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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 1:22 
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Jean Froissart
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Napoléon, qui sait lire une carte, a envoyé à son beau-frère Murat un courrier salé.

"Il n'y a de gloire qu'à battre l'ennemi, et vous enfournez toute mon armée sur Vienne ou il n'y a pas d'ennemi !" écrit en substance l'empereur, qui ajoute "et je crains fort que par vos manoeuvres, le Maréchal Mortier soit à la merci d'une aventure".

Bien vu.

Mortier, dans les heures qui viennent, va mériter son bâton de maréchal, et ses soldats vont se couvrir de gloire ... et de sang.

La division du général Gazan aurait dû être anéantie.

Elle sera en fait sauvée par trois facteurs, qui prouvent bien qu'à la guerre, comme disait Napoléon, "tout peut arriver" :

- sa pugnacité extrême

- l'arrivée au son du canon de la division qui la suit de loin

- et la tactique assez curieuse que vont suivre les russes.

Assez curieuse, en effet ...

Dürrenstein est un petit village qui se présente comme une poche le long du Danube, enserrée par les montagnes. Le village est surplombé par les ruines d'un château fort célèbre : c'est là que fut emprisonné Richard Coeur de Lion à son retour de croisade.

Pour attaquer Dürrenstein quand on vient de l'est, il existe deux solutions que l'on peut coupler : charger de front le long du fleuve, mais le terrain ne se prête pas à de grands déploiements, parce qu'il est étroit et de plus coupé de murets et de vignobles; ou contourner l'obstacle par le nord, en prenant dans les montagnes pour débouler sur les arrières du village.

Les russes, conseillés par le général autrichien Schmitt, l'un des conseillers stratégiques de l'empereur François, décident de lancer une attaque en tenaille.

Mais les guides russes s'égarent, et la colonne de contournement met un temps fou à passer. Pendant ce temps, l'attaque frontale se heurte aux français qui se retranchent en utilisant les accidents du terrain et ne reculent que très lentement en infligeant de lourdes pertes. L'élite de l'armée russe, c'est sa cavalerie, et elle ne peut pas intervenir à cause de ces maudits murets, de ces vignobles qui empêchent tout déploiement.

Quand la colonne de contournement débouche enfin, c'est pour se trouver en équerre avec la deuxième division française qui arrive à toutes jambes, baïonnette au canon. Cette division est commandée par le général Marquis Dupont de l'Etang, un brave à qui une carrière exceptionnelle se présente, mais qui sera hélas, trois ans plus tard, le vaincu déshonoré de la reddition de Baylen en Espagne.

Au soir du 11, plus de 4 000 hommes sont morts et blessés. Les russes ont raté leur coup. Mortier, à qui des officiers avaient demandé d'évacuer le champ de bataille au plus vite pour qu'un maréchal d'empire ne soit pas fait prisonnier, avait refusé pour rester au milieu de ses fusiliers. Version officielle : "on n'abandonne pas de tels héros !" Version plus vraisemblable : "vous rigolez, je ne vais pas laisser tomber mes gars !"

Et Koutouzov n'a pas le temps de philosopher sur cet échec, qui au passage à coûté la vie du stratège Schmitt, qui s'est courageusement exposé, et a été tué au feu.

Les français de l'avant-garde de Murat arrivent à Vienne. Le général russe replie aussitôt tout son monde, et repart vers le nord-est.

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"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 1:24 
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Le 13 novembre, pendant que l'armée russe fonce plein nord, Murat, Lannes et leurs divisions respectives sont à Vienne.

Murat fait une drôle de tête : le courrier de son impérial beau-frère lui a fait l'effet d'une douche glacée. Mais Napoléon s'est rapidement adapté, comme toujours, à la nouvelle situation, et dès que, le 12, il est au courant que Mortier et son corps provisoire sont tirés d'affaire, il ordonne aux maréchaux de l'avant-garde de s'emparer, peu importe comment, d'un pont sur le Danube.

C'est évidemment essentiel, puisque maintenant les deux armées sont séparées par le fleuve.

Murat se trouve donc à devoir gérer un casse-tête a priori insoluble : s'emparer d'un pont intact au nez et à la barbe des unités autrichiennes qui, restées en arrière, ont ordre de tout faire sauter dès que le premier bonnet à poil montrera son plumet.

C'est une erreur majeure, de la part du commandement autrichien, de ne pas avoir fait sauter tous les ponts sans attendre les français. Croyaient-ils que l'envahisseur s'arrêterait pour visiter Vienne ? Les russes n'ont pas commis cette bévue, en brûlant et faisant sauter systématiquement tous les ponts qu'ils passaient. Il est vrai qu'ils n'étaient pas chez eux ...

Toujours est-il que, divine surprise, quand Murat et Lannes arrivent dans les faubourgs, le pont du Thabor est intact, quoique gardé et miné. Nous sommes le 13 novembre 1805.

Les deux maréchaux et leurs généraux vont alors se livrer à une fantastique opération d'intoxication, en se présentant, seuls ou presque, en grand uniforme, à l'entrée du pont et en déclarant le plus sérieusement du monde qu'un armistice est dans l'air, que les combats sont stoppés, bref : la paix est à portée de main et on ne va quand même pas commencer à se tirer dessus alors que c'est presque fini !

Ce qui les aide, c'est que d'une part l'ambiance est de plus en plus détestable entre les autrichiens envahis et leurs alliés russes qui repartent plus vite qu'ils ne sont arrivés, et que d'autre part des allers et retours permanents d'officiers de haut rang entre les état-majors sont de nature à faire croire à tout le monde (français compris d'ailleurs) que la guerre touche peut-être à son terme.

Et puis, on ne tire pas froidement sur des Maréchaux bardés de décorations qui commencent à traverser le pont en papotant comme s'ils visitaient la région !

Derrière le groupe empanaché des généraux français, qui obstruent le pont littéralement en racontant tout et n'importe quoi à des officiers de troupe autrichiens complètement dépassés, plusieurs compagnies de grenadiers et de chasseurs de la division d'Oudinot s'approchent, avec des sapeurs qui déminent au fur et à mesure qu'ils avancent en arrachant les mèches et en neutralisant les barils de poudre.

Quand l'officier général autrichien en charge de protéger et détruire le pont du Thabor arrive, les français sont déjà, tout sourire mais de plus en plus nombreux, sur la rive nord. C'est un embouteillage de compagnies entre les autrichiens qui ne savent plus ce qu'ils doivent faire et les français qui les débordent de partout en rigolant.

Un pont majeur sur le Danube vient de tomber dans les mains des français, sans le moindre combat.

Et voilà Murat et ses dragons, Lannes et ses grenadiers qui foncent à leur tour vers le nord, vers les russes.

Le prochain rendez-vous est proche, il se produira à Hollabrunn/Mohrungen.

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 1:25 
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Lorsque Koutouzov apprend la catastrophe de la prise du Thabor, sa situation est la suivante :

- son corps d'armée, réduit par les combats et la retraite, ne compte plus qu'environ 35 000 hommes présents sous les armes

- l'avant-garde impériale, presque aussi nombreuse avec plus de 25 000 hommes, n'est plus qu'à 35 km de lui, et arrive aussi vite que possible pour l'accrocher

- les renforts russes, dont il a été informé de la progression, sont encore à près de 100 km au nord, au-delà de la ville d'Olmütz.

Alors il prend une décision désespérée. Il se sépare du tiers de ce qui lui reste, confie ces 10 000 hommes à son meilleur général, le prince Bagration, avec ordre de se faire tuer sur place si nécessaire pour laisser le temps à ce qui reste de prendre du champ.

Bagration prend alors position, comme pour une bataille rangée de grande envergure, entre les villages de Mohrungen et d'Hollabrünn. Koutouzov dira plus tard avoir craint ne jamais le revoir, ni lui ni ses soldats.

Aux côtés de Bagration, un aide de camp du Tsar, le général de division de Winzingerode. Ces deux là vont réussir un ahurissant coup de bluff.

Le 15 novembre dans la journée, français et russes sont à nouveau au contact.

Va-t-on régler les comptes pendant depuis le début de la campagne ?

Non : Winzingerode envoie un parlementaire, puis se déplace lui-même auprès de Murat.

Il lui annonce qu'un armistice est en cours de règlement entre Napoléon et les autrichiens, que les russes sont en train de quitter la région sans casse excessive, et que, de ce fait, une suspension d'armes est toute indiquée.

Vous ne rêvez pas, c'est exactement ce que Murat a fait avaler aux autrichiens quarante-huit heures auparavant pour s'emparer du pont du Thabor.

Et le beau cavalier croit l'aide de camp du Tsar, en provoquant la rage impuissante de Lannes, sidéré par une telle c...ie de la part de son commandant d'avant-garde. Murat, tout content, écrit à Napoléon que la paix est faite, entre autres grâce à lui-même, et qu'il attend des ordres.

Des ordres ?

Le retour de Napoléon est pire encore que lorsqu'il a appris la ruée sur Vienne. "L'aide de camp de l'empereur de Russie est un jean-foutre, vous êtes un .... Vous n'êtes que le commandant de mon avant-garde, et vous n'avez aucun pouvoir pour négocier. Foncez, attaquez les russes, vous êtes en position de prendre leurs bagages !" hurle par écrit Napoléon.

Le 16 novembre, Murat reçoit le petit billet de son patron ...

C'est trop tard, parce que pendant la nuit qui a précédé, c'est en effet tout ce qui reste de l'armée de Koutouzov qui s'est esquivée. Encore faut-il maintenant passer sur le corps des régiments déployés par Bagration.

Et là, l'armée napoléonienne va découvrir pour la première fois depuis Zürich ce que savent faire les grenadiers russes avec leurs baïonnettes...

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 8:40 
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Merci de ce nouveau post! J'ai commencé mais je m'en garde un peu pour plus tard.


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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 11:55 
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Encore un récit passionnant, où on apprend beaucoup de chose. (Par exemple, je n'avais jamais lu que les mouvements de l'armée au début de la campagne visaient à aborder l'armée autrichienne par l'est, Ce qui est un risque majeur. - Bon, quand ça marche, on applaudit - et ça paie ! - mais tout de même...)

Napoléon envoie des brûlots à Murat, mais il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. A deux reprises Murat lui fait manquer l'occasion de rattraper l'armée russe, mais dans les deux cas un autre maréchal a vu ce qu'il fallait faire : Ney à Elchingen, puis Lannes à Hollabrünn. De l'inconvénient de sa politique familiale, qui lui fait préférer son beau-frère pour commander l'avant-garde.

Mais peut-être est-il normal, dans une poursuite, de donner le commandement au cavalier ?

D'après Claude Manceron, à Elchingen l'échange entre Ney et Murat a été plus que violent. Ney était fou de rage, et Murat dépassé a fini par lui lancer cette phrase un peu "simplette", que vous citez :"Moi je ne compte l'ennemi que quand je le vois".

Manceron rapporte qu'un officier d'état-major vient informer Napoléon :
- Tels que je les connais, il a dû y avoir une algarade ?
- Terrible, Sire. Si des tiers ne s'étaient interposés, il y aurait eu duel séance tenante, sur le front des troupes.

C'est pour cela que Ney, le lendemain, vient cavalcader devant Murat :"Venez, mon Prince. Venez compter l'ennemi avec moi !" Ambiance... :mrgreen:

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 14:01 
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Merci pour le récit ! Je ne connaissais pas du tout cette partie de l'histoire concernant Murat.


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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 24 Jan 2019 17:03 
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L'histoire du pont de Thabor est incroyable.


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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:30 
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C'est en effet lors de la bataille d'Hollabrunn (pour les français) ou de Mohrungen (pour les russes) que, pour la première fois des guerres napoléoniennes, "deux lignes d'infanterie s'abordèrent, baïonnette au canon, sans qu'aucune des deux n'ait plié avant le choc".

En d'autres termes, et celà n'arrive jamais, non seulement les russes ont attendu la charge des français sans se replier, mais en plus ils se sont avancés à leur tour, et les deux premières lignes d'infanterie se sont fracassées l'une contre l'autre.

Les français l'emportent, essentiellement parce qu'ils sont plus nombreux et mieux commandés à l'échelon des bataillons - l'information n'est pas neutre : les commandants de régiments russes de 1805 s'avèrent ne pas être au niveau.

Au soir, Bagration parvient à sauver l'essentiel de son corps de protection, et engage à son tour, en pleine nuit, un repli accéléré pour rejoindre Koutouzov et, derrière, toute une armée russe de renfort qui arrive, fraîche, commandée par son souverain, et sûre de vaincre.

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:31 
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Dans les dix derniers jours de novembre 1805, la situation est la suivante :

Koutousov, rejoint par l'arrière-garde commandée par Bagration, a réussi son pari. Il a rejoint l'armée principale, qui vient d'entrer en Bohème.

L'ensemble des corps se regroupe à Olmütz, ou les rejoignent plus de 25 000 autrichiens, infanterie et cavalerie. L'empereur François est également présent, avec sa chancellerie devenue itinérante parce que les français sont à Vienne. C'est une rencontre au sommet, un peu particulière et dans un décor pour le moins militaire, entre les empereurs d'Autriche et de Russie, qui se rencontrent pour la première fois.

Militairement, pour les coalisés, la situation est loin d'être mauvaise : le corps de bataille ainsi constitué, qui est quand même de plus de 90 000 combattants, se trouve géographiquement adossé à une Prusse dont tout laisse espérer l'entrée en guerre sous peu de semaines.

Politiquement c'est plus compliqué, dans la mesure ou l'empereur d'Autriche et ses ministres sont à 100 km au nord de leur capitale, ce qui les rend pour le moins prudents pour ce qui est de la suite des opérations ...

Pour les français, la situation est devenue à la limite de la rupture.

Rupture des lignes de communications et d'approvisionnement des corps d'armée, qui sont tellement engagés en Autriche centrale pour les uns, et en Bohème-Moravie à la poursuite des russes pour les autres, que le contexte a dépassé le raisonnable pour devenir presque ingérable.

Rupture politique aussi, parce qu'à Paris la Bourse s'affole suite au désastre de Trafalgar, et que ce n'est pas en faisant prisonniers 30 000 autrichiens à Ulm que l'empereur va calmer les places financières, et stopper une crise monétaire majeure en train de se développer. Il faut que la guerre s'arrête, qu'elle s'arrête rapidement, et que de préférence elle s'arrête par une victoire française, parce que sinon c'est tout le jeune édifice impérial qui peut s'effondrer, miné par le déséquilibre budgétaire.

Napoléon a suivi l'avant-garde de Murat et Lannes, en menant presque tout son coeur de corps de bataille.

Fin novembre, sont donc présents autour de Brünn, au sud d'Olmütz, les corps de Lannes, de Soult et Bernadotte, la cavalerie de Murat, la Garde et une brigade bavaroise qui accompagne les français. C'est tout ... Curieusement, Davout et tout son corps d'armée restent à Vienne et à l'est de la ville. C'est logique : ils sont prêts à intervenir si une armée de renfort autrichienne arrivait, venant de Hongrie ou d'Italie du nord.

Entre Brünn tenue par les français et Olmütz tenue par les austro-russes, on trouve sur la carte un petit chateau de plaisance du nom d'Austerlitz.

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:33 
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C'est Soult qui installe son état-major dans ce château d'Austerlitz quand il reçoit l'ordre, pour le moins curieux, de commencer le repli de toutes ses divisions en contre-bas du plateau.

Tout le corps de bataille reçoit dans le même temps le même ordre.

Face aux austro-russes qui ne croient pas à leur chance, c'est alors toute l'armée française qui se livre à un repli général en laissant à l'ennemi les meilleures positions, celles qui tiennent les hauteurs.

Napoléon serait-il devenu fou ?

En fait l'empereur est en train d'organiser le plus monstrueux chausse-trappe de l'histoire de la guerre.

Avec moins de cinquante mille hommes face à près de cent mille, il déclenche un mouvement de recul qui abandonne à l'ennemi des positions hautes, mais qu'il a eu l'opportunité d'étudier pendant plusieurs jours.

Dans le même temps, il envoie l'ordre à Davout de remonter avec ses divisions, depuis Vienne et à toute vitesse, vers le champ de bataille.

En d'autres termes, cependant que les alliés se savent à la tête de près de cent mille hommes face à soixante mille au maximum, Napoléon sait qu'il a dans ses mains près de soixante quinze mille combattants ... mais il est le seul à le savoir et prend un risque inouï.

La victoire d'Austerlitz, c'est d'abord la marche hallucinante des régiments de Davout qui, depuis Vienne, vont abattre près de 100 km en moins de trois jours, dans des conditions invraisemblables. Les unités arriveront, pour certaines en pleine bataille, décimées par leur marche et dans un état de fatigue effrayant. Mais Davout sera présent avec ses divisions, même si elles sont réduites de moitié pour le moins par la marche forcée qui leur a été imposée.

Napoléon n'a pas "prévu" la bataille ni envisagé tel un génie ce qui allait se passer. Il n'est pas sûr jusqu'au petit jour du 2 décembre de ce qui va se passer en face, il ne peut pas l'être et va d'ailleurs complètement rater le contrôle de la partie ouest du champ de bataille, trop large (11 kilomètres) pour qu'il puisse lors des combats gérer l'ensemble des forces.

En revanche, il a conçu un piège basé sur les leçons de guerre de l'époque, en retournant brutalement contre les austro-russes la fameuse tactique du Grand Frédéric, considéré encore comme le maître absolu, de l'ordre oblique, c'est-à-dire une attaque dérivant du centre pour dériver vers une aile en la renforçant au point de briser l'aile adverse et d'opérer alors un mouvement enveloppant.

L'empereur offre aux austro-russes son aile droite très faible pour les attirer, les envoûter, les attirer irrésistiblement dans un mouvement d'ordre oblique idéal...

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:47 
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Au matin du 2 décembre, l'ordre de bataille des coalisés se met en branle.

Malgré les réticences du général Koutouzov, l'état-major allié déclenche une gigantesque opération en coup de faux contre les français. Dans la nuit du 1er au 2 a eu lieu, au quartier-général de Koutouzov, la réunion des commandants de corps alliés.

C'est le général autrichien Weirother qui a conçu le plan d'attaque en coup de faux contre les français, en les prenant par leur droite. Oui, malgré l'échec de Dürrenstein et la mort du général Schmitt, les russes, et surtout leur empereur, font une grande confiance aux stratèges du Hofkriegsrat, le grand état-major impérial autrichien.

L'idée est simple, presque évidente : ayant constaté l'extrême faiblesse des français sur leur aile droite, près des étangs, le corps de bataille va coulisser en ordre oblique sur la gauche alliée du champ de bataille, détruire les minces lignes françaises et déclencher un encerclement parfait sur l'essentiel des troupes napoléoniennes, pelotonnées au centre, en bas du plateau de Pratzen. Par manque de chance, c'est exactement le piège que Napoléon avait conçu...

Ecoutons Langeron qui, commandant de l'une des colonnes d'attaque, assiste à cette réunion et décrit dans ses mémoires, plusieurs années plus tard, cet étrange moment. Selon lui, Weirother "éclatait de jactance, s'exprimant comme un maître d'école devant ses élèves". Le général Dokhtourov étudie la carte (les généraux russes ne connaissent rien du terrain sur lequel ils vont devoir combattre). Koutouzov dort, ou fait semblant, comme s'il boudait.

Langeron, très "pro domo" dans ses souvenirs, dira avoir à un moment interrompu le discours du stratège autrichien en lançant "tout ceci est fort bien, général, mais qu'arrivera-t-il si Bonaparte attaque au centre ?"

Weirother aurait balayé cette objection avec mépris. Il sera condamné à mort plus tard par un conseil de guerre, car les autrichiens rigolent moyennement avec les incompétents et les malchanceux, mais sa peine sera commuée en forteresse par l'empereur François ...

A l'aile droite des alliés, le général russe Prince Bagration, avec ses divisions d'infanterie et les cavaleries, russe du général Ouvarow, et autrichienne du Prince Jean de Liechtenstein, bloquera les français dans la plaine de Turan.

En face se trouvent Lannes et son cinquième corps, et toute la cavalerie lourde de l'armée française, cuirassiers et carabiniers avec Murat : ce ne sera pas du plaisir.

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Message Publié : 30 Jan 2019 0:48 
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Au centre, sur le plateau de Pratzen, la Garde Impériale russe montera en ligne afin de combler les espaces de l'ensemble du corps de bataille, qui va défiler sur la gauche, vers les villages de Telnitz et Sokolnitz, et les étangs gelés :

cette masse d'infanterie, formée en cinq colonnes, va dévaster les lignes de défense françaises, les anéantir, et remonter en tenaille du sud au nord.

Pour l'armée du corse, la messe sera dite.

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:49 
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Et c'est ainsi que, dans la matinée et le brouillard de ce 2 décembre 1805, les colonnes d'attaques austro-russes prononcent leur mouvement vers les villages de Telnitz et Sokolnitz.

Dans l'un des villages, un régiment de ligne, dans l'autre des unités de chasseurs à pied. Entre les villages, un régiment de dragons réduit à moins de moitié de son effectif : rien. Mais les régiments de Davout arrivent, en sale état, mais ils commencent à arriver.

La manoeuvre est lente, et bloquée lorsque, par une invraisemblable erreur de commandement, deux des colonnes d'infanterie russe sont stoppées net en rencontrant des régiments de cavalerie autrichiens qui sont à cinq kilomètres de leur point de regroupement ...

Mais les colonnes avancent, et atteignent au petit matin les abords des deux villages.

Dans ces villages, de Telnitz et Sokolnitz, se trouvent les premiers éléments, épuisés, du corps de Davout. Ils sont arrivés dans la nuit, n'ont pas eu le temps de prendre leurs marques, se sont endormis sur place pour récupérer.

Les roulements de tambours qui se rapprochent, les premiers coups de feu, les hurlements de leurs officiers aussi crevés qu'eux réveillent les lignards.

La ligne sud du champ de bataille se met, lentement mais sûrement, à flamber.

Cependant que les unités austro-russes accentuent leur mouvement, et procèdent à des attaques désordonnées dans un premier temps, les hommes de Davout prennent leurs positions et commencent à faire des cartons sur les lignes blanches des autrichiens du général Kienmayer et vertes des russes qui s'avancent.

Alors que les coalisés ne sont pas capables de gérer une attaque globale qui s'avèrerait définitive sur les maigres positions françaises, des renforts commencent à arriver vers les deux villages du côté français. Maigres renforts : ici un bataillon, là un régiment de dragons, mais ces éléments parviennent à bloquer par paliers une attaque mal coordonnée, à un point rare : à Telnitz, les français vont tenir à un contre dix-sept ...

Pendant ce temps, le plateau se dégarnit lentement et sûrement, et, surtout, dans les fonds, deux corps d'armée français et la Garde impériale attendent ...

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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:50 
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Mon Dieu que l'on a glosé depuis deux cents ans sur le soleil d'Austerlitz !

Et pourtant, ce n'est pas le soleil, mais bien le brouillard neigeux qui a créé les conditions de la victoire française.

En effet, le brouillard a empêché les état-majors coalisés de repérer, en contre-bas de leurs positions, environ 40 000 français prêts à partir à l'assaut. Dommage pour eux.

Le soleil transperçant le brouillard vers neuf heures n'aura d'autre effet que de permettre à Napoléon de constater ce dont il était convaincu : le grand plateau au centre du champ de bataille se vidait de ses troupes.

Et alors, à neuf heures, l'empereur qui a ses maréchaux autour de lui, dit à Soult : "combien de temps pour prendre le plateau ?"

Soult répond "un quart d'heure, Sire".

L'empereur lui répond alors "rejoignez vos divisions, mais attendez encore une demi-heure, et attaquez".

Etrange, Napoléon est en train de gérer cette bataille avec une montre en main et comme s'il savait ce qui se passe, et à cinq kilomètres au sud, et à quatre kilométres au nord. Il n'en est rien, mais il fait confiance à ses meilleurs maréchaux.

Au sud, avec des lambeaux d'unités épuisées par une marche forcée démentielle, Davout est en train de bloquer net la belle offensive imaginée par l'état-major austro-russe.

Au nord, Lannes et Murat ne vont pas tarder à rentrer en contact avec Bagration et les divisions de cavalerie du général Ouvarov et du prince autrichien Jean de Liechtenstein. Ce choc terrible sera une bataille à l'intérieur de la grande bataille.

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"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


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 Sujet du message : Re: Austerlitz
Message Publié : 30 Jan 2019 0:52 
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Jean Froissart
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Vers 10h30 du matin, et alors qu'au sud les combats s'intensifient, tout à coup, au centre du champ de bataille, un mouvement se crée.

L'ordre, inusité dans toutes les guerres de l'empire, a été de laisser au centre des unités leurs musiques régimentaires. Selon une tradition des régiments de l'ancien régime, les musiciens ne participent pas au combat : ils deviennent brancardiers et pourvoyeurs de cartouches.

Ce jour là, pour le 4ème corps du Maréchal Soult et le Ier corps du Maréchal Bernadotte qui suit en soutien, les musiciens restent dans les bataillons et se mettent à jouer.

Ils jouent, accompagnés des tambours de compagnies "la victoire en chantant". Certaines unités vont partir à la grande charge sur "Veillons au salut de l'empire". D'autres démarreront même sur "la Marseillaise" alors qu'elle est un peu ... passée de mode !

Toujours est-il que, d'un coup, près de 40 000 hommes démarrent un gigantesque mouvement d'attaque, et en musique.

Soult part plein centre, pour crever le front coalisé. Ses deux premières divisions se séparent très rapidement, l'une fonçant sur la charnière entre le centre russe et les colonnes d'attaque vers les étangs, et l'autre se concentrant sur le plateau proprement dit et le village de Pratzen.

La troisième division a été au dernier moment dérivée vers le sud pour soutenir Davout, et derrière arrivent les trois divisions du premier corps et la Garde avec son infanterie, sa cavalerie, et surtout son artillerie qui progresse rapidement pour venir épauler les artilleries des deux corps.

Le plateau devrait être vide de troupes.

Il en est rempli, parce que les retards cumulés et les erreurs de commandement austro-russes ont fait que plus de vingt mille hommes sont encore là. Sauf que leurs bataillons sont mal positionnés ...

Napoléon pensait faire charger ses divisions dans un vide, les régiments français foncent dans le plein.

Les premiers chocs sont terribles, mais limités : les unités russes prises de flanc par l'avance française se repositionnent rapidement et se battent bien.

Mais les français arrivent de partout, sont beaucoup plus nombreux à cet endroit du champ de bataille que leurs ennemis, et le front coalisé se met à craquer.

La particularité de la manoeuvre de bataille dite "napoléonienne" est d'être en sur-nombre à l'endroit essentiel du champ de bataille.

Ce calcul se vérifie ici de manière mathématique; cependant qu'à Telnitz, les austro-russes ne parviennent pas à passer les lignes françaises à un contre dix-sept, ce qui n'est pas glorieux en soi, sur le Pratzen, à certains endroits, les français arrivent en avalanche à cinquante contre un.

Nous sommes ici au coeur de la manoeuvre de bataille napoléonienne. On pense souvent que, tels des héros, les français gagnèrent leurs batailles en infériorité numérique. C'est exact. Mais c'est oublier qu'aux endroits de rupture, les divisions napoléoniennes étaient toujours concentrées de manière à être, à l'endroit précis du champ de bataille qui allait permettre la rupture, en très grande supériorité numérique. Et c'est ce ce qui va se passer sur le plateau.

Les divisionnaires de Soult, les généraux Vandamme et Saint-Hilaire, ne s'attendaient pas à une telle résistance. Ils ne s'attendaient pas non plus à ce que, derrière cette première résistance, il n'y ait rien.

Et d'un seul coup, les brigades d'infanterie française crèvent le front central des alliés, et se répandent vers le sud du champ de bataille, à la rescousse de Davout.

Pendant que les divisions de Soult, qui ont percé et trouvent le vide, déclenchent un mouvement rabattant vers le sud, Bernadotte et son premier corps prennent la suite sur le plateau; la Garde arrive avec l'empereur : ils ne seront pas venus pour rien car, dans le même temps, la Garde impériale russe monte en ligne en catastrophe pour combler la brèche.

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