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Chou d'amour
Même si je pense que la pauvre Lamballe serait bien plus choquée en repensant à ce que ses assassins lui ont fait
Victoire-Adélaïde
J'avais lu d'une part que sa mutilation aurait été moins grave qu'il n'y paraît, d'autre part que ses assassins lui auraient fait subir de plus grands supplices, comme la perte d'un oeil! Qui croire? Je suppose que lorsqu'on a mis sa tête sur une lance en lui poudrant le visage, on n'aurait quand même pas pris soin de lui faire ça
Chou d'amour
Houlà!! Ils lui ont fait bien d'autres choses plus immondes encore...mais je préfère ne pas vous les dire car là ce sera vraiment vulgaire
Victoire-Adélaïde
La lecture des deux biographies de De Decker et de Vircondelet m'a déjà mise au courant de l'affaire... et je me félicite de n'avoir pas été la Princesse
Chou d'amour
Mais lors de sa mutilation dans la rue, le tout est d'espérer qu'elle soit morte le plus tôt possible
La lecture de ce dialogue me laisse penser que vous accordez foi à tous les témoignages sur l’acharnement morbide qui aurait accompagné (et suivi) l’exécution de la princesse de Lamballe.
Vous avez des excuses, car ces récits de l’époque, ou juste après :
1. sont très nombreux : Roch Merchandier,
Histoire des hommes de proie (1801), un manuscrit d’un officier de service au Temple, cité par Georges Bertin, Madame
de Lamballe d’après des documents inédits (1888), un article du 8 septembre 1792 du journal la Révolution de Paris, ...
2. viennent des deux bords : les révolutionnaires (ci-dessus), qui veulent ainsi, par l’outrance (car ce récit n’est pas isolé, d’autres condamnés sont censés avoir subi les mêmes outrages), assurer les volontaires qui partent aux frontières du patriotisme de la population parisienne ; il faut en effet se remettre dans le contexte des 2, 3 et 4 septembre. Mais aussi les contre-révolutionnaires, qui veulent ainsi prouver la bestialité des républicains et donc la légitimité de leur lutte, qui devient celle de la civilisation contre la barbarie ; leurs récits en rajoutent dans l’horreur ; ainsi le comte de Fersen dans une lettre au prince régent de Suède :
« Mme la princesse de Lamballe a été martyrisée pendant huit heures de la manière la plus horrible. La plume se refuse à ces détails ; on lui a arraché le sein avec les dents, et on lui a administré tous les secours possibles, pendant deux heures, pour la faire revenir d’un évanouissement afin de lui faire mieux sentir la mort ».
Ou encore un pamphlet royaliste,
Idées des horreurs commises à Paris, dans les journées à jamais exécrables des 10 août, 2, 3, 4, et 5 septembre 1792 ou Nouveau Martyrologe de la Révolution Française (1793) :
« Un des brigands portaient au bout d’une pique cette tête d’où pendait une blonde chevelure souillée de sang. Il était suivi d’un autre, ayant à la main le coeur sanglant de la princesse et ses entrailles entortillées autour de son bras [...] Un monstre se vanta d’avoir fait son dîner du coeur de Mme de Lamballe ».
Ces récits royalistes sont eux-mêmes étrangement proches des poncifs de la martyrologie chrétienne concernant les supplices de saintes (les seins coupés en particulier en sont un leitmotiv).
3. Sont repris par de nombreux auteurs, plus ou moins historiens, vous citez De Decker, j’y ajoute Michelet ou Georges Bertin au XIXème siècle.
Or, le seul document crédible que nous avons de cet épisode est le procès-verbal de la section sans-culotte des Quinze-Vingt, sur le faubourg Saint-Antoine :
« L’an 1792, la quatrième de la liberté, le 3 septembre, s’est présenté à la section des Quinze-Vingt un groupe de citoyens, lesquels étant porteurs du corps sans tête de la ci-devant princesse de Lamballe, qui venait d’être tuée à l’hôtel de la Force, et dont la tête était portée par d ‘autres dans la Grand’Rue au bout d’une pique, nous ont déclaré que dans les habits, ils venaient de trouver, etc... »
Pas question donc ici d’acharnement, de dépeçage, d’abandon pendant une nuit du corps, qu’un autre procès-verbal dit avoir été enterré le soir même, avec la tête qui était revenue à la section vers 7h du soir, après avoir été promenée dans Paris. Exécution atroce peut-être, mais pas différente des autres massacres qui se produisaient au même moment.
Antoine de Baecque, dans un article de
L’Histoire (n° 217, janvier 1998) donne une explication à ces récits fantasmés, qui laissent penser qu’il s’agit de reconstitutions élaborées et falsifiées des faits après coup, et qui veulent exorciser plusieurs femmes en elle ; on a voulu d’abord montrer la punition politique de la comploteuse du « Comité autrichien » en lui coupant la tête, puis punir la femme dans son corps (sa complicité avec la reine était interprétée comme de l’homosexualité, de là tous ces récits sur la mutilation de son sexe et de ses doigts), enfin profaner la princesse de la cour d’Ancien Régime dans cette parodie de rite courtisan, qui amène la tête plantée sur la pique devant la reine emprisonnée au Temple ; la scène a certes eu lieu, mais pas dans les conditions exposées ci-dessous :
« On réquisitionna un perruquier pour que la princesse ne se montrât pas ainsi négligée devant la reine. Il dut laver, décoller, tresser et poudrer la blonde chevelure souillée. Puis farder le visage, lui redonner quelque couleur, semblable à ce rouge qu’elle portait à la cour. « Au moins, maintenant, Antoinette pourra la reconnaître ! » s’exclama le peuple présent ». (
La vérité toute entière sur les vrais acteurs de la journée du 3 septembre 1792).
Ces récits, conclut A. de Baecque, « permettent aux Républicains comme aux royalistes de mettre en place une représentation du monde qui tente d’expliquer, de justifier ou de dénoncer la Terreur. Le corps de la princesse de Lamballe est l’un des premiers à subir cette transformation fantasmatique et symbolique. »
On ne peut que souscrire à cette analyse quand on voit que ces tentatives de justification perdurent jusqu’à aujourd’hui, et dans ce forum même, à propos du débat sur la béatification de Louis XVI, qui veut faire d’une victime politique un martyr chrétien.
Source: L’Histoire, n° 217, janvier 1998