L.S Mercier,
Le Tableaud de Paris :
l'Hôtel-Dieu (extraits) :
(...) Cruelle charité que celle de nos hôpitaux. Fatal secours, appât trompeur et funeste. Mort cent fois plus triste et plus affreuse que celle de l'indigent recevrait sous son toit, abandonné à lui même et à la nature! La maison de dieu! et on ose l'appeler ainsi! Le mépris de l'humanité semble ajouter aux maux qu'on y souffre. Le médecin, le chirurgien sont payés; d'accord, les remèdes ne coûtent rien; je le sais, mais on couchera le malade à côté d'un moribond et d'un cadavre; on lui mettra le spectacle de la mort sous les yeux, lorsque les angoisses de la terreur pénétreront déjà son âme épouvantée! On le plongera dans un air rempli de miasmes putrides; on le soumettra à un despotisme qui n'écoutera ni le cri de sa douleur, ni ses représentations, ni ses plaintes; on ne lui donnera personne pour le consoler, pour l'affermir; on sera indifférent à l'enlever comme mort ou comme convalescent : la pitié même sera aveugle et meurtrière; car elle n'aura plus ce qui la caractérise, la compassion profonde, l'attention secourable, les larmes de la sensibilité... (...)
Les maladies les plus contraires seront sous la même couverture, et une simple indisposition se convertira en un mal cruel.
Qui ne fuirait ces hospices sanglants et dénaturés? (...) et tandis que que ces horreurs révoltantes affligent les regards de l'étranger et oppressent les coeurs irrités, on apprend avec surprise mêlée d'effroi et d'indignation, que les hommes auxquels cette administration importante est confiée n'ont rien fait encore pour éviter du moins la honte des reproches. (...)
On espérait que le dernier incendie tournerait à l'avantage des malades; qu'on bâtirait sur un nouvel emplacement un édifice plus spacieux, plus sain; mais on a laissé subsister presque tous les anciens abus.
l'Hôtel-Dieu de Paris a tout ce qu'il faut pour être pestilentiel, à cause de son atmosphère humide et peu aérée : les plaies s'y gangrènent plus facilement, et le scorbut et la gale n'y font pas moins de ravages, pour peu que les malades y séjournent.
Les maladies les plus simples dans leur principe acquièrent des complications graves par une suite inévitable de la contagion de l'air; c'est par la même raison que les plaies simples à la tête ou aux jambes sont mortelles dans cet hôpital.
Rien ne confirme mieux ce que j'avance que le dénombrement des misérables qui périssent tous les ans à l'Hôtel-Dieu et à Bicêtre : il meurt le cinquième des malades! (...)
Puisse-t-il se rencontrer des hommes assez courageux pour remédier à ce qui dégrade aux yeux de l'étranger cette partie de la'administration publique.(...)
et le patrimoine sacré des pauvres se trouve livré aux vices d'une administration insuffisante, pour ne pas dire plus, puisqu'elle se trompe depuis si longtemps, et dans le choix des moyens et dans l'exécution"
D'après
Histoire et dictionnaire au temps des lumières de Jean de Viguerie :
AU XVIIIème, la charité et la gratuité sont les deux principes de l'hôpital.
Les principales sortes d'hôpitaux sont les hôtels-Dieu destinés à soigner les malades, les hôpitaux spécialisés pour les aveugles, les orphelins et les enfants trouvés, et les hôpitaux généraux (crées sous Louis XIV dans le but de renfermer les mendiants et les vagabonds et de les rééduquer par la religion et le travail).
A la fin de l'Ancien régime, on compte dans la capitale 49 hôpitaux dont 22 de malades (6 d'hommes, 4 de femmes, 6 mixtes, 6 pour infirmités ou maladies spéciales comme les Quinze-Vingts pour les aveugles), 6 qui accueillent à la fois les malades et les valides, et 21 hospices pour les pauvres valides.
Fondations privées et libéralités princières sont à l'origine de la plupart des hôpitaux et de leurs patrimoines. Les dons et les quêtes permettent de compléter les revenus.
Le réseau hospitalier est presque aussi dense que de nos jours. On compte vers 1760, 13 hôpitaux dans la généralité d'Amiens, 21 dans celle de Châlons, 23 dans la province d'Anjou.
Mais la capacité d'accueil y est faible (les 23 hôpitaux de l'Anjou n'offrent que 717 lits).
L'Hôtel-Dieu de Paris n'en a que 1877 et plusieurs malades sont ainsi logés dans le même lit.
Le personnel de l'hôpital comprend d'abord un médecin ordinaire, des chirurgiens et des apothicaires.
Des soeurs appartenant à des congrégations hospitalières assurent le fonctionnement quotidien de l'établissement. Les Filles de la Charité sont les plus nombreuses de ces soeurs hospitalières et ont en charge la plupart des hôpitaux du royaume.
La philosophie des Lumières n'aime pas le fonctionnement de cette institution et souhaiterait une nationalisation.
Diderot propose la création d'une "caisse générale" des hôpitaux gérée par l'Etat :
"le souverain est le père de tous ses sujets, pourquoi ne serait-il pas le caissier général de ses pauvres sujets (...) C'est à lui à ramener à l'utilité générale les vues étroites des fondateurs particuliers." (Encyclopédie, article
Hôpital).
Sur les conditions d'hygiène et de propreté Necker ordonne une enquête en 1781.
A Amiens par exemple, seront constatées les mauvaises émanations de la salle des morts, placée au mileu de celle des femmes...