Bonjour,
J'ai essayé de gratter ici et là mais soit l'homme semble "insaisissable" :
"... dressé au secret par la pratique des conspirations" (Th. Zeldin)
soit il semble encore traîner une image caricaturale :
"... un mafioso et une doublure..." (Figaro littéraire, A. Lanoud, Juin 1970)
Le replacer dans le contexte de son temps à l'époque où les élites, la classe politique ou l'intelligentsia comme le milieu des affaires appartenaient à la "société", s'intitulant eux-mêmes "hommes considérables qui expriment le parti des honnêtes gens", l'homme part avec un sérieux handicap.
"Louis-Napoléon Bonaparte est faible dans les domaines où les hommes bien élevés font figure de personnages avertis" ; " don... Cet idiot est doué d'une faculté rare et puissante, celle de mettre du sien dans les choses humaines... [il] fait intervenir son imagination dans les affaires du monde et produit ou modifie les évènements en vertu de sa fantaisie... [ce] qui le met au rang des personnes historiques."(Rémusat - Mémoires)
"C'est un crétin!" ; "... ses conceptions sont le contraire de celles des hommes considérables". (Thiers)
"Son dada est le peuple." (Mme Dosne)
"Quel idiot !" (J. Favre)
Vingt ans après, lors de sa réception à l'Académie française, Zola note :
"Moyenne des intelligences de son temps : cause de son succès. Héritier naïf d'une légende, il ne l'a pas troublée par une individualité."
"Idole et pontife. Héritier d'un prophète méconnu, prophète lui-même, responsable devant le peuple et devant Dieu, il nous mène au progrès et à la liberté par la grâce napoléonienne" ; "Muet, peu expansif, impassible" ; "La constance dans l'hésitation" ; "il prend des chemins de traverse, tourne la difficulté mais il reste obstinément dans son but".
"Un ajournement n'était jamais pour lui une renonciation définitive." (Falloux)
Avant d'accéder au pouvoir, les lignes directives de son "programme" furent exposées dans :
- Extinction du paupérisme
- Les Idées napoléoniennes, le tout est taxé de :
"... folies napoléoniennes... rêvasseries..." (Rémusat), au mieux : "...rêveries (Ollivier) d'un piètre illuminé... (Prévost-Paradol)".
Zola enfonce le clou : "Il a eu plus d'imagination et de rêveries que de jugement ; il a essayé de vivre la vie rêvée par le prisonnier de Ham".
"Il n'est point parvenu à dominer sa diversité, il n'a pas fait la synthèse de ses aspirations hétérogènes" ; "il demeure à la fois neveu de Napoléon, enfant de l'exil, homme de 1848".
CNE_EMB a écrit :
a) la campagne d'Italie de 1859, en confortant le principe des nationalités,
[... Aussi sur le plan international, [il] entend enlever aux mouvements révolutionnaires le thème mobilisateurs des nationalités et, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, construire l'Europe des Etats-nations. Cette refonte de la carte européenne allant à l'encontre du principe de légitimité princière peut amener à des conflits, ce qui risque de déplaire aux milieux d'affaires ... mais elle doit satisfaire l'amour-propre du peuple français, au moins le chauvinisme des masse urbaines qui considèrent toujours leur pays comme la Grande Nation. N'obtiendront-elles pas ainsi la double satisfaction d'une revanche sur les traités honnis de 1815, qui ont en même temps humilié la France et renversé une première fois la dynastie napoléonienne, et d'une nouvelle promotion au rang de guide des peuples ? Et cette politique aura un point d'impact prioritaire en Italie pour laquelle L-N a toujours voulu "faire quelque chose". Enfin, elle ne se bornera pas à l'Europe, son extension en Amérique centrale est de longue date envisagée et elle doit aussi peser sur la politique coloniale...]
"Si la France, tout en chassant les Autrichiens d'Italie, protège le pouvoir du pape, si elle s'oppose aux excès et déclare que sauf la Savoie et Nice, elle ne veut faire aucune conquête, elle aura pour elle l'Europe... L'opinion publique en Europe ne verra pas seulement le Croquemitaine des anarchistes, mais le pouvoir qui a voulu être fort chez lui, pour être à même de briser ses propres chaînes et de délivrer et de civiliser les peuples... A l'intérieur, la guerre réveillera les grandes craintes... mais le sentiment national fera justice... et la nation se retrempera dans une lutte... le souvenir des temps héroïques et réunira sous le manteau de la gloire des partis qui tendent tous les jours à se séparer de plus en plus." (Discours de l'empereur à ses ministres - Janvier 1859)
La campagne est courte, arrêtée subitement :
- menace prussienne de mobiliser sur le Rhin "... La guerre allait prendre des proportions qui n'étaient pas en rapport avec l'intérêt de la France..." (Napoléon III)
- l'armée française a révélé ses faiblesses "une partie de la cavalerie a été prise de panique (25 juin)... quant à l'état sanitaire des hommes, il était déplorable..." (Une source pour l'histoire du second empire : les souvenirs du général Desvaux - Emerit).
Napoléon III laisse le Piémont annexer les territoires insurgés, les populations doivent donner leur accord, c'est fait massivement en Avril.
Citer :
b) la campagne du Mexique est un gaspillage de temps, de crédibilité et de moyens catastrophique, qui nous fait perdre cinq années dans la préparation de la guerre de 1870 ;
"La latinité était une idéologie conquérante napoléonienne... Napoléon III a voulu établir la grandeur française dans le monde, en forçant au besoin les pays à accepter le bonheur et le progrès qui irradiaient de la France, coeur de l'universel ; la domination n'était pas égoïste mais altruiste dans le meilleur esprit saint simonien. Si le Mexique n'en avait pas voulu, l'Afrique par contre l'avait reconnue..." (L'expédition mexicaine de Napoléon III dans l'historiographie française", colloque sur l'historiographie - Martinière).
Les objectifs économiques n'ont pas dû être totalement absents et le rêve d'un canal inter-océanique : ne serait-ce pas un marché privilégié pour la France ?
Citer :
c) après avoir été isolé diplomatiquement par Bismarck, Napoléon III décide de lui-même de déclarer la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870,
Une question :
lors du conflit austro-prussien, le triomphe des Prussiens n'aurait-il pas été trop rapide pour que l'empereur puisse imposer une médiation armée ?Ceci sera en effet l'origine de l'épineuse question des compensations.
L'échec de la tentative de réforme militaire marque l'usure du pouvoir et le blocage des institutions.
Si pour Bismarck ce conflit est le moyen recherché pour cimenter l'union allemande par une lutte commune contre "l'ennemi héréditaire", côté français c'est plus nébuleux :
- Ollivier tient à préserver la paix,
- les mamelouks derrière l'impératrice essaie de redorer un peu le régime avec un conflit,
- l'empereur, depuis le plébiscite tient peu compte de ses ministres et se laisse facilement convaincre semble-t-il
mais pourquoi, le régime consolidé a-t-il tout risqué dans une aventure dont il sent les dangers : il a dénoncé lui-même les faiblesses de son armée.
Aurait-il songé seulement à obtenir, en faisant reculer le roi de Prusse, un succès diplomatique ?