Vous vous trompez. Voyez les historiens, voyez Roland Mousnier, la société se définit selon ces critères d'ordres ou états. Voyez l'ouvrage de Michel Vergé-Franceschi: il montre notamment que dans les faits, la hiérarchie des honneurs au XVIIe siècle ne suit plus forcément la hiérarchie des ordres, mais le cadre juridique (fondé sur le droit coutumier) est celui de la division tripartite. Parce que même s'il n'y a pas de lois écrites qui fondent ces ordres (et c'est normal vu que la monarchie n'a pas de constitution écrite, pas de droit écrit spécifique, elle s'appuie sur l'ancien droit romain (écrit) et des coutumes imposées au fil du temps) il y a bien distinction entre le noble, le roturier et le clerc, vous ne pouvez le nier!
letiers: Permettez moi de persister dans l'erreur au risque de me damner . Vous évoquez une tradition juridique et vous avez raison vous la fondez sur la " coutume" mais si vous relisez attentivement l'introduction des Tois ordres ou l'imaginaire du féodalisme de Duby texte classique auquel vous faites implicitement rférence vous y trouverez ceci : " Nulle tradition, nulle autorité, nulle coutume n'impose la tripartition.." ( le champ de l'enquête..). Relisz également le prologue du livre de Loyseau. La discipline commente ironiquement Duby " fait la force des armées, la force de l'Etat et la solidité du monde". Et bien sûr elle requiert l'inégalité : " les souverains seigneurs commandent à ceulx de leur Estats, adressant leur commandement aux grands,les grands aux médiocres, les médiocres aux petits". Pour Loyseau la trifonctionnalité ne s'appuie sur rien d'autre que la nécessité. Cette trifonctionnalité est en réalité une lecture de l'Univers, les degrés sont une perfection par l'effort. L'idée est ancienne et vous auriez pû appeler Adlbéron de Laon ou encore Gérard évêque de Cambrai au secours de votre thèse qui, je leconfesse, à pour elle mille ans d'usage quand Loyseau écrit. On retrouvera cette trifonctionnalité chez Dumézil, elle satisfait les linguistes, l'image du triangle étant étroitement liée aux structures d'un langage. Il s'agit donc bien d'une fonctionnalité symbolique et comme tout ensemble symbolique il permet d'analyser les forces qui gouvernent le monde. Il est rare qu'elle soit clairement formulée ; dans notre société elle l'est. Elle l'est dans la France du Nord, dans les autres parties de ce qui deviendra le royaume, elle ne s'impose pas. Mais, même dans la France du nord Duby écrit bien qu'une telle vision trifonctionnelle de la société n'est pas antérieure au mitan du XIe siècle. Lisez aussi Marc Bloch ( in la société féodale)" une théorie alors très répandue représentait la communauté humaine comme divisée en trois ordres..." Le Goff situe cette " vision" aux alentours du XI e s et la désigne comme très nouvelle. Avec une honnêteté Duby qui décidément ne voit qu'une construction idéologiqe commode à ce triangle cite les auteurs qui pensent, eux, qu'au XIe s on assista à une actualisation de la théorie ( Dubuisson l'Irlande et la théorie médiévale des trois ordres in revue d'histoire des religions 1975 p 60). Duby explicite qu'il enten se livrer à un travail de démystificationC'est surtout en fait au niveau des laïcs que la distinction se joue. Le noble, par coutume, ne paie pas la taille personnelle, à la différence du roturier. Le noble ne doit pas déroger auquel cas il tombe dans le tiers état.
De même, dans les discours des grands juristes français, le royaume est perçu comme un organisme dans lequel le roi est la tête (ou le coeur), la noblesse et le clergé les membres principaux et le tiers sont les parties les moins "nobles". Seule l'existence de ces trois états permettaient le fonctionnement de l'organisme. Et puis que faites vous de la réunion des états ou ordres généraux ? Lorsque le roi les convoque, il les convoque par ordres.
letiers : je ne donnerai pas dans la facilité de dire que le roi convoque les Etats assez peu..ce ne serait pas pertinent mais puis-je vous signaler votre erreur due à une mauvaise lecture des convocations ; brièvement : en 1560 s'ouvrent les Etats généraux d'Orléans. La convocation se fait - en effet- par ordres mais c'est la première fois! les Etats de Tours de 1483 tous ordres confondus, réunis en sections et ne connaissant d'autres divisions que celle des provinces du royaume. Les Etats de 1577 connaissent
quatre ordres ( ce qui fut le cas fréquemment lors des assemblées de notables - notamment à Rouen en 1596) l'ordre de ceux maniant les procès; ils étaient d'ailleurs les plus nombreux regroupant dans un "ordre" les représentants des parlements et des cours souveraines ( on y trouve Montaigne). Les derniers Etats ( 1614) s'ils ne montrent guère d'intérêt offrent deux singularités : le clergé va proposer l rédaction d'articles généraux
sans distinction d'ordreCe n'est pas parce que des lois écrites n'existent pas sur les ordres qu'ils n'existent pas. C'est la coutume qui les a fondé. Notamment à partir de la distinction faite par l'évêque de Laon au Moyen Age entre
oratores,
bellatores et
laboratores. Cette distinction sera continuellement reprise et transmise, même si elle ne s'appuie pas sur des lois écrites je le répète, mais sur la coutume. Il n'y a pas de recueil de droit écrit général pour le royaume de France, et c'est ce qu'un Michel de Marillac ou surtout un Jean Domat essaieront de mettre en place au XVIIe.
Juridiquement, la société se définit comme une société d'ordres. Charles Loyseau en est le "théoricien" pour le XVIIe siècle par exemple, voyez aussi son "traité des ordres et simples dignités". Il distingue même un 4e ordre dans cet ouvrage, en gros les membres les plus éminent de l'administration de l'Etat, en gros, le groupe au service de la monarchie pour faire court. Les historiens disent aussi que nous avons une société d'ordres (en droit) mais aussi une société de corps, de type holistique.
Pourquoi cette société était fondée ainsi, en ordres? Le clergé était le premier ordre en ce qu'il permettait de mener les fidèles au salut, objectif unique de la vie terrestre pour un chrétien. La noblesse ensuite, en ce qu'à la base elle était censé défendre le royaume et combattre auprès du roi: à la base le noble est le proche du roi, et possède un honneur incommensurable. La condition nobiliaire se transmettait uniquement par le sang. (jusqu'à ce que la monarchie ait choisi de faire aussi des nobles). Le tiers, c'était le reste, ceux qui travaillaient (à la base). Ainsi, l'organisme pouvait fonctionner, chacun ayant sa fonction.
Mais dans les faits vous avez raison de le souligner, les "premiers", les clercs sont loins d'être toujours (et c'est peu de le dire) au sommet de la société si on prend d'autres critères que les critères juridiques, à savoir des critères économiques notamment. Exemple à la fin du XVIIIe siècle et même avant, le riche négociant nantais et roturier est bien souvent plus riche que bien des prélats, c'est-a-dire que bien des membres éminents du clergé, premier ordre juridique du royaume! On pourrait bien sûr multiplier les exemples.
Je tiens pour la lecture de Duby qui est rejointe par l'historiographie actuelle ( notamment Sharon Kettering : Patrons Brokers and clients in 17th s)