Pouzet a écrit :
Je ne comprends pas la stratégie des alliés lors de la campagne de France en 1814.
Pourquoi n'ont-ils pas concentrer leurs forces en direction de Paris des le début, au lieu de disperser leurs forces, ce qui a permis à Napoléon de gagner plusieurs batailles ?
C'est que les alliés eux même ne l'ont pas comprise non plus. Et pour la bonne raison que la décision de marcher sur Paris a été prise très tardivement (le 24 mars seulement).
Il faut bien comprendre qu'on a à faire à une coalition de pays avec des objectifs très différents et que cette désunion dans les objectifs politiques s'est ressentie sur les opérations militaires de la coalition.
Après la bataille de Leipzig et l'évacuation de l'Allemagne par la France, les armées coalisés arrivent sur les bords du Rhin vers le 1er novembre 1813.
Depuis leur entrée en guerre décisive en août 1813 aux cotés des russes et prussiens, les autrichiens ont pris le leadership de la coalition. Schwarzenberg a été nommé généralissime de la coalition (général en chef de toutes les armées coalisés) et Metternich est en charge de la conduite des négociations.
Les autrichiens ont persuadés la coalition de stopper l’armée sur le Rhin et de faire le 8 novembre 1813 depuis Francfort des propositions de paix basée sur les "frontières naturelles" avec l'indépendance de la Hollande, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Mais le Tsar lui veut à tout prix marcher sur Paris pour y renverser Napoléon, quitte à accorder au successeur les frontières naturelles. Il soupçonne l'Autriche de vouloir ménager Napoléon.
Pour maintenir l'union de la coalition, il va donc donner son accord pour les propositions de paix, à la condition que les opérations militaires ne soient pas stoppées par les négociations. Autrement dit, les armées coalisées doivent avancer tant que la paix n'est pas signée. L'Autriche accepte, sans se méfier du piège tendu par la Tsar. Car le Tsar va aussitôt demander à ce que l'Angleterre intègre les négociations.
L’Angleterre est partie prenante de la coalition mais les puissances continentales, et particulièrement l'Autriche, l'ont toujours considéré comme un simple financier, jamais comme un véritable partenaire de négociation (l'armistice de 1813, les négociations de Dresde et l'entrée en guerre de l'Autriche ont été conduites sans la présence des anglais).
Mais impossible pour Metternich de refuser une telle requête du Tsar. Le problème c'est que l'Angleterre, elle même habituée à être tenue à l'écart, n'a pas d’émissaire désigné avec les pleins pouvoirs pour négocier. Il faut donc attendre qu'un émissaire anglais soit nommé. Et c'est le ministre des affaires étrangères Castlereagh en personne qui est désigné. Il n'arrivera au QG des coalisés que le 18 janvier.
Que faire donc pendant un mois et demi ? La réponse de Napoléon aux propositions de paix arrive le 2 décembre et elle est jugée insuffisante (il ne donne pas formellement son accord aux propositions générales). L'Autriche va alors consentir à profiter de la situation favorable (soulèvement de la Hollande qui a quasiment réussie à chasser l'ensemble des troupes françaises hormis quelques forteresses, de la Suisse qui se déclare indépendante et de Murat à Naples qui commence à négocier une paix séparée) pour donner son accord à une reprise de la marche en avant des troupes vers le 15 décembre. Dans l'esprit de l'Autriche, ces mouvements militaires doivent juste amener à affaiblir un peu plus Napoléon pour l'amener à la table des négociations. Mais pour le Tsar, ces mouvements doivent être l'occasion de s'approcher le plus vite possible de Paris, quitte à faire traîner les négociations par n'importe quel prétexte.
L'armée dite de Suède sous les ordres de Bernadotte (avec une majorité de prussiens) est détachée en Hollande pour y assurer la future indépendance de ce pays.
L'armée de Silésie de Blucher(composée de prussiens et russes) est envoyé faire le siège de Mayence.
La Grande armée qui regroupe le gros des troupes autrichiennes et russes est envoyé en Suisse à la fois pour en garantir l'indépendance, pour couper les liaisons avec l'Italie et s'emparer des dépôts militaires français dans l'est de la France qui devaient servir de base à armer la nouvelle conscription.
Ainsi commence la dislocation des troupes coalisées. Car il s'agissait d'obtenir de multiples petits objectifs dans une stratégie à court terme.
Or rien ne va se passer comme prévu par les autrichiens. Blucher, au lieu de faire le siège des places fortes s'avance à corps perdu, contournant les forteresses, sans se soucier d'assurer ses lignes de communications et il parvient jusqu'à Saint Dizier. La Grande Armée Autrichienne va donc devoir s'avancer en direction de Troyes pour le soutenir. L’émissaire anglais est arrivé à Langres le 18 janvier 1814, mais les russes trouvent toutes sortes de prétextes pour repousser l'ouverture des négociations (il va notamment réclamer un retour aux frontières de 1792, rendant caduques les propositions de Francfort). Le 25 janvier, Napoléon, las d'attendre des négociations qui ne viennent pas, entre en scène à la tête de son armée et tente d’attaquer Blucher qui est bien trop avancé et empêcher la jonction de Blucher avec les autrichiens. Mais il est trop tard, Blucher manoeuvre, se lie avec l'armée autrichienne et fini par remporter la bataille de Brienne le 1er février 1814. Schwarzenberg, qui a pourtant le commandement général, laisse à Blucher le commadnement de la bataille. Ce seul fait suffit à démontrer la mésentente entre autrichiens et prussiens (à noter que le Roi de Prusse est proche de la position autrichienne mais que ses propres généraux le forcent à prendre une position alignée sur celle du Tsar).
Cette bataille remportée par la coalition au coeur de la France, à quelques centaiens de kilomètres de Paris, suffit à flatter l'orgueil du Tsar qui consent enfin à ouvrir les négociations, à Chatillon, sur la base d'un retour aux frontières de 1792. L'Autriche s'est résignée à consentir à ces nouvelles propositions (accord du 29 janvier signé par la Russie, l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre), à la fois pour satisfaire le Tsar et pour essayer de sauver le trône de Napoléon dont elle estime avoir besoin dans l'équilibre des puissances. Et puis c'est toujours plus facile de s'entendre quand il s'agit de dépecer une puissance rivale. Le Tsar de son côté est persuadé que Napoléon refusera et que les opérations militaires vont donc pouvoir se poursuivre. Le congrès s'ouvre le 4 février.
Et alors que l'armée Autrichienne fait une pause à Troyes pour attendre le résultat des négociations, Blucher, soutenu secrètement par le TSar, reprend sa marche sur Paris. Et c'est là que Napoléon va profiter de la séparation de l'armée coalisée et la marche intempestive de Blucher pour infliger à Blucher une série de défaite entre le 10 et 12 février. L'Autriche reste passive, satisfaite de voir les prussiens et russes malmenés, fait une timide avancée sur Montereau pour dégager son allié. Mais à peine Napoléon montre le bout de son nez que l'armée autrichienne se replie de 100 kilomètres en 2 jours.
Le Tsar vient enfin réclamer une accélération des négociations. Mais cette fois, c'est Napoléon qui vient contrarier les plans autrichiens en refusant tout net les frontières de 1792. Il veut revenir aux frontières naturelles. Les dissensions au sein de la coalition se font jour. Les russes et prussiens refusent, les autrichiens sont pour, l'Angleterre tente de concilier les deux camps.
Bon gré mal gré, l'Autriche se résout à reprendre timidement l'offensive militaire. Blucher lui n'a pas perdu de temps. Il est remonté plein nord sur Laon pour faire sa jonction avec les corps prussiens et russes de l'armée de Silésie (Bernadotte se hâte lentement contre son ancienne patrie, très lentement, trop lentement pour ne pas éveiller les soupçons. Les corps russes et prussiens sont retirés de sont commandement). Napoléon tente une nouvelle fois de battre Blucher séparément. Il échoue à Laon le 1er mars. L'Autriche renouvelle ses propositions de paix. Napoléon refuse à nouveau.
Le 15 mars, les coalisés signent le traité de Chaumont. Ils se jurent de ne pas déposer les armes tant que l'objectif fixé entre eux n'est pas atteins. Cet objectif n'est pas énoncé dans le traité mais on le connait tous désormais : marcher sur Paris et renverser Napoléon.
Napoléon lui continue de croire en sa victoire militaire. Il marche sur Saint Dizier, écrase un corps russe, puis sur Arçis-sur-Aube contre les autrichiens. Mais cette fois l'armée autrichienne ne recule plus. Au contraire elle avance. Napoléon est battu. Il se lance vers l'Est. Mais une fois que l'objectif politique est clairement défini, les coalisés s'en tiennent au plan : marcher sur Paris et y renverser Napoléon.
Le 24 mars, les armées de Schwarzenberg et de Blucher marchent conjointement sur Paris, ignorant Napoléon, et remportant deux bataille à Fère-Champenoise le 25 mars puis à Paris le 30 mars.
Si l'objectif politique avait été fixé dès le début décembre 1813 et que tous les moyens avaient été mis dans ce but, "la campagne de France" se serait probablement réduite à une bataille sous les murs de Paris à la mi janvier.