Voici ce que nous dit exactement la fameuse Saga d'Eirikr le Rouge.
Leif, le fils d'Eirik le Rouge doit se rendre au Groenland pour essayer de le christianiser. On nous dit qu'il n'arrive, visiblement pas là où il le souhaitait:
"
Leifr prit la mer, y resta longtemps et trouva des terres auxquelles il ne s'attendait pas du tout. Il y avait là des champs de froment qui s'étaient ensemencés d'eux-mêmes et des plants de vigne. Il y avait là des arbres qui s'appelent mösurr: ils emportèrent de tout cela des échantillons, dont certains morceaux de bois si grands que l'on s'en servit pour faire des maisons. Leifr trouva des hommes sur une épave et les transporta chez lui."
D'autres péripéties interviennent, un des proches d'Eirik le Rouge tente une expédition vers les terres trouvées par Leif, et échoue, repoussé vers l'Islande puis l'Irlande. Pendant l'hiver suivant, après de multiples soucis, on se remet le Vinland en tête (à noter que la terre en question n'est pas nommée dans la première expédition).
C'est une grosse expédition qui se met en place ce printemps-là:
"En tout, ils étaient cent soixante hommes quand ils cinglèrent pour les territoires de l'Ouest et de là, pour Bjarney."Aussi bien les territoires de l'Ouest que l'île de Bjarney sont mystérieux et sujets à bien des discussions. On identifie souvent Bjarney à l'île Disko, au nord-ouest du Groenland.
"De là, ils naviguèrent deux jours et deux nuits vers le sud. Alors, il virent une terre, lancèrent une barque pour explorer le pays, y trouvèrent de grandes dalles de pierre dont beaucoup avaient douze aunes de large. Il y avait là quantité de renards blancs. Ils donnèrent un nom à cet endroit et l'appelèrent Helluland."Helluland signifie terre des pierres plates et elle est souvent identifiée à la Terre de Baffin. A noter qu'on ne signale aucune vie humaine ici. D'ailleurs ils repartent immédiatement en exploration vers le sud.
"De là, ils naviguèrent deux jours et deux nuits et mirent le cap vers le sud-sud-est et découvrirent un pays couvert de forêts avec beaucoup de bêtes dedans. Il y avait là une île au sud-est. Là ils tuèrent un ours et appelèrent ensuite cet endroit Bjarney, et ce pays, Markland."Markland signifie le pays des forêts, que beaucoup identifient au Labrador. L'île de Bjarney numéro 2 serait alors Terre-Neuve, avec toutes les imprécisions que cette localisation comprend, car on ne nous signale pas la taille de l'île. Il peut tout à fait ne s'agir que d'une des centaines de petites îles qui jalonnent la région.
Bref, ensuite ils longent les côtes vers le sud "
pendant un long moment", passe un cap et découvrent une terre bordée de "
longs rivages avec des bancs de sable". On nous signale leur débarquement et la découverte sur le rivage du cap d'une quille de bateau.
"[Ils] appelèrent l'endroit Kjalarnes" (Cap de la Quille). Les rivages eux sont nommés "
Furdustrandir". S'ensuit un épisode folklorique où des gens débarqués à terre pour explorer reviennent avec une grappe de raisin et un épi de froment.
C'est ensuite que cela devient vraiment intéressant, car on arrive dans la partie colonisation proprement dite:
"Ils s'engagèrent dans un fjord. Il y avait une île à l'extérieur; autour de cette île passaient de forts courants. Aussi l'appelèrent-ils Straumey. Il y avait tant d'eiders dans cette île qu'on pouvait à peine y marcher à cause des oeufs. Ils appelèrent cet endroit Straumfjördr. Là, ils sortirent la cargaison de leurs bateaux et campèrent. Ils avaient emporté toutes sortes de bestiaux. Le pays était beau. Ils n'eurent d'autre souci que de l'explorer. Ils passèrent là l'hiver, n'ayant pas fait de provisions pendant l'été."S'ensuit un rituel un peu magique exécuté par Thorhallr le Pêcheur, qui fait venir une baleine sur le rivage, d'un type inconnu des Islandais. Le Pêcheur se vante de son rituel paien, on rejette la baleine à l'eau, etc... bref. On repart. Pour l'instant, aucun indigène n'a été rencontré, mais on aurait déjà un site d'hivernage important.
Une partie continue son trajet et découvre de nouvelles terres qui ont toutes en commun la vigne et le froment. Ils s'installent alors dans un lieu qu'ils nomment Hop. Ils campent.
"Ils passèrent un demi-mois là à s'amuser, sans avoir vent de personne. Ils avaient du bétail avec eux. Un matin de bonne heure, alors qu'ils regardaient alentour, ils virent une grande multitude de kayaks, on agitait des bouts de bois sur ces bateaux, des bouts de bois qui ressemblaient à des fléaux, et on les agitait dans le sens de la marche du soleil. Alors Karlsefni dit: "Qu'est-ce que cela signifie?" Snorri fils de Thorbrandr lui répondit: "Il se peut que ce soit un signe de paix, prenons un bouclier blanc et arborons-le en échange." C'est ce qu'ils firent. Alors, les autres ramèrent à leur rencontre et montèrent à terre. C'étaient des hommes noirs et hideux qui avaient de vilaines chevelures. Ils avaient de grands yeux et des pomùettes larges. Ils restèrent là un moment, s'émerveillant des gens qu'ils avaient devant eux, puis s'en allèrent et doublèrent le cap à la rame."Les Islandais hivernent au même endroit sans revoir personne.
"Mais quand vint le printemps, ils virent un matin de bonne heure, une quantité de kayaks venant du sud doubler le cap, il y en avait tant que l'on aurait cru la baie parsemée de morceaux de charbon." Les mêmes signaux sont échangés et les indigènes débarquent:
"Ils se mirent à faire du troc entre eux, ces gens voulant surtout avoir de l'étoffe rouge. Ils avaient à donner en échange des peaux et de la fourrure toute grise. Ils voulaient aussi acheter des épées et des lances, mais Karlsefni et Snorri l'interdirent. Pour une peau toute fraîche, les Skraelingar prenaient un empan de tissu rouge qu'ils se mettaient autour de la tête. Ces tractations durèrent un moment. Alors, l'étoffe commença à manquer chez Karlsefni et ses gens, ils la coupèrent alors en si petits morceaux qu'elle ne dépassait pas un travers de doigt et pourtant, les Skraelingar en donnaient autant qu'avant sinon davantage.
Il se trouva qu'un taureau qui appartenait à Karlsefni et aux siens sortit de la forêt en courant et en mugissant fort. Les Skraelingar en eurent peur, ils coururent à leurs kayaks et ramèrent ensuite vers le sud. On ne les aperçut plus de trois semaines d'affilée. Mais ce temps étant écoulé, ils virent venir du sud une grande quantité de bateaux de Skraelingar, comme s'il s'agissait d'un fleuve. Tous les bouts de bois étaient alors agités dans le sens inverse de la marche du soleil et ils hurlaient tous. Alors Karlsefni et ses hommes portèrent leurs boucliers du côté rouge et marchèrent ainsi contre eux. Les Skraelingar sautèrent de leurs bateaux, puis ils s'affrontèrent et se battirent. Il y eut rude bordée de projectiles, car les Skraelingar avaient des frondes."S'ensuit une longue bataille que je ne recopie pas ici, que les indigènes remportent en mettant en déroute les Islandais avec des armes effrayantes. Une femme a un comportement héroïque et met en déroute les Indiens en se frappant les seins avec le plat d'une épée. Officiellement, les Islandais ont donc mis en déroute les Indiens par un quasi-miracle et ne relèvent que deux morts de leur côté. Mais il s'agit d'un récit islandais...
D'ailleurs, victorieux réellement ou non, ils estiment "
que, quoique les terres fussent bonnes, la crainte et les hostilités menaceraient constamment ceux qui habitaient là." Et ils repartent vers le Groenland, non sans prélever quelques indiens au Markland et être attaqué par un "Unipède"
Voilà pour le premier texte... Pour le reste, l'archéologie pourrait nous en apprendre beaucoup, si seulement les territoires à fouiller n'étaient pas gigantesques et inexploitables plus de la moitié de l'année...