Squalll a écrit :
Mais précisément, le régime n'avait-il pas plus à craindre de ces minorités agissantes et bruyantes par rapport à l'opinion de l'ensemble de la population française plus attentiste ? Dans un pays où le pouvoir politique se trouve très centralisé on accorde fatalement une attention toute particulière aux soubresauts de la capitale, surtout quand deux gouvernements sont tombés de manière récente, sous fond de contestation sociale (qui au vu de la Commune n'était pas une affaire réglée dans l'empire) et des événements politiques qui nous apparaissent comme des épiphénomènes avec le recul.
Non. Il est historiquement très clair qu'après sa grande victoire du 8 mai, l'Empire est plus solidement implanté que jamais. Fort de ce succès plébiscitaire clairement reconnu par tous les acteurs et notamment par l'opposition républicaine, il n'y a aucune menace intérieure qui soit de nature à le déstabiliser à brève échéance.
Ce qui n'est pas antithétique avec une attention particulière portée aux évènements parisiens. Paris est la caisse de résonance du pays. Et j'ai bien souligné que par sa nature plébiscitaire le régime est très attentif aux fluctuations de ce qu'il identifie comme l'opinion publique. Mais le régime venait de réaliser une démonstration de force éclatante, vue comme telle par tous les commentateurs de quelque bord qu'ils soient. Il a eu un test grandeur nature de sa légitimité au printemps, et n'a aucune raison de penser qu'il est minoritaire donc menacé, au contraire.
Squalll a écrit :
Une chose est sûre, c'est bien Gramont qui lance l'escalade avec la question des garanties que la Prusse doit fournir à la France.
Gramont, qui appartient à l'aile ultra du régime. Quel intérêt a-t-il à lancer cette escalade alors que la paix est acquise après le retrait de la candidature Hohenzollern ?
Mon analyse est que les ultras veulent profiter d'une bonne guerre pour fermer la parenthèse libérale. Parce que je ne vois pas d'autre explication, si ce n'est la bêtise mais elle ne cadre pas avec la suite des évènements qui montrent une cohérence des actions des ultras qui poussent à la guerre.
Squalll a écrit :
Je me demande si dans le fond les événements qui suivent n'échappent pas en partie aux différents acteurs. En ayant souffler sur les braises, Gramont rend toute forme de recul diplomatique impossible.
Justement, cela cadre parfaitement avec l'hypothèse d'une guerre extérieure voulue. Gramont ferme les options et oblige l'Empereur à la guerre, surtout si on l'assure que l'opinion publique la souhaite ardemment.
Squalll a écrit :
On avait été rassuré à Paris quand la candidature de Léopold avait été retirée et Napoléon III avait pensé la paix acquise. Sans Ems, y aurait-il eu la guerre pour autant ou se serait-on contenté d'un refus diplomatique de la Prusse de fournir la moindre garantie ? Est-ce que Gramont voulait la guerre ou espérait-il une victoire diplomatique pour venger Sadowa ?
Ems est une manœuvre assez grossière qui aurait été facilement contenue si le gouvernement impérial avait voulu la paix. Gramont ne veut pas la paix, comme son discours du 6 juillet, à la tonalité très belliqueuse, le souligne assez. Ems est donc le casus belli rêvé pour la fraction ultra. Parce qu'elle veut la guerre.
Pour quelle raison, en outre, la diplomatie française voudrait-elle "venger Sadowa" ? Elle se moque bien de venger l'Autriche, elle s'inquiète bien plus de l'équilibre des pouvoirs européens et craint une Prusse devenue hégémonique dans l'espace allemand. Certains ont sans doute pu penser qu'il était temps de mettre fin à son ascension maintenant, plutôt que d'être dans l'incapacité de le faire plus tard (à l'instar du Reich wilhelmien en 1914, certains nationalistes allemands préconisant une bonne guerre immédiate, alors que l'armée allemande domine la scène militaire continentale, plutôt qu'une guerre incertaine demain, avec des ennemis plus puissants). Mais venger Sadowa ne présente absolument aucun intérêt à Paris, au plus est-ce un refrain que l'on peut entendre à Vienne (et encore, l'alignement de la double monarchie austro-hongroise sur le Reich allemand à partir des années 1870-1880 montre bien que c'est à relativiser).
Squalll a écrit :
Dans tous les cas, j'ai le sentiment qu'une fois la surenchère diplomatique lancée, il devient impossible de faire marche arrière sinon ce serait porter un profond discrédit au régime impérial.
Analyse que je ne partage pas. Un recul aurait rendu les ultras furieux, certes, mais l'opinion publique s'en serait largement contentée, sauf la frange la plus nationaliste qui reste minoritaire. Et surtout, les ultras n'ont aucune raison de mettre en péril le régime, tout au plus auraient-ils voulu "débrancher" l'Empereur et le remplacer par son fils ou l'impératrice (c'est d'ailleurs très exactement ce qui se passe lorsque l'Empereur rejoint l'armée !). Le régime est plus solide en juillet 1870 qu'il ne l'a jamais été depuis 1860. Il s'en serait remis, facilement. Au contraire, l'alerte aurait pu être un bon prétexte pour reprendre la loi militaire où elle avait été abandonnée en 1868-1869 et réarmer.
Je pense qu'on assiste à une double manœuvre : 1) créer à l'extérieur un casus belli qui explicite la posture agressive du gouvernement impérial et justifie auprès de l'opinion publique une guerre nécessaire ; 2) forcer la main de l'Empereur, qui n'est pas un ultra mais dont on a besoin de la sanction pour entrer en guerre, en soulignant que l'opinion publique veut la guerre, et en utilisant tous les artifices de manipulation de la communication possibles (via les journaux et les retours des préfets, par nature favorables au régime et dont une bonne partie répond à Forcade la Roquette, un des ultras qui était ministre de l'Intérieur quelques mois auparavant seulement).
Pour ce faire, forcer la Prusse à la fermeté tout en supprimant ses propres options, puis montrer à l'Empereur que c'est le souhait unanime des Français (que ce soit le cas ou pas importe finalement peu, tant que l'Empereur le croit). Rassuré sur l'état de l'opinion publique et le soutien des Français à la guerre, rassuré par les militaires* sur l'état de préparation de l'armée, l'Empereur décide la guerre.
C'est exactement ce qui se passe.
* Il serait intéressant de savoir à quelle frange du bonapartisme répond, par exemple, le maréchal Leboeuf. Et les principaux conseillers militaires consultés par l'Empereur avant qu'il ne décide la guerre. Sont-ce des ultras ?
LCL EMB