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Message Publié : 06 Déc 2005 21:47 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 25 Mai 2004 21:35
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Localisation : Paris
En 1750, à Paris, conformément aux injonctions du lieutenant-général de Police, les arrestations arbitraires d'enfants par les exempts de police et les archers se multiplient. A la chasse aux enfants pauvres, sans aveu, s'ajoute désormais des enlèvements brutaux et sans raison de fils d'artisans, voire de petis bourgeois.
L'ampleur est telle en mai que la population des quartiers réagit de façon violente quand un policier en civil cherche à emmener un enfant. Des échauffourées éclatent dans certains quartiers.

Les incidents se transforment soudain en émeute : le 23 mai 1750, un exempt de police bien connu, Labbé, cherche à arrêter un enfant ; il est violemment pris à parti par la foule. S'ensuit une véritable course-poursuite dans tout Paris, où il cherche à se cacher chez le commissaire et chez sa maîtresse, mais où il est finalement retrouvé par la foule en furie, qui le met à mort violemment le soir du 23 mai devant St-Roch.

L'émeute n'est pas anodine. Elle a pris l'ampleur d'une véritable révolte, donnant lieu à une longue enquête judiciaire, et à des commentaires nombreux dans la littérature du temps, ainsi que dans la production historiographique du XIXè et du XXè siècle. Michelet en parle rien moins que comme une préfiguration de 1789.
C'est que dans le peuple un bruit se répand sur la cause de ces enlèvements d'enfants, touchant à la personne la plus importante du royaume : les enfants enlevés seraient destinés à être saigné pour soigner un prince ladre, qui n'est autre que le roi Louis XV lui-même.

Quelles sont les véritables raisons de ces enlèvements brutaux et généralisés par la police? Avait-on vraiment l'intention de peupler les colonies avec ces enfants enlevés? Pourquoi s'en prendre indistinctement aux fils de bourgeois et aux pauvres?

Et au-delà, qu'est-ce qui a pu faire réellement croire au peuple de Paris que son roi, jusque là "Bien-Aimé", prenait des bains de sang d'enfant?


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Message Publié : 07 Déc 2005 17:31 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
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Localisation : Besançon - Strasbourg
Cher Helios
Je n'ai pas d'avis précis sur la question mais Arlette Farge et Jacques Revel ont donné dans leur ouvrage Logiques de la foule (Paris, 1988) une interprétation assez pertinente : le roi Louis XV est dénoncé par des chroniqueurs parisiens comme l'instigateur des enlévements dans une phraséologie qui rappelle la dénonciation par la culture robine du despotisme royal. Au-delà les assassinats rituels sont assimilés à un nouveau massacre des Innocents. Ainsi le souverain despotique devient un nouvel Hérode, un roi lépreux. En effet, une légende populaire voulait que les bains de sang soient recommandés pour soigner cette maladie. Le roi est ainsi désigné comme un roi juif qui provoque le massacre de jeunes chrétiens. On peut tirer de ces divers points toute une série de conclusions sur l'état de « l'opinion publique ». En-dehors de l'excellent l'ouvrage de A. Farge et J.Revel, on peut consulter l'article de Claudine Fahre-Vassas, « La part embaumée du chrisitanisme », L'Homme, 1994, v. 34, p. 116 et suivantes.
De façon plus anecdotique, une page du site du groupe Hugo (Paris VII) est consacré au Journal de Barbier et deux paragraphes regardent cette question : vous y trouverez d'autres références. http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo ... illiot.htm

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 Sujet du message : Bain de sang et bain de foule
Message Publié : 08 Déc 2005 10:52 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
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Localisation : Besançon - Strasbourg
Cher Helios,

Si vous désirez des informations supplémentaires sur cette légende des bains de sang curateurs, vous pouvez aussi vous reporter à l'article de Luke E. Demaitre dans les Bulletin of the History of Medicine (vol. 70, n° 1, p. 25 - 61) : "The Relevance of Futility: Jordanus de Turre". L'article est consacré à la peste au moyen-âge mais son auteur fait allusion à la survivance de ce mythe jusqu'au règne de Louis XV.

Arlette Farge évoque aussi des affaires similaires au XVIIe siècle dans son Dire et mal dire. Enfin je sais que la revue l'Histoire a consacré un article à ces enlèvements d'enfants mais je n'arrive pas à retrouver dans quel numéro.

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Message Publié : 08 Déc 2005 11:54 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Inscription : 26 Oct 2005 18:58
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paulagnani@hotmail.com a écrit :
je sais que la revue l'Histoire a consacré un article à ces enlèvements d'enfants mais je n'arrive pas à retrouver dans quel numéro.


C'est peut-être le numéro 40 de décembre 1981, intitulé "Les rapts d'enfants à Paris".

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Message Publié : 08 Déc 2005 12:39 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
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Localisation : Besançon - Strasbourg
En effet cher duduche19, merci pour vos lumières : il s'agit bien du numéro 40 de la revue L'Histoire et des articles respectifs de Michelle Perrot et de Jean Nicolas.
L'article de Jean Nicolas - "La rumeur de Paris : les rapts d'enfants en 1750" est percutant : il faut dire que nous avons affaire ici à un spécialiste des révoltes populaires et qui a prouvé récemment sa maîtrise de la question. Je n'ai pas sa Rébellion française sous les yeux mais il est vraisemblable qu'il revienne dans cette somme sur les rapts d'enfants.

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Message Publié : 12 Déc 2005 15:40 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 24 Août 2005 16:28
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j'étais persuadée que ces émeutes de 1750 étaient liées avec le système d'enferment mise en place par Louis XIV en 1656 avec l'Hôpital Général, en particulier une réaction aux "noces des orphelines". Suis je dans l'erreur ?


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Message Publié : 12 Déc 2005 18:31 
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Plutarque
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Inscription : 23 Nov 2005 13:19
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Localisation : Besançon - Strasbourg
Cher(e) Fsandy
Vos précisions sont des plus utiles. Comme vous le notez la révolte populaire et parisienne est evidemment liée au système dit du "grand enfermement" et peut-être aussi au système de "noces des orphelines". Je ne sais pas si ce système ni si les mariages en masse colbertiens étaient toujours de mise en 1750, ni si la colonisation forcée conservait toujours le même rythme sous Louis XV. Il est vrai qu'en 1665 s'observe un tournant dans la prise en compte de la mendicité et du vagabondage des enfants. Je ne sais pas Louis XIV est lui-même à l'origine du projet et il me semble - c'est à vérifier - que la Compagnie du Saint-Sacrement et le Parlement de Paris furent à l'origine de cet édit de 1654. Un édit de 1611 avait précédemment essayé d'adopter les mêmes mesures mais sans succès.
Mais on peut s'interroger : pourquoi l'émotion populaire fut si forte et surtout suscita autant de documentation en 1750 ; en 1750 et donc presque un siècle après la mise en place du système. Michelet date de cette année le revirement de l'opinion en faveur du souverain. Je ne sais pas si de semblables émeutes étaient survenues auparavant et si la même logique de solidarité avaient déjà été à l'oeuvre. Sûrement. Quelqu'un peut nous éclairer ?

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Message Publié : 02 Jan 2006 10:48 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 24 Août 2005 16:28
Message(s) : 48
Je suis désolée de répondre si tard les fêtes m'ont un peu éloignée, j'en profite : tous mes voeux à tous.


C'est en effet la commanderie du Saint Sacrement qui est en parti derrière le grand enfermement, mais l'édit consultable au Musée de l'assistance public étant signé par Louis XIV le raccourci est vite fait, veuillez m'en excuser. De même que Louis XIV en 1656 n'est pas encore dans son règne personnel.

l'Hôpital Général était autonome au départ puis sera placé sous la tutelle du parlement et de l'archevêque de Paris.

Pour moi les noces des orphelines cessent à partir de cette révolte de 1750 mais je n'arrive pas à trouver les références, cela reste donc à vérifier !


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Message Publié : 04 Jan 2006 17:41 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
Message(s) : 172
Localisation : Besançon - Strasbourg
Cher fsandy
Je viens de consulter La Rebellion française, mouvement populaires et conscience sociale, 1661 - 1789 de Jean Nicolas (Seuil, 2002) -en passant un véritable chef-d'oeuvre- et quelques pages (pp. 353 - 364) intéressent notre sujet. Elles sont remarquables et je vais essayer de donner la pensée ou quand cela est impossible d'en donner des extraits. C'est à la hauteur de son dixième chapitre que l'auteur évoque les émeutes qui suivent les enlèvements. Il insiste sur la nécessaire prise en compte de "l'omniprésence de la sensibilité, de l'amour-propre et de la peur qui amplifie toujours la revendication de base. Il faut compter aussi avec la mémoire longue, c'est à dire le réinvestissement possible, à travers les situations vécues, des combats passés, des hantises immémoriales gravées dans l'inconscient collectif [...]" L'auteur caractérise ensuite "l'instinct de refus", "vitalisme libertaire qui a le plus souvent pour principe l'humiliation, l'image de soi atteinte et dégradée par le mépris des autres, par les souffrances du corps asservi et frappé [...]" L'auteur fait remonter assez justement l'agitation autour des enlévements à l'époque de Law et même au XVIIe siècle. "Le sentiment d"une menace diffuse s'est installé dans l'opinion populaire qui réagit à sa façon au climat politique et moral dégradé." L'auteur présente ensuite la chronologie de ces troubles : 1719, après une déclaration royale sur l'arrestation de tous les vagabonds, convois de jeunes garçons enchaînés deux à deux, expédiés aux colonies. De même en 1720, mais en réalité dès 1662 à Angers, même peur panique, d'être "enverser en Terre Neuve". Même agitation à Paris un an plus tard, puis en 1675 où des "mystérieux billets imprimés ou manuscrits, lus ou affichés dans plusieurs églises, parlent à nouveau d'enlèvements." Image de l'ogre dévoreur d'enfants qui resrugit "plus ou moins confondu avec le diable des chrétiens et ce qu'on croit savoir des rituels de magie noire. En juin 1701, le bruit court qu'on égorge les enfants "pour de leur sang faire un bain pour une personne de grande considération" (AN, G7 431)." En 1717, nouveaux bruits, accusation d'un commissaire du Châtelet. Bruits réactivés par l'ordonnance de 1720. Forte réaction populaire : dix morts au moins du côté des forces de l'ordres et de nombreux blessés. Une insulte inédite derrière les ramasseurs de pauvres : "Mississipien !". D'autres exemples pour les années 1720 suivent, bien détaillés et référencés. L'auteur se penche ensuite sur les événements de 1750, après le calme relatif du ministère Fleury. Nouvelles levées du roi, pointe de cherté du siècle, misère, chômage, pression fiscale, multiplication des mendiants. Les détails ne manquent pas, sur les événements qui secouent la capitale en janvier 1750, révoltes qui comptent parfois plus de mille personnes de tous âges et des deux sexes, contre les "preneurs d'enfants". Les policiers, les mouches reçoivent une pluie de projectiles divers - de la bûche à la marmite- quand ils ne sont pas assomés de coups de pelles, ou quand leur maison n'est pas mise à sac et à feu. On projette même de clouer sur la porte de M. Berryer le corps d'un certain Labbé, soupçonné d'être un espion de la police. Le soir, les émeutiers assoment un chat "incarnation diabolique de l'homme de police dans le bestiaire traditionnel - en chantant un Libera nos et un De profundis. Puis ils jettent cérémonieusement le cadavre dans un brasier après l'avoir aspergé de quelques gouttes d'eau bénite puisée au ruisseau." On chante, on danse autour du feu, et l'on répète qu'on en fera autant "pour toutes les mouches de Paris." Au printemps le mouvement se répand à Vincennes, à Saint-Cloud, puis à Tours et dans d'autres villes de province comme Toulouse. Dans tous les cas "les bruits les plus fous se répandent. On débite dans le peuple, écrit Barbier [je crois que c'est une source de Michelet] "que l'objet de ces enlèvements d'enfants était qu'il y avait un prince ladre [lépreux], pour la guérison duquel il fallait un bain ou des bains de sang humain, et que n'en ayant point de plus pur que celui des enfants, on en prenait pour les saigner des quatre membres..." A Tours des suspects sont interpellés par la foule :" Êtes-vous de ces bougres [sodomites] qui venez enlever nos enfants ?" Enfin "en 1768, alors que les émeutes de subsistances se mulitplient dans le royaume, la psychose de l'enlèvement reprend vigueur dans la France du Sud-Est. Folles rumeurs à Lyon où le populaire suspecte les autorités de poursuivre vagabonds et mendiants pour des raisons inavouables. On dit que les pauvres, jeunes et vieux, arrêtés de nuit comme de jour, sont conduits en cachette au collège de la Trinité, et l'on reparle d'enfants sacrifiés à un mystérieux prince malade." Les étudiants de la faculté de médecine sont aussi soupçonnés de "chercher dans le fond leurs entrailles palpitantes de détestables connaissances..." Affrontement avec les forces de l'ordre et vingt victimes dont six femmes. Même mouvement populaire et spontanné, teinté de religiosité à Romans, dans le Dauphiné, où "l'on parle toujours de personnages douteux, des messieurs fort bien vêtus [...] qui enlèvent des enfants de moins de quatorze ans [...] pour leur "tirer du sang". L'auteur conclut ainsi sur le sujet : " La violence de mouvements aussi frustes qu'infondés peut paraître archaïque, portée par un fonds séculaire de croyances maiques et d'imagerie naïve. Ces contes noirs illustrent les mêmes antagonismes fondamentaux que les contes de fées qui enchantent alors la bonne société : ils montrent les adultes qui dévorent les enfants, les puissants qui s'abeuvent du sang des faibles. L'émergence de fantasmes de ce type a pu être réactivée dans le petit peuple par les tentatives brutales et répétées de mise au pas des indigents."

P.S. : sur les enlèvements de 1750, l'auteur indique d'autres travaux , A.-P. HERLAUT, "Les enlèvements d'enfants..." Revue historique, 1922 - 1 ; C.ROMON, "L'affaire...", Revue historique, 1983 - 1, ce dernier étant aussi l'auteur d'une thèse de 3e cycle sur les Mendiants et vagabonds à Paris..., 1981.

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Message Publié : 05 Mars 2010 10:48 
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Jean Mabillon
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Inscription : 26 Juin 2008 8:11
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Localisation : 中国
Un chapitre court mais qui résume bien l'affaire peut être lu dans ce numéro sur les légendes urbaines (p. 3-4):
http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... _30_1_2575

Le but initial était de débarasser le pavé de Paris des mendiants qui avaient afflué. Mais il semble que des agents en profitaient pour enlever des enfants de bourgeois contre rançon, ce qui a déclenché les émeutes.


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