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Message Publié : 12 Août 2004 13:36 
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Eginhard
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Retour sur de prétendues grossesses


Malgré la réputation d'impuissance de Monsieur, peut-etre se souvient-on des rumeurs de grossesse de Madame en 1775, 1779 et 1781. Celles de 1775 et de 1779 ne correspondent qu'à des alertes et on peut penser à juste titre qu'il n'y eut jamais d'espoir de maternité.
Pour celle de 1775 on ne dispose que d'un renseignement assez vague et non confirmé dans la Correspondance Secrète inédite publiée par M, de Lescure en 1866 et ceci à la date du 4 octobre 1775 :

"On nous dit à l'oreille que Madame est partie pour Chambéry enceinte, que craignant qu'on ne lui permit pas le voyage, elle a gardé le secret mais qu'elle vient d 'écrire au roi pour lui annoncer sa grossesse, disant que le voyage lui a mieux valu que les médecins et qu'elle sent déja son enfant remuer."

Malheureusement cet espoir de maternité fut sans suite et on n'entendit plus parler de grossesse. D'ailleurs on peut meme se demander si Marie-Joséphine a bien écrit à Louis XVI pour lui annoncer la bonne nouvelle... De plus cette correspondance intitulée "Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, la Cour et la Ville de 1777 à 1792" est sujette à caution par les historiens quant à son authenticité.

La rumeur de 1781 est encore plus troublante.

Le 26 décembre les Girault de Coursac dans "Provence et Artois; les deux frères de Louis XVI" affirment que la comtesse de Provence fit une chute dans un escalier alors qu'elle était enceinte de quatre mois. Marie-Joséphine aurait alors été prise de convulsions et de vomissements entrainant une fausse-couche.
Or le 30 décembre, Bachaumont dans son "Journal ou Mémoires secrets pour servir à la République des Lettres depuis 1762" écrit que "Madame sent son enfant bouger dans son ventre".
Sur ce point Mr de Reiset dans sa biographie "Joséphine de Savoie, comtesse de Provence" prend appui je cite sur une "Nouvelle relatée par les journalistes de Paris dans le bulletin de santé de la comtesse d'Artois".

Voire... Car dans "La Comtesse d'Artois : Enquete" notre ami Le Premier Genthilhomme de la Chambre a écrit que Marie-Thérèse de Savoie trés malade a été administrée le 26 décembre 1781. Et à la meme date et toujours selon les Girault de Coursac sa soeur la comtesse de Provence fait une fausse-couche !
Je suis désolé de le dire mais on se retrouve devant un véritable galimatias digne d'etre résolu par un détective privé... Et pourquoi d'aprés Bachaumont "Madame sent son enfant bouger dans son ventre" le 30 décembre ? Est-ce la conséquence de sa chute dans un escalier du 26 décembre ?
D'autant plus que le 2 janvier 1782 Bachaumont ajoute "Il parait que c'était un tour qu'on avait joué aux journalistes de Paris et que ce bulletin s'est trouvé fictif."

Pour conclure si la grave maladie de la comtesse d'Artois est attestée à la fin de 1781, les informations disponibles concernant la fausse-couche de sa soeur à la meme éposue sont trop discordantes pour prouver quoi que ce soit.
Et on peut continuer de penser que le mariage du comte et de la comtesse de Provence ne fut jamais consommé fautes de sources probantes.

L'époux de Marie-Joséphine de Savoie a sans doute une part de responsabilité dans ces bruits qui ne reposent sur rien de concret. Se targuant de propos érotiques pour donner le change, il n'est pas impossible qu'il ait laché ou fait dire de faux bruits par des sbires à sa solde et ceci pour faire croire qu'il honorait sa femme et qu'il en esperait de beaux fruits.
Son caractère louvoyant, sa propension aux intrigues l'y incitait. Marie-Antoinette beaucoup plus intuitive qu'on ne le croit ne lui fera jamais confiance.

Les Girault de Coursac ont consulté les archives Turinoises en révélant peut-etre un peu trop vite des informations peu convaincantes ou mal interpretées. Qu'ont-ils trouvés ? S'agit-il de la correspondance privée de Marie-Joséphine ? Mais il semblerait que cette correspondance ne recouvre que les années 1771-1774, le reste ayant disparu. S'agit-il de la correspondance diplomatique de l'ambassadeur de Piémont-Sardaigne, le comte de Scarnafis en poste en 1781 ?
Je l'ignore mais je tente de poser les bonnes questions.

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Dominique Poulin


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Message Publié : 13 Août 2004 20:51 
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Je viens d'aller sur votre site chère Maialen et j'ai enfin vu mon récit consacré à "Madame, Comtesse de Provence et femme du futur Louis XVIII". Je vous félicite pour votre excellente mise en page et les illustrations. Bravo.
A propos j'ai vu avec surprise le portrait de la mère de Marie-Joséphine de Savoie : la reine Marie-Antoinette-Ferdinande née infante d'Espagne et fille du roi Philippe V et d'Elisabeth Farnèse. Elle apparait plutot jolie ma foi, le peintre a peut-etre un peu forcé sur les graces de la reine mais on est bien obligé de conclure qu'elle était jolie.
Merci et encore merci. :D

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Dominique Poulin


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Message Publié : 12 Sep 2004 18:06 
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A propos si vous etes interessé par les problèmes de maternité des comtesses de Provence et d'Artois j'ai du nouveau et ce grace aux précieux renseignements du Gentilhomme de la Chambre. Vraisemblablement ce n'est pas la comtesse de Provence qui fit une fausse-couche en décembre 1781 mais bien la comtesse d'Artois. Et les vomissements et les convulsions imputables à une chute dans un escalier concerne :wink: nt bien Marie-Thérèse de Savoie. A ce titre le marquis de Bombelles, contemporain de l'époque note le fait dans son journal. Il parle de la comtesse d'Artois et non de sa soeur.

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Dominique Poulin


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Message Publié : 13 Sep 2004 14:47 
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UNE LECTRICE PAS COMME LES AUTRES 1785-1791

En 1785 Marie-Joséphine a 32 ans. A l'époque ce n'était pas un age canonique, mais Madame déja dépourvue des graces de la beauté n'a pas embellie avec les ans.
Trop mince selon les canons de l'époque vers 1770 elle a beaucoup engraissé. Ses cheveux bruns se couvrent précocement de fils blancs comme en témoigne le pastel de Boze peint en 1786. Gageons que ces changements physiologiques ne l'on pas affectée, elle n'a jamais aimé perdre son temps devant le miroir !

Le déperissement moral de la princesse parait bien plus évident. Son humeur s'est beaucoup dégradée. Vraisemblablement toujours vierge, délaissée par son mari, traitée avec condescendance au sein de la famille royale et de la cour, elle a peu de motifs de se réjouir. Dépressive, elle se claquemure dans ses cabinets. Pour oublier son infortune, c'est là qu'elle se livre à son péché mignon, la boisson. Déja de tempérament autoritaire et peu aimable, l'intempérance accroit l'instabilité de son caractère. Ordres et contre-ordres déroutent les officiers de sa Maison. Madame a visiblement une humeur de chien...

Le comte d'Espinchal affirme "qu'elle était detestée causant tracasserie sur tracasserie". L'abus de vin n'est pas contestable "au point que le public pouvait s'en apercevoir" selon la comtesse de Boigne. Mercy-Argenteau toujours peu amène pour les princesses de Savoie écrit "qu'il en ait résulté quelques scènes dégoutantes". Marie-Joséphine est tombée sous l'empire de l'alcool.


C'est dans ces conditions qu'elle signe le 10 avril 1785 un brevet accordant à Margeurite de Gourbillon l'office de Lectrice de son Cabinet. On dispose de peu de renseignements antérieurs sur cette dame de Gourbillon. Née en 1737 à Gray, elle est issue d'une famille bourgeoise du nom de Gallois. En 1763 elle s'est mariée avec le directeur des postes de Lille. Et comme tant de gens disposant d'un peu de considération, le couple ne manque pas d'ajouter un "de" à leur nom. En effet leur noblesse parait assez contestable.

La fonction de lectrice peut paraitre négligeable. Auprès d'une princesse, il n'en est rien. Son exigence essentielle réside dans le divertissement à donner aux altesses royales. De plus, c'est un office permettant d'entrer dans l'intimité de la maitresse de maison.
Toutefois si la comtesse de Provence n'a pas laissé une réputation d'intellectuelle, elle disposait comme toutes les princesses d'un bibliothécaire chargé de la conseiller et d'enrichir ses collections.

Toujours est-il que Marie-Joséphine se prend bien vite de passion pour sa lectrice. Sa flamme parait bien peu de choses vis-à-vis des sentiments qu'elle a prodiguée pour la comtesse de Balbi quelques années plus tot. Cette fois Madame se pame pour de bon. N'écrit-elle pas le 12 avril 1789 : " Je vous vois partout, je ne pense qu'à vous, je ne reve qu'à vous." Rassérénée, elle se découvre "gaie et presque bonne."

Margeurite de Gourbillon si séduisante aux yeux de Marie-Joséphine saisit derechef sa chance. L'a t-elle instruite des jouissances qu'une femme puisse éprouver ? A t-elle entretenu une liaison homosexuelle ? car si les missives de la comtesse de Provence ressemblent à des lettres d'amour, nous nous trompons peut-etre sur leur interprétation. C'est un temps ou les effusions épistolières entre amies sont de mise, le verbiage sentimental y a sa place et peu de gens y trouvait à redire. Mais d'autres détails contribuent à penser le contraire car on sait que la femme de Monsieur retenait sa bien-aimée jusqu'à des heures incongrues. Se livraient-elles aux plaisirs de Lesbos ou entretenaient-elles une innocente amitié ?
De plus la brusque éviction de la lectrice en février 1789 pose question. Le mystère demeure. Cependant l'ascendant de Margeurite sur sa maitresse parait certain et la passion de Madame ne s'éteindra qu'avec sa mort.

Bien sur les altesses royales ne manquent pas de munificence envers leurs protégés. Les bienfaits et les cadeaux sont proportionnés en fonction de la faveur. Et Marie-Joséphine dispose de toutes les ressources de son rang et de son pouvoir pour remercier sa chère Margeurite. En peu de temps son humeur atrabilare s'est adoucie, elle est toute en joie !
Rien ne peut égaler sa lectrice. Mais si madame de Gourbillon apprécie la comtesse de Provence elle attend un retour en pièces sonnantes et trébuchantes... Une broutille pour Marie-Joséphine. C'est dans l'ordre. Les rois et leurs satellites donnent largement à ceux qui leurs sont fidèles meme le parcimonieux Louis XVI.
L'amie honorée se voit honorée de dons numéraires considérables, son fils est nommé Secrétaire du Cabinet de la princesse. Pour affirmer sa position, Margeurite se mèle de ce qui ne la regarde pas, elle régente la maison de sa maitresse. Du coup le service d'honneur de madame commence à regarder cette parvenue avec un oeil noir.

L'engouement de Marie-Joséphine est tel qu'elle lui confie force détails sur la vie et les dessous de la famille royale. De plus les requetes des courtisans auprès de la princesse sont soumises au bon vouloir de la lectrice en titre ! En deux ou trois ans l'amie de la belle-soeur du roi acquiert un pouvoir exorbitant. Elle gouverne une princesse fragilisée par d'anciennes blessures d'amour-propre. Mais dans son influence, la naiveté de sa maitresse ne lui a pas échappé. Margeurite de Gourbillon est une femme d'expérience. Toutefois son ambition et sa cupidité jusqu'aux frontières de la malhonneteté paraissent trop évidentes. On le verra bientot.

A son actif la bien-aimée fait preuve de dévouement mais cette fidélité est payante il faut bien le dire. Soit Margeurite sera la confidente de tous les instants mais elle en attend des faveurs lucratives.

Et à la suite d'une indisposition de Marie-Joséphine la clouant au lit, elle apprend que sa protectrice est une alcoolique invétérée. La lectrice tentera de sauver Madame de ce naufrage. Elle n'y parviendra que bien des années plus tard écrivant "que c'était précher dans le désert".

Si la comtesse de Provence a trouvé le chemin de l'amitié -ou de l'amour ?- elle n'a pas renoncé pour autant au vin. D'année en année sa santé se délabre. Les médecins de plus en plus sollicités à son chevet savent de quoi il en retourne. Elle boit trop. Mais pour ne pas déplaire à Marie-Joséphine ils édulcorent la vérité et ne prennent pas le mal au sérieux. La princesse retourne à ses petits flacons.
Toutefois si le vice de Madame parait clandestin, les domestiques ont probablement remarqué l'inquiétante consommation de liqueurs de Tokay et de Malvoisie au constat des bouteilles vides qui s'accumulent... Evidemment on ne dit rien, on fait son service comme si de rien n'était mais si tot sorti des appartements de Madame, les commérages vont bon train. La rumeur enfle, sort du cercle étroit de la famille royale et de la cour et gagne Paris.
En janvier 1789 le marquis de Bombelles écrit dans son journal le ridicule qui éclabousse la belle-soeur du roi. Le salon de la comtesse de Brionne qui rassemble "tout ce que Paris renferme de plus élégant" fait des gorges chaudes d'une chanson qui ridiculise Marie-Joséphine dans ses penchants pour les femmes et la boisson.

Les "scènes dégoutantes" dont parle l'ambassadeur d'Autriche sont-elles le reflet des faiblesses éthyliques dont la princesse est la proie ? ou sont-elles le cadre des crises de nerfs dont elle est sujette à la moindre contrarieté un peu forte ? Elle est déja malade psychiquement et physiquement à moins de 40 ans.
Au seuil de la Révolution, la comtesse de Provence et madame de Gourbillon sont inséparables. Marie-Joséphine ne peut plus se passer de son incomparable lectrice. L'une est complétement subjuguée, l'autre pense son pouvoir assuré pour longtemps. En marge des événements politiques, l'année 1789 leur sera cruelle.

La chronique des quatre dernieres années de l'Ancien régime a retenu peu de choses de la vie officielle de Madame. Certes Marie-Joséphine tient son rang à la cour mais elle ne fait que de la figuration. C'est Marie-Antoinette qui accapare toute l'attention de ses contemporains. Toutes les autres princesses ont une position secondaire dans l'opinion et ne font guère parler d'elles.

Toutefois Marie-Joséphine assiste vaille que vaille à toutes les cérémonies officielles. Elle est du voyage annuel de la cour à Fontainebleau en octobre 1786. Elle est également présente et en bonne place à l'audience solennelle accordée aux ambassadeurs du sultan de Mysore le 3 aout 1788. Lors de l'été 1788 la reine donne de grands diners à Trianon pour toute la famille. Mesdames Tantes font de meme dans leur chateau de Bellevue le 16 juin.

L'année 1787 a été marquée d'un changement important dans la vie de Louis-Stanislas et de Marie-Joséphine. A Versailles, ils ont du quittés leurs appartements du corps central au rez-de-chaussée qu'ils occupaient depuis le début du règne. En effet leurs appartements furent dévolus au dauphin. Leurs altesses royales s'installèrent au Pavillon de La Surintendance rebaptisé Pavillon de Provence à l'extrémité de l'Aile du Midi en février 1787. Le service des Batiments du roi fait part de cette note laconique : "Madame sera lundi dans son nouvel appartement". Au Pavillon de Provence, Marie-Joséphine disposait de 12 pièces et de 7 entresols.

C'est ici de 1787 à 1789 que se réunirent régulièrement les soupers de la famille royale. La salle-à-manger de Madame devint le haut lieu de ces réunions privées. La sacro-sainte étiquette y était bannie. Dès 1774, Louis XVI avait décidé qu'une partie des soupers de famille se tiendraient chez sa belle-soeur. Néanmoins la régularité de ces soupers se fit plus soutenue lorsque le couple Provence enménagea dans l'Aile du Midi. Les gens de cour toujours fins observateurs ont rapporté quelques échos de ces réunions intimes.
La comtesse de Boigne écrit : "Là on commentait les commérages de la cour, on discutait les interets de la famille, on était fort à son aise et souvent fort gai". Et le comte d'Hezecques précise que la famille royale se réunissait chez Madame "tous les soirs à neuf heures précises pour le souper ; on y mangeait le fameux potage aux petits oiseaux qu'elle préparait elle-meme. Chacun y faisait apporter ses mets, auxquels on mettait la dernière main dans de petites cuisines à portée de l'appartement de Madame. Excepté les jours ou il donnait à souper chez lui, le roi n'y manquait pas un seul jour. Aussitot que le roi était arrivé, chacun prenait sa place ; tout le service se retirait et les portes se refermaient sur eux. On avait placé à la portée de chaque convive tout ce qui était nécessaire pour qu'il put se servir lui-meme... Si on ne peut rien dire précisément de ce qui se passait ou ce qui se disait dans cette auguste réuion de famille, on peut conjecturer cependant par les grands éclats de rire qu'on entendait fréquemment qu'elle n'était rien moins que triste."

C'est dans le cadre de ces réunions familiales que la princesse fait savourer à ses hotes un potage. En effet, Marie-Joséphine avait fait installer dans sa Folie de Montreuil des filets destinés à la capture de petits oiseaux. Une domestique était spécialement chargée de la confection du mets. Louis XVI et Monsieur, fins gastronomes, ont-ils fait honneur au brouet de Madame pu l'ont-ils avalés sans broncher pour ne pas vexer l'irritable savoyarde ? L'histoire ne le dit pas.
A travers ces soupers qui réunissaient semble-t-il la seule famille, la réputation de tolérance dont est taxée Madame parait un peu exagérée. Car si la reine et sa belle-soeur ne peuvent se souffrir, le roi ne l'oublions pas aime bien Marie-Joséphine. Ne l'appelle-t-il pas familierement "Bonne tete" ? L'impulsivité de la comtesse de Provence a provoqué certes des hauts et des bas. Lors de l'affaire relative à madame de Balbi, Mercy-Argenteau déclare que Louis XVI "est totalement aliéné d'elle." C'est une disgrace passagère qui s'attenua avec le temps.

Marie-Joséphine fait son possible en s'acquittant de son role de maitresse de maison. Un petit désagrément la conduit à s'adresser aux Batiments du Roi. L'inspecteur général envoie cette note à son supérieur le comte d'Angivillers en juillet 1788 : "La demande de Madame a pour objet essentiel la santé de la reine qui a été trés incommodée l'hiver dernier du poele qui chauffait la petite salle-à-manger ou toute la famille royale se réunit chez Madame. D'aprés cette considération et la facilité de l'éxécution qui n'a d'autre inconvénient que celui de faire passer un tuyau à l'extérieur dans la petite cour noire que M. le directeur général connait, je pense qu'il n'y a aucune objection à faire à la demande de Madame." Ces soupers cessèrent de se réunir chez Marie-Joséphine en 1789, peu aprés la prise de la Bastille. En effet ses appartements furent jugés trop éloignés de ceux du roi et de la reine qui craignaient pour leur sécurité. Le rituel cessa.

Outre ses cabinets Versallais, la comtesse de provence disposait d'appartements somptueux au palais du Luxembourg à Paris et au chateau de Brunoy. Malheureusement on ne connait pas avec précision la vie et les séjours qui fit Madame. Des fetes furent données à Brunoy en juillet et octobre 1776, en novembre 1780 et en juiilet 1782. Plusieurs d'entre elles furent honorées de la visite de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Et à ces occasions, Marie-Joséphine devint l'organisatrice des festivités en s'acquittant avec bonheur de ses activités mondaines. Quant au chateau de Rocquencourt que Madame fit batir pour son agrément, la Révolution le laissa inachevé. Marie-Joséphine n'y habita jamais.

C'est sur fond de puissants ébranlements que s'ouvrit l'année 1789. Aucun contemporain, et encore moins Marie-Joséphine, ne pouvait prévoir l'ampleur des événements qui allaient changer le cours de l'histoire.

A Versailles la comtese de Provence poursuit sa liaison un peu équivoque avec sa favorite déclarée, madame de Gourbillon. Toute-puissante auprès de la belle-soeur du roi, la lectrice de Madame tient la dragée haute auprès des plus grands seigneurs. La morgue de cette femme aux origines modestes lui attire de solides inimitiés à la cour. La famille royale ne saurait ignorer les bruits douteux qui courent dans les antichambres du chateau. On prete à la femme du directeur des postes de Lille des moeurs contre-nature. A t-elle entrainé sa maitresse dans le jardin de Sapho ? Mais bien plus grave encore, la Gourbillon est soupçonnée de gouverner totalement Marie-Joséphine. Ce comportement déplait en haut lieu. Monsieur jusqu'à présent accomodant tant que la relation de sa femme n'eut pas d'incidence au niveau public, s'impatiente de la rumeur. Cette amitié passionnelle sent le soufre.

C'est alors qu'un incident fortuit va permettre à Louis-Stanislas de prononcer séchement le congédiement de madame de Gourbillon au grand désespoir de Marie-Joséphine.


Un soir le comte de Provence croise la lectrice de Madame. Margeurite de Gourbillon tient dans ses mains un pot dissimulé sous un voile. Suspicion immédiate de Monsieur. Que contient ce pot ? Louis-Stanislas comme tout le monde n'ignore rien de l'intempérance de Madame. Eclats de voix de Monsieur. Il accuse madame de Gourbillon de corrompre sa femme dans les nuages de l'alcool. Ce pot contiendrait-il du vin de Tokay ou de Malvoisie dont la princesse abuse plus que de raison ?
Sous le ton sans réplique du frère du roi, Margeurite ne peut faire front. Le comte de Provence ne lui donne pas la parole pour se justifier. L'entretien a probablement été des plus orageux car Marie-joséphine écrivit le 30 juillet 1790 : "Ecrivez-lui et faites lui bien sentir que vous n'avez pas été sourde lorsqu'il vous a maltraitée dans ma chambre, que vous vous etes tue par respect pour moi."

Bien des années plus tard, madame de Gourbillon révélera à Monsieur que ce pot contenait en fait un bouillon aux herbes. Madame était en effet victime d'attaques de nerfs depuis plusieurs années. Vraisemblablement le vin à sa part dans le délabrement physique et psychique de la princesse.
L'affaire n'en resta pas là. Sous l'autorité du comte de Provence et avec l'accord de Louis XVI une enquete fut diligentée. Dans le dos des deux femmes un espionnage resserré tint lieu de toile d'araignée dans les appartements de Marie-joséphine. Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, le comte de Montmorin, fut chargé de collecter toutes les informations utiles aux tenants et aboutissants du couple de la deuxième dame de France et de sa lectrice. Monsieur de Montmorin n'eut pas beaucoup de mal à soudoyer le personnel de service, en particulier les femmes de chambre, puis à dresser un rapport en due forme au comte de Provence.

A la lecture des renseignements présentés, Louis-Stanislas déja soupçonneux prend de l'ombrage. L'étoile de Margeurite s'éteint. Cette femme entretiendrait-elle l'intempérance de sa femme pour mieux la dominer ? couche-t-elle avec la comtesse de provence ? Serait-elle une intiguante consommée, voire une espionne ? Se sert-elle des confidences hautement confidentielles de sa protectrice pour alimenter la politique secrète de l'Angleterre ? car le fait que le secrétaire d'Etat aux Affaires etrangères fut choisi pour investir le domaine privé de Madame ne laisse pas de surprendre. Cette mission relevait théoriquement du secrétaire d'Etat à la Maison du Roi.
Dans cette ténébreuse affaire, le visage de la lectrice de Marie-joséphine révèle une femme aux multiples ressources, peu scupuleuse sur les moyens, corruptrice en matière d'argent et de personnes, propre à manipuler tout son monde pour parvenir à ses fins.

Le frère du roi en a assez. Puisqu'il ne peut obtenir un départ sans éclats de madame de Gourbillon qui se raccroche à sa maitresse, une lettre de cachet y pourvoiera. Louis XVI plus moraliste qu'on ne le croit use de son droit régalien : "De par le Roy, il est ordonné à la dame Gourbillon de se retirer aussitot après la notification du présent ordre de la ville de Versailles et de se retirer incontinent en celle de Lille en Fandre auprès de son mari, faisant Sa Majesté défense à ladite dame Gourbillon de désemparer de ladite ville de Lille jusqu'à nouvel ordre de sa part à peine de désobéissance. Versailles, 19 février 1789."

Margeurite quitte ses fonctions sur le champ tandis que Marie-joséphine atterée s'enferme dans ses appartements. Pour elle un monde s'écroule. C'est le coup de grace.

Condamnée à vivre sans l'astre de ses jours et de ses nuits, la comtesse de Provence s'effondre. Elle tombe trés rapidement malade. Alitée, une violente fièvre se déclare suivie de vomissements de bile à répétition. Ses cheveux tombent par paquets. Les phases d'abattement sont suivies de crises de larmes convulsives.

Au bout d'une dizaine de jours, Marie-Joséphine trouve la force de se lever, mais son coeur est dévasté au plus profond. Elle ne peut admettre l'idée de ne plus jamais revoir sa bien-aimée. Décidèment incorrigible et obstinée, elle trouve un moyen sur afin de correspondre avec Margeurite. Et cela malgré la surveillance imposée par Monsieur.
L'une de ses premières lettres commence ainsi : "Figurez-vous un visage maigre, jaune, couvert de plus de cent boutons rouges. J'ai passé dix nuits de suite sans fermer l'oeil. Qu'elles étaient longues ! Je ne pensais qu'à vous et je pleurais." Peu aprés, elle lui révèle son infortune capillaire : "Tous mes cheveux sont restés dans mon bonnet de nuit. Je fais horreur." Puis de clamer son desespoir : 'Je ne peux vivre que pour vous et pour vous aimer."

Elle est d'autant plus meurtrie qu'elle ne connait pas les motifs exacts qui ont entrainés l'exil de sa favorite. Dans un premier temps, Louis-Stanislas n'adressera pas la parole à sa femme pendant plusieurs semaines. Il est fort courroucé car la cour n'a pas tardé à bruisser des malheurs de Marie-Joséphine. Mais à Versailles beaucoup de gens approuvent la sentence exemplaire contre madame de Gourbillon. Il est vrai qu'elle s'y est fait beaucoup d'ennemis.
De guerre lasse, il finira par lui remettre le dossier établi par le secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères. "Il y avait encore beaucoup d'articles qui vous regardent comme de m'avoir ruinée et de m'avoir reçue chez vous toutes les nuits. Malheureusement c'est la seule inculpation juste." écrit-elle à son amie. Si Marie-Joséphine ne réfute pas les veillées nocturnes, elle ne veut rien entendre sur les déprédations de sa lectrice. Elle a tort, car l'aspect financier assez decevant en soi, reviendra trés souvent au cours de leur tumultueuse liaison. On sait que la comtesse de Provence fut fort généreuse avec son amie pendant ses quatre années de service. Il parait aussi probable que la lectrice s'est fait donner de l'argent sous des motifs fallacieux. Plus grave, elle s'est immiscée dans les décomptes de dépenses de la princesse, un domaine qui ne la regardait nullement. Il apparaitra en effet qu'elle fut soupçonnée de détournements de fonds lorsqu'en 1790 l'Assemblée Nationale exigera le détail du cout et des dettes des maisons royales. Plus que d'avoir corrompue les moeurs de sa protectrice, -elles étaient aprés tout de conserve...-, madame de Gourbillon fut suspectée de malversations dans la maison de Marie-joséphine.

La séparation rend les deux femmes fort prolixes dans leur correspondance secrète. Assurément la princesse ne vit que pour sa bien-aimée. "J'ai acheté un portefeuille ou vos lettres seront. Je les ferai coucher sous ma couverture. Elles sont toutes en ordre. Je n'ai plus d'autres lectures."
Dans son malheur, Marie-Joséphine devient méfiante. Le commerce de ses femmes de chambre sous leurs apparences de bon ton ne l'aveugle pas. Elle soupçonne l'une d'elles : " C'est elle qui a dit que vous aviez dit des propos qui me faisaient tort. Elle a plus dit car elle a affirmé que vous passiez les nuits avec moi. Je tiens des billets qu'elle a écrits à Margoutier ou il y a un journal trés détaillé mais faux sous tous les rapports." Peu de temps aprés elle perce l'espionnage de la femme de chambre. "Comme je dors peu, j'ai entendu sur les 6 heures du bruit dans mon cabinet. Je me suis levée doucement et j'ai été voir. J'ai trouvé Mme Patrit en cotillon furetant dans mon écritoire. Vous devez juger de ma rage et de sa confusion. Elle n'a rien trouvé, je me suis emportée, peut-etre trop, car je l'ai chassée à coups de pieds dans le cul... La scélérate est venue à mon lever comme si de rien n'était."
Impulsive, passionnée, Marie-Joséphine n'a rien d'une princesse de belle au bois dormant !

Evidemment le renvoi de madame de Gourbillon n'a pas resserré les liens du couple Provence. Ces deux etres ne se sont jamais compris et ne s'entendront jamais. Madame est excédée par le comportement indéchiffrable de son époux : " La conduite de Monsieur n'est ni claire ni franche soit par rapport à moi, soit pour les autres affaires... Je ne puis dire jusqu'à quel point sa conduite m'étonne. Il pouvait avoir des torts envers moi mais je le respectais le croyant honnete homme du coté de son attachement au roi. J'espère pour lui qu'il est fol et je dois me taire...".
Dans une autre lettre elle ne cache pas on amertume envers un mari postiche : " Il est le maitre chez moi, mais il n'est pas le maitre de mon coeur, il ne l'a jamais eu et il ne l'aura jamais."

En ce printemps 1789, la comtesse de Provence se sent visiblement considérée comme quantité négligeable. Des rumeurs de renvoi à Turin filtrent à Versailles. Louis-Stanislas a réuni son conseil à cet effet. Ses conseillers comme Cromot du Bourg jugent sévèrement sa femme mais Monsieur s'est sans doute bien gardé d'évoquer le tableau des moeurs de Marie-joséphine !
Seule personne de qualité pour relever la princesse de son discrédit, l'ambassadeur de Piémont-Sardaigne, le marquis de Cordon en poste depuis 1788. Lui seul par sa fonction est habilité pour atténuer la colère de Louis XVI et de Monsieur. Diplomate attitré du roi Victor-Amédée III, représentant des deux princesses de Savoie en France, il se présente comme un recours. Le cadre de cet épisode a été heureusement fort bien relaté par Marie-Joséphine :

"Je viens de voir l'ambassadeur qui a eu son audience. Monsieur a paru trés embarrassé, il a commencé par dire qu'il avait eu des raisons pour vous demander votre démission. A quoi a répondu l'ambassadeur qu'il n'était pas chargé de se méler de l'intérieur du ménage, que sa mission se portait sur un acte public d'autorité qui était injurieux pour moi. Monsieur a dit qu'il ne le comprenait pas. M. de Cordon s'est expliqué plus clairement et a demandé la levée de l'ordre qui vous exile sur le champ. Monsieur a balbutié et dit :

"- Je n'y suis pour rien, j'ignore ce qui a pu la lui procurer mais c'est le Roy qui l'a voulu."

"- On ne dit pas cela dans le monde a repris M. de Cordon et ce détours n'est pas digne d'un aussi grand prince. Je vais donc m'expliquer plus clairement. C'est de la part du Roy mon maitre et votre beau-père que je suis chargé de demander satisfaction publique et de fermer la bouche à des propos injurieux pour Madame et qui rejaillissent sur vous."

"- Monsieur, vous vous oubliez ! a repris le prince en colère

"- Non, je ne suis pas M. de Cordon en ce moment-ci, je parle au nom d'un Roy et d'un père. Je le représente, il est Roy, vous ne l'etes pas, ainsi je ne peux pas m'oublier."

"Un ton si nouveau l'a pétrifié. M. de Cordon a dit :

"- Est-ce Monsieur ou le Roy qui l'ont voulu, il faut que je le sache."

"- C'est le Roy a répondu Monsieur"

"- Et bien dit l'ambassadeur, je vais demander une audience au Roy et permettez moi de ne pas mettre d'obstacles à mes démarches."

"- Je vous en donne ma parole d'honneur a dit Monsieur."

L'audience royale eut lieu. Malgré le plaidoyer du comte de Viry et les instances du roi de Piemont-Sardaigne, Louis XVI ne voulu rien entendre. L'ordre d'exil de madame de Gourbillon fut maintenu. Si le roi a toujours été d'une grande bonté pour ses proches pardonnant les incartades, les dettes, voire les petits scandales feutrés, l'Affaire Gourbillon lui resta en travers de la gorge. Ce qui justifie la gravité des faits imputés à la favorite de la comtesse de Provence et la lettre de cachet.
Malheureusement une partie des mobiles manquent au dossier. Simple affaire de moeurs ? complicité de la lectrice dans l'alcoolisme de sa maitresse ? cupidité malhonnete de madame de Gourbillon dans les dépenses de la maison de la princesse ? espionnage de la confidente trés aimée au profit de l'Angleterre comme l'ont suggéré certains historiens ? Ils jettent une ombre sur un scandale qui agita la cour de France à la veille de la Révolution.

Déçue par les démarches infructueuses du comte de Viry, Marie-Joséphine s'entete dans ses espérances. Avec la prochaine convocation des Etats généraux, elle pense plaider sa cause auprès des élus de la Nation ! "Si Monsieur n'y met ordre, les Etats généraux y pourvoieront. Et si cela trainait, je vous conseillerais de vous adresser à eux." La princesse se nourrit là de chimères, les trois ordres n'ont que faire des déboires sentimentaux de la comtesse de Provence...

Le 4 et le 5 mai 1789 ont lieues les cérémonies inaugurales d'ouverture. Tout le banc et l'arrière-banc de la maison régnante des Bourbons est convoqué. La reine et les princesses ne sauraient manquer à leur premier devoir en matière de représentation, soigner sa parure. Robe à panier dite grand habit de rigueur. Diamants, perles et autres pierres précieuses sous toutes les coutures. Sans oublier les indispensables colifichets, aigrettes, plumes, éventails somptueux... La comtesse de Provence cède à cette démonstration de faste. Qu'on apporte ses fards, ses écrins, ses cassettes ! A-t-elle fait épiler ses fameux sourcils pour paraitre à son avantage ?
Dans le cortège de la famille royale, elle est tout près de Marie-Antoinette. Viennent ensuite la comtesse d'Artois, Madame Elisabeth, Madame Adélaide, Madame Victoire, la duchesse d'Orléans, la duchesse de Bourbon, Mademoiselle de Condé, la princesse de Conti et la princesse de Lamballe. Lorsque la reine est souffletée par le cri de "Vive le duc d'Orléans", la souveraine vacille. On craint un malaise. Marie-Joséphine ne s'est pas précipitée pour la secourir. Ce sont Madame Elisabeth et la princesse de Lamballe qui se sont offertes. Satisfaction éphémère de Marie-joséphine. Décidèment ces deux femmes ne s'aiment pas.

Au cours de l'été alors que la France sombre dans la Révolution, la comtesse de Provence devient "démocrate". Mais l'étiquette qu'elle se donne n'est motivée que par un seul désir, la levée de la lettre de cachet envers sa chère Margeurite. Le lendemain de la nuit du 4 aout qui a marqué l'abolition des privilèges, elle devient lyrique. "Il n'est pas possible que l'on éprouve plus longtemps un despotisme qui tient de l'inquisition. Le roi sera le père de ses sujets et non leur tyran." Le 28 aout, au bout de six mois d'exil Lillois, madame de Gourbillon est libérée de la lettre de cachet. La clémence royale n'est pas pour autant assortie d'une réintroduction de la dame dans ses fonctions. Qu'à cela ne tienne ! L'ex-lectrice quitte Lille et gagne Versailles. Pas au coeur du chateau ou elle serait probablement refoulée. Son logement de la rue de Maurepas est toujours pret pour l'acceuillir. Ainsi elle sera au plus près de sa princesse. Et Marie-Joséphine qui se languit de son absence se contenterait désormais de l'apercevoir fugitivement à la portière de son carosse !

Toutefois Madame ne fait pas ce qu'elle veut. Sa liberté a toujours été toute relative. En tant que belle-soeur du roi elle est tenue de justifier tous ses déplacements. Et depuis l'affaire Gourbillon, elle est discrétement surveillée. Mais la famille royale ne sort plus guère de l'enceinte du chateau depuis les premiers troubles révolutionnaires. Pour sa part Marie-Joséphine ne semble pas etre allée dans sa Folie de Montreuil au cours de l'été brulant. Versailles n'a plus le vent en poupe. Les éléments les plus décriés de la cour sont partis. Le comte d'Artois et ses fils, toute la famille de Polignac, les Rohan, les Broglie, les Gramont et bien d'autres encore.
La fugitive comtesse d'Artois partira en septembre rejoindre la cour de son père à Turin. Madame a-t-elle pleuré le départ de sa soeur ? on peut en douter, leurs relations ont toujours été conflictuelles. "Je l'encourage à partir. Si vous pouviez voir ce qu'il m'en a couté ! Mon sort est toujours de me sacrifier mais j'agirai." Pourtant ni Louis XVI, ni encore moins Monsieur ne se seraient opposés à son départ. Marie-Joséphine décide de rester en France pour une seule raison, son amour pour Margeurite de Gourbillon. Aucun autre motif ne la retenait, elle voue une haine tenace envers Louis-Stanislas et Marie-Antoinette et elle pense etre considérée comme une moins que rien à la cour. Et si les princes sont partis dans la clandestinité -le comte d'Artois, le prince de Condé, le prince de Conti-, la délicate comtesse d'Artois rejoint sa patrie au vu de tous. Elle receuille meme une formidable ovation à Lyon. Fallait-il que cette princesse quitte la France pour etre acclamée ?

Les journées des 5 et 6 octobre 1789 se déroulèrent avec les évènements que l'on sait. Marie-Joséphine y figure comme une ombre. Elle se tient aux cotés de Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth pendant la soirée du 5. Alors que le chateau est envahi au petit matin du 6, elle rejoint les souverains vers huit heures trente. Ces derniers ont connus des moments bien éprouvants depuis l'aube. Les appartements des Provence à l'extrémité de l'aile du Midi ne se trouvaient pas dans le point de mire des émeutiers. De plus Monsieur et Madame n'étaient pas impopulaires. Le prince par les méandres de son attitude louvoyante, sa femme pour sa relative discrétion. La foule comme un seul homme s'est ruée vers les appartements de la reine.
C'est donc dans le carosse du roi que la comtesse de Provence rejoignit Paris au milieu d'une populace mi-vociférante, mi-ironique. La capitale n'offrait pas l'image d'une prison dorée pour Louis-Stanislas et Marie-Joséphine. Le palais du Luxembourg représentait depuis une dizaine d'années leur résidence parisienne. Monsieur avait dépensé des fortunes pour redonner à ce palais tout le lustre voulu. Le prince avait ses appartements au rez-de-chaussée. C'est aujourd'hui le restaurant du Sénat. Ceux de Marie-Joséphine, dans l'aile adjacente du palais. La somptuosité et la table du Luxembourg étaient célèbres. Quel contraste avec les tristes Tuileries réservées à Louis XVI et Marie-Antoinette !

Trés vite les rites et les habitudes de ce qui restait de la famille royale reprirent leurs droits comme à Versailles. Le traditionnel souper auquel devaient paraitre le comte et la comtesse de Provence se tint aux Tuileries. Mais le cadre de ces réunions de famille n'était plus sans doute aussi gai qu'autrefois. Louis XVI est moins disert, Marie-Antoinette se méfie de tout le monde. Les Provence déja suspectés de déloyauté à leur égard n'ont plus la confiance du couple royal.
Au mois de décembre 1789, Louis-Stanislas est impliqué dans l'affaire Favras. A t-il voulu renverser son frère ainé ? question sans réponse mais qui jette une ombre de plus sur les intrigues équivoques de Monsieur. Quant à Madame, les souverains lui ont retiré toute complicité depuis l'affaire Gourbillon. Louis XVI est de plus en plus irrité par l'anthipatie réciproque entre sa belle-soeur et la reine. Marie-Antoinette ne se fait aucune illusion sur les sentiments de la comtesse de Provence à son égard. L'inimitié de Marie-Joséphine jaillit parfois dans ses lettres : "Nous n'avons pas été à la foire parce que l'Autrichienne n'a pas voulu y aller. Le fait est que c'est qu'elle a peur."
Dans une autre missive de la fin aout 1790, elle révèle de curieuses informations : " Je suis enfin rassurée sur les intentions de mon père. Ses lettres que je viens de recevoir m'annoncent qu'il s'est rendu à mes prières. Si la reine savait ce que j'ai fais pour traverser ses projets, elle redoublerait ses persécutions. Malgré tous ses torts avec moi, je n'ai point eu la vengeance pour objet. J'aime la France et les Français. J'ai fait ce que l'honneur et la justice me commandaient, mais elle ne m'enpeche pas de craindre qu'ils ne pénètrent d'ou par le coup. J'en serais bien surement la victime. La reine et son perfide conseil ne mettraient plus de bornes à leur vengeance mais je me résigne. J'aurais fait mon devoir. Mon père ne manquera pas de leur annoncer mon intention. D'aprés cela je n'aurais plus à craindre que l'on use de violence pour me faire partir... Je suis bien tranquille sur mon secret. Il n'est qu'entre mon père et moi."

Quelle troublante correspondance ! Malgré la crainte un peu irrationnelle de Marie-Antoinette, -serait-elle paranoiaque ?-, elle fait part d'une mystérieuse fuite par les soins de son père Victor-Amédée III. Et cela à l'insu de son époux, du roi et de la reine. Si Marie-Joséphine n'éprouve plus guère d'attaches pour les Bourbons, elle ne peut sortir impunément de France.
Le roi de Piémont-Sardaigne se sentait-il de force pour faire enlever sa fille ? Le fait est que le projet avorta.

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Message Publié : 13 Sep 2004 22:39 
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UNE LECTRICE PAS COMME LES AUTRES (Suite)


De 1789 à 1791, l'aspect épistolaire joue un role important dans la vie de la comtesse de Provence. Quoi d'étonnant si Margeurite de Gourbillon dont elle est séparée constitue la clé de voute de ces longues heures passées dans son cabinet ?
Madame se nourrit d'une idée fixe, revoir sa lectrice. Il lui faut alors user d'infinies précautions pour endormir les soupçons de son mari et déjouer les regards perçants de son service d'honneur.

Le 28 juillet 1790 alors qu'elle se promène en carosse, elle aperçoit sa bien-aimée. Marie-Joséphine croit défaillir. "Enfin, ma chère amie, je vous ai aperçue. Je ne puis vous dire ce qui s'est passé en moi mais je me suis sentie comme si j'allais me trouver mal. Tout mon sang s'est retiré vers mon coeur." Paris offre de nombreux jardins ouvets au public, Bagatelle, le Bois de Boulogne, les jardins de Tivoli au bout de la Chaussée d'Antin. Mais lors de ces déplacements, la princesse n'est jamais seule. Elle est toujours secondée par une "dame pour accompagner". Et suivant le "service de quartier" de ces dames, Madame n'a pas toujours la main heureuse. La vicomtesse de Narbonne par son grand age peut-etre est facile à semer mais la marquise de Simiane lui donne du fil à retordre : "Par surcroit j'ai cette maudite Mme de Simiane qui est revenue à la place de Mme du Cayla. Elle me devient odieuse et je sens qu'elle m'est insupportable. Je me suis entie ce matin, en passant sous vos fenetres, en vous voyant et en me trouvant seule avec elle, un mouvement de rage que je me suis tenue à quatre pour le cacher. J'étais tentée de la jeter hors de la voiture."
Au prix de mille difficultés, Marie-joséphine et Margeurite se voient quelques instants. Elles parviennent meme à se parler grace à un ermitage dans le Bois de Boulogne. "J'ai remarqué un ermitage sombre ou il y a deux issues, ou il serait aisé de sortir. Si on venait d'un coté, vous sortiriez de l'autre."

Privée de son traitement de lectrice, madame de Gourbillon s'estime dans la misère. Elle noircit le tableau bien sur pour apitoyer sa maitresse. Politique payante, Marie-Joséphine mort à l'hameçon. Il en sera ainsi jusqu'à la fin. Et si les pensions des princes ont été revues à la baisse depuis le début de la Révolution, la comtesse de Provence est loin d'etre démunie. Toutefois elle ne dispose pas toujours de liquidités. Ne cachant rien des mille et uns aspect de sa vie d'altesse royale, la princesse brosse l'état de sa situation financière le 11 octobre 1790 : " Je puis vous assurer qu'il ne surviendra plus de retards dans les paiements, que Mme Sigrai m'a dit qu'elle avait ordre de Monsieur de me remettre de l'argent toutes les fois que j'en demanderais et de mettre sur l'état simplement "remis à Madame"... J'espère avoir d'autres ressources pour venir à votre secours."

Immense satisfaction de Marie-Joséphine à la fin de ce mois d'octobre. Louis-Stanislas autorise madame de Gourbillon à reprendre son service auprès de sa femme. Le prince soudainement adouci ayant déclaré "qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat." La lectrice ne doit pas ce retour en faveur aux sollicitations de Madame, mais à celles de la comtesse de Balbi, dame d'atours de sa maitresse ! N'oublions pas que Mme de Balbi, paravent de favorite de Monsieur est une femme consommée dans l'art de l'intrigue. Son influence auprès du comte de Provence n'est pas négligeable.
Que les favorites du prince et de Marie-Joséphine aient conclus un accord tacite ne parait pas improbable. Madame se sent obligée de rendre quelques égards à l'égérie de son mari. Raye-t-elle le surnom de "Le crapaud" dont elle avait affublé sa dame d'atours ? "Je sens meme que je n'ai pas de honte de devoir mon bonheur à Mme de Balbi, moi qui aurait mieux aimé mourir que de lui devoir la moindre chose." confie-t-elle.

A Paris, la situation politique se dégrade. La condition d'otages dont sont victimes Louis XVI et Marie-Antoinette finit par émouvoir Marie-Joséphine. La campagne de libelles, chansons et brochures pornographiques orchestrée contre les souverains révolte la princesse. Elle est passée bien vite du camp démocrate pour renouer des sentiments authentiquement monarchistes. Rien d'étonnant à cela. Son éducation et le monde des palais dans lequel elle a toujours vécue la conduit à des opinions consevateurs.
Elle-meme n'est pas à l'abri de la vindicte populaire. Un pamphlet la fustige. Madame "aime le vin, les hommes, les femmes, les jardins, les meubles, l'argent et obéit à ces gouts divers coute que coute, que le roi jure, que son mari boude, que le ministre refuse, qu'il y ait une révolution, que les Etats généraux apportent la réforme, elle s'en fout. Elle veut jouir, elle jouira."
On a parlé d'un rapprochement entre la reine et sa belle-soeur. C'est possible. Une viste de Marie-Antoinette en février 1791 est attestée. Mais ce ne fut sans doute pas une réconciliation pleine et entière. Vingt ans durant ces deux femmes se sont sourdement épiées et observées, la jalousie en plus pour la comtesse de Provence. Dès le départ, par le truchement de leurs rangs mais aussi par leurs tempéraments opposés, la reine et madame se sont blessées mutuellement. Au milieu des années 1780, Marie-Joséphine aurait dit à Marie-Antoinette ces phrases prémonitoires :
- " Vous ne serez que la reine de France, vous ne serez pas la reine des Français."
Anecdote apocryphe peut-etre mais qui recèle un antagonisme profond et durable entre elles.

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Message Publié : 13 Sep 2004 23:38 
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UNE LECTRICE PAS COMME LES AUTRES (Suite et Fin)


Le retour de madame de Gourbillon n'est pas le fruit du hasard. En ces temps troublés, le comte de Provence compte ses fidèles. Ils sont peu nombreux. Au sein des maisons du couple princier, les adhérents aux idées nouvelles ne manquent pas meme parmi les hautes charges. Le duc de Lévis, capitaine des gardes de Monsieur n'a pas la confiance du prince. Dans l'entourage de Madame, la marquise de Simiane est la maitresse de La Fayette.

Si Margeurite de Gourbillon a touché le fond de la disgrace en 1789, sa réapparition officielle deux ans plus tard est manifeste. Pleine de zèle, elle donne le sentiment de servir aveuglément les interets de la comtesse de Provence. Un mystérieux voyage l'a auparavant conduite à Turin ou elle a été présentée au père de Marie-Joséphine, Victor-Amédée III. Dans ces circonstances Louis-Stanislas prend le parti de faire meilleur visage à l'amie de sa femme. Elle peut etre trés utile.
En effet la famille royale pense à s'enfuir. Dans cette entreprise, le dévouement et la discrétion des plus habiles n'est pas de trop. Du coté des Provence, Margeurite comte justement parmi ceux-là. Plusieurs incidents confirment les princes dans leurs desseins. En février 1791, les femmes de la Halle envahissent le Luxembourg ou il est question du départ du roi. Monsieur faisant mauvaise fortune bon coeur, se drape dans une bonhommie de bon ton à ce public insolite. Sa prestation est un succès. On l'embrasse. Mais au passage, il a du recourir au mensonge en niant les projets de fuite de Louis XVI et les siens. Deux mois plus tard, le roi est empeché d'aller à Saint-Cloud.

Au milieu du mois de juin, le souverain fait part à son frère de son départ pour Montmédy dans la nuit du 20. Que le comte de Provence fasse de meme et prenne ses dispositions ! A la vérité, il y pense depuis longtemps et a déja recruté ses propres auxiliaires. Sa femme ne voyagera pas avec lui. Louis-Stanislas a tout naturellement pensé à madame de Gourbillon.
La veille du départ, il lui remet un billet à l'intention de Marie-Joséphine : "Croyez ce que madame de Gourbillon vous dira comme si c'était moi-meme qui vous parlait." A elle d'organiser la fuite de la princesse. C'est là une mission de confiance et de la plus haute importance. Margeurite s'occupe de tout. En attendant silence de plomb et poursuite du train-train quotidien. Le soir du 20 juin 1791 Monsieur et Madame soupent aux Tuileries avec le roi et la reine. Si on fait mine de paraitre naturel pour ne pas éveiller les soupçons des domestiques, que les coeurs devaient battre la chamade... Le couple Provence ne devait plus jamais revoir Louis XVI et Marie-Antoinette.

Le meilleur récit de l'émigration de Marie-Joséphine provient d'une lettre de Charles-Felix de Savoie, Duc de Genevois et frère de Madame, à la comtesse d'Artois. Nous lui laisserons la parole.

"12 juillet 1791,

L'aprés-midi de la veille de son départ, elle était tranquillement dans sa chambre, ne se doutant pas de tout ce qui allait arriver, lorsqu'elle vit arriver une de ses femmes qui s'appelle madame de Gourbillon qui lui présenta un billet de Monsieur lequel il lui disait d'ajouter foi à tout ce que cette femme lui dirait puisque c'était sa propre volonté ; qu'il connaissait la fidélité et la résolution de madame de Gourbillon et que c'était pour cela qu'il s'était confié à elle.
Celle-ci apprit alors à Madame que Monsieur lui avait annoncé que le roi s'en allait et qu'elle devait aussi partir dans la nuit, mais que Monsieur partait seul avec Mr d'Avaray pour donner moins de soupçons. Ma soeur ne fit semblant de rien, ellesoupa à son ordinaire, et aprés souper elle feignit d'avoir un grand mal de dents, elle se coucha, renvoya ses femmes et lorsque toutes furent retirées se leva sans bruit, prit le peu de nippes qu'elle avait dans sa chambre, et sortit toute seule de son appartement par un petit escalier qui donne dans un jardin ou elle trouva Mme de Gourbillon.
Elles passèrent devant plusieurs gardes nationaux qui ne les reconnurent point,puis elles montèrent dans un fiacre avec la seule escorte du domestique de Mme de Gourbillon qui leur servit de courrier. Elles allèrent descendre à la maison de la femme et là elles trouvèrent une mauvaise diligence à trois chevaux. Elle passa par Lille et arriva heureusement à Mons ou Monsieur vint la rejoindre. A présent, ils sont à Bruxelles, avec le comte d'Artois et les princes de Condé."
Le comte de Criminil, écuyer ordinaire de la comtesse de Provence, fit office de garde du corps le long du trajet.

Sans le savoir, Marie-Joséphine dit adieu à sa patrie d'adoption. Elle ne foulera jamais plus la terre de France. L'avenir sera désormais tissé d'incertitudes et de bouleversements. Une perspective presque agréable aux yeux de Madame. Chaperonnée de l'élue de son coeur, elle se sent armée au centuple face aux aléas de l'exil.

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Message Publié : 15 Sep 2004 13:47 
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Je voudrais signaler que Mme Vigée-Lebrun a fait en même temps que le portrait de Mme de Gourbillon un autre portrait, celui de son fils dont vous parlez et qui a aussi été favorisé par la comtesse.

Maialen

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Message Publié : 15 Sep 2004 16:32 
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Le portrait de Mme de Gourbillon et son fils ont-ils été exécutés en exil ? Mme Vigée-Lebrun séjourna en effet en Italie au milieu des années 1790.

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Message Publié : 15 Sep 2004 17:00 
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Ils ont été executés en 1792 d'après un célèbre site sur Mme Vigée-Lebrun.

D'autre part, quelques infos sur le château de Brunoy: il était très connu au XVIIIème pour ses immenses jardins det appartenait à Jean-Paris de Montmartel.

Image

C'est un grand amateur d'art, parrain de Mme de Pompadour. Connu pour des raisons différentes, son fils unique, Armand-Joseph, marquis de Brunoy, va dilapider la fortune familiale à coup d'extravagances. Une sorte de légende noire se construit même autour de lui; il aurait par exemple fait des ricochets avec la porcelaine de Saxe de son père sur l'Yerres. Léon Golzan parle d'« Un de ces hommes qui finissent à la fois un siècle, une race, un nom et une immense fortune. » Ruiné, son domaine passe au Comte de Provence en 1774.

Vous ne connaissez pas le marquis de Brunoy? Même si vous ignorez son nom, vous l'avez forcément vu et admiré son visage poupin, considéré comme une grande oeuvre de Pigalle: l'Enfant à la cage.

Image

Voici le château de Brunoy au milieu du XVIIIème

Image

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Message Publié : 15 Sep 2004 17:26 
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D'autre part, permettez moi de vous poser une petite question: qui est le comte de Viry par rapport à la Comtesse de Provence et a-t-il un rôle vis à vis de son père?

Bien amicalement,

Maialen

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Message Publié : 15 Sep 2004 17:45 
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Parfaitement. C'était l'ambassadeur de Piémont-Sardaigne depuis 1788 et de ce fait il représentait les interets du roi Victor-Amédéé III et des deux princesses de Savoie en France.

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Message Publié : 15 Sep 2004 17:59 
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Euuuh oui mais alors il s'appelle le Marquis de Cordon dans votre texte précédent. C'est le même?

(bon parce qu'allez trouver un portrait du marquis de Cordon sur internet, la croix et la bannière :wink: :lol: )

Maialen

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Message Publié : 16 Sep 2004 15:45 
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Maialen, je suis un grand étourdi si vous ne le saviez pas encore. Oui c'est bien le marquis de Cordon qui fut successivement reçu par le comte de Provence et Louis XVI au printemps de 1789. Il était bien l'ambassadeur de Piémont-Sardaigne à cette époque et ce depuis un an. Or dans mon enthousiasme et sans me relire j'ai parlé par deux fois du comte de Viry à la fin de la page 22 et au début de la page 23. Ne tenez pas compte du comte du comte de Viry car si ce dernier fut bien ambassadeur de Piémont-Sardaigne en France, il ne l'était plus déja depuis une dizaine d'années. J'espère avoir éclairci ce petit brouillard passager...

D'ailleurs pendant que j'y suis je vais donner la liste des ambassadeurs de Piémont-Sardaigne qui se sont succédé en France de l'arrivée de Marie-Joséphine de Savoie jusqu'à son départ en 1791 :

:arrow: de 1771 à 1773 : Marquis de La Marmora
:arrow: de 1773 jusqu'à la fin des années 1770 : comte de Viry
:arrow: de la fin des années 1770 jusqu'en 1788 : comte de Scarnafis
:arrow: a partir de 1788 : marquis de Cordon

Alors que pensez-vous de l'évolution de la comtesse de Provence en femme mure ? d'accord elle était toujours aussi laide -moche dirions-nous- mais elle ne manquait pas de singularité dans ses penchants et ses défauts : les femmes et la boisson, deux gouts qui la perdront comme on le verra par la suite...

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Message Publié : 06 Jan 2005 16:35 
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RETOUR A LA CASE DEPART 1791-1796 (VIIe partie)

Parvenue à Namur, terre d'Empire, en compagnie de Marguerite de Gourbillon et du marquis de Criminil, Marie-Joséphine attendit les instructions de son époux. Monsieur lui conseilla de rester en n'omettant pas de louer sa reconnaissance à la lectrice de sa femme : "J'étais bien sur que l'intelligence et le zèle de Madame de Gourbillon vous tireraient d'affaire mais avec cela je suis très heureux d'en avoir la certitude. Je m'en vais aux nouvelles, restez à Namur."
Le roi de Piémont-Sardaigne, en bon père de famille fit de même :
"Assurément j'estimais déja assez Madame de Gourbillon que j'ai eu le plaisir de connaitre ici à l'occasion que vous savez et elle m'avait déja paru vous etre fort attachée."

De Namur à Bruxelles, l'hospitalité de l'Electeur de Trèves arriva opportunèment. C'est à Coblence que s'établirent les Provence et le comte d'Artois. Dans cette ville située au confluent du Rhin et de la Moselle régnait Clément-Wencesclas, oncle maternel de Monsieur. Premier signe de munificence, le cadre baroque du château de Shonbornlust. Rapidement, Coblence deviendra le quartier général de l'émigration et des princes. En quelques mois, la ville rhénane "se garnit journellement d'arrivants de tous âges et de tous grades. L'émigration devient chaque instant plus considérable."

Marie-Joséphine, bien sûr, ne prit nulle part aux tractations politiques des comtes de Provence et d'Artois. Mais en marge des intrigues et des espors des émigrés, une vie officielle assez brillante anima le chateau de Shonbornlust. Au milieu de la renaissance d'une vie de cour, Monsieur avait ses appartements dans l'aile droite tandis que Madame vivait au rez-de-chaussée de l'aile gauche. Le calendrier se ponctua bientôt d'obligations d'étiquette. La comtesse de Provence ne put s'y soustraire.

Clément-Wencesclas donna à dîner deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche autour d'une table de soixante ou quatre-vingts couverts. Le mardi fut jour de réception chez les comte de Provence et d'Artois. Espinchal note qu'"il y a moins de gravité que chez l'électeur ; on parle davantage, on a plus l'air chez soi."
Ces mondanités, prétextes à des repas pantagruéliques et au retour à un jeu d'enfer furent égayés par des femmes à la condition équivoque. En effet, les maitresses des princes, la comtesse de Balbi pour Monsieur, et la vicomtesse de Polastron pour le comte d'Artois firent figure de reines à Coblence. Louis-Stanislas se montra assidu chez madame de Balbi et "passe chez elle tout le temps qu'il n'est pas d'affaires." Si Anne de Balbi remplit son office de dame d'atours auprès de Marie-Joséphine, libre à elle de rejoindre Monsieur lorsqu'elle n'est pas de service !

Toutefois, la superfluité de Shonbornlust attira le dédain de Marie-Joséphine. Le comte d'Espinchal qui la fréquenta à cette époque considéra qu'elle n'était "pas traitée aussi décemment qu'elle aurait dû l'être. Cependant si sa conduite antécédente et son caractère ont pu donner lieu à de justes reproches, il faut convenir que depuis le commencement de la révolution, elle n'en mérite aucun. Au surplus, elle s'explique assez hautement sur tout ce qui se passe ici et même de manière à embarrasser ceux à qui elle fait des confidences, ce qui m'est arrivé à moi-même, me disant imprudemment des choses qu'il est inutile de répéter."

Sa chère Marguerite à ses côtés, Madame se lassa pourtant assez vite de Coblence où elle estima ne pas avoir sa place. De plus l'aspect provisoire du séjour rhénan et les menaces de guerre ont sans doute influencé Marie-Joséphine. Quel meilleur asile que de rejoindre la patrie de sa naissance ? Son père, Victor-Amédée III ne s'y opposa pas mais stipula l'accueil de sa fille "avec peu de monde". Le début de l'année 1792 fut occupé par les préparatifs.
Signe de la dureté des temps, les questions financières révélèrent les difficultés de l'exil. Calonne, conseiller politique et financier des princes fit part de ses inquiétudes au comte d'Artois :
"Je suis fort embarrassé pour une réponse à Monsieur sur les frais du voyage de Madame. Ses ordres avaient été d'abord de préparer une somme de 40 000 livres. Monsieur de Cossé m'est venu trouver pour me dire qu'il en faudrait 50 000. Par un nouvel état que Monsieur m'envoie, il demande 98 000. Il n'y a plus exactement à la Caisse que ce que nous touchons de Naples et on ne sait plus où trouver de l'argent comptant pendant qu'on en demande de toutes parts. J'en fais la représentation à Monsieur. J'espère qu'il ne l'attribuera pas à mauvaise volonté."

La composition de la suite de la comtesse de Provence fut bientôt connue du public : "Madame a avec elle Mmes de Balbi, de Caylus, de Montléart, nombre de femmes de chambre et de valets, le jeune Béranger, chevalier d'honneur, le comte de Virieu, gentilhomme d'honneur de Monsieur, chargé de la caravane. Madame a de plus avec elle un écuyer, un secrétaire des commandements et la Gourbillon."
Madame quitta sans regrets un époux pour lequel elle n'éprouvait nul attachement et encore moins de l'estime, le voyage fut pourtant qualifié "d'abominablement couteux".
Le comte de Provence ne lésina pas sur la dépense. La Gazette de Paris du 4 avril 1792 fut bien informée :"Madame part aussitot les fêtes de Pâques pour Turin. Elle sera entourée comme son rang l'exige. Trois de ses dames ainsi que plusieurs officiers de sa maison accompagneront la princesse". Louis-Stanislas accompagna Marie-Joséphine jusqu'à Mayence. Cette galanterie de bon ton fut-elle due à un reste d'affection ou à la présence de la comtesse de Balbi ? Ensuite les voitures prirent la route du Tyrol via Turin.

Le 1er mai 1792 la princesse se jetait aux pieds de son père. Elle ne l'avait pas revu depuis le mariage de sa belle-soeur Clotilde dix-sept ans plus tôt. La boucle se refermait, retour à la case départ.
La cour de Piémont-Sardaigne avait-elle beaucoup changé depuis les années 1770 ? Marie-Joséphine n'était plus la jeune fille docile d'autrefois. C'était désormais une femme murissante au caractère bien trempé, aux passions mal assorties et aux nerfs à fleur de peau. Grand émoi dans la famille royale de Savoie !

Charles-Felix, duc de Genevois et frère cadet de Marie-Joséphine a écrit un journal intime de 1785 à 1813, nous l'utiliserons donc quelquefois. L'arrivée de la comtesse de Provence ne lui a pas échappé :

"Madame a couché à Ast. A six heures et demie elle est arrivée avec Mme d'Artois. Elle descendit de carosse la première, se jeta aux pieds du roi et lui baisa la main. Quoique je n'eusse que six ans quand elle est partie, je me suis rappelé trés bien sa figure et je ne la trouvais pas beaucoup changé hormis qu'elle a grossi et que ses cheveux sont tous blancs. Elle est coiffée à boucles avec un bonnet blanc et une robe noire. Elle a de grands yeux et des sourcils noirs, le teint brun et une figure assez agréable et plus jeune qu'elle n'est en réalité puisque qu'elle est dans sa 39e année. Elle est fort petite, mais cependant pas autant que la comtesse d'Artois. Elle a beaucoup d'esprit et de fermeté et est de ces personnes faites pour jouer un rôle."

Assurément la comtesse de Provence a beaucoup de personnalité, la promptitude de son caractère, ses sautes d'humeur et l'appel régulier du vin ne vont pas tarder à dérouter ses proches.

Son père, le roi Victor-Amédée III, âgé de 66 ans, régnait sur le Piémont-Sardaigne depuis 1773. Bien que doté d'un esprit supérieur, il avait stoppé depuis longtemps le courant de réforme qui habitait ses prédecesseurs. Un vent de réaction soufflait dans ses Etats. Il observait d'un oeil inquiet les progrès de la Révolution française et massait des troupes aux frontières de son royaume. Sa femme, la reine Marie-Antoinette-Ferdinande d'Espagne était morte en 1785.
De ce mariage étaient nés douze enfants dont sept vivaient encore en 1792, dont Marie-Joséphine et la placide comtesse d'Artois. Les mémoires du temps n'ont pas laissé une image haute en relief des princes savoisiens de la fin du XVIIIe siècle. La raison principale repose peut-être dans l'étouffement de leur personnalité sous le poids d'une éducation trop rigide et d'une codification implacable de tous leurs faits et gestes. La plume du comte d'Espinchal a tracé le portrait de ces altesses aux antipodes de celles de Versailles :

" Le prince de Piémont répare un extérieur peu agréable par beaucoup d'esprit, autant qu'on peut en juger en si peu de temps et à ce que l'on assure par des qualités essentielles. La princesse de Piémont, son épouse, que nous avons vue en France sous le nom de Mme Clotilde, et que vu son embonpoint on appelait "le Gros Madame" aurait à peine été reconnue d'aucun de nous, tant elle est changée, vieillie et maigrie. Elle a perdu ses dents et toute apparence de fraicheur. Elle a pourtant seulement trente ans. Elle n'a point d'enfants. Cela manque aujourd'hui à son bonheur car elle est parfaitement heureuse avec son mari qui a pour elle la plus profonde vénération, sentiment qu'elle a inspiré à toute la cour. Elle est d'une extrême dévotion et très srupuleusement attachée à l'étiquette de cette cour qui n'en est que plus triste.
Le prince de Piémont, né en mai 1754 est dans sa trente neuvième année. Le duc d'Aoste, second fils du roi, né en juillet 1759, est extrêmement laid et ne nous a rien laissé préjuger de son esprit ni de son caractère. Il vient d'épouser il y a six mois, la fille aînée de l'archiduc Ferdinand. Cette jeune princesse, née le 1er novembre 1773, est d'une figure charmante, grande, bien faite, d'une tournure naïve et enfantine et parait dans cette cour d'autant plus agréable que tout ce qui l'entoure est d'une laideur amère.
Les trois autres fils du roi, le duc de Montferrat, le duc de Genevois et le comte de Maurienne, agés de vingt-sept, vingt-cinq et vngt-trois ans, ont encore si peu vu le monde qu'à peine ils savent parler. Un signe de la tête est tout ce qu'on peut obtenir. Ils mènent une vie très réglée et ne sortent pas encore sans leur gouverneur et un des trois ne quitte jamais les autres."

La cour de Turin était certainement la plus compassée d'Europe et les émigrés venus à la suite du comte d'Artois en 1789 s'y étaient ennuyés ferme. Posséder un esprit alerte en bon mots et en épigrammes n'était point du goût de cette société. Mais afficher une rigoureuse dévotion était un moyen sûr pour vous attirer la faveur, à tout le moins l'attention de la cour.
L'ensemble de la noblesse reflétait cet état d'esprit, elle était ultra-monarchique et résolument conservatrice y compris sur l'état des moeurs. La comtesse de Balbi, dame d'atour de Marie-Joséphine et favorite d'emprunt du comte de Provence en fit l'expérience. Elle ne put se maintenir longtemps à Turin. Sa présence fut jugée indésirable et scandaleuse. Qu'elle parte ! Elle pliera bagages au bout de quelques semaines. Madame a t-elle là savouré une tardive revanche ? C'est probable, il est vrai qu'elle avait quelques griefs à lui reprocher... Elle ne devait plus jamais revoir la brillante comtesse de Balbi.

Au départ, Marguerite de Gourbillon fait bonne impression à la cour. Il est vrai qu'à son actif, elle sa sauvé sa maitresse des griffes de Paris et de la Révolution quelques mois plus tot. Victor-Amédée III la considère en haute estime et les princes ne ménagent pas les égards à la lecrice de leur soeur. Mme de Gourbillon tombée de son séant trois ans plus tot se gonfle d'orgueil dans une cour qui lui rend les honneurs. Malheureusement, cet état de grace fut de trés courte durée. La lectrice de Marie-Joséphine se rendit bientot aussi insupportable qu'à Versailles. Dominatrice, elle toisait impunément son monde. Cette situation ne put que déplaire dans un milieu obsédé par la hierarchie des rangs. Des rumeurs suspectes parvinrent dans l'entourage du roi. La complicité de tous les instants de la fille de Victor-Amédée III et de la Gourbillon parut extraordinaire. Cette femme n'était pas une dame d'honneur, sa fonction était à peine supérieure à celle d'une femme de chambre. Certes les moeurs soupçonnés saphiques de ce curieux couple en jupon avait fait jaser à Versailles, mais à la prude cour de Turin on ne badinait pas avec la morale.

Pour sa part, la comtesse de Provence n'était pas variment heureuse. ses troubles mélancoliques et sa maussaderie étreignaient de nouveau son humeur et sa santé. Avec son amie, les disputes furent fréquentes. Marguerite usa alors de son arme de disuasion préférée, le chantage de la séparation. Rien de tel pour faire tomber Marie-Joséphine à genoux et lui provoquer une violente commotion. La lectrice de Madame voulait interferer en toute chose dans la vie de sa maitresse. Le 20 juin 1792, elle lui adressa un billet en guise d'ultimatum. Marie-Joséphine devait renoncer à la boisson, source de désagréments et de scandales pour toute sa société. Le deuxième article visait les deux dames pour accompagner qui avaient suivies la princesse en exil, Mmes de caylus et de Montléart dont la lectrice exigeait le renvoi.
Intense agitation dans le cerveau surmené de la comtesse de Provence. Dans la fièvre, elle répondit à sa bien-aimée : "Maintenant vous voulez me séparer de moi. Que ce mot est dur. Je dois m'y soumettre... Si votre intention a été de me mettre au desespoir, votre but est rempli. J'ai passé une nuit effroyable. Puisque vous avez pu former cet horrible projet, vous aurez sans doute le courage de l'accomplir. Vous savez trés bien que je ne puis vivre sans vous... Il y a aujourd'hui un an que vous m'avez sauvée et aujourd'hui vous m'assasinez... Si vous m'aimez, si vous désirez que je vive, vous savez ce que vous avez à faire."

Ce funeste projet n'eut pas de suite, mais Mme de Gourbillon parfaitement consciente de ce qu'elle représentait renforca son pouvoir. Nous appellerions aujourd'hui de sado-masochiste les relations de ces deux femmes qui défrayaient la chronique de la cour du roi de Piémont-Sardaigne.
A Turin, Marie-Joséphine s'ennuyait-t-elle à mourir ou les distractions étaient si mesurées ? des problèmes plus intimes dont nous n'avons pas connaissance plongeaient-ils Madame dans une tristesse de plus en plus chronique ? Prisonnière de ces troubles inconscients, Madame perdit toute modération dans l'alcool, elle ne s'en cacha plus. Son vice se transforma en ivrognerie, ce n'est pas ragoutant. Le 11 décembre 1792, son plus jeune frère, le comte de Maurienne écrit dans sa correspondance : "Madame vint avec Mme d'Osasc, elle était d'une humeur noire." Idem, pour le duc de Genevois, le 30 janvier 1793 : "Le soir, Madame était fort ivre au point de déraisonner". Le comte d'Espinchal résuma le sentiment général : "Elle avait un défaut que l'on ne peut concevoir ni excuser dans une femme, surtout de sa naissance, celui de la boisson."
Le climat de la famille royale de Savoie fut fortement ébranlé. La comtesse de rovence ne comprenait plus personne, elle prenait à partie la princesse Félicité, elle refusait de saluer sa belle-soeur, la duchesse d'Aoste au lendemain de ses couches "ce qui fit effet aux spectateurs" selon le prince Charles-Benoit perplexe.

La Gourbillon était également dans le point de mire de la cour. La duc de Genevois la surnommait avec dégout "La maudite saurcière". Pour autant, la "saurcière" ne négligeait pas son dessein, le renvoi des dames du palais de Marie-Joséphine. Successivement, à la fin de 1792, Mmes de Montbel, de Caylus et de Montléart furent renvoyées malgré les protestations scandalisées que suscitèrent ces démissions forcées. La faible comtesse de Provence sous l'emprise de sa lectrice laissa faire. Deux aristocrates piémontaises remplacèrent les évincées, les comtesses d'Osasc et de Brezio.
Sourde atmosphère au palais royal, l'air devenait déletère. La présence de la lectrice en titre devenait excécrable, elle n'était pas à l'abri des coups de semonce. Victor-Amédée III ne manqua pas de lui parler fort séchement. Mme de Gourbillon s'en formalisa et osa présenter une requete à ce sujet... Sidérement du roi devant une telle outrecuidance ! Toutefois on peut se demander pourquoi le souverain n'ordonna pas le départ de cette femme inapte au compromis. Il en avait le pouvoir, mais il ne prit pas de radicales mesures. Souhaitait-il préserver le peu de santé de sa fille déja si désemparée de l'exil de sa favorite trois ans plus tot ?

Cependant, d'aprés divers recoupements, il semblerait que le père de Marie-Joséphine avait informé Monsieur de la conduite de cette volcanique lectrice et avec force détails. Le comte de Provence, comme nous l'avons vus avait rappelé l'amie de sa femme en 1791 peu avant leur fuite. Louis-Stanislas avait toujours nourri une estime trés tiède envers Mme de Gourbillon, peut-etre meme éprouvait-il un sentiment d'aversion envers cette femme energique et ambitieuse. En époux de parade mais parfaitement légitime, il n'oubliera pas les lettres alarmistes de la cour de Turin en particulier celle du roi et de la princesse de Piémont et saura dénouer le fil tenu de cette rocambolesque liaison quelques années plus tard. Marie-Joséphine confirmera elle-me à son égérie ce point de non-retour à la veille de sa mort. Nous y reviendrons le moment venu.

A Turin, les échos de la Révolution Française se firent de plus en plus consternants. Le royaume de Piémont-Sardaigne était entré dans la coalition anti-française à l'instar de l'Autriche, de la Prusse ou de l'Espagne. C'était pourtant à son détriment, la petite monarchie savoyarde n'avait pas les moyens de contrer les coups de boutoir des armées révolutionnaires. De plus, le pays était gangrené par la contagion des idées nouvelles au grand souci de Victor-Amédée III. Coup sur coup le comté de Nice et la Savoie furent envahis, occupés, perdus eb 1792. L'année suivante la cour prit de deuil. L'exécution de Louis XVI, puis de Marie-Antoinette, jetta un frisson d'angoisse dans le dos de tous les monarques de l'Europe. Davantage cependant pour la préservation de leurs interets politiques, ces derniers se souciaient peu de la chute de la Maison de Bourbon, l'empereur François II d'Autriche en tete.

La comtesse de Provence était doublement concernée. Quels sentiments l'envahirent lorsqu'elle apprit ces terrifiantes nouvelles ? Si elle avait été certes malheureuse et peu considérée en France, elle était tout de meme assez intelligente pour faire la part des choses.
Vis-à-vis de son beau-frère, elle a probablement été trés peinée, meme si elle pouvait lui reprocher la fameuse lettre de cachet à l'encontre de madame de Gourbillon en février 1789. Quant à Marie-Antoinette, Madame avait déja tempéré son attitude hostile. Le traitement réservé à la reine lors du séjour imposé à Paris de 1789 à 1792, les insultes parfois publiques endurées par la souveraine et son courage indéniable avaient finis par émouvoir Marie-Joséphine.
A cet égard, le prince de Ligne qui connut la comtesse de Provence à Versailles avant de la revoir en émigration a consigné dans ses Mémoires le sentiment de la princesse : "La reine d'à présent, hélas sans royaume, la femme de Louis XVIII, m'a assuré que la malheureuse et belle reine, était morte dans la charette, ou elle était noyée dans son sang, ses pertes, ses maux, ayant fini ses jours en chemin pour l'échafaud." Ces paroles iont été manifestement écrites dans une version hyperbolique, le prince de Ligne a forcé la note... Toujours est-il que Marie-Joséphine, au plus fort de ses dissentions avec sa belle-soeur n'a jamiais souhaité la mort de Marie-Antoinette, et encore moins lorsque la reine se dressa contre la Révolution.

C'est dans une mabiance endeuillée, que la cour de Turin fut informée de l'arrivée imminente du comte de Provence au mois de décembre 1793. Auto-proclamé Régent de France, chassé d'Allemagne par les victoires des armées françaises, Louis-Stanislas avait beaucoup espéré du soulèvement de Toulon. Mal lui en pris ! La ville fut reprise par un général inconnu qui devait marquer durablement l'Europe de son emprunte, le général Bonaparte.
Au abois, à cour de ressources, Monsieur se résigna à demander asile auprès de son beau-père. Sa requete fut acceptée du bout des lèvres. Non sans raisons, le roi de Piémont-Sardaigne n'aimait pas on gendre. Ce contentieux familial reposait sur le peu de considération dont Louis-Stanislas avait usé envers sa femme. De plus Victor-Amédée III refusait de reconnaitre Louis-Stanislas comme Régent de France comme la quasi-totalité des tetes couronnées de l'Euirope.
Sans enthousiasme mais chapitrée par le devoir, Madame alla à la rencontre d'un époux qu'elle n'avait pas revu depuis près de deux ans le 25 décembre 1793. La corpulence de Louis-Stanislas fit sensation, "gros comme un ballon" selon le prince Joseph-Benoit de Savoie. Ni les attraits sensuels, ni meme un sentiment d'affection avaient unis le couple Provence dans le passé. Dans ces conditions et fort éloignés l'un de l'autre, le comte et la comtesse de Provence ne simulèrent meme pas un sembant de ménage. En proie à des attaques de goutte et à des maux divers, le futur Louis XVIII semblait avoir profité de la douceur du climat italien pour se refaire une santé fortement ébranlée. Considéré comme un hote encombrant, il ne resta que 5 mois à Turin. A la fin mai 1794, il trouvait un nouvel asile à Vérone. Les circonstances de l'exil et le peu d'attirance mutuelle des époux princiers ne permit pas la réunion de Louis-Stanislas et de Marie-Joséphine. De ce point de vue l'émigration entérina la séparation de fait. De plus, la princesse préférait rester à la cour de son père ou son installatation paraissait acquise pour longtemps et de toute manière Madame ne voulait se séparer de sa favorite à aucun prix.

Au milieu des années 1790, le stade de la quarantaine représentait une étape difficle pour Marie-Joséphine. Trés vraisemblablement, son alcoolisme avéré depuis sa jeunesse était la cause de ses troubles de santé. Elle avait souvent la fièvre, des vomissements de bile fréquents, des maux d'estomac, la comtesse de Provence s'étiolait. La dépression dont elle était sujette la laissait tantot léthargique, tantot irascible. Autant dire que Madame était devenue une femme de plus en plus difficile à vivre avec les années... Parfois elle sortait de son marasme intérieur au point de paraitre "gaie et d'une honneteté recherchée" selon le comte de Modène. Elle pouvait effectivement se montrer charmante et gracieuse si elle le voulait bien. Toutefois, elle menait une vie retirée, ne paraissait guère à la cour ou son manque de sociabilité lui aliénait les meilleures volontés et jusqu'au sein de sa famille.

Dans cette torpeur un peu lugubre, l'annonce de la mort du petit Louis XVII au Temple le 8 juin 1795 modifia le statut de Marie-Joséphine, dorénavant femme du prétendant au trone de France. Selon les lois fondamentales de la monarchie Capétienne et ses fidèles, elle était la nouvelle reine de France. Une position bien difficile à tenir, ce titre était vain, il reposait dans une coquille vide. Elle était sans doute consciente de se handicap au contraire de son époux qui se para aussitot du nom de Louis XVIII.
En 1795 la France était une République dont la Convention Nationale allait bientot se séparer pour laisser la place à un nouveau régime, le Directoire. Certes la Terreur était terminée et Robespierre avait été abbatu un an plus tot. Les royalistes du dedans et du dehors avaient redressé la tete, les provinces de l'Ouest et du Midi fidèles à la dynastie légitime étaient peu sures pour le gouvernement républicain. Pourtant meme si un revirement patent s'était opéré à droite avec la réaction thermidorienne, la République n'entendait pas rétablir la monarchie et encore moins les principes du comte de Provence. Le manifeste de Louis XVIII montrera l'évidence de ses convictions hyper-conservatrices. Dans le giron meme de la majorité des royalistes, beaucoup d'entre eux voulaient l'instauration d'une monarchie de type constitutionnel ce que récusait le mari de Marie-Joséphine.
La nouvelle "reine" était bien loin de ces préoccupations politiques, elle n'avait jamais été attirée par les charmes du pouvoir. Du temps meme de Versailles, lorsque son ménage se disloqua au début des années 1780, elle cessa de se montrer solidaire des espoirs de Louis-Stanislas notamment avec les naissances des enfants de Louis XVI et de Marie-Antoinette. On peut meme se demander si elle a vraiment nourri de quelconques illusions dynastiques lors de cette période ! Elle était toutefois fort atachée à son rang et à ses prérogatives et on ne sait pas exactement si la comtesse de Provence exigea dans les formes la reconaissance de sa nouvelle dignité royale. Son père ne reconnut pas Monsieur sous le nom de Louis XVIII et à l'execption de Catherine II, toutes les puissances européennes ne reconnurent pas celui qui se considerait comme Louis XVIII, roi de France.
Par ailleurs, le frère de Marie-Joséphine ne manquait pas d'ouvrir les guillemets lorsqu'il évoquait le titre de sa soeur le 23 juin 1795 : " Nous sommes allés faire une visite à "la reine de France qui était dans son cabinet."

En Italie, la "reine" Marie-Joséphine pensait sans doute l'asile paternel durable. C'était sans compter les visées belliqueuses de la France. Et si l'Espagne et la Prusse s'étaient retirées de la coalition, l'Autriche demeurait l'ennemi principal aux yeux de la République. Or, afin de destabiliser les Habsbourgs, le Directoire lorgnait les possessions lombardes de l'Empire. A cet effet, le général Bonaparte fut nommé Commandant en Chef de l'armée d'Italie.
Le royaume de Piémont-Sardaigne constituait la première étape des opérations de guerre et entrait directement dans le champ de mire des soldats de Bonaparte. De plus, le Directoire entendait imposer à Victor-Amédée III sa renonciation dans la coalition anti-française. Devant cette lourde menace, le père de Marie-Joséphine demanda l'aide de l'Autriche pour des opérations de guerre concertées.
On en était là lorsque l'armée du général Corse franchit les Alpes début avril 1796. Ce sera une longue série de défaites pour les armées austro-sardes. Les Autrichiens seront battus à Montenotte le 12 puis le 13 à Millesimo. Comble de malchance, les troupes de Victor-Amédée III furent coupées de leur alliés. C'est à Mondovi que le choc frontal eut lieu, l'armée du général Colli fut sévèrement battue.

A Turin, c'est la panique. Marie-Joséphine et sa soeur Marie-Thérèse, comtesse d'Artois, n'entendaient pas rester un jour de plus dans la capitale. Femmes de princes émigrés dont les activités politiques contre-révolutionnaires étaient notoires, elles ne voulaient pas s'exposer aux soldats de Bonaparte. D'ailleurs, le syndrome d'une Révolution entachée de sang les horrifiaent d'autant plus. Le 27 avril 1796, le comte de Maurienne notait laconiquement dans son journal : "La d'Artois est partie ce matin pour Novare et la reine à 10 heures." Le lendemain, Victor-Amédée III, signait la mort dans l'ame l'armistice Cherasco. De Vérone, ou il était installé, Louis XVIII préconisait une attitude bienveillante à l'égard des français dont sa femme pouvait etre le porte-parole en lui confiant : " Si vous aviez rencontré des patriotes, ils auraient malgré eux reconnu leur reine... Un discours aurait eu un grand poids sur eux et qui sait jusqu'ou leur effet aurait pu aller ?."

Mais Marie-Joséphine avait bien d'autres soucis, elle n'eut pas l'occasion d'amadouer les patriotes à la cause monarchique qui par ailleurs seraient sans doute restés de glace ! Lors du départ, Marguerite de Gourbillon avait usé de tout son sens des réalités. Car non seulement la comtesse de Provence n'avait pas daigné saluer son père comme c'était l'usage, mais sa favorite avait fait enlever sans autorisation des meubles et de l'argenterie appartenant à la princesse Félicité de Savoie ! Or, le vieux Victor-Amédée III fragilisé dans son pouvoir par les dictats des français entendait pour le moins etre pleinement obéi dans a famille. Le roi était pret à pardonner les écarts de sa fille et à lui offrir à nouveau l'hospitalité, mais foin de la Gourbillon ! Que la lectrice de sa fille parte, qu'elle aille au diable, la famille royale attendait depuis longtemps un pretexte pour la chasser. Marguerite est interdite de séjour et doit se séparer de sa maitresse.
Marie-Joséphine ne le comprit pas ainsi. Soit, si Mme de Gourbillon était jugée indésirable à Turin, la "reine" ne reviendra pas auprès de son père non plus et quittera le royaume. Elle était attachée pieds et poings liés à son amie, c'était de l'idolatrie, c'était de l'amour, qu'importait les sacrifices... Le pauvre Victor-Amédée III recut à cet effet des lettres qualifiées de "monuments d'inpertinence." qui le mirent au désespoir. Le comte de Modène, fidèle de Louis XVIII a confié son sentiment dans sa correspondance : " Rien dans le monde ne peut la séparer de cette femme. Elle avait déja été inquiétée ici sur cet objet et je sais quelqu'un à qui elle a dit : " Rien ne m'effraie, de l'eau et du fromage me suffiront pourvu que je les partage avec elle." Elle a écrit au Roy une lettre pour lui apprendre sa façon de penser à cet égard, et lui avouer que ses craintes et ses calculs l'avaient empeché d'aller à Novare. Elle lui mande qu'elle ne peut aux yeux de l'Europe entière, se tacher d'une ingratitude aussi noire et qu'elle partagera avec cette femme son existence à jamais, quelle qu'elle puisse etre."
Pour conclure elle 'annonce qu'elle renonce pour jamais à sa famille, à sa patrie si peu dignes d'elle et qu'elle quitte ses Etats."

Une page de Marie-Joséphine de Savoie, comtesse de Provence et ci-devant reine de France se tournait. Elle se libérait de ses derniers scrupules dans son désir de liberté et sa soif d'indépendance se conjuguait avec son ame soeur, Marguerite de Gourbillon. Pour elle, elle était capable de tout, les désagréments d'une vie errante et dépourvue de luxe représentaient peu de choses à ses yeux. A quarante-trois ans, affranchie de toute contrainte, elle prenait pour longtemps le chemin des routes de l'Europe. Une position délicate quoiqu'elle ait pu en dire, car la reine ne possédait pas de réelle fortune personnelle et elle se rendait ainsi dépendante de la générosité trés parcimonieuse des cours européennes.
Qu'importe ! Marie-Joséphine n'avait-elle pas déclaré se contenter "d'eau et de fromage " ? Elle paiera ce choix délibéré au prix fort.

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Dominique Poulin


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Message Publié : 09 Sep 2005 16:38 
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Eginhard
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LES AFFRES D'UNE REINE EN EXIL 1796-1810


Poussée dans ses retranchements par le dialogue de sourds qui l'avait opposée à son père, Marie-Joséphine se replia à Arona. Elle y tomba malade puis rétablie, reprit sa route en compagnie de Marguerite de Gourbillon.
Elle se fixa à Bellinzona en Suisse. La proximité de la frontière française révéla la précarité de cette étape, la reine ne pouvait s'attarder. De son côté, Louis XVIII avait tenté de raisonner sa femme afin de rester à Turin. Sans succès. Le souverain en exil entendait cependant que son épouse soit décemment installée. Dans ces conditions, il se chargea des démarches auprès des monarques de l'Europe.
Il fallut plusieurs mois avant que la chancellerie de Vienne accorde une réponse favorable. Le comte de Saint-Priest, représentant de Louis XVIII auprès de l'empereur François II, ne ménagea pas ses efforts en ce sens. Marie-Joséphine était autorisée à résider à Passau, en Bavière, au château de Riedenbourg. Elle s'y installa au mois de juillet 1796 avec l'inévitable Marguerite, sans compter les quelques fidèles attachés à sa maison et les domestiques. En ces lieux, et à son grand préjudice, l'intempérante savoyarde se rendit la risée de la bonne société de Passau en étalant son goût marqué pour la boisson sur la place publique.
En effet, elle profita un jour de l'absence de son amie pour s'enivrer sans retenue avant de se présenter dans un état déplorable devant les dames de la ville... Scandale ! A cette occasion, Marie-Joséphine fut sans doute sermonnée par sa chère Marguerite. Cette dernière fit le siège de sa maîtresse afin de l'appeler à plus de sobrieté. Il faut bien avouer que ses débordements devenaient incomptatibles avec sa dignité de reine sans couronne. Ce fut pour la reine le début d'un long combat intérieur. Sa santé, jamais très bonne, était gravement altérée depuis plusieurs années par les symptomes d'une cyrrhose du foie et par l'hydropisie, un mal lent et vicieux qui rongeait son corps. Pour Marie-Joséphine, ce cera un long chemin de croix.

Le scandale fut-il tel pour que la reine déménageât à nouveau dès le mois d'août 1796 ? toujours est-il qu'elle fut astreinte à reprendre sa route pour s'établir à Budweis en Bohème.

A cette époque l'ancienne comtesse de Provence menait une vie bourgeoise dépourvue de luxe superflu. Le faste de son opulente maison de deux cent cinquante six personne lorsqu'elle était la deuxième dame de France à Versailles n'était plus qu'un souvenir. Elle se débattait dans des difficultés financières de plus en plus chroniques.
Bien que pensionnée de dix mille livres tournois par le roi Charles IV d'Espagne, elle était souvent à court d'argent et Marie-Joséphine demandait encore et toujours... Il faut bien avouer que l'état de guerre quasi permanent en Europe compliquait singulièrement la situation.
Elle fait régulièrement part de ses déboires au souverain madrilène en affirmant que "cette somme ne m'est payée par les banquiers Rignon qu'en papier-monnaie qui a perdu progressivement jusqu'à 48 pour cent de sa valeur et qui en perd encore aujourd'hui de 29 à 30... Au lieu de recevoir 10 000 livres tournois, je n'en ai reçu qu'environ 7000 par la forme du paiement et parfois moins."

Depuis son départ de Turin, les versements tardaient en raison d'une administration cahotique. La banque espagnole de Saint-Charles n'avait pas modifié l'adresse des fonds, elle continuait de les adresser à Genes, pour transiter ensuite à Turin avant d'etre remis à Vienne au comte de Saint-Priest, représentant officieux de Louis XVIII. On imagine le résultat d'une telle procédure ! Il arrivait que Marie-Joséphine ne disposait plus d'aucun argent et de se voir contrainte de souscrire des emprunts grevés de lourds intérêts. Elle confiait ainsi le 8 janvier 1797 à Saint-Priest :
" J'ai reçu une lettre de change de quarante mille francs, somme qui m'était due des mois d'août, septembre, octobre, novembre où j'ai été obligée de vivre d'emprunts."

Marie-Joséphine n'avait à l'évidence jamais été préparée à la gestion de ces assommantes questions d'argent. Autrefois, c'était ses gens qui s'occupaient de ces tâches. Ses trésoriers, ses comptables, ses secrétaires étaient tout dévoués à ce type de besognes. Ce temps était révolu. Bien qu'en apparence assez peu sensible au luxe, elle céda longtemps aux agréments d'une vie dispendieuse. Elle dépensa beaucoup pour sa Folie de Montreuil, pour ses appartements à Versailles et au palais du Luxembourg ou encore pour son château de Rocquencourt dont elle ne vit jamais l'achèvement. Elle vécut au moins jusqu'en 1791 au milieu d'une somptuosité exceptionnelle.
A Turin de 1792 à 1796, entretenue par son père le roi de Piémont-Sardaigne dont les possiblités étaient certes bien loin d'égaler celles de Louis XVI et du comte de Provence, elle mena une vie très confortable. Elle commença pourtant à se plaindre de la dureté des temps en ne réalisant pas qu'elle n'était pas au bout de ses peines... Le problème ne se focalisait pas sur la personne de Marie-Joséphine, mais bien sur les personnes qui lui étaient attachées et qu'elle continuait de pensionner.

A Budweis, en Bohème, vers 1797-1799, elle avait toujours à sa suite quelques commensaux de cour et des domestiques qu'il fallait gager, nourrir et parfois même habiller. On peut encore évaluer l'entourage de cette reine en exil entre vingt et trente personnes, peut-être même sommes nous au dessous de cette estimation.
Mais comme tous les rois et les princes de ce temps, même dans une misère dorée, la vie quotidienne ne se concevait pas sans cour ni employés subalternes. De la mentalité des altesses, il incombait que les princes placés par leur naissance au-dessus des simples mortels devaient s'entourer d'une suite imposante, même dans les pires difficultés. C'était une règle naturelle et atavique remontant à la nuit des temps. Un prince sans cour, sans gardes, était considéré d'autant plus déchu et abandonné. Il ressortait de ce postulat le vieux serment féodal ou le commensal jurait fidélité à son roi ou à son prince. Le principe était le même chez les dames de très haute naissance. Toutes ces considérations commençaient certes à perdre de leur sens à la fin du XVIIIe siècle mais elles demeuraient encore vivaces dans la société des princes et de la grande noblesse.
Seules les personnes ayant eu le malheur de déplaire à leurs maîtres encouraient la disgrâce. Mais pour bon nombre elles pouvaient compter sur la bonté de leurs bienfaiteurs qui les récompensaient de leur zèle et de leur dévouement par des pensions, des dons, des titres ou des recommandations.

Dans les plus noires années de son exil, la reine Marie-Joséphine fut entourée de quelques fidèles, la plupart ayant été d'anciens astres de sa maison à Versailles. On relève le nom de son ultime dame du palais, la comtesse de Narbonne, de son chevalier d'honneur, le duc d'Havré ou encore d'un simple domestique du nom de Gonnet qui devint garçon de toilette de Louis XVIII sous la Restauration. Par ailleurs, lorsqu'elle quitta Budweis, en mai 1799, Marie-Joséphine accorda six cent livres à M. de Castellane et à l'ancien éveque de Frejus, trois cent livres à M. de Crux, son écuyer cavalcadour et au marquis de Solas.

La reine de France en exil menait ainsi une vie tranquille, quoique fort discrète, lorsque des impératifs familiaux la contraignirent à rejoindre son époux en 1799.
Ce ménage de parade bien que séparé de fait depuis de nombreuses années n'avait pas cessé de correspondre. On peut d'ailleurs conjecturer que ce couple dorénavant royal et qui ne s'entendait guère, s'épanouissait au mieux par les voies de la correspondance ! En témoignent les lettres de Louis XVIII à sa femme :
"Je m'étais bien promis de ne pas vous obéir et de lire votre lettre tout d'une haleine. Mais il n'y a pas eu moyen et le rire m'a interrompu" ou encore "J'attends avec impatience (car j'aime à rire) les détails que vous m'annoncez sur Mlle de Briochais".

Depuis leur jeunesse, Louis-Stanislas et Marie-Joséphine cultivaient un esprit alerte en bons mots et s'entendaient parfois à se moquer aux dépens des autres. Cette propension humoristique aux accents acérés ne leur coûtait rien dans leurs lettres et le roit forçant la note, mais bien révélatrice de son tempérament faux et pédant n'hésitait pas à écrire à sa moitié : " Je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur ". Le ton de ces aimables missives devait bientôt changer.

Au terme de plusieurs installations à Vérone, Riegel, puis à Blakenberg dans le duché de Brunswick, Louis XVIII séjournait dans les états du tsar Paul 1er au château de Mitau en Courlande. Le prétendant s'éloignait encore et reculait inexorablement du champ des nouvelles de France et des réseaux royalistes. Devenu de plus en plus indésirable en Europe, il accepta l'offre de Paul 1er et s'établit à Mitau dans un pays glacé et inhospitalier.
Il faut toutefois convenir que l'offre de l'empereur de Russie était particulièrement généreuse. Le château de Mitau était une véritable résidence royale ayant appartenu aux ducs de Courlande et Paul 1er assurait à son hôte une pension de deux cent mille roubles.
Posément établi, Louis XVIII accéléra les négociations concernant le retour de sa nièce, Madame Royale. La fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette avait survécu aux siens dans la prison du Temple. Libérée en décembre 1795, elle avait été autorisée à rejoindre sa famille maternelle en Autriche. Elle vécut ensuite à Vienne trois années assez tristes et obscures sous la garde sourcilleuse de l'empereur François II. L'empereur espérait la marier à son frère, l'archiduc Charles mais la princesse s'y opposa catégoriquement.

De sa retraite, et au prix de bien des difficultés occasionnées par la cour d'Autriche, Louis XVIII était entré en contact avec sa nièce. Le prétendant désirait de toutes ses forces le retour de sa nièce au sein de sa parenté française. Non pas qu'il s'en fut soucié lorsqu'elle n'était qu'une fillette à Versailles ! Selon toute vraisemblance, Louis XVIII échafauda un projet assez machiavélique à l'encontre de Madame Royale.
Il lui fit croire que ses parents avaient souhaité son mariage avec le duc d'Angoulème, fils du comte d'Artois. De plus, au-delà de cette union combinée de toute pièce, le roi pensait surtout à sa popularité en ayant à ses cotés une princesse rescapée du naufrage de la dynastie des Bourbons. "L'Orpheline du Temple" redorerait ainsi son blason et assoierait l'image de Louis XVIII en légitimant ses droits à la Couronne de France.
Une lettre de l'exilé au roi Charles IV d'Espagne illustre son manque total de scrupules et de sa diplomatie tortueuse : " Les longs malheurs de ma nièce, son courage, ses vertus ont rassemblé sur elle un intérêt dont il est essentiel de tirer parti en la mariant à mon héritier."

La solennité des noces de Madame Royale et du duc d'Angoulème requérait la présence de Marie-Joséphine. Cette question n'était pas sans soulever quelques craintes dans l'entourage de Louis XVIII. Ces alarmes reposaient sur les relations rien moins que conflictuelles entre Marie-Antoinette et sa belle-soeur. De fait, les conseillers du prétendant s'inquiétaient du ressentiment de Madame Royale envers sa tante. C'est pourquoi on peut penser que des esprit perfides avaient instillé à la jeune princesse des bruits douteux concernant sa mère et la comtesse de Provence.
Le cardinal de La Fare prévenait ainsi prudemment le comte de Saint-Priest : " Vous avez su pendant votre séjour à Vienne, les préventions trés fortes de Madame Royale, envers la reine, sa tante. Elle est venue de France, avec l'idée, ou plutôt avec la persuation que la reine était l'ennemie de la feue reine et par conséquent la sienne."

Toutefois, dans l'hypothèse où la princesse fut informée de l'inimitié entre sa mère et la comtesse de Provence, elle ne fut très probablement pas renseignée lorsqu'elle vivait à Versailles, puis aux Tuileries. Elle était alors fort jeune. Est-ce Madame Elisabeth qui s'entretint avec sa nièce lorsqu'elles se retrouvèrent seules au Temple ? c'est peu probable, la soeur de Louis XVI n'était pas du tempérament à déchirer la famille à un moment aussi crucial.
Plus vraisemblablement, des personnes anciennement attachées à la cour de Versailles ont peut-être cru de bon ton d'informer la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette des différends de sa famille, dont ceux de sa mère et de Marie-Joséphine. Plus tard , les relations de Marie-Joséphine et de Madame Royale ne semblent pas avoir été empreintes d'hostilité. On peut seulement supposer que leurs rapports n'étaient pas marqués du sceau de l'amitié.

A la veille de ce mariage, une préoccupation plus pratique et épineuse tourmentait Marie-Joséphine. Le financement d'un long voyage. Toujours génée dans ses finances, elle demanda l'aide de son époux. Mauvaise pioche, " le roi n'a pas un sol à lui envoyer pour la route " confiait La Fare à Saint-Priest. Et les sollicitations de Louis XVIII auprès du roi d'Espagne se soldèrent par un échec. Enfin, après s'etre longtemps fait prier, le tsar Paul 1er accepta une avance des frais, mais uniquement lorsque Marie-Joséphine aurait franchit le frontière de ses Etats. Malheureusement, cela représentait encore une lourde charge pour l'exilée. La reine fut contrainte de contracter un emprunt sur des fonds qu'elle possédait à Genes. Et magré ses incessantes difficultés matérielles, sa suite ne se composait pas moins de vingt cinq personnes !

Le voyage de Marie-Joséphine soulevait encore un autre problème, la place de madame de Gourbillon. Sur ce point, Louis XVIII fut inflexible. La compagne de sa femme était jugée indésirable à Mitau. Comme à son habitude, la reine s'enteta et fit le voyage avec sa protégée. Elle pensait sans doute qu'elle triompherait des difficultés et de l'animosité de son mari envers sa lectrice.
Elle avait déja franchi la frontière depuis le 23 mai 1799 lorsque le roi fut informé de la présence de Marguerite de Gourbillon dans la suite de son épouse. Ce à quoi Louis XVIII prévint sans détours son incorrigible moitié le 31 mai 1799 : " M. de Nesle m'a remis votre lettre, ma chère amie, je ne m'arreterai pas à son contenu, il me fait trop de mal à penser, seulement je vous conjure d'y réflechir. Mais si mes instances, mon amitié ne peuvent rien sur vous, si vous pouvez vous résoudre à me compromettre vis-à-vis de l'empereur de Russie qui ne pourra d'aprés votre résistance que prendre la plus étrange idée de nous deux, madame de Gourbillon pourra arriver à Mitau, mais je vous jure pour ma part, qu'elle ne mettra pas les pieds au chateau, et que je ne réponds pas des dispositions de l'empereur à son égard. Encore une fois, ma chère amie, rendez vous à notre amitié et que la joie que j'éprouverai en vous revoyant soit, s'il est possible, augmentée par cette condescendance de votre part. je ne suis pas embarrassé de vous en supplier, car c'est votre interet seul qui me fait parler."
La détermination de Louis XVIII fut sans faille, il avait demandé d'arreter madame de Gourbillon une fois parvenue à Mitau. Un oukase de Paul 1er rendit cette décision irrévocable. Mais l'époux de Marie-Joséphine appréhenda aussitot la colère de la reine aux humeurs excessives. A l'aproche de cette épreuve, il se lamentait auprès de ses confidents en disant "Mes amis, ne m'abandonnez pas".
Marie-Joséphine entra enfin à Mitau le 2 juin 1799. La reine et sa lectrice ne voyageant pas ensemble dans la meme voiture, les autorités russes mandatées par le gouverneur de la ville, interceptèrent facilement madame de gourbillon sans que sa maitresse s'en aperçoive. Au chateau, Louis XVIII fit un accueil trés aimable à son épouse. Mais trés rapidement, Marie-Joséphine s'inquiéta de l'inexplicable absence de sa chère amie. Finalement, au bout de quelques atermoiements embarrassés, Louis XVIII lui signifia clairement la situation. Madame de Gourbillon avait été arretée à l'entrée de la ville.
Suffoquée, la reine fit sur le champ une violente crise de nerfs en perdant tout sentiment de son rang sous les yeux méduses des courtisans. Malgré ses cris, ses larmes, ses suppliques, Louis XVIII resta inébranlable. Il encouragea au contraire sa femme à reprendre sa dignité en lui faisant comprendre qu'elle se donnait indignement en spectacle. Saint-Priest, témoin de la scène, rapporte ses orageuses retrouvailles dans ses Mémoires : " Les invectives entremélées de railleries les plus mordantes qu'elle put imaginer (ce qui était un tour d'esprit de la reine) ne furent pas épargées à son auguste époux ".
Marie-Joséphine s'enferma dans ses appartements dans un mutisme boudeur. Pendant ce temps, la voiture de madame de Gourbillon avait été détournée du cortège pour etre conduite minu militari devant le siège du gouverneur de la ville. A l'instar de Marie-Joséphine, la lectrice plongea à son tour dans une crise hystérique, insultant tout son monde. Il en fallait bien davantage pour impressionner les autorités russes, elle fut "empaquetée" de force dans un couvent à Vilna. Informé de tout ce grabuge, le tsar Paul 1er se félicitait de la prompte célérité de son administration afin " de faire rebrousser chemin à la dame de Gourbillon et de vous réiterer mes ordres quand à elle en vous permettant meme de la tenir sous garde, et de l'enfermer là ou vous jugerez à propos, en cas qu'elle ne se corrige et ne se tienne tranquille."
Retenue prisonnière à Vilna, Marguerite ne devait pourtant céder ni au découragement, ni à l'amertume. Trés intelligente et d'une inépuisable energie, elle refusa son sort.

Madame de Gourbillon obtint rapidement sa libération avant de prendre contact avec la cour de Russie. Son entreprise de réhabilitation fut concentrée sur trois personnes, le tsar Paul 1er, Louis XVIII et Marie-Joséphine alias comte et comtesse de l'Isle aux yeux du tsar. Sa requete jugée interessante par la chancellerie russe déboucha sur une invitation de la cour à Saint-Peterbourg afin qu'elle expose ses déclarations. Rien de moins ! Le recours en grace auprès de ses maitres naturels, surtout Louis XVIII représentait une autre entreprise, éminement délicate. Mais aux yeux de l'indomptable Marguerite, rien n'était impossible. Elle rédigea à cet effet deux mémoires semblables datés du 19 juillet 1799 au roi et à la reine afin de justifier tous les antécédents de sa conduite passée.

Dans ce mémorandum, Mme de Gourbillon se déclarait innocente de l'accusation de complicité dans l'alcoolisme de Marie-Joséphine. A sa décharge, il est vrai que l'ex-comtesse de Provence était déja contaminée par ce vice lorsque la lectrice entra à son service en 1785. Marguerite avait-elle alors encouragé sa maitresse à "remplir sans cesse les flacons qu'elle apportait à sa princesse" comme le dit le marquis de Bombelles dans ses Mémoires ? Difficile à dire.
Le point culminant de cette affaire, on s'en souvient, avait eu pour conséquence la rencontre inpromptue de la lectrice de Marie-Joséphine et du comte de Provence dans un corridor de Versailles en 1789. Mme de Gourbillon tenait alors un récipient dissimulé sous un voile. louis-Stanislas, informé du vilain peché de sa femme, crut tenir la preuve évidente des connivences de la suivante de la comtesse de Provence. Il l'accusa de collusion dans les débauches éthyliques de Marie-Joséphine. Le 19 février 1789 une lettre de cachet consignait madame de Gourbillon à Lille.
Or, dix ans plus tard, Marguerite crie son innocence. Ce récipient ne contenait ni vin, ni liqueur, mais un bouillon aux herbes prescrit par les médecins de la princesse. Dépressive, la comtesse de Provence était en proie à une maladie nerveuse qui la surevoltait. Soit. On peut cependant conjecturer que l'intempérance de Marie-joséphine n'était pas sans relations avec ses troubles de l'humeur... Sur ce point, la reine avait prévenue son amie : " J'avais tout dit, jusqu'au bouillon."
Quant aux éventuels pots de vin dont la lectrice avait bénéficié de 1785 à 1789, Mme de Gourbillon fait table rase par un revers de main : " Je m'expliquerais avec le roi pour cela ". Voila une déclaration aussi brève que curieuse ! Avait-elle quelque chose à cacher ou à se reprocher ? Toutefois un argument de poids étayait le mémoire de Marguerite, la mission que lui avait donné le comte de Provence dans la fuite de Marie-joséphine en juin 1791. Grace à sa lectrice, la princesse avait pu sortir de France, sans encombres et se réfugier aux Pays-Bas. A l'époque Louis-Stanislas avait redonné la place perdue de l'amie de sa femme, bien conscient de son habileté. Sur ce point, Marguerite laissa percer son amour-propre outragé : " Lorsque le roi m'a choisie pour sauver Votre Majesté, on ne m'a pas demandé mes preuves. " En guise de conclusion, elle osait emettre des menaces : " Si je n'obtiens cette justice, je me croirai forcée de retourner près de sa Majesté l'empereur... Si je n'obtiens pas le succès que j'ai droit d'attendre de la justice du roi, je n'aurais pas de reproche à me faire, et les suites sont à ma disposition. "

Pour sa part, Louis XVIII resta de marbre et ne donna pas de réponse. Les interventions de Marie-Joséphine furent impuissantes auprès de son mari. Ulcérée, madame de Gourbillon décida de jouer de toutes ses relations et de l'oreille compatissante des ministres de Paul 1er pour perdre l'auteur de ses malheurs. Convaincue dans son dessein, ses intrigues auprès des puissants de la Russie devaient bientot porter leurs fruits. Ce ne fut plus qu'une question de temps.

Le 4 juin 1799, la reine avait assisté boudeuxe et passive à l'arrivée de Madame Royale. Six jours plus tard les noces de la jeune princesse étaient célébrées sous l'oeil rayonnant de Louis XVIII. Il est vrai qu'aux yeux du monarque exilé et des monarchistes, c'était le premier événement heureux dans la famille des Bourbons depuis 1789.
Privée de sa favorite, la vie n'avait plus guère de sens pour Marie-Joséphine. Confortée dans l'espoir de la revoir, elle se résigna à une vie morne et sans relief, au château de Mittau. Les frilosités des brumes de Courlande, l'affectation d'un époux distant, la place éminente de Madame Royale à la petite cour du roi aigrirent un peu plus la nature hypocondriaque de la reine. A demi-prisonnière au sein d'une cage qui n'avait même pas l'avantage d'etre dorée, celle que le prince de Ligne avait surnommée Notre-Dame de Mittau n'eut plus qu'une idée, fuir la Courlande.

Le printemps de 1800 apporta enfin une bouffée d'oxygène à la maussade épouse de Louis XVIII. Sous prétexte de santé, elle décida un voyage à Pyrmont, une petite ville d'eaux, près de Kiel en Allemagne.
Partie de Mittau, le 2 avril, les questions d'argent rattrapèrent aussitot Louis-Stanislas et Marie-Joséphine. En effet, deux mois plus tôt étaient parvenues les disparitions des filles de Louis XV, Mesdames Adélaide et Victoire. Elles s'étaient éteintes à Trieste, leur ultime lieu d'exil, ne subsistant que grâce à la charité du roi d'Espagne. Or, Louis XVIII jamais scrupuleux afin d'améliorer sa situation de souverain désargenté, demanda la reversion de la pension de ses tantes. Charles IV acquiesca. A la veille de son départ, Marie-Joséphine ne pouvait que préter une oreille intéressée à l'obtention de cette manne inespérée. Hélas, c'était son propre époux qui désirait en faire usage. Il est vrai qu'il en avait fort besoin afin de financer ses agents politiques, ses représentants dans les cours d'Europe et les fidèles assez nombreux qui peuplaient sa cour en Russie. La reine détourna-t-elle tout ou partie de ces fonds ? Cette hypothèse a parfois été soutenue. Certes, Marie-Joséphine avait des difficultés matérielles, mais Charles IV lui versait, quoique bien irrégulièrement sa pension de dix mille livres tournois, et elle possédait encore des fonds qui lui étaient propres. Afin de financer son voyage à Pyrmont, elle ordonna un prélevement de dix mille francs sur des capitaux personnels.

Les eaux de Pyrmont ne retinrent pas longtemps Marie-Joséphine. Dès le mois décembre, elle établissait sa nouvelle demeure au château de Schirsensee dans le duché de Schleswig-Holstein. Elle confirmait son projet à la comtesse de La Ferronnays : " Je pars demain de très bonne heure, je serai à peu près huit jours en route, marchant à grandes journées et si le vent m'est favorable pour m'enbarquer je serai à Kiel mercredi ou peut-etre au chateau de Schirsensee , près cette ville, que j'ai loué le temps de mon absence d'ici pour y faire ma demeure. "

Pour sa part, Marguerite avait bien profité de son temps afin de tirer vengeance de celui qui l'avait expulsée de Mittau. On ne sait trop sous quel artifice, l'ancienne compagne de Marie-Joséphine obtint sa libération du couvent de Vilna ou l'avait consignée le tsar Paul 1er.
Toutefois, le fait est qu'elle s'établissait en 1799 à Saint-Petersbourg en parvenant à nouer des relations avec la cour impériale. Mme de Gourbillon noua alors des contacts avec des femmes au passé trouble, des intrigantes de haute volée, Mmes Chevalier et de Bonneuil. Ces complices n'étaient pas en fait inconnues aux yeux de Marguerite. Mme Chevalier avait été dans un premier temps contactée par ses soins afin de l'aider à sortir de son couvent de Vilna. Quant à Mme de Bonneuil, son époux avait fait partie de la maison du comte de Provence et elle avait autrefois résidé rue de Maurepas à Versailles. Or, la rue de Maurepas était également le lieu de résidence de Mme de Gourbillon.
Mme Chevalier, brillante actrice de son état, faisait partie depuis peu de la troupe du Théatre-Français à Saint-Petersbourg. Maitresse du comte Koutaikoff, un proche de l'empereur de Russie, certains indices laisseraient penser qu'elle était peut-etre mandatée pour le compte du Directoire. Or, Mme Chevalier, ne parvenait pas à concrétiser ses intrigues. Dans ce but, elle entra successivement en relation avec Mmes de Gourbillon et de Bonneuil. A cet effet, l'ex-lectrice de Marie-Joséphine ne joua qu'un rôle de complice dans l'affaire qui affecta le roi de France en exil.
C'est Mme de Bonneuil qui tira les ficelles. Cette dernière avait été la maitresse du duc d'Havré, représentant de Louis XVIII à la cour d'Espagne et prit connaissance de papiers compromettants. Une correspondance du duc d'Avaray, favori du roi, adressée à d'Havré révélait des commentaires désobligeants à l'encontre du tsar Paul 1er et de son ministre des Affaires etrangères, Rostopchine, qualifiés de "sots et d'imbéciles". Mme de Bonneuil, peu scrupuleuse pour le compte du duc d'Havré, subtilisa le précieux document. Son séjour en Russie lui fut alors fort utile. Devenue la maitresse de Rostopchine et du comte Panine, elle utilisa les papiers qu'elle détenait.

Des informations confidentielles éminemment dangereuses pour l'exilé de Mittau et sa petite cour ! La correspondance de d'Avaray à d'Havré fut remise entre les mains de l'empereur de Russie, un souverain au caractère cyclothimique, aux passions maniaques et à l'humeur belliqueuse. Monarque absolu dans ses Etats, Paul 1er ne pouvait tolérer cet écart de l'entourage de Louis XVIII. Ce roi sans couronne était son hôte, il le tolérait en tant qu'invité en Courlande en le pensionnant, rien de plus. La réponse impériale fut immédiate, le roi était contraint et forcé de partir. Au plus mauvais moment d'ailleurs. L'ordre fut prescrit en janvier 1801 en plein hiver.
De surcroit, Paul 1er était parfaitement informé des tractations politiques de Louis XVIII. L'exilé avait des représentants officieux dans la plupart des capitales européennes, des informateurs et des messagers liés à des réseaux royalistes en France. Cette position irritait de plus en plus le tsar soucieux de se rapprocher de la France et de son nouveau maitre, Bonaparte, afin de contenir les ambitions de l'Autriche et de l'Angleterre.

Quel fut dans cette affaire le niveau d'influence de l'égérie de Marie-Joséphine ? Il semblerait que si Marguerite de Gourbillon était bien entrée en contact avec la Bonneuil et la Chevalier, elle n'eut pas une part décisive dans la conclusion du complot qui précipita le départ de Louis XVIII de Russie.
En effet, cette dernière quitta le territoire russe au cours de l'année 1800 et sa présence est attestée à Londres au cours du mois de juillet de cette année. Entre-temps, et alors qu'elle était considérée comme perdue un an plus tôt avec son expulsion de Mittau et son emprisonnement à Vilna, elle avait obtenu non seulement sa libération, mais la permission de se rendre à Saint-Petersbourg et l'octroi d'une pension prélevée sur la cassette de l'empereur.
A l'évidence, et avec éclat, elle avait provoqué un étonnant retour de situation. Pourtant, les derniers faits de l'année 1800 avec la fameuse lettre de d'Avaray exposée sous les yeux de Paul 1er sont imputés à Mme de Bonneuil, pas à Mme de Gourbillon. Sa participation afin de se venger de l'impassiblité de Louis XVIII à son égard parait assez faible, même si le comte de Saint-Priest pensait le contraire :
" Une fois arrivée à Petersbourg, sa haine manoeuvra si bien, peignit sous de si noires couleurs Louis XVIII et tout son entourage, sans même épargner la reine, sa bienfaitrice, que la vengeance d'une si vile créature ne laissa pas de porter coup, et qu'elle est elle-meme peut-etre dans les causes d'une nature plus politique, qui dix-huit mois plus tard amenèrent l'expulsion de la famille royale de Mittau. "

Emigrée en Allemagne, on ignore la réaction de Marie-Joséphine face à l'expulsion de son époux qui trouva finalement refuge en Pologne. De même, le silence reste entier vis-à-vis de son sentiment envers les soupçons qui pèsent sur Mme de Gourbillon.

Le début du XIXe siècle représente une période d'errance pour l'ex-comtesse de Provence. Elle ne tient pas en place. Bien qu'officiellement établie au château de Schirsensee, elle voyage fréquemment retournant à plusieurs reprises aux eaux de Pyrmont et de Wildungen. Pourtant la malchance ne desserre pas son étreinte, les villes d'eaux n'améliorent pas la santé alarmante de Marie-Joséphine. Ses périodes de maladie s'avèrent de plus en plus longues, elle ne quitte pas son lit et pense sa fin proche.
L'année de son cinquantième anniversaire en 1803 est secouée par une grave crise. Dès qu'une accalmie lui laisse un peu de repos, elle se pose devant son secrétaire afin d'informer ses proches. Elle écrit sans fausse pudeur ces moments "sans dormir, ni digérer, rejetant jusqu'à un peu d'eau sucrée, avec des douleurs horribles de toutes les parties de mon corps." ou encore "Je relève d'une fièvre maligne ou j'ai été huit jours entre la vie et la mort."
Marie-Joséphine ne mourut pas, mais son état de santé sans espoir d'amélioration durable en fit une femme prématurément vieillie, désséchée et déformée par l'ostéoporose. Enfin, au terme de trois années passées loin de son mari, elle se résigna à rejoindre Louis XVIII en Pologne. IL est vrai, le prétendant pensait qu'une famille royale unie dans les épreuves et sous le même toit ne pouvait que renforcer la légitimité des Bourbons.

Varsovie était une ville aux influences occidentales et slaves, et la plupart des familles aristocratiques polonaises étaient pétries de culture française. Le pays plut très vite à la reine. Elle confiait ainsi à la comtesse Tyszkiewiczwa :
"J'aime beaucoup y être qu'autre part, ce pays se rapproche beaucoup plus de la France que tous ceux que j'ai vus depuis douze ans" Par ailleurs, quelques familles de la noblesse polonaise étaient apparentées aux Bourbons. En effet, la grand-mère de Louis XVIII était Marie Leszcynska, l'épouse de Louis XV.
Deux années s'écoulèrent sans évènement notable pour Marie-Joséphine. Toutefois, il en allait autrement de la France et de la carte de l'Europe. De l'ancien royaume des Lys, le Consulat avait fait place à l'Empire et le duc d'Enghien, cousin du prétendant avait été fusillé. Aucun complot, dont deux au moins visaient l'assasinat du Premier Consul ne purent aboutir. La reine, tout comme l'entourage entier de Louis XVIII, excécrait le Corse :
"Si le scélérat que je ne nomme pas se tire des griffes des Russes, il faut qu'il soit donné au diable, car je ne vois pas qu'un brigand et un usurpateur puisse avoir une étoile. " écrivait-elle échauffée à la comtesse de La Ferronnays.
Cependant, le roi en exil affirmait haut et fort ses positions dynastiques et politiques. C'est ce qu'il fit à la fin de 1804 lors de la proclamation de Calmar ou Louis XVIII réfutait le titre d'Empereur à Napoléon et le régime impérial. Cette intervention intempestive indisposa les souverains européens, le roi exilé embarrassait les politiques des chancelleries. Le résultat fut net, le prétendant devait quitter Varsovie. Les princesses, Marie-Joséphine et Madame Royale, étaient autorisées à rester le laps du temps duquel le souverain parviendrait à se fixer durablement dans un autre pays. C'est durant le mois d'avril 1805 que les deux femmes purent rejoindre le roi dans des lieux qu'elles connaissaient bien, le château de Mittau en Courlande. Mittau II se substitua à Mittau I. Louis XVIII en était parfaitement conscient.
Il écrivait ainsi à son frère, le comte d'Artois : " Mittau I était Saint-Germain, Mittau II ne sera plus qu'un lit à l'Hôtel-Dieu. "

Relégués une fois de plus à la pointe extrême de l'Europe, les derniers irréductible de la cour des Bourbons s'immobilisèrent comme pétrifiés par le froid coupant de la Russie et les victoires de la France impériale. La cour de Louis XVIII comptait quarante trois personnes vers 1807 dont le duc d'Avaray, favori du roi, le duc de Gramont, le duc de Piennes, la marquise de Sérent, la comtesse de Choisy. La comtesse de Narbonne assurait la fonction de dame d'honneur auprès de la reine Marie-Joséphine.

Comme à Versailles, tout ce monde assumait des offices honorifiques : grand aumonier, grand chambellan, capitaine des gardes, gentilhommes de la chambre... Evidemment, si tous s'enorgueillissaient d'approcher au plus près Sa Majesté, la Russie et le décor ne rappelaient guère les douces heures de jadis ! A l'évidence, ces fidèles étaient possédés par une indéfectible loyauté envers leur maître naturel malgré le manque chronique d'argent, le climat détestable, la condescendance méprisante des pays d'accueil et les expulsions répétées dont le roi était l'objet.

Marie-Joséphine, elle, ne partageait pas l'optimisme inébranlable d'un époux muré dans sa légitimité. Toujours souffrante, mais jamais innocente devant les courbettes et les commentaires stéréotypés des courtisans, elle usait fréquemment d'une formule à l'emporte-pièce :
"Trompeurs, trompés, trompettes !".

Courbée en deux par l'ostéoporose, se déplaçant avec difficulté, affublée de vieux habits dont elle refusait de se séparer, plus négligée que jamais, elle donnait une impression rien moins que flatteuse aux rares visiteurs de Mittau.
Les contemporains qui l'ont décrite à la fin de sa vie ont laissé des paroles sans appel : " La reine fort maussade apparut dans un costume grotesque qui enlaidissait son étrange figure." écrit la princesse de Tarente. Dorothée de Courlande, future duchesse de Dino dépeint la vieille reine sous les mêmes couleurs : " Je n'ai jamais vu une femme ni plus laide, ni plus sale. La reine grelotte de fièvre. ses yeux sont à moitié collés. "
La comtesse Gouloukine souligne la pétillance de son intelligence :
"Un costume grotesque et ignoble, une figure désagréable, mais elle séduisait par son esprit. "

Le roi et la reine formaient un étrange couple royal, tous deux marqués par l'âge et la maladie. Leur situation de monarques sans couronne entourés d'une cour d'opérette, à la merci d'un départ précipité au gré des caprices de la politique européenne occasionnait une fâcheuse impression. Le tsar Alexandre 1er qui consentit à leur rendre visite prononça des paroles extrêmement dures à l'encontre de son invité de marque :
"Je viens de rencontrer l'homme le plus nul en Europe et le plus insignifiant, il ne montera jamais sur le trône. "

Louis XVIII fera payer ces paroles dangereusement définitives qui blessent à jamais un homme au petit-fils de Catherine II en accordant à l'autocrate de toutes les Russies une simple chaise au château de Compiègne en 1814...

Le roi avait raison de se méfier d'Alexandre 1er car au terme de la bataille de Friedland, l'empereur Alexandre avait conclu à Tilsit une alliance avec Napoléon le 26 juin 1807. Ce rapprochement franco-russe était inacceptable pour Louis XVIII, la nouvelle fut accueillie avec horreur à la petite cour de Mittau. Par ailleurs, las des rigueurs du climat balte et de l'isolement politique dont il était victime, le roi décida de gagner l'Angleterre incognito et sans autorisation du gouvernement britannique.
Il voulait s'y établir de gré ou de force, l'Angleterre n'était-elle pas l'immuable ennemie de la Révolution et de l'Empire ? Embarqué de Liebau le 3 septembre 1807, il accosta les côtes britanniques à Yarmouth le 29 octobre. Avant de partir, il avait écrit au tsar en soulignant son "amitié" avec Sa Majesté Impériale.
Cette "amitié" était illustrée par les "gages que lui et son neveu laissaient en Courlande". Ces "gages" n'étaient autre que son épouse et Madame Royale, duchesse d'Angoulème. Louis XVIII avait lors de cette circonstance une singulière façon de présenter les femmes de sa famille ! Que pouvait donc l'empereur de Russie envers deux princesses sans défense et sans pouvoir ?

Marie-Joséphine et sa nièce ne rejoignirent le roi qu'à la fin du mois d'août 1808. Ce retard fut occasionné par les sempiternelles questions matérielles et l'aménagement de la nouvelle résidence des Bourbons en exil sur le sol britannique.

Débarquées à Harwich le 24 aout, la reine et la fille de Louis XVI étaient accompagnées du duc d'Angoulème, parti auparavnt d'Angleterre le 22 avril. Une foule considérable couvrit de vivats l'épouse de Louis XVIII, comme jamais peut-etre ne l'avait été la reine Charlotte de Hanovre. Mais trés vite, l'étrange aspect de Marie-Joséphine provoqua la stupeur des Anglais.
Lady Jerningham a bien observé le délabrement physique de la reine des émigrés : " La rapetissement de la reine est un sujet d'étonnement universel. Il semble qu'elle ne soit plus d'une taille ordinaire. Elle marche courbée en deux, les poings sur les hanches, les coudes en dehors, et lorsqu'elle est assise, elle est toute pliée, avec ses mains tenant ses genoux et un tabouret sous ses pieds."
La fille du prince de Condé qui la rencontra à la meme époque présente un tableau similaire : " La reine a été fort honnete pour moi, mais entre nous quel changement ! Non qu'elle eut rien à perdre quant à la figure, mais plus petite, plus mal tournée que jamais, mais des cheveux tout blancs, mais soixante-dix-ans, moins parlante qu'à Versailles, en un mot unique."
On s'en souvient, près de quarante ans plus tot la timide princesse de Savoie n'avait pas recueilli l'unanimité de la France et de la Cour quant à ses charmes ! "Le Toulouse et le Mirepoix la trouvent affreuse. La comtesse de Provence aura le prix de la laideur." écrivait madame du Deffand en 1771. Et madame Campan ne lui accordait que "d'assez beaux yeux". A cinquante cinq ans, la laideur de Marie-Joséphine est occultée par les ravages de la maladie. Une cyrrhose du foie consécutive à ses débordements de boisson depuis sa jeunesse, les progrès lancinants de l'hydropisie et une décalcification sévère minent ses dernières forces et elle a considérablement maigri. Lucide sur son état, elle avouera à madame de Gourbillon : " Autrefois, j'étais un cheval, à présent je ne suis plus qu'une vielle rosse."

D'abord établie au chateau de Gosfield, au nord de l'Essex, l'humidité et les pluies légendaires des iles anglo-normandes achevèrent de détraquer un peu plus la santé de la reine : " J'ai voulu hier au soir me lever, ma fièvre étant finie et faire refaire mon lit, dans lequel je ne pouvais plus tenir, mais ma chambre est si humide que ma douleur de coté qui était disparue m'a reprise avec beaucoup de violence ainsi que l'oppression. Me voila condamnée à mon lit pour ne m'en relever que lorsque le médecin le jugera à propos. "
L'égoisme de Louis XVIII n'a pas diminué avec l'age, bien au contraire. Il refuse de prendre au sérieux la maladie de sa femme, pourtant évidente. Ce vieux couple dont la vie conjugale et intime demeura des plus réduites et qui vécut de longues années séparés pendant l'exil, n'est pas revenu à de meilleurs sentiments. Il entretenait des relations détestables sous un vernis de courtoisie qui pouvait tromper les non-initiés. Marie-Joséphine, avait bien du mal à supporter cet homme dénué de naturel et envers qui elle ne pouvait attendre aucun réconfort : " Il m'assome par sa ladrerie et sa pédante régularité à ne rien changer de la distribution de la journée ; ce qui me tue, c'est qu'il croit en ce pays-ci qu'il faut qu'il passe pour un bon mari." L'entourage du roi ne trouve pas davantage grace à ses yeux, elle déclarera qu'elle n'a " rien de commun pour ce qui regarde mon chez moi avec les personnes attachées au roi. "

L'année 1809 fut marquée par un nouveau déménagement. Trop à l'étroit à Gosfield, le roi des émigrés loua le chateau de Hartwel House, près d'Aylesbury. Un immense escalier sculté, d'immenses salons de réception, un parc redonnèrent une touche d'honorabilité aux Bourbons exilés. En vérité, seule la famille royale disposait de véritables appartements. Le reste de la suite, cent quarante personnes au moins, vivait dans les greniers et les dépendances que l'on avait aménagés grace à des cloisons.
C'est en Angleterre, que la correspondance de Marie-Joséphine avec Marguerite de Gourbillon reprit à un rythme régulier. Cette dernière était installée à Londres à Litchfield street et les deux femmes espéraient encorer se revoir en déjouant les soupcons de Louis XVIII. Plus encore, madame de Gourbillon souhaitait etre reçue officiellement à Hartwel, un voeu presque impossible à réaliser. Le roi ne voulait plus entendre parler de l'ex-lectrice de sa femme et encore moins la recevoir sous son toit ! Les deux amies dont la séparation avait été brutale en 1799 et qui ne s'étaient jamais revues depuis, se contentèrent des voies de la correspondance. Et quelle correspondance !
La reine y fait régulièrement part de son attachement inaltérable, devient susceptible au moindre mot un peu leste ou à un courrier mal interprété. Pour sa part, Marguerite s'entendait à manipuler son ancienne maitresse en ne répondant pas toujours selon les délais impartis, ce qui achevait d'exaspérer Marie-Joséphine, se croyant abandonnée. Les justifications sur les faits du passé, de sordides questions d'argent, et les crises de santé des deux épistolières égrennent toute la correspondance.

Marguerite était déterminée afin de mettre à jour les raisons qui avaient conduit à sa disgrace en 1789 et plus encore son arrestation et son emprisonnement dix ans plus tard. A cette question et malgré ses efforts pour percer la vérité, Marie-Joséphine ne semble jamais etre parvenue à saisir totalement les motifs de l'hostilité de Louis XVIII.
Elle possédait néanmoins quelques réponses tangibles, à savoir la mise à l'index de sa propre famille. On le sait, la famille royale de Savoie eut tout le loisir d'observer la compagne de Marie-Joséphine entre 1792 et 1796 lorsque la princesse séjournait à la cour de son père. A cette époque, les relations entre la lectrice et les parents de la savoyarde se tendirent à l'extreme. Victor-Amédée III exigea tardivement le renvoi de madame de Gourbillon, une éventualité inconcevable aux yeux de sa fille. Elles quittèrent alors bien vite la rigide cour de Turin. Interloqués sur les inexplicables rapports d'une princesse de sang royal et d'une obscure lectrice promue au rang de favorite, la famille de Savoie crut bon d'informer l'époux de Marie-Joséphine, pourtant bien renseigné de la liaison des deux femmes.
C'est ce que confia l'épouse de Louis XVIII à son immuable amie : " Il est trop vrai que tout cela est venu de mon père trompé tout à fait, qu'il a exigé de son gendre de me séparer de vous, qu'on a blamé mon intimité avec vous et qu'on a été dire que cela faisait tort à mes moeurs. Vous étiez jour et nuit entouré d'espions qui ont envenimé tout. "
Dans une autre lettre, elle parle toujours sur le meme ton : " Je vous demande pardon à genoux. On a dit mon honneur perdu en souffrant que vous fussiez aussi intimement liée à moi, que cela faisait suspecter mes moeurs et que le déshonneur retombait sur le roi. Il faut écrire au roi une lettre de conscience et de sensiblité, toucher et non cabrer... Je vais vous dire le sujet de votre disgrace. C'est mes parents qui ont fait un crime au roi de trop de complaisance maritale. J'ai les preuves de ce que je vous dis : j'ai vu les lettres de mon père, de ma soeur, la princesse de Piémont et de mon frère ainé. Le roi a eu la bonté de prendre mon parti et a dit que surement j'étais innocente, mais il a cru devoir donner cette satisfaction à mes parents et il n'a pas voulu voir que c'était plutot accréditer ces bruits plutot que les étouffer. "

Les deux vieilles femmes aux prises avec les affres de la maladie et de la mort qui approche ne cessent de ruminer leurs ressentiments. Leurs lettres ne représentent qu'une succession d'explications assez oiseuses : "IL est malheureux pour moi que j'ai perdu votre confiance et que je ne puisse parvenir qu'à vous affliger et à etre jugée d'une autre manière que j'aurais droit d'y prétendre. Je suis ulcérée. " griffone Marie-Joséphine rageuse. Un autre jour, la reine se croit abandonnée : " Vous me dites que vous n'etes plus ma bien-aimée, je vous aime toujours mais plus durement. "
Dans l'épreuve de l'exil, les deux épistolières n'ont toujours pas désarmé avec le hiatus des questions d'argent. Marguerite de Gourbillon compte toujours sur sa bienfaitrice pour la sortir de ses embarras financiers, sa pension accordée par le tsar dix ans plus tot ayant cessé d'etre versée. L'ex-lectrice désormais à demi-aveugle et pourvoyant à l'éducation de sa petite-fille Adèle, expose régulièrement le médiocre état de sa situation. Certes, la position de la reine était plus enviable, mais Marie-Joséphine ne disposait plus de sa pension espagnole avec la chute des Bourbons de Madrid en 1808 et il ne semble pas qu'elle aie obtenue beaucoup d'argent de sa famille piémontaise désormais repliée dans on ile de Sardaigne à Cagliari. Pour toute recette, elle touchait une pension de son époux et son aide matérielle se révélait intermittente, d'autant plus que les fonds de Louis XVIII ne lui étaient pas régulièrement versés. Elle se plaignait en effet souvent de sa ladrerie. En économisant ou en vendant quelques objets comme un nécessaire en or, la souveraine sans couronne parvenait à trouver de l'argent. Mais l'amie d'autrefois renaclait devant la faiblesse des secours.
En guise de réponse, Marie-Joséphine avait bien du mal à cacher son dépit : " Je n'ai plus rien sous la calotte des cieux. Je suis forcée de vous dire, ce qui n'est pas délicat que l'argent que je vous envoie est le seul pauvre avoir que j'avais pour m'acheter des chemises car les miennes me quittent. "

La fin de Marie-Joséphine n'est qu'une litanie de maux. Son corps révèle l'inexorable délabrement d'un organisme qui se décompose. L'année 1810 commence trés mal, la reine est la proie d'une attaque d'ophtalmie, puis au cours de l'été elle fait une chute et se casse le poignet droit. Elle sait qu'elle va bientot mourir et décrit à Marguerite l'état effrayant des ravages de son mal : " Je souffre de douleurs abdominales, mes dents d'en bas ont été disloquées par les convulsions. Je ne suis plus ni gourmande, ni intempérante . On me donne des lavements d'huile de camomille et de camphre, mes urines sont infectes ainsi que mes sueurs. "

Le 4 novembre, ses dernières forces l'abandonnent et les médecins déclarent forfait. Son agonie la fit encore souffrir six jours, mais entre-temps elle trouva encore le moyen de rappeler une anecdote que seule la famille royale et quelques rares intimes connaissaient. Pour faire allusion au temps affreux qui accompagnait ses derniers instants, Marie-Joséphine confia qu'elle ne pourrait plus parler du " temps de Motte ". Quarante ans plus tot, était mort un serviteur du dauphin du nom de Motte " alors que des orages d'une rare violence avaient marqué son décès.
La reine mourut enfin le 10 novembre dans la matinée à cinquante-sept ans.

C'est dans la mort que sa dignité de reine de France fut reconnue avec tous les droits et prérogatives inhérents. A cet égard, Louis XVIII nourrissait des relations assez cordiales avec la famille royale d'Angleterre, particulièrement avec le prince de Galles, le futur Georges IV. C'est grace à cette amitié et à l'obligeance du gouvernement britannque, que les funérailles de l'épouse du prétendant se déroulèrent dans le plus grand apparat. Il est possible que cete cérémonie ait été la plus grandiose en qualité symbolique de toutes celles qui marquèrent les Bourbons depuis 1792 alors qu'ils ne régnaient plus et vivaient sur une terre étrangère.
Aprés l'exposition rituelle du cercueil dans la chambre de la reine, le service religieux se déroula à l'église de King's street à Londres lors d'une cérémonie impressionnante réservée à une souveraine sans trone. Sa titulature royale n'en était pas moins reconnue, la mention des tickets d'invitation faisant référence "aux obsèques de la reine de France ". Tous les Bourbons établis en Angleterre étaient présents, soit dans l'ordre protocolaire, Sa Majesté Louis XVIII, son frère le comte d'Artois, le duc et la duchesse d'Angoulème, le duc de Berry, enfin les cousins, le prince de Condé, le duc de Bourbon et Mademoiselle de Condé. Manquaient à l'appel parmi les menbres de la maison de Bourbon, ne vivant pas sur le sol britannque, tous les Orléans, la duchesse de Bourbon et le prince de Conti. La famille royale d'Angleterre était représentée par le prince de Galles et ses frères. On comptait aussi de nombreux menbres de la noblesse française et anglaise dont les Bukinghams.

Le Premier ministre Perceval et les menbres du corps diplomatique étaient présents. C'est dans la prestigieuse abbaye de Wetminister, nécropole des rois d'Angleterre, que le corps de Marie-Joséphine fut inhumé. Ainsi, à travers ces honneurs exceptionnels reservés à une dynsastie déchue, et cela malgré l'exil, la Révolution et Napoléon, les Bourbons avaient vraiment trouvé un pays d'élection, et une reconnaissance politique, honorifique certes, mais visible et capitale.
Marie-Joséphine ne devait pourtant reposer qu'un an à Wetminster. En 1811, Louis XVIII fit transporter son cercueil à Cagliari, en Sardaigne, dernière possession de la famille de Marie-Joséphine, depuis les annexions de la Savoie et du Piémont à la France. Cette démarche représentait le dernier souhait de la reine qui selon la dernière thèse établie aurait interdit que sa dépouille soit déposée à Saint-Denis au cas ou la monarchie serait restaurée en France. Cette ultime volonté n'en demeure pas moins troublante et n'a pas dévoilé son sercret. C'est dans la chapelle San Luciféro que ses restes reposent. Ce curieux nom avait été porté par un eveque de Cagliari mort vers l'an 370.

Marguerite de Gourbillon, poutant plus agée que sa bienfaitrice, survécut à sa maitresse. Toujours prévoyante dans l'avenir, elle avait conservé de précieux documents dans l'éventualité d'un retour de fortune. Parmi ses justificatifs, figurait un acte de Marie-Joséphine daté du 13 septembre 1794 ou cette dernière garantissait des avantages matériels à sa lectrice, puis une lettre de Louis XVIII la remerciant du succès de la fuite de sa femme organisée par ses soins en 1791. Avec le rétablissement de la royauté en 1814, elle fit valoir ses droits auprès de l'Administration et obtint gain de cause. Celle qui vécut selon toute apparence dans la hantise de la pauvreté, mourut à quatre-vingt-ans en 1817 en terre de France. Le roi, qui ne semble pas avoir soulevé d'obstacles dans la réhabilitation des biens de madame de Gourbillon, se souvenait toutefois de la correspondance pasionnée de sa femme ! C'est pourquoi, la police fit main-basse sur les papiers de l'ex-lectrice dès que son décès fut connu.

En conclusion et à l'aune de l'histoire, l'épouse de Louis XVIII ne compte pas parmi les reines de France en titre. C'est un fait incontesté. Son époux, enfin installé dans ses droits régaliens en 1814 et qui datait sa Charte de Saint-Ouen " de la dix-neuvième année de son règne" n'a pas pour autant brouillé l'exactitude des historiens. Son véritable avénement commence en 1814 et se termine avec sa mort en 1824. Pourtant, au nom des traditions de la monarchie Capétienne, et à une époque encore largement imprégnée d'idées monarchiques, l'exilé de Coblence, de Vérone, de Mitau ou de Hartwel ne se trompait pas.
C'est pourquoi, malgré le fait de n'avoir jamais régné ayx coté de Louis XVIII, on peut concéder à Marie-Joséphine de Savoie la titulature de reine de France au regard de la légitimité dynastique toujours vivace en France sous la Révolution, le Directoire et l'Empire et dans le cadre historique des idées et des passions politiques de cette période.

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Les Bourbons à Turin pendant la Révolution et le journal inédit de
Charles-Félix, Duc de Genevois/Revue des Deux-Mondes/1911
- SAINT-ANDRE (Claude)
Madame du Barry/1959
- TURQUAN (JOseph)
Monsieur, comte de Provence/1929
- VERLET (Pierre)
Le chateau de Versailles/1998
- WALTER (Gerard)
Le comte de Provence/1950

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Dominique Poulin


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