En même temps, il est possible de se mettre à la place de Louis-Napoléon : si c'est passé en Crimée, en Italie, et au Mexique, pourquoi cela ne passerait-il pas en Prusse ?
Pour le Mexique, la campagne d'invasion a été un succès et l'armée impériale est victorieuse en rase campagne. C'est la guérilla juariste qu'elle n'arrive pas à réduire, et qui maintient les hostilités le temps que les conditions géopolitiques changent. Mais avec les Prussiens, il n'y aura pas de guérilla, nous sommes entre gens civilisés !
(Du reste, je ne sais pas si les Français, comme les Prussiens, avaient donné des ordres stricts de passer par les armes tout civil ennemi surpris les armes à la main)
Napoléon III n'est pas un militaire, et ne s'en cache pas ; après ses études à l'École militaire centrale fédérale de Thoune, il n'a pas servi dans une armée. Il est normal qu'il s'appuie sur ses généraux. Avec l'expérience trompeuse de ses victoires passées, notamment de l'Italie, où la victoire a été obtenue par des batailles de rencontres peu ou pas préparées, il ne doit pas avoir les moyens d'évaluer le niveau de préparation de son armée.
Pour ce qui est de sa stratégie internationale, elle ne paraît pas sotte sur l'ensemble de son règne, sauf à la fin :
- Faire la paix avec l'Angleterre
- Affaiblir la Russie - ennemi continental de la France napoléonienne - en renforçant son vieil ennemi, l'empire ottoman
- Affaiblir l'Autriche - autre ennemi continental - en lui créant un adversaire au sud, le royaume italien
- Profiter du désordre en Amérique du nord pour tenter de s'y créer un État allié qui concurrencerait les USA - parlait-on déjà des "États-Unis du Mexique", véritable nom du pays ? Cela permettrait également de maintenir l'influence française dans l'Atlantique
- Étendre l'empire colonial français, sans concurrencer les autres puissances européennes, en Cochinchine, en Syrie, à Madagascar.
Sa seule véritable erreur est de ne pas savoir traiter la Prusse, et d'accepter que celle-ci lance l'unification allemande, et notamment en annexant les états catholiques du sud. Il aurait pourtant pu jouer deux cartes :
- La plus évidente : soutenir l'Autriche en 1866. Plus qu'avec la guerre de 1870, c'est là où tout s'est joué.
- La plus visionnaire : soutenir, au nom du principe des nationalités, les droits des minorités en territoire allemand (tchèque, polonaises), afin de compliquer l'opération prussienne, susciter des révoltes, créer des alliés, bref, créer la situation de 1918.
Je suis persuadé qu'à l'exception de l'Alsace-Moselle, tout était déjà joué avant la guerre de 1870, de sorte qu'à moins d'une victoire écrasante de la France, l'unification allemande était inéluctable, ainsi que le déséquilibre géopolitique qui allait mener aux deux guerres mondiales.