La mort de Marie-Thérèse modifia radicalement la vie de sa fille. Très vite, Joseph II lui fit entendre que sa présence à la Cour n'était plus désirée en lui conseillant de regagner son abbaye de Prague. C'était un ordre, Marie-Anne connaisait assez son frère pour mésestimer sa décision.
Beaucoup d'historiens ont accusé l'empereur de mysoginie. C'est peut-etre excessif à travers le contexte de l'époque, mais il est indubitablement vrai que Joseph II ne possédait aucun tact avec les femmes. Il était souvent bourru et arrogant à leur égard, voire méprisant. L'omniprésence et le charisme de sa mère cristallisa chez lui une peur inconsciente de la gent féminine. Sa première femme, Isabelle de Parme, bien que sincèrement aimée, souffrit de sa froideur et de son incapapacité à exprimer ses sentiments. Quant à sa deuxième épouse, Josépha de Bavière, il l'ignora impérialement...
L'avènement de Joseph II n'affecta pas uniquement Marie-Anne. Sa soeur, Marie-Elisabeth, demeurée elle aussi célibataire, fut priée de rejoindre son abbaye d'Innsbruck, tout comme d'autres dames de la Cour qui s'empressèrent de déserter les palais impériaux.
En théorie, la raison aurait dû conduire la soeur ainée de l'empereur à s'installer dans son couvent des dames nobles de Prague. Or, Marie-Anne exprima un tout autre sentiment. La petite cité de Klagenfurt l'attirait irrisistiblement. Elle avait visité la ville et son couvent quinze ans plus tôt lors du voyage qui avait conduit la Cour à Innsbruck pour les noces de l'archiduc Léopold. Klagenfurt resta gravé dans sa mémoire, et on peut s'interroger, mais sans affirmation, si l'archiduchesse n'avait pas déja exprimé son souhaît à sa mère quelques années plus tôt, à moins qu'elle ne l'eut fait sur son lit de mort. Ce n'est cependant qu'une hypothèse.
Toujours est-il que dès 1782, Marie-Anne fit de Klagenfurt son lieu de résidence quasi-permanent, et pour longtemps. Ses habitants louèrent sa bonté, ses charités, ses largesses, surtout pour les pauvres. Elle ne supplanta pas l'abbesse dans ses fonctions, Xavéria Gasser, mais s'en fit au contraire une amie dévouée. C'est au sein du monastère de Xavéria Gasser, que l'archiduchesse occupa un appartement.
La présence assidue d'une archiduchesse à Klagenfurt marqua profondément la ville, Marie-Anne contribuant grâce à sa fortune au développement de la cité. Des mesures découlent directement de son influence, comme la reconstruction de l'hopital ou des mesures "sociales" envers les indigents. La princesse encouragea également et parfois en puisant dans sa cassette, des actions culturelles et phylantropiques. Toujours avide de nouvelles connaissances, elle encouragea un programme de fouilles archéologiques.
Pourtant, réputée ouverte aux idées nouvelles et d'esprit libéral, prôche des milieux intellectuels et scientifiques, les initiatives de Marie-Anne achoppèrent devant le centralisme de la monarchie bicéphale. Joseph II, malgré ses ambitions pour ses peuples, était très jaloux de son autorité. Les philosophes, les hommes de science et de progrès avaient alors commencé à sex regrouper au sein de loges maçonniques et la soeur de l'empereur avait montré des signes d'acquiescement à leurs créations. L'un des dirigeants les plus en vue des loges Viennoises, Ignace de Born, comptait parmi les protégés de l'archiduchesse. Outre-Rhin, Ignace de Born représentait une sommité dans le monde des savants grace à ses travaux de géologie et de minéralogie, deux disciplines que Marie-Anne affectionnait particulierement.
Mais le développement croissant de la maçonnerie ne devait pas tarder à inquieter le pouvoir impérial et au bout de quelques années de sévères mesures coercitives aliènèrent les loges notamment avec des ordres de fusion afain de limiter leur influence et leur surveillance fut renforcée. A la fin du règne de Joseph II, les loges étaient entrée dans un relatif déclin, malgré le soutien de Marie-Anne.
A Klagenfurt, l'archiduchesse-abbesse vivait de plus en plus retirée. Avec l'âge, se santé précaire se détériora rapidement et la chaise roulante limita ses déplacements. L'ainée des princesses impériales mourut le 19 novembre 1789 à cinquante-et-un ans. En France, Marie-Antoinette mandait à Mercy-Argenteau "de remercier M. d'Ezenberg de l'exactitude avec laquelle il lui a écrit et donné des nouvelles jusqu'à la fin de sa malheureuse soeur."
Deux siècles plus tard, et bien malgré elle, le souvenir de la bienfaitrice de Klagenfurt reparut sous les feux de l'actualité moderne.En témoignage de reconnaissance, Marie-Anne avait légué à son couvent tous ses objets personnels demeurés sur place dans son appartement. Parmi eux, un chapelet précieux orné de médaillons contenait les cheuveux de tous les enfants de la feue impératrice. Mr Philippe Delorme, à la recherche de la résolution de l'énigme Louis XVII, obtint afin de faire aboutir ses investigations, de procéder au prélèvement ADN des cheveux des archiduchesse Jeanne-Gabrielle et Marie-Josèphe. Leur correspondance avec les restes du petit roi prouva la filiation formelle avec les soeurs de Marie-Anne et de Marie-Antoinette, et pour le moins l'élimination de la thèse Naundorff.
Au-delà de la mort, c'est l'ultime réminiscence de l'abbesse de Prague, puis de la recluse de Klagenfurt, et pour l'ensemble de ces travaux présentés sur ce forum, l'état de nos connaissances en France.
_________________ Dominique Poulin
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