Je pense que vous mélangez 2 problèmes. Par exemple, quand vous parlez des réticences des professeurs a évoqué dans les classes un sujet qu'ils savent être clivant en fonction de l'origine des élèves et des histoires respectives de leurs parents ou grands parents. Vous savez, en France, dans les années 50-60-70, on a pu parler de la seconde guerre mondiale en classe, parce qu’en fait on évoquait un mythe dans lequel tous pouvaient se retrouver. Mythe créé dès la libération par les gaullistes et le PCF, plus l'aide de pas mal de monde qui voulaient solder le passif et aller de l'avant. Si l'on n'avait pas mis ce mythe en place, la situation aurait pût être différente, or le gouvernement provisoire de 1944 à 1946 avait pris la décision de faire une épuration a-minima puisqu'ils pensaient que l'essentiel était de restituer sa grandeur à la France
Vous allez me dire : et, le rapport avec l'histoire ? J'en viens donc au second problème, l'action des historiens, dès qu'ils eurent accès aux archives concernées et qu'ils s'éloignèrent d'une histoire de témoignages où débattaient les diverses versions rapportées par les divers témoins qui tentaient de minimiser certaines choses (leurs erreurs ou leurs engagements vichystes) ou de grandit d'autres choses (leurs résistances, ou leur esprit de résistance, voire leur engagement contre Vichy et ses actions). Donc, la première action des historiens revint à mettre à mal ce mythe.
Si on veut unir une nation dans un mythe commun, il faut développer un roman national, une vision commune fantasmé des évènements passés. Mais, le travail de l'historien est justement d'essayer de comprendre exactement comment ce sont passés les faits et comment ils ont été vécus par les contemporains, tout cela, théoriquement, sans distribuer de bons ou de mauvais points. Je sais, c'est compliqué, pour ne citer qu'un exemple, quand on parle d'histoire militaire, il faut parfois reconnaitre que telle ou telle décision prise lors de telle bataille par tel général était une connerie ou au contraire quelque chose de totalement génial. Bref, on se retrouve vite dans le jugement. Et encore, là on évoque un jugement technique, quand on va vers le jugement moral ... L'action de César en Gaule était-elle morale ou pas ? Si on se place dans la continuation des gallo-romains, on peut estimer que ce fût un mal nécessaire qui nous fit sortir de la barbarie. Si on se place du coté des gaulois, elle a empêché la structuration de l'espace celtique gaulois en une ou plusieurs royautés qui auraient pu peser sur l'histoire du continent ... Et je fais exprès de prendre un exemple lointain pour essayer de ne pas raviver des débats inutiles
Oui, il faut maintenir la mémoire des évènements fondateurs de la nation. Mais, il faudrait accepter que tout le monde ne les voit pas de la même manière. Il faudrait aussi éviter d'en faire une version politisée. Je vis en Alsace depuis ma naissance. Je me suis un peu intéressé à l'histoire de l'Alsace. J'en ai une vision diamétralement opposée à celle colportée par ceux qui désirent que l'on reconnaisse une spécificité alsacienne. L'Alsace unie ou UNE Alsace ? ça n'a pas été le cas avant 1648. Si on doit considérer la spécificité de la République de Mulhouse, c'est le 15 mars 1798 ... En fait, dans toute la période d'avant 1648, le plus grand sport des alsaciens du nord fut de taper sur la tête des alsaciens du sud et de les inféoder à leurs territoires. Mais, il faut bien comprendre que les alsaciens du sud essayent d'en faire de même avec les alsaciens du nord. Et, bien entendu, chacun cherchait des alliances en dehors du territoire pour parvenir à leurs fins ... L'Alsace n'aurait qu'un seul parler, l'Alsacien ? Pour les linguistes, il y a 3 parlers germaniques différents en Alsace, plus un parler romand, le welsche. Les parlers germaniques sont, du nord au sud, une forme de haut-alémanique, puis une forme de bas-allemand, pour terminer par du francisque tout au nord et au nord-ouest ... Donc, dans l'histoire mémorielle alsacienne, doit-on privilégier celle qui est racontée dans le roman national français, ou celle du roman régional des autonomistes ? Ou alors, on devrait peser le poids des apports successifs et proposer une vision "universitaire" qui va déplaire à tous ?
_________________ Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable. Appelez-moi Charlie
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