Je ne pense pas m'avancer en disant que les Anglais étaient venus conquérir de nouvelles terres où les Indiens n'avaient pas leur place alors que les Français étaient venus faire souche pour faire du commerce en étendant leur royaume, hommes et territoires compris. De là les deux logiques parallèles et inverses : le refoulement d'une part et l'intégration de l'autre.
Peu nombreux, les Français ont cherché l'alliance avec les autochtones qui seuls pouvaient assurer leur survie lorsque la nature était hostile, assurer leur sécurité face aux Anglais et les pourvoir en fourrures pour le commerce.
De fait, les Indiens avaient rang d'alliés avec tous les égards et les précautions diplomatiques que ce statut pouvait inclure. La survie même de la Nouvelle-France, devant des ennemis non seulement plus nombreux mais ayant la supériorité maritime, prouve que ces objectifs ont été globalement suivis, avec bien sûr plus ou moins de difficultés.
De l'excellent Histoire de l'Amérique française de Gilles Havard et Cécile Vidal, Flammarion, 2003, (il y a notamment deux longs chapitres denses et développés sur la question), on peut citer :
"Ce vivre-ensemble" ou cette "liaison étroite" forment l'un des arcs-boutants de l'Amérique française, comme le concèdent aussi, ce qui est encore plus révélateur, de nombreux observateurs britanniques : James Adair, auteur de The history of the Americans Indians (1775), loue le savoir-faire des Français de Louisiane qui, "bien mieux que les Anglais", surent conserver les autochtones dans "la plus solide amitié".Thomas Mante de son côté, dans son ouvrage intitulé History of the Late War in North America (1772), recommande à ses citoyens anglo-américains d'"imiter la façon dont les Français traitent les indiens". Il remarque qu'à la différence des Britanniques, les Français ont encouragé l'intermariage, et que leurs liens avec les autochtones leur ont permis "une profonde connaissance de tous leurs plus secrets desseins" mais aussi octroyé le "gain de leur affection", "de sorte qu'aujourd'hui encore les sauvages disent qu'eux et les Français ne forment qu'un seul peuple"."
Et, plus loin, est cité Edmond Atkin, surintendant des affaires indiennes dans les colonies britanniques de sud, qui écrit dans les années 1750 :
"On suppose habituellement que c'est grâce à leurs forts que les Français ont acquis leur influence sur les nations indiennes et qu'ils ont maintenu leur puissance parmi elles ; […] il est pourtant absurde d'imaginer que les Français ou nous-même pouvons maintenir un intérêt et une influence, en particulier chez les Indiens de l'intérieur, seulement par la possession de forts, sans posséder en même temps leur affection."
Ce terme d'affection entre Français et Indiens apparaît souvent dans les propos tirés du livre. Comparativement :
"Les Britanniques ont, en effet, toujours refusé "l'Autre", c'est-à-dire l'Indien. Persuadés qu'ils avaient en face d'eux des Sauvages imperméables à ce qui, à leurs yeux, représentait la civilisation, ils ont élevé une barrière, que les historiens américains ont appelée frontière depuis Frédéric Jackson Turner. Ce terme a un sens très différent de celui que lui donnent les Européens : il recouvre la zone de contact entre le front pionnier et le no man's land, la terre inconnue située plus à l'ouest, celle où se trouvent précisément les Indiens. A elle seule, la notion de frontière caractérise une attitude de la part du groupe dominant, en l'occurrence les Britanniques, à l'égard du reste de la population, et reflète leur intérêt dominant : la soif de terres."
("Les Indiens d'Amérique du Nord". Claude Fohlen, Que sais-je ? PUF, Paris)
G.Havard affirme cependant "qu'on ne saurait évidemment caricaturer les modèles coloniaux" et cite comme "exemples probants" que les Anglais n'ont pas toujours eu de relations conflictuelles avec les Indiens : l'alliance entre Quakers et Delaware en Pennsylvanie, celle des commerçants de la Hudson's Bay Company avec les Indiens du subarctique, et celle entre la ligue iroquoise et la colonie de la Nouvelle-York.
C'est exact mais Fohlen précise que l'alliance entre Quakers et Delaware n'a tenu que le temps de William Penn et que les Indiens se sont fait flouer après sa disparition. Pour Fohlen, ce type de relations fut exceptionnel et temporaire. Quant à la Hudson's Bay Company, pourrait-on y voir un rapport avec le fait que cette compagnie fut fondée par deux Français ?
Cette soif de terres n'était pas ou bien moins ressentie chez les Français, dont la colonisation reposait sur deux éléments fondamentaux : la faiblesse du peuplement et le commerce des fourrures, qui implique le maintien de la traditionnelle activité de la chasse. Aucun traité territorial n'a jamais été signé entre Français et Indiens, à la différence des Anglais et Hollandais.
Ainsi, dans un discours adressé à ses "frères" de ligue en 1754, un Iroquois dit, cité par G.Havard :
"Ignorez-vous, nos frères, quelle différence il y a entre notre père [Onontio, soit le gouverneur de la Nouvelle-France] et l'Anglais ? Allez voir les forts que notre père a établis et vous y verrez que la terre sous ses murs est encore en terres de chasse, ne s'étant placé dans celles que nous fréquentons que pour nous y faciliter nos besoins ; lorsque l'Anglais au contraire n'est pas plutôt en possession d'une terre que le gibier est forcé de déserter, les bois tombent devant eux, la terre se découvre."
L'ambition de ne plus former qu'un seul peuple apparaît du côté français. Mais pour être bon sujet du roi de France il faut être catholique, d'où la volonté de conversion des Indiens. Convertir c'était intégrer, devenir sujet du roi de France à part entière. Il semble bien que cette conversion une fois acquise, l'Indien était considéré légalement comme un "naturel français", disposant des mêmes droits que tout un chacun, mais je ne jurerais pas que cette position a été respectée toujours et partout.
Logiquement, la volonté de conversion de la part des Anglais a été bien moindre puisqu'ils ne visaient pas une quelconque intégration.
Pour autant le tableau ne fût pas non plus idyllique côté français, va apparaître ainsi au cours du XVIIIe siècle un discours où la couleur de peau est prise en compte ainsi que la crainte d'une mésalliance raciale pour les mariages mixtes. Et puis d'un côté comme de l'autre les comportements n'étaient pas stéréotypés.
Les Français ont bien cherché à assujettir les Indiens. Assujettir = devenir sujet.
En ce qui concerne les quelques guerres contre des tribus indiennes, il semble que le seul tort avéré côté Français soit celui avec les Natchez. Pour les autres, les Français furent entraînés dans des conflits par le jeu des alliances, comme pour le cas des Renards ou des Iroquois.
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