que l’opposition constante de tant d’intérêts divers et contraires devait faire échouer.
[…]
Mais si cet ouvrage, qui n’a d’autre mérite que de prouver le peu de prétentions de l’auteur, son amour pour la vérité et l’indépendance de ses opinions, devait être attaqué par des gens étrangers au métier, ou par quelques hommes qui n’ont du militaire que les épaulettes ; si dans les nouveaux écrits que celui-ci peut faire naître, on joint la méchanceté à l’ignorance, et que l’on cherche à me réfuter par de grosses injures et de mauvaises raisons, je ne répondrai pas , mais je ne serai pas convaincu que mon plan ne vaut rien.
Ce qui est préférable à tous les plans militaires possibles, c’est le projet de finir la guerre de la Vendée par les voies de douceur : ce parti fait honneur à la Convention nationale. Il est temps d’arrêter les flots de sang qui depuis vingt mois ont inondé cette malheureuse contrée. Les commissaires chargés de cette importante mission sauront sans doute concilier les mesures que commande le salut public, avec celles qu’exige l’humanité. Ils jugeront avec raison qu’un excès de clémence compromettrait infailliblement le sort de la république.
Alors que Turreau était emprisonné depuis plusieurs mois, la Convention statuait enfin sur son sort et, le 9 septembre 1795, décrétait sa traduction devant le tribunal criminel de Tours. Le procès n’eut jamais lieu.
En effet, le 26 octobre 1795, l’amnistie tombait :
« La Convention abolit, à compter de ce jour, tout décret d'accusation ou d'arrestation, mandat d'arrêt mis ou non à exécution, toutes procédures, poursuites et jugements portant sur des faits purement relatifs à la révolution. » (article 3)
Turreau n’accepta cependant pas le pardon offert et exigea d’être jugé. En conséquence, un conseil militaire fut formé sous la présidence du général Berruyer (y siégeaient également les généraux Foissac-Latour, Chateauneuf-Randon, Pille, Peyre, Dufresse et Peyron, le chef de brigade Bergeron et le colonel Lestrange).
Le conseil militaire rendit son jugement le 19 décembre 1795 :
« Le conseil militaire, assemblé en conséquence d'un arrêté du directoire exécutif du 1er frimaire de l’an IV [22 novembre], qui porte que, sous trois jours, il serra formé par le ministre de la guerre, d’après la loi du 24 brumaire dernier [23 octobre], un Conseil militaire pour prononcer sur les délits que l'ex-général Turreau était prévenu d'avoir commis pendant qu'il commandait en chef l'armée de l'Ouest ;
Vu les pièces produites au procès, nottament l’interrogatoire subi par ledit ex-général Turreau ; ensemble le décret de la Convention nationale du 1er août 1793 (vieux style), les différents ordres donnés pour l’exécution de ce decret, ainsi que les arrêtés du Comité de salut public et des représentants du peuple près l’armée de l’Ouest, relatif au même sujet ;
Ouï le général de brigade, rapporteur, en ses conclusions ;
Le Conseil militaire déclare, à l'unanimité, toutes les inculpations dirigées contre Louis-Marie Turreau, ex-général de division, commandant en chef de l’armée de l’Ouest, non fondées et calomnieuses ; que ledit général a dignement rempli ses fonctions dans ledit commandement, comme homme de guerre et comme citoyen ;
En conséquence lacquitte de l'accusation portée contre lui ;
Ordonne qu'il sera sur-le-champ mis en liberté, et que le présent jugement sera imprimé et affiché partout où besoin sera.»