Je me base pour l'essentiel sur les travaux de Lucien Bély, ainsi que sur les séminaires dirigés par ce même professeur.
Quelques réflexions sur la langue italienne en diplomatie. (Beaucoup d'éléments à ce sujet dans L'art de la paix en Europe, de L. Bély, pp.407-429)
L'Italie est à l'époque moderne une mosaïque d'Etats d'une extrème division. L'Espagne possède la mainmise sur certains de ces Etats (notamment Naples et Milan) et l'Italie, terreau de la plupart des usages et pratiques diplomatiques de l'époque moderne, donne à l'Espagne ainsi qu'à la France, les deux grandes puissances continentales du XVIIe s., nombre de ses enfants qui oeuvrent dans le monde diplomatique. Ce vaste réseau d'ambassadeurs, au service de puissances variées mais d'une même langue et d'une même origine, conduit à l'utilisation de la lingua italiana comme langue de la négociation, aussi bien dans les rencontres plus ou moins formelles que pour la négociation des grands traités. Sans oublier dans les grandes rencontres internationales, comme Westphalie, le prestige du Pape, qui négocie également en italien. Mais nous sommes dans toutes ces affaires encore au XVIIe s., qu'en est-il au XVIIIe s.? - Eh bien, en ce qui concerne l'Espagne, la quasi-totalité de ses représentants et ambassadeurs sont italiens. Un exemple parlant, la famille Casati, qui représente l'Espagne auprès des Cantons Suisses pendant plus d'un siècle! - La France n'est pas en reste, et si son personnel diplomatique est plus diversifié, Louis XIV ne rechigne pas de faire appel à des Italiens. A cet endroit (p.411), Bély écrit toutefois que "la langue française tend à remplacer toutes les autres" tout en signalant néanmoins que l'italien "y garde une place traditionnelle". Nous sommes donc bien dans le changement très lent que je signalais plus haut, même si, mea culpa, j'en situait la date plus en avant chronologiquement. Le XVIIIe s. semble donc bien négocier majoritairement (et j'insiste sur ce mot, car j'ai vu pas mal de négociations se dérouler en allemand, il faut toujours rendre ses jugements plus subtils en histoire) en français et en italien, la première tendant à supplanter progressivement la seconde. Le français gardera sa place prééminente jusqu'à l'aube du XXe s.
La langue des négociations et la langue des traités
En quelle langue négocie-t-on? C'est une question très épineuse, et honnêtement, je ne suis pas en mesure d'y répondre et les travaux ne donnent guère de réponse en cela qu'ils se concentrent sur la diplomatie française. Dans un monde où le français prend une place grandissante, il est évident que la France négocie d'abord en français. Mais qu'en est-il des négociations entre puissances étrangères? En quelle langue négocient Portugais et Anglais ou Hollandais et Anglais, où les différents protagonistes des conflits du Nord? Difficile à dire, très difficile au vu de mes faibles connaissances. Ce qui est mieux connu, c'est la langue des traités, et là, Utrecht (1713) marque un tournant car le traité final est écrit en français et non pas en latin, langue internationale encore à l'époque. L'essentiel du traité de Baden, signé l'année suivante entre la France et l'Empire consistera en la traduction en latin du traité d'Utrecht. Ceci dit, immédiatement après sa signature, le traité est traduit dans les langues des pays impliqués (espagnol, allemand, anglais, etc).
Des ambassadeurs souvent polyglottes Si le français a tendance à être utilisé comme langue médiane au cours du XVIIIe s., la plupart des ambassadeurs connaissent (ou apprennent au cours de leur formation) au moins une ou deux langues étrangères. Les cas comme celui de Spry, ministre anglais auprès de la République de Gênes, et qui ne parle ni français ni italien semble rarissimes. Les ambassadeurs et autres représentants étant souvent polyglottes, cela accentue le cosmopolitisme en particulier lors des grandes négociations de traités de paix. L'ambassadeur parle, au XVIIIe s., au moins l'italien et le français, et selon la zone où il officie, l'allemand, l'anglais ou l'espagnol. Pour ce qui est des ambassades lointaines on utilise des traducteurs (européens comme pour les ambassadeurs du Siam à Versailles, ou des truchements locaux). Ceci dit, sans que je sache si cela est révélateur d'une évolution des mentalités ou un cas isolé, j'ai trouvé trace d'un envoyé hollandais qui en 1767 prononce son discours en langue malaise! Le seul cas où une véritable attention officielle est portée à des langues un peu extraordinaire est celui de la Russie, qui a à coeur, à la fin du siècle, de former des diplomates aguerris aux langues orientales et à la langue tatare! La formation des ambassadeurs, dont l'activité, encore très aventurière au XVIIe s. tend à se professionaliser, favorise encore l'avancée du français comme langue commune (qui plus est avec un recrutement diplomatique lui-même beaucoup plus national). Ceci dit, et encore une fois, j'ai du mal à imaginer des négociations par exemple entre Suède et Empire qui se fassent en français (et encore moins des relations entre pays germaniques, comme la Prusse et l'Autriche), surtout après la création à Strasbourg en 1752 de l'Europaïsche Staatschule. Sous réserve d'informations complémentaires bien évidemment. A titre d'exemple, même dans les lieux remplis de diplomates, quand l'humeur n'est guère francophile, le parler est mal venu. Il existe une anecdote illustrant bien cela: lors du couronnement de l'Empereur François Ier, des Lorrains, pris pour des Français à cause de leur langue, sont mal accueillis et l'ambassadeur de Bohème leur refuse un billet de protection. Expliquant qu'ils sont de Lunéville, et par conséquent Lorrains et non Français: "aussitôt il n’a fait aucune difficulté de nous en donner un"
Voilà, j'espère avoir répondu à quelques interrogations.
En conclusion, on pourrait dire qu'au cours du XVIIIe s., le français devient la langue diplomatique par excellence, mais qu'elle n'est pas la langue diplomatique unique pour autant.
_________________ "[Il] conpissa tous mes louviaus"
"Les bijoux du tanuki se balancent Pourtant il n'y a pas le moindre vent."
|