Comme nous en sommes à parler de Villeneuve et de sa mort dans un fil initié à partir d’un faux anglais. En voici un deuxième ; il fut publié par The Star, le 25 janvier 1814 et est sensé être la dernière lettre adressée par Villeneuve à l’Empereur :
« Monsieur, Vous devez vous ressouvenir que, lorsque Latouche mourut à Toulon, je commandais à Rochefort, et que j’hésitai de le remplacer. J’étais alors bien convaincu que, quel que fût le chef des opérations hasardeuses et mal conçues des flottes combinées française et espagnole, il serait disgracié aussi bien que battu, si sa mauvaise étoile épargnait sa vie dans un combat (presque inévitable), avec un ennemi accoutumé à la victoire, et couvrant toutes les mers de ses croiseurs. C’est ainsi que je parlai au ministre de la Marine, lorsque bientôt après, et contre mon inclination, je fis voile pour Barcelone et Cadix ; et quand je lui rend compte des préparatifs et manœuvres de la flotte espagnole, mes premières dépêches, ainsi que celles que je lui adressai de Cadix, du Ferrol, de la Martinique, lui firent connaître mon entière résignation. Sur l’ordre qui me fut donné le 24 septembre dernier, de revenir à Toulon avec la flotte combinée (et nous eûmes toujours en vue la flotte anglaise pendant notre route), je répondis que de tels ordres seraient exécutés ; mais je rappelai en même temps au ministre, et ma première résignation, et mes craintes sur les chances douteuses des combats en mer et je l’instruisis, en même temps, de ma détermination ; soit que je fusse vainqueur ou vaincu, d’abandonner pour jamais un poste périlleux que mes principes, et surtout votre caractère violent et cruel, ne me permettaient pas d’occuper. Ce n’est ni au manque de valeur, ni à quelque faute que l’on doit attribuer le désastre de Trafalgar. Ce fait a été prouvé sans réplique dans mon récit officiel de la bataille. Pourquoi lui a-t-on refusé place dans le Moniteur, tandis qu’on y a inséré les calomnies et les outrageantes assertions de mes ennemis ? Lorsque, au milieu de votre heureuse et ambitieuse campagne en Allemagne, mon rapport vous parvint, ne dites-vous pas, avec votre fureur et votre cruauté ordinaire : « Je vois qu’un exemple sur le Bing français [John Byng, amiral anglais condamné à mort et fusillé suite à la défaite de Minorque] est absolument nécessaire pour mettre la victoire à l’ordre du jour dans mes flottes ? » Mille voix ont répété ces dures expressions, cette sentence de mort lancée contre un amiral français, par un usurpateur étranger et féroce, tandis que ma dépêche est restée inconnue, et n’a peut-être été jamais lue. Elle contenait pourtant quelques vérités sévères, qui n’auraient ajouté, je l’avoue, aucun lustres à vos talents militaires et nautiques, mais qui aurait prouvé que la même incapacité, la même ambition qui avaient causé la perte d’une escadre française à Aboukir, avaient causé aussi celle d’une autre escadre à Trafalgar. Dans mon dernier entretien avec vous, vous me fîtes observer que, quand bien même la France serait sans opposition, la souveraine de tout le continent, tant qu’elle ne pourrait pas forcer la Grande-Bretagne à se soumettre à ses lois, son pouvoirs à l’extérieur serait précaire, son état intérieur mal assis, son commerce languissant, ses manufactures anéantis, et ses habitants pauvres et malheureux. Mais qu’avez-vous fait pour remédier à ces maux certains ? Depuis les quatre années que dure votre tyrannie, ma patrie et ses alliés ont déjà perdu un plus grand nombre de vaisseaux de guerre, que n’en avait toute la marine royale pendant une grande partie des longs règnes de Louis XIV et Louis V ; et si la France doit rester plus longtemps encore sous votre sceptre de fer, sa marine militaire marchera bientôt de pair avec sa marine marchande, et l’on ne verre dans ses ports de mer que d’infâmes pirates et des marchands ruinés. Quel honneur est-il résulté pour mon pays de toutes vos campagnes si heureuses ? Est-il plus libre sous votre puissance sans bornes ? Accablés d’impôts et cruellement opprimés par un despotisme militaire impitoyable, mes concitoyens asservis voient arriver, en pleurant et sans oser exhaler un soupire, le moment prochain d’une ruine inévitable, tandis que vous, Monsieur, vos parents et vos créatures profitez de vos conquêtes obtenues au dépend du sang le plus pur et des riches trésors de la France. Le style de cette lettre vous convaincra aisément que son auteur est hors d’atteinte de votre vengeance, et n’a plus à redouter vos tortures ou vos cachots, vos bourreaux ou vos poisons. L’ordre que m’a donné votre ministre de ne point approcher de la capitale sans une permission expresse de vous, a fait différer le moment de votre punition et de la délivrance de l’espèce humaine. J’étais résolu à ne point survivre à la ruine de la marine française, et j’avais décidé de vous tuer avant de me punir moi-même d’avoir été votre instrument et d’avoir contribué à mon propre déshonneur, à l’oubli de mes devoirs, de ma naissance, et à la honte de ma profession. Que vous soyez au nombre des vivants, et qu’il vous soit permis d’exercer votre effroyable tyrannie, c’est ce qu’il faut attribuer à la Providence dont les motifs sont impénétrables. Cependant, comptez sur cette vérité que, comme vous êtes un des plus grands criminels de la terre, votre mort sera plus précipitée et plus terrible. Un assassin ou un bourreau mettra fin à la carrière d’atrocités qu’à la honte de notre siècle vous n’avez que trop longtemps parcourue. Afin que la postérité qui pourra blâmer une partie de ma vie, n’ignore pas le sincère repentir et les sentiments patriotiques qui ont accompagné ma mort, des copies de cette lettre ont été envoyées à plusieurs officiers de la marine française ; et si votre mort avait précédé mon suicide, non seulement la génération présente, mais les âges à venir m’auraient proclamé comme un libérateur, et révéré comme un sauveur. Des autels et des statues auraient été érigé à ma mémoire. Tremblez tyran, vous êtes abhorré, et les malédictions de l’univers vous suivront par delà le tombeau.
De Villeneuve »
Pour peaufiner ce faux grossier, les Britanniques auraient pu au moins vérifier les dates. La missive incendiaire est en effet datée du 5 mai 1806 ; Villeneuve est mort le 22 avril…
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
Dernière édition par Drouet Cyril le 25 Oct 2013 14:28, édité 1 fois.
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