C'est une vérité indiscutable : la naissance de la nation métisse est intimement - sinon exclusivement - liée à la course dans les bois.
Mais pourquoi une souche française, et non anglaise par exemple ?

La chute de la Huronie donne le signal de départ aux coureurs des bois qui pénétreront le territoire vers l'ouest et le sud. A la tombée du régime français, la France aura égrené ici et là une série de forteresses qui décrivent un demi-cercle, allant de Québec à la Nouvelle-Orléans, dont le rôle était en principe d'assurer la souveraineté de la métropole sur un territoire immense, mais non occupé par ses sujets, et de confiner les anglais des colonies à l'est des Appalaches.

De leur côté, les anglais des colonies n'ont pas pénétré le continent au-delà des Appalaches. Il a fallu la défaite française, puis l'acquisition de la Louisiane avant que cela ne se fasse. En fait, contrairement aux français, les anglais qui s'adonnaient au commerce des fourrures n'avaient pas perdu leurs intermédiaires iroquois ; c'était d'ailleurs ceux-ci qui avaient éliminés les hurons et avaient forcé les français à se lancer dans les bois. Ceci revient à dire que la course dans les bois n'a jamais été une nécessité dans les colonies britanniques.
Deuxièmement, à la différence de la Nouvelle-France où les immigrants arrivent en série et au compte-goutte, les colonies anglaises accueillent des communautés entières qui furent arrachées de leurs terres par le mouton au début du XVIIe siècle (c'est l'époque des enclosures) ou encore des dissidents religieux qui fuient la persécution. Pendant que les célibataires français seront tentés d'aller s'enrichir en courant les bois, les arrivants britanniques fondent des communautés, les familles s'installent à demeure et cultivent le sol.
Troisièmement, l'économie des colonies britanniques est tournée vers l'Atlantique et rivée à l'exploitation agricole et forestière du territoire. Cela n'exige aucun contact avec les Indiens.

De plus, si le commerce des fourrures favorise les rapports amicaux avec les tribus alliés qui fournissent la matière première, l'agriculture sera à la base de nombreux conflits guerriers.
Lorsque Champlain arrive à Québec en 1608, la vallée du Saint-Laurent a été désertée par les Stadaconnéens qui l'habitaient lors du passage de Cartier. Epidémies ? Guerres ? On ne sait trop. Les français s'installent donc sans trop déranger. Mais lorsque les Puritains débarquent en Nouvelle-Angleterre, la place est déjà occupée. C'est le début d'une longue tradition d'élimination qui se poursuivra jusqu'au XIXe siècle. On gagne le territoire à coups de fusil. On le soumet à l'agriculture et à l'exploitation forestière, ce que n'ont pas vraiment fait les français - ou très peu.
Les français, en peuplant peu, en cultivant tout aussi peu et en traitant beaucoup, s'approprient le territoire d'une manière qui se fond à celle des indigènes.
Au fur et à mesure que les anglais puis les américains fonceront vers l'ouest, ils refouleront le indiens vers le Pacifique ; les français, en revanche, les infiltreront.

En 1805, l'explorateur Zebulon Pike, qui part à la recherche des sources du Mississippi, croise sur son chemin des indiens qui lui disent "bonjour" et qui portent des surnoms français. Dès 1804, tout au long de leur trajet, Lewis et Clark rencontreront des trappeurs français chez les Pawnee, les Arikara, les Sioux. Jusqu'en 1840, la langue de traite demeure le français à l'ouest du Mississippi.
Ainsi, le métissage est présent partout. La manière de vivre des français les a forcés d'avoir avec les indiennes des liaisons passagères (la liberté sexuelle des indiennes qui attire plus d'un coureur des bois et dérange plus d'un missionnaire, y est sans doute pour beaucoup). Ces français là, les nouveaux américains les nommèrent d'abord white indians, puis squaw men.
Au gré de leurs séjours chez les chasseurs aborigènes, ils laissèrent une descendance de laquelle allait notamment émerger la nation métisse du Canada.

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"On est bien fort quand on a le nombre, invincible quand on a la ruse".
Euripide

Tout ce que vous dites est très intéressant et très vrai, Alpha.
Cependant, à côté des éléments que vous relevez et qui touchent au commerce de fourrures, aux coureurs des bois et à l'occupation spatiale, il y a une volonté bien réelle des autorités françaises de métisser les Français et les Indiens, et l'on voit même Louis XIV sortir un édit dans lequel il autorise le mariage entre Français et "naturels" à condition que ceux-ci fussent chrétiens. Du côté anglais, il y a une sainte horreur du "mélange des races" et les journaux des Treize colonies se déchaînaient régulièrement contre ces Français démoniaques qui se mélangeaient avec les Indiens. Le baron de Saint-Castin, par exemple, marié à une Indienne, était la cible régulière des pamphlets.