Bonsoir,
Drouet Cyril a écrit :
Par la guerre contre la Russie, Napoléon comptait soumettre enfin le Tsar à son système et, par la perte des provinces danubiennes et du glacis polonais, préserver l’espace européen des « barbares du nord », pour reprendre une expression impériale
.
1810 : signature d'une convention par Caulaincourt et Romanzof... Dès le début il est établi que "
... le royaume de Pologne ne serait jamais établi..." Les noms de "Pologne" et de "Polonais" ne devait plus s'appliquer à aucune partie de ce qu'avait été ce royaume pas plus qu'à habitants et troupes. Aucun Polonais sujet du tsar ne pourrait être admis au service du Roi de Saxe. Aucune extension territoriale pour le duché de Varsovie. Le traité ne sera pas ratifié par Napoléon mais par Alexandre Ier pour deux... Il dira à Caulaincourt : "...
Maintenant je ne chercherai plus que les occasions de prouver à l'Empereur combien je lui attaché..." (Caulaincourt - 06/01/10).
Depuis le mariage autrichien, il faut voir par là l'union de Metternich et de Napoléon
; Alexandre fait construire "
...des retranchements en terre dans les provinces baltes et lithuaniennes, armer et réparer les places, organiser des camps retranchés à Dunabourg, Riga, le long du Dniepr et de la Dvina pour barrer les routes d'invasion à la Russie..."
Nous sommes toujours en 1810.
En Pologne, le tsar fait circuler la publication d'une convention secrète dans laquelle Napoléon aurait promis de "
retirer le subside pour 7 000 hommes de l'armée du grand-duc" (ADEAP)
Septembre 1810 : Napoléon déclare à Metternich "
...Le jour où je me verrai forcé de faire la guerre à la Russie, j'aurai un allié puissant et considérable dans un roi de Pologne..." (Metternich - Mémoires - Tome 1).
Quelle étrange phrase puisque les deux compères savent parfaitement que rien ne peut empêcher cette guerre, les agents du Tsar sont même à Vienne. Que l'un tombe, un autre le remplace ; que l'un parle, il est désavoué officiellement par le tsar qui en sous main continue un travail de sape. Le problème est que pendant ce temps Napoléon se sent tellement le maître et des choses et des gens qu'il parle sans rien faire pour mettre sinon des limites du moins un terme bien senti aux menées du Tsar et chacun de continuer de professer de son attachement à l'autre. Napoléon se ménage l'idée d'une alliance avec l'Autriche bien sûr mais l'Angleterre... En Automne il cesse soudain d'être naïf quant à l'Angleterre et cherche à obtenir des renseignements sur l'armée russe, par ailleurs "
... Il s'occupe du renforcement des défenses polonaises : Sicrok, tête de pont de Praga est renforcée ainsi que la place de Modlin... 30 000 fusils et armes diverses sont proposées au roi de Saxe et conseils lui sont donnés pour l'organisation de l'artillerie..."
Il est à noter qu'en Russie ceci fait belle lurette qu'on achète anglais tout en pillant du côté de la Porte.
Je trouve là encore bien étrange l'analyse faite des Russes par Napoléon... "Les Barbares du Nord", que connait-il des "Barbares du Nord" ? Là encore son manque de psychologie, son aveuglement car il n'ignore rien des préparatifs russes est étonnant.
La Pologne, mais ceci fait longtemps qu'Alexandre pense "sans"...
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Imagination enfiévrée et retour des rêves orientaux…
Là on tourne au délire, tout comme en Egypte où encore Bonaparte, il avouait que les Anglais lui avaient enlevé toutes ses illusions quant à un immense empire etc. Pour les illusions manifestement Bonaparte puis Napoléon en avaient de multiples de rechange.
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« Il m'exposa le plan de campagne qu'il avait arrêté, et se servit des paroles suivantes, que les événements ont rendues mémorables :
"Mon entreprise est une de celles dont la patience renferme la solution. Le triomphe appartiendra au plus patient. Je vais ouvrir la campagne en passant le Niémen. Elle aura son terme à Smolensk et à Minsk. C'est là que je m'arrêterai. Je fortifierai ces deux points et m'occuperai à Vilna, où sera le grand quartier général durant l'hiver prochain, de l'organisation de la Lithuanie, qui brûle d'impatience d'être délivrée du joug de la Russie. Nous verrons, et j'attendrai qui de nous deux se lassera le premier : moi de faire vivre mon armée aux dépens de la Russie, ou Alexandre de nourrir mon armée aux dépens de son pays. Peut-être irai-je de ma personne passer les mois les plus rigoureux de l'hiver à Paris."
C'est insensé il prononce les bonnes phrases : "...Le triomphe appartiendra au plus patient... " et fera du contraire. Nonobstant les paramètres qu'à ce moment, il ne peut compter mais imaginer, paramètres inhérents à tout départ pour une guerre lointaine (Là Fouché aurait été bien en place pour museler chacun... quelle perte -dire ceci de Fouché est cocasse mais il faut savoir être pragmatique-), il oublie que Vilna paraît être renforcée ou du moins préparée.
Là encore ceci parait jouable en l'état. Alors pourquoi ne pas avoir pu s'arrêter à cette politique ?
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2°. Enlever la totalité des provinces polonaises depuis la Baltique jusqu'à la Mer Noire, s'arrêter sur la Dwina et le Borysthène , organiser la Pologne derrière ce rempart, et faire la guerre avec du sang polonais, c'était l'expression de l'Empereur, en laissant en Pologne une force française considérable, et en donnant aux Polonais un grand subside.
Le premier plan me paraît utopique et le second me fait penser à la réflexion de Talleyrand concernant la Pologne et les Polonais. Le problème est : les Polonais n'auraient-ils pas fait défection dès les premiers coups de canon, n'ayant rien à attendre du choc de deux géants. Les "subsides", là encore on voit le manque d'analyse de l'Empereur par rapport aux hommes... Des subsides, comme des miettes d'un gâteau dont ils se trouvent être les cuisiniers, je me demande parfois à quelle aulne sidérante Napoléon mesurait-il les hommes, lui qui semblait tant plein d'orgueil et dont l'amour propre ne supportait plus aucune contradiction. Quel mépris ! Que sont lointains les beaux idéaux de la belle révolution, fini d'être fossoyé par un homme dont la tête fut un moment plus que légèrement accrochée puis après Thermidor, un moment d'oubli qu'il aurait bien dû optimiser quant à la psychologie humaine.
Je viens de m'apercevoir que j'aurais été d'aussi bon conseil que ce grand Metternich,
on entreprend pas une telle aventure avec des supputations.
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Cet empire ne ressemble pas à un autre, ni à ceux qu'il avait l'habitude de régenter. Chez eux quand le souverain, sorti de la capitale, est acculé aux limites de ses Etats, comment échapperait-il à la cruelle nécessité de signer la paix la plus cruelle ? Mais en Russie, où est cette nécessité ? Celui qui a dit que cet empire avait pour lui l'espace et le temps, connaissait bien ce pays : il avait mesuré, et il lui a assigné une force qui est une propriété exclusive pour lui. Napoléon traitait tout cela de chimères, d'idéologie
Nous y voici donc. Quelle analyse ce Metternich ! Bien sûr que ce pays ne ressemble à nul autre. Lorsque sur un autre échange je parle de "l'âme slave", il ne faut pas y voir là une sorte de délire accompagné de libation et de violons mais l'image d'un peuple bien trempé et d'une endurance que même Metternich ne semblait pas ignorer.
Chimères, idéologie ? A ceci Metternich a dû sentir la terre s'entrouvrir déjà en un immense charnier dans lequel la grande armée allait tout laisser.
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Napoléon n'avait pas calculé qu'avec la Russie vaincre n'était rien , mais signer la paix était tout
Et oui ! Il avait aussi sous estimé la fermeté d'Alexandre se croyant bien seul à pouvoir duper tant sur l'échiquier politique que manoeuvrer l'adversaire à son aise. Mais on ne manoeuvre pas un homme comme une pièce d'infanterie et là, Bonaparte comme Napoléon aura toujours eu une analyse de retard.
Donc nous nous trouvons avec un Metternich au courant des pensées les plus secrètes de Napoléon, certain -car son analyse tant du pays que du peuple est bonne- du bourbier qui attend la France. Comme il a dû jubiler en rapportant ces nouvelles à son maître et combien ceci a dû aussi mener l'Empereur d'Autriche à anticiper et tâter ce qu'il en serait de la Prusse. Combien alors il serait facile d'en finir avec "le reste"...
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[i]«Je ne vous conçois pas, mon cher Narbonne, vous ordinairement si confiant, et d'un courage si gai. Votre vieil ami Choiseul de Gouffier vous aura troublé avec ses contes d'ancien émigré, et son admiration de Pensionnaire de la Russie. ...je ne crains pas cette longue route bordée de déserts, au bout de laquelle est la con quête et la paix.
Cette cécité et surtout cette analyse du peuple russe me glace d'autant plus que sous les mots, je ne puis m'empêcher d'y voir la même analyse que d'aucuns feront au XXème siècle.
Toujours la bonne vieille caricature du slave, il est vrai qu'entre slave et esclaves certains auront vite fait l'assimilation.
Encore ces envolées en parallèle avec Alexandre qui avait déjà fait pleurer César... Le rappel de St Jean d'Acre "[i]...place assiégée à la turque et défendue à la française..." comme dira Kléber, je crois.
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"...Moscou est à trois mille kilomètres de Paris ; et il y a bien quelques batailles, en travers de la route. Supposez Moscou pris, la Russie abattue, le Czar réconcilié, ou mort de quelque complot de palais..."
Je vois que ce qui choquait grandement la morale de certains était pragmatiquement envisagé par Napoléon. Cette fois, il n'envisage pas même l'apoplexie...
Napoléon semble plus rêveur que visionnaire ; est-ce l'âge ou l'habitude des victoires qui le fait s'appuyer sur des faits intangibles commençant par "...
Je crois...".
S'il avait tant lu César, il aurait dû se prémunir justement en sachant qu'un peuple asservi n'est jamais sûr. Il a dû oublier de pousser plus avant et de bien lire Florus et son couplet sur la Germanie et la fin de la politique de captation.
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Vous voyez donc, mon cher Narbonne, que tout cela est assez sagement combiné, sauf la main de Dieu toutefois qu'il faut toujours réserver et qui, je le pense, ne nous manquera pas. »[/i] (Narbonne, Souvenirs)
Comme le disait Elisabeth d'Autriche née duchesse en Bavière : "
... Lorsque le grand Jéhovah se met à frapper il ne le fait jamais à demi..." (elle vient d'apprendre la mort de son neveu Louis II).
Là encore c'est beaucoup demander à Dieu et surtout lui attribuer ce que l'on veut croire. Napoléon rendrait le plus fervent jésuite, athée par cette phrase.
Enfin cette fois, ce n'est pas Dieu qui sera de la partie et le diable s'est retiré depuis longtemps, ce paramètre aurait dû interpeller ce grand homme, si on fait avec Dieu on ne peut shunter Satan !
Il est étrange de voir combien cet homme courra toute sa vie après des rêves. Bien nourri par Rousseau et autres, il devient presque un romantique avant l'heure, le Weber de Goethe, celui à qui rien ne sourit.
Ce que je ne puis comprendre est sa constante acrimonie face à l'Angleterre, tel un homme devant lequel une femme se dérobe.
Il cherche en vain une paix, il y met tout son coeur et celui des autres à contribution et dès que la belle Albion se retourne dédaigneusement, le voici tel un taureau grattant de la patte et fumant des naseaux et de reporter son désir inassouvi vers d'autres contrées, plus vierges et semblant plus accueillantes.
Mais on ne force pas un pays comme on force une femme et là encore Napoléon ne le comprendra jamais... Pour les pays comme pour les femmes !
"...Qu'il est drôle, ce Buonaparte..." comme se plaisait à le répéter Joséphine accent créole à l'appui.
Je vous remercie grandement pour cet échange de pièces et d'analyses qui me laissent toujours aussi émerveillée et tout autant grandement atterrée.
Bien à Vous et encore grand merci.
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