Le 15 octobre au matin, l'empereur reçoit des rapports concordants qui tous confirment l'information transmise par Davout dans le feu des batailles de la veille.
C'est ahurissant : non seulement il n'y a plus d'armée prussienne, mais de surcroît des dizaines de milliers d'hommes sont en train de s'éparpiller dans toutes les directions.
Il s'agit là en effet d'une déroute inédite d'une armée d'encore plus de 150 000 hommes dont le commandement a lâché d'un coup, et qui part dans un sauve-qui-peut général.
Il est encore plus difficile d'attraper un adversaire disloqué que de battre une armée bien retranchée. Dans la matinée du 15, Napoléon donne donc deux ordres essentiels.
Le premier : les corps d'armée foncent sur Berlin car, chose impensable une semaine avant, la capitale de la Prusse est à découvert.
Le second : la cavalerie de Murat et toutes les divisions de cavalerie des corps d'armée deviennent autonomes, avec une seule mission : poursuivre les prussiens et les faire prisonniers. C'est le début de la "poursuite rayonnante", au cours de laquelle vont se passer des épisodes invraisemblables.
La citadelle de Spandau, arsenal de Berlin, se rend à un régiment de hussards.
Le 28 octobre, à Prenzlau, le Prince de Hohenlohe se rend avec ce qui lui reste sous la main.
Lasalle, à la tête de sa brigade de cavalerie légère (la "brigade infernale") prend une forteresse et toutes les troupes qui s'y sont repliées : 17 000 hommes se rendent à 1 200 hussards et chasseurs à cheval, ce qui occasionnera à Lasalle une belle peur. Ayant vu défilé des milliers d'hommes rendant leurs armes, il demande au général prussien, l'air de rien "nous arrivons à la fin ?" et le prussien répond "non, pas encore à la moitié des troupes". Lasalle murmure alors à son aide de camp "fais attention à ce qu'ils posent leurs armes, on est vraiment moins nombreux ..."
Blucher, pugnace déjà, parvient à regrouper 6 000 hommes, et fonce vers le nord. Il ira tellement loin, pourchassé par les français, qu'en catastrophe il en arrivera à violer la neutralité danoise en entrant de force dans Stralsund. Il n'est plus temps de regimber face aux violations de neutralité ... Mais celà ne sert à rien : à Lübeck, le 7 novembre, il capitule à son tour avec toutes les troupes qui l'avaient rejoint : 21 000 hommes et 80 canons.
La famille royale fuit Berlin en catastrophe, et se replie à Königsberg. Ils ne pourraient guère aller plus loin sans quitter définitivement le sol prussien.
La Prusse vient d'être rayée de la carte, en une journée et deux batailles. On n'avait jamais vu ça.
Le 27 octobre 1806, l'armée de Napoléon entre dans Berlin. Davout et son troisième corps ont déjà fait une première entrée, remarquée, le 25.
Il va alors se produire une scène rare.
Les berlinois sont friants de revues militaires, et curieux de voir ces savetiers qui viennent d'écrabouiller leur belle armée en moins de quinze jours. C'est rien, mais faut le faire, aurait dit Michel Audiard !
Ce matin du 27 octobre, c'est le troisième corps de Davout qui doit entrer en tête. Il va entrer sur une marche militaire qui deviendra "sa" marche, un air comme alors souvent inspiré d'opéras :
https://www.youtube.com/v/Z76ax88BRYMEt les berlinois, stupéfaits, voient arriver tout d'abord, sous la porte de Brandebourg, un type, tout seul. Le fusilier ne ressemble à rien. Ses fringues sont déchirées. Il est pied nu. Il a la bayonnette au fusil et, sur cette bayonnette, un pain est planté. Le gusse a une pipe au bec. Il est seul et il se pointe tranquillement ...
On ne saura jamais si c'était voulu ou non. Toujours est-il que l'effet est phénoménal sur tous ces gens, d'autant que la suite va être impressionnante.
Après ce traînard en tête de colonne défilent les premières brigades.
Arrivent ensuite deux divisions de cuirassiers.
Puis l'empereur et son état-major, précédant les bonnets à poil de la Garde Impériale.
Tonnerre de tambours, musiques en tête, Napoléon a voulu bien faire les choses pour les berlinois, qui resteront ébahis de ce spectacle.
L'empereur, arrivant devant la place ou trône la statue équestre de Frédéric II, met chapeau bas, son cheval au trop, et fait le tour de la statue en la saluant : et Berlin se met à l'applaudir !
Cette entrée dans une capitale ennemie vaincue restera la plus belle des guerres de l'empire.
Mais, en poursuivant les débris de l'armée prussienne, Murat vient d'entrer en Pologne, et les russes ne sont pas loin ...