Cher fsandy
Je viens de consulter La Rebellion française, mouvement populaires et conscience sociale, 1661 - 1789 de Jean Nicolas (Seuil, 2002) -en passant un véritable chef-d'oeuvre- et quelques pages (pp. 353 - 364) intéressent notre sujet. Elles sont remarquables et je vais essayer de donner la pensée ou quand cela est impossible d'en donner des extraits. C'est à la hauteur de son dixième chapitre que l'auteur évoque les émeutes qui suivent les enlèvements. Il insiste sur la nécessaire prise en compte de "l'omniprésence de la sensibilité, de l'amour-propre et de la peur qui amplifie toujours la revendication de base. Il faut compter aussi avec la mémoire longue, c'est à dire le réinvestissement possible, à travers les situations vécues, des combats passés, des hantises immémoriales gravées dans l'inconscient collectif [...]" L'auteur caractérise ensuite "l'instinct de refus", "vitalisme libertaire qui a le plus souvent pour principe l'humiliation, l'image de soi atteinte et dégradée par le mépris des autres, par les souffrances du corps asservi et frappé [...]" L'auteur fait remonter assez justement l'agitation autour des enlévements à l'époque de Law et même au XVIIe siècle. "Le sentiment d"une menace diffuse s'est installé dans l'opinion populaire qui réagit à sa façon au climat politique et moral dégradé." L'auteur présente ensuite la chronologie de ces troubles : 1719, après une déclaration royale sur l'arrestation de tous les vagabonds, convois de jeunes garçons enchaînés deux à deux, expédiés aux colonies. De même en 1720, mais en réalité dès 1662 à Angers, même peur panique, d'être "enverser en Terre Neuve". Même agitation à Paris un an plus tard, puis en 1675 où des "mystérieux billets imprimés ou manuscrits, lus ou affichés dans plusieurs églises, parlent à nouveau d'enlèvements." Image de l'ogre dévoreur d'enfants qui resrugit "plus ou moins confondu avec le diable des chrétiens et ce qu'on croit savoir des rituels de magie noire. En juin 1701, le bruit court qu'on égorge les enfants "pour de leur sang faire un bain pour une personne de grande considération" (AN, G7 431)." En 1717, nouveaux bruits, accusation d'un commissaire du Châtelet. Bruits réactivés par l'ordonnance de 1720. Forte réaction populaire : dix morts au moins du côté des forces de l'ordres et de nombreux blessés. Une insulte inédite derrière les ramasseurs de pauvres : "Mississipien !". D'autres exemples pour les années 1720 suivent, bien détaillés et référencés. L'auteur se penche ensuite sur les événements de 1750, après le calme relatif du ministère Fleury. Nouvelles levées du roi, pointe de cherté du siècle, misère, chômage, pression fiscale, multiplication des mendiants. Les détails ne manquent pas, sur les événements qui secouent la capitale en janvier 1750, révoltes qui comptent parfois plus de mille personnes de tous âges et des deux sexes, contre les "preneurs d'enfants". Les policiers, les mouches reçoivent une pluie de projectiles divers - de la bûche à la marmite- quand ils ne sont pas assomés de coups de pelles, ou quand leur maison n'est pas mise à sac et à feu. On projette même de clouer sur la porte de M. Berryer le corps d'un certain Labbé, soupçonné d'être un espion de la police. Le soir, les émeutiers assoment un chat "incarnation diabolique de l'homme de police dans le bestiaire traditionnel - en chantant un Libera nos et un De profundis. Puis ils jettent cérémonieusement le cadavre dans un brasier après l'avoir aspergé de quelques gouttes d'eau bénite puisée au ruisseau." On chante, on danse autour du feu, et l'on répète qu'on en fera autant "pour toutes les mouches de Paris." Au printemps le mouvement se répand à Vincennes, à Saint-Cloud, puis à Tours et dans d'autres villes de province comme Toulouse. Dans tous les cas "les bruits les plus fous se répandent. On débite dans le peuple, écrit Barbier [je crois que c'est une source de Michelet] "que l'objet de ces enlèvements d'enfants était qu'il y avait un prince ladre [lépreux], pour la guérison duquel il fallait un bain ou des bains de sang humain, et que n'en ayant point de plus pur que celui des enfants, on en prenait pour les saigner des quatre membres..." A Tours des suspects sont interpellés par la foule :" Êtes-vous de ces bougres [sodomites] qui venez enlever nos enfants ?" Enfin "en 1768, alors que les émeutes de subsistances se mulitplient dans le royaume, la psychose de l'enlèvement reprend vigueur dans la France du Sud-Est. Folles rumeurs à Lyon où le populaire suspecte les autorités de poursuivre vagabonds et mendiants pour des raisons inavouables. On dit que les pauvres, jeunes et vieux, arrêtés de nuit comme de jour, sont conduits en cachette au collège de la Trinité, et l'on reparle d'enfants sacrifiés à un mystérieux prince malade." Les étudiants de la faculté de médecine sont aussi soupçonnés de "chercher dans le fond leurs entrailles palpitantes de détestables connaissances..." Affrontement avec les forces de l'ordre et vingt victimes dont six femmes. Même mouvement populaire et spontanné, teinté de religiosité à Romans, dans le Dauphiné, où "l'on parle toujours de personnages douteux, des messieurs fort bien vêtus [...] qui enlèvent des enfants de moins de quatorze ans [...] pour leur "tirer du sang". L'auteur conclut ainsi sur le sujet : " La violence de mouvements aussi frustes qu'infondés peut paraître archaïque, portée par un fonds séculaire de croyances maiques et d'imagerie naïve. Ces contes noirs illustrent les mêmes antagonismes fondamentaux que les contes de fées qui enchantent alors la bonne société : ils montrent les adultes qui dévorent les enfants, les puissants qui s'abeuvent du sang des faibles. L'émergence de fantasmes de ce type a pu être réactivée dans le petit peuple par les tentatives brutales et répétées de mise au pas des indigents."
P.S. : sur les enlèvements de 1750, l'auteur indique d'autres travaux , A.-P. HERLAUT, "Les enlèvements d'enfants..." Revue historique, 1922 - 1 ; C.ROMON, "L'affaire...", Revue historique, 1983 - 1, ce dernier étant aussi l'auteur d'une thèse de 3e cycle sur les Mendiants et vagabonds à Paris..., 1981.
_________________ "... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."
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