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Message Publié : 09 Déc 2010 4:00 
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Hérodote
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Bonjour,

Touchant la commission donnée par Grammont à Laurens De Graffe, j'ai le Sloane MSS 2724 en microfilm, et en voici le texte (avec les corrections orthographiques d'usage) :

"Le sieur de Granmont, commandant pour le Roi les troupes flibustières de la côte de St-Domingue, sous l'autorité de monsieur de Pouancai, gouverneur pour le Roi en la côte de St-Domingue.

Il est permis au sieur capitaine Laurens de Graffe, capitaine d'une barque longue, de faire la guerre par mer et par terre sur les Espagnols, et lui permettons de prendre tous les bâtiments sans aveu suivant les ordres militaires de la guerre. Prions et supplions généraux et lieutenants-généraux, chefs d'escadre, gouverneurs et capitaines d'assister ledit capitaine Grafe.
"

Pour avoir étudié à fonds la question, je peux affirmer qu'il était chose courante pour un flibustier porteur d'une commission officielle du gouverneur de donner des "commissions" ou plutôt des "congés" pour aller en course à d'autres capitaines. Ici, comme Grammont le mentionne lui-même, il avait une commission du gouverneur pour commander en chef les flibustiers. Malheureusement le texte de cette commission n'a pas survécu. Cependant, dans des circonstances similaires, Henry Morgan, commandant en chef des forces navales de la Jamaïque en 1670, reçut du gouverneur Modyford, avec sa commission le nommant à ce titre, une série d'instructions, dont celle-ci : «If any ship or ships shall be present which have not any commissions, you are hereby empowered to grant commissions to them according to the form I have used», phrase qui parle d'elle-même.

Donc, en sa qualité de commandant en chef des flibustiers d'une colonie, un capitaine pouvait émettre ses propres commissions, et il pouvait aussi les révoquer. Selon moi, la raison est assez simple. C'est un moyen pour le chef de conserver un ascendant sur les capitaines de sa flotte qui sont obligés de le suivre car c'est lui qui porte la véritable commission. Pour preuve, si l'on veut de ce qui précède, je note ce que Grammont écrit lui-même à la sortie du lac de Maracaïbo en 1678 : « Et ayant caréné tous nos bâtiments, j'ai donné les ordres et les signaux à chaque capitaine de la flotte, de qui j'ai révoqué les commissions jusqu'à la Côte [de Saint-Domingue]»

Je note également plusieurs exemples où des capitaines délèguent littéralement les pouvoirs qui leur sont conférés par les commissions qu'ils portent à des subordonnés, soit pour commander une prise, ou des canots de guerre pour aller chercher des vivres ou faires des prisonniers. C'est par exemple, le cas en 1673 dans la baie de Campêche pour le capitaine anglais Georges Reeves, porteur d'une commission française, qui délègue ses pouvoirs à un surbordonné pour commander une petite barque. Aussi, en 1681, le capitaine Archambaud produit un écrit semblable pour ses officiers qui commandent les canots de guerre de son navire, et qui partent à la recherche de vivres à la côte de Carthagène.

Je rappelle que ces documents étaient très précieux et c'est ce qui distinguait un pirate d'un corsaire, et pouvait éviter bien des ennuis en cas de capture par l'ennemi ou encore par un allié ou un neutre peu scrupuleux.

Bref, le XVIIe siècle est peut-être aussi légaliste qu'aujourd'hui, et même alors, il y avait quantité de commissions, des permis, des licences, des autorisations sur papier, pour exercer telle ou telle activité, et à défaut de les posséder, vous êtiez hors-la-loi.


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Message Publié : 09 Déc 2010 10:02 
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Thucydide
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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Intéressant. Mais on voit bien que si les "généraux" ou "généralissimes" flibustiers avaient une certaine latitude pour distribuer des commissions, ce n'était que sous l'égide des gouverneurs. Ici, de Poincy (célèbre gouverneur des Ante-iles françaises - et chevalier de St Jean, me semble-t-il, ordre auquel les Antilles ont appartenu un temps, au 17e). Même chose pour Morgan, qui avait lancé une lucrative "association" avec Modyford, alors gouverneur de la Jamaïque.

Ces commissions étaient bien entendu cruciales (même si on ne peut pas parler de corsaires, trop tôt). En 1684, des éditeurs anglais traduisent l'Histoire des Flibustiers, écrite en hollandais par Oexmelin. C'était un chirurgien qui avait accompagné Morgan dans ses expéditions, notamment la plus célèbre, sur Panama. Il l'accuse d'avoir d'ailleurs détourné une partie du butin de ce pillage et relate de longues scènes de torture. Mais ce n'est pas pour cela que Morgan attaque le livre en diffamation. Mais pour un passage assez court concernant ses débuts, dans lequel Oexmelin l'accuse d'avoir participé, sous Mansvelt, à des courses non-commissionnées ! C'est dire l'importance des commissions. Morgan a gagné son procès, une première, et reçu 200£ de dommages & intérêts. Morgan a toujours été un légaliste, en matière de lettres de marques - il savait qu'il jouait sa peau et sa réputation (il avait été fait "Sir Henry").

Image
Henry Morgan - portrait paru dans l'édition d'Oexmelin, jamais formellement authentifié.

Maintenant, si les plus grandes expéditions étaient examinées jusqu'en Europe, il paraît évident que, dans le Nouveau monde, entre flibustiers, toutes sortes de commissions circulaient. Vraies, fausses, vierges, falsifiées, volées... et qu'elles s'échangeaient au gré des intérêts divers. Lorsque Mansvelt captura Ste Catherine, au large du Costa Rica (avec un jeune capitaine qui s'illustra par sa témérité, Morgan), il y laissa un homme à lui, St Simon, pour ériger une forteresse. Il voulait faire de cette île une nouvelle île de la Tortue. Mais l'Angleterre n'étant pas en guerre avec l'Espagne, Modyford lui refusa une commission rétroactive. Il s'adressa à St-Domingue, qui refusa aussi. Il pensa alors en demander une en Nouvelle Angleterre mais mourut avant. Finalement, Modyford émit une commission à l'adresse de St Simon mais ce dernier avait déjà restitué l'île aux Espagnols. On comprend bien comment ça fonctionnait... Comme un business, par lobbying, etc.

http://www.jamaica-insula.com


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Message Publié : 09 Déc 2010 23:12 
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Hérodote
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Bonjour,

Il faut faire attention à ce passage d'Exquemelin concernant le capitaine anglais Edward Mansfield (dont le récit varie d'ailleurs d'une édition à l'autre). Or, l'on sait qu'Exquemelin par les dates qu'il donne de son arrivée à la Tortue n'a pas participé à cette expédition et tout ce qu'il raconte n'est (dans ce cas précis, mais aussi dans d'autres) que ouï-dire. D'ailleurs, il n'est aucunement prouvé que Henry Morgan ait participé aux entreprise du Costa Rica et de l'île Santa Catalina en 1666 sous les ordres du vieux flibustier Mansfield. Tout porte plutôt à croire que Morgan, qui était en mer depuis près de deux ans lorsqu'il revint à la Jamaïque en septembre 1665, n'a pas repris de commandement en course avant 1667, où soudainement, à la fin de l'année, il apparaît comme l'un des commandants en chef de la flotte corsaire jamaïquaine. C'est durant cette période «de repos» qu'il aurait épousé l'une des filles de son lointain cousin, le défunt colonel Edward Morgan, ce qui contribue sans doute à son ascension sociale dans la colonie.

Je rappelle aussi ici qu'en mars 1666, durant l'absence de Mansfield qui était à exécuter l'expédition mentionnée, passe une résolution qui autorise les armements en course contre les Espagnols par droit de représailles. Donc, l'on voit mal comment Mansfield aurait pu être reçu de la manière décrite dans le livre d'Exquemelin à son retour à Port Royal alors qu'il offre au gouverneur de la Jamaïque la reconquête de l'île Santa Catalina, autrefois Providence Island, et colonie anglaise. En fait, ce que Modyford peut reprocher à Mansfield s'est d'avoir failli à sa promesse de conduire une partie des flibustiers jamaïquains contre les colonies néerlandaise (car il y avait alors guerre entre l'Angleterre et les Pays-Bas) De plus, Mansfield était justifié d'agir comme il l'avait fait pour les mêmes raisons que celles énoncées par le Conseil de la Jamaïque pour autoriser à nouveau les armements contre les Espagnols. D'ailleurs, aussitôt, Modyford s'empresse d'aller assurer cette conquête en y envoyant trois de ses officiers, dont Sir Thomas Whetstone, ancien officier de marine et corsaire. Ce sont ces Jamaïquains qui perdront l'île aux mains des Espagnols quelques mois plus tard, et Whetstone finira ses jours dans un donjon à Panama.

Quant à Mansfield, il a été capturé par les Espagnols après être retourné en course sous une commission de Modyford, et ce en 1667. Le commandant de l'Armada de Barlovento, qui sera défaite à l'entrée du lac de Maracaïbo en 1669 par Morgan et ses capitaines, le sortira temporairement de la prison de la Havane où il croupissait pour lui servir de pilote, et ça c'est Morgan lui-même qui le mentionne dans son rapport de la prise de Maracaïbo présenté au gouverneur Modyford. Par la suite, Mansfield fut ramené à la Havane où il se trouvait apparemment encore en 1672, année où la reine-régente d'Espagne envoya un ordre au gouverneur Franciso Rodríguez de Ledesma pour qu'il procède à l'exécution immédiate de ce pirate.

Quant à «la latitude», que j'appelle plutôt «pouvoir de délégation», c'est une chose qui est consacrée par la coutume dans tous les gouvernements du monde, et ce à toutes les époques. Il est bien évident que les amiraux ou «capitaines généraux» flibustiers tiennent leur autorité des gouverneurs des colonies européennes en Amérique, et que c'était une grosse «business» pour les colonies naissantes dans les Antilles, mais selon le contexte et les moeurs de cette époque, cette activité était justifiable et aussi justifiée.


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Message Publié : 10 Déc 2010 9:59 
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Thucydide
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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Intéressant, merci. Des sources pour Mansfield ? Ca m'intéresse. Je suis étonné qu'Oexmelin ait été si mal renseigné sur un personnage de cette importance. Quant à Morgan, même si son oncle ou son mariage ont sans aucun doute compté, je le vois mal devenir "head of the buccaneers" du jour au lendemain, sans avoir fait ses preuves - pas tellement auprès des notables de la Jamaïque, mais bien auprès de ses hommes que l'on sait avoir été indisciplinés etc. Le respect d'une telle engeance ne se gagnait pas sur simple nomination. Deux ans de repos pour Morgan ? Alors qu'il venait d'arriver pour faire fortune ? Peut-être... Ca cadre mal avec le personnage mais après tout, je n'étais pas sur place.

Enfin, rapidement, je suis d'accord avec vos remarques sur Oexmelin. Mais à force de faire des procès à son ouvrage, n'en devient-on pas trop sceptiques ? Après tout, LUI était en Jamaïque à cette époque. Dans le passage en question, sur Mansfield, celui attaqué par Morgan, il ne prétend pas avoir participé à ces expéditions, il rapporte des faits et la différence est sensible dans le style (1er édition anglaise, 2de édition française). Une grosse partie de son oeuvre n'est effectivement pas autobiographique mais l'auteur, qui qu'il soit, ne semble pas en faire un mystère - il raconte ce qu'il a appris, à Port Royal, ou auprès de Morgan. Ensuite, méfions-nous aussi des éditeurs de l'époque qui "retranchaient", "ajoutaient" et "réajustaient les styles" sans vergogne (à vrai dire, personne ne s'en offusquait à l'époque, c'était ainsi, et les éditeurs s'en vantent même souvent dans les préfaces). Cf Montbars.

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Message Publié : 10 Déc 2010 20:36 
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Hérodote
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Inscription : 09 Déc 2010 3:18
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Bonjour,

Touchant Mansfield, l'idéal est de consulter les documents provenant des National Archives of the UK, sous Records of the Colonial Office (PRO CO), ou à défaut les résumés et sommes de la correspondance officielle des gouverneurs britanniques compilée dans le Calendar of State Papers (CSP), Colonial Series, Amercia and West Indies, pour les années 1661-1668. Tous les volumes ont été mis en ligne par la British History Online et sont accessibles à cette adresse : http://www.british-history.ac.uk/catalogue.aspx?gid=123

Les références à Mansfield y sont peu nombreuses, mais ça complète avantageusement le récit d'Exquemelin. Il y a aussi certains documents numérisés sur le Portal de Archivos Españoles (http://pares.mcu.es/) qui se rapporte à son expédition à Cuba, fin 1665.

Quant à Mansfield lui-même, il reste encore entouré de beaucoup de mystère. La plus vieille référence que j'ai de lui se trouve dans le journal d'Edward D'Oyley, alors commandant militaire de la Jamaïque, et remonte à décembre 1660 alors qu'il quitte Cagway (la future Port Royal) pour aller, sans doute en course, avec un congé du même D'Oyley. Il y avait d'autres capitaines plus importants que lui à la même époque, notamment Richard Guy, son associé William James, qui sont actifs à la Jamaïque dès les premières années de la conquête de l'île par les Anglais, ainsi que Maurice Williams, qui sert d'amiral pour l'expédition d'Edward Morgan contre Saint-Eustache en 1665.

Le 17e siècle est une époque où le statut social d'un individu a beaucoup d'importance. Or, n'obtient pas qui veut le commandement d'un navire, corsaire ou marchand, et ce même chez les flibustiers aux Antilles. Les qualités d'habile navigateur ou de marin expert, à elles seules, ne semblent pas suffire. Faut-il rappeler que ces hommes ne vivent pas en vase clos, même s'ils se trouvent éloignés de la métropole par des milliers de kilomètres. Ils ont des parents, de la famille, des partenaires d'affaires dans les ports de la métropole (anglaise, française ou néerlandaise) et même dans les autres colonies de leurs nations ou chez les étrangers0.

Dans l'un de ses articles, l'historienne Nuala Zahedieh a bien établi qu'il y avait un fort taux de roulement des capitaines à la Jamaïque durant la grande époque de la flibuste dans cette colonie, soit les années 1660. Rares sont en effet les capitaines flibustiers qui comptent plusieurs années d'expérience dans cette fonction. La plupart trouve à s'employer ailleurs dès que l'occasion se présente : traite ou contrebande, pêche, pilote pour les marines royales, planteurs, quoique certains reviennent à ce métier durant les temps économiques difficiles ou à l'occasion d'une guerre. Donc, à mon avis, il n'y a rien d'étonnant que Morgan, après une campagne de près de deux ans (où il a réalisé quelque chose d'inédit avec ses associés, soit entrer dans le lac de Nicaragua), décide. à son retour à la Jamaïque, de «s'établir». L'on peut toujours avancer que son associé John Morris, lui, se trouvait avec Mansfield en 1665 et 1666, et ce même s'il avait été plus d'un an en course avant de rentrer à Port Royal. N'oubliez pas que Morgan, en plus d'être lié par alliance à son défunt cousin le colonel Edward Morgan, était aussi fils d'un gentilhomme du pays de Galles. Ses liens de parenté avec les Lloyd et d'autres grandes familles originaires de ce pays auraient avantage à être étudiées, et cela apporterait sans doute des explications sur l'ascension aussi rapide de cet hommes à la Jamaïque. J'ai étudié un peu les origines des membres du Conseil de la Jamaïque qui sont les contemporains de Morgan, et tous appartiennent à de bonnes familles de la «gentry» anglaises, qu'ils soient marchands, militaires ou juristes. Entendons-nous bien, je n'enlève en rien aux qualités de meneur d'hommes de Morgan ni à ses exploits à Puerto Belo et Panama. Force est cependant de constater que des hommes «sans contacts» et «sans alliances» pouvait difficilement s'élever dans le système de classe prévalant à l'époque. Il y avait certes des exceptions, mais ils étaient justement des exceptions. Je crois qu'il faut juger les flibustiers dans le cadre de leur époque, et non pas avec nos concepts et idées modernes.

J'ai par le passé jugé beaucoup sévèrement Exquemelin. Aujourd'hui, je suis moins catégorique. Et ce d'autant plus que tous les documents d'époque que l'on peut consulter doivent être pris avec la plus grande prudence. Je donne quelques exemples. Dans les dépositions, déclarations sous serment ou autres forme de témoignage officiels, il arrivait évidemment que les gens mentent. La même chose peut être dite pour les correspondances des gouverneurs et autres administrateurs et officiers dans les colonies, qui avaient tous quelque irrégularité à se reprocher vis-à-vis de l'État. L'idéal c'est toujours de pouvoir obtenir une confirmation d'un fait par au moins une autre source. De là, la grande utilité des archives espagnoles, si l'on étudie par exemple la flibuste antillaise anglaise ou française.


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Message Publié : 10 Déc 2010 21:24 
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Thucydide
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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Lien très instructif, en effet - merci !

Il paraît en effet évident que Morgan doit énormément à ses réseaux puissants et à ses lucratives associations en haut lieu. Mais cela aurait-il suffi à gérer ceux qu'Oexmelin qualifie de "terribles gens" ? Leur faire traverser l'Isthme de Panama dans de telles conditions sans une once de charisme et de férocité ? Je n'en sais rien, mais je ne le pense pas. Côté appuis, il serait intéressant d'en savoir plus sur son anoblissement, survenu comme une compensation après trois ans d'enfermement à la Tour de Londres. Soudain revirement de fortune - le syndrome Drake ?

Quant à sa longévité dans la flibuste, elle ne s'étale pas sur plusieurs années, en effet... mais sur plusieurs décennies ! Jusqu'au bout, quasiment, il a essayé d'entraîner les aventuriers de Port Royal dans des courses interlopes (ce qui irritait énormément le gouverneur Vaughan). quant à sa carrière de planteur, elle a été soudaine et a surtout permis à Modyford de rassurer la couronne irritée par les doléances espagnoles en disant : plus de problème, tous les flibustiers se sont reconvertis dans... l'agriculture ! :D Ca n'a pas bluffé grand-monde en Angleterre, d'ailleurs.

Enfin, je dois avouer une admiration pour Oexmelin. D'abord parce que je n'ai rien contre le mystère ou la brume, ensuite parce que, dans les grandes lignes, on prend rarement son récit originel en défaut et ensfin parce que c'est un bonheur sans nom à la lecture ! Pour moi, qui ne suis pas historien, un récit irréprochable mais ennuyeux sera toujours moins intéressant qu'un récit approximatif et passionnant. Mais je frôle ici l'hérésie et préfère m'en tenir là... :)

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Message Publié : 10 Déc 2010 22:53 
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Hérodote
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Inscription : 09 Déc 2010 3:18
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Juste pour corriger, Morgan n'est pas demeuré trois ans emprisonné à la Tour. C'est plutôt Modyford. En fait, rien n'indique même qu'il ait été emprisonné à la Tour. Une fois en Angleterre, Morgan se gagne comme appui, outre le roi-lui-même, celui du duc d'Albemarle fils (futur gouverneur de la Jamaïque), celui du comte de Craven et aussi celui du comte de Carlisle. J'ai découvert qu'au début de 1673 Morgan est nommé major d'un régiment levé en Angleterre pour aller combattre les Hollandais (régiment ne verra cependant pas les combats, car la paix sera conclue avant), et qui était le colonel de ce régiment? Je vous le donne en mille... Charles Howard, comte de Carlisle, qui est désigné l'année d'après pour servir comme gouverneur de la Jamaïque, poste qu'il ne prendra toutefois qu'en 1678.

Quant au fait que Morgan ait été fait chevalier par le roi, ça n'a strictement rien à voir avec son exploit de Panama, c'est plutôt parce que le roi le décide de le nommer lieutenant-général et gouverneur adjoint de la Jamaïque. Cela se vérifie pour plusieurs des personnages qui furent gouverneurs de la Jamaïque au XVIIe siècle, quoique de bonne famille, mais sans titre : Thomas Modyford, Thomas Lynch, Hender Molesworth, William Beeston, et je ne parle pas des autres colonies! Le roi ne peut envoyer quelqu'un pour le représenter sans lui conférer quelque distinction s'il n'est déjà baron, comte ou duc (comme Windsor, Carlisle, Inchiquin ou Albermarle) ou «fils de» (Vaughan).

Comme j'ai déjà écrit, cela n'empêche pas que Morgan avait des qualités d'homme de guerre certaines. Sinon comment des hommes comme Craven et Carlisle, tous deux anciens militaires, aient donné à cet homme leur appui.

Pour avoir étudié la correspondance de Morgan ainsi que de celle de Vaughan sous le gouvernement de celui-ci à la Jamaïque, la réalité de la flibuste jamaïquaine dans les années 1675-1678 est beaucoup plus nuancée. En fait Vaughan lui-même était entrepreneur de flibuste et patronnait plusieurs capitaines.

Les flibustiers étaient entrepreneurs de guerre, et contrairement à ce que la lecture d'Exquemelin peut laisser penser : ils n'étaient pas tous égaux entre eux. En fait, il y a beaucoup de monde qui ne sont pas libres de leurs mouvements à bord de ces navires corsaires. Certains sont des prisonniers de guerre (espagnol, hollandais, etc,), voire des esclaves (ou des mulâtres assimilés comme tels), des alliés indiens et d'autres sont des engagés qui suivent leurs maîtres ou que leurs maîtres envoient en course... pour le profit! Voilà tout est question de profit, et dans une société où le métier des armes confèrent un prestige certain, et un métier surtout où l'on ne travaille pas beaucoup, car il faut s'imaginer qu'un navire de 100 tonneaux de cette époque demande à peine une douzaine d'hommes pour être manoeuvrer, alors c'est l'emploi rêvé pour toutes sortes de fainéants, de gens en rupture de banc, d'aventurier à la recherche de gloire, etc. De là, sans doute, l'expression, «gentilhomme de fortune». Cependant, la majorité ont des liens très forts qui les obligent à revenir à leurs ports d'attache : des associés en affaires, des créanciers, des épouses mêmes, des actifs, des biens, etc. Sans parler des capitaines qui ont des comptes à rendre à leurs armateurs dans la colonie, et qui ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent non plus, du moins pour la plupart. J'ai l'exemple d'un capitaine français qui après avoir fait une lucrative expédition sur l'épave d'un riche galion espagnol désire s'en retourner en France comme capitaine de navire marchand, mais le gouverneur, qui est intéressé dans son armement, lui refuse cette autorisation, et contre mauvaise fortune bon coeur, le pauvre doit se résigner à rester dans la colonie comme flibustier et il finira pendu par les Espagnols.

Quant à la férocité, il faut bien avoir en tête que ces gens-là se considèrent comme en guerre perpétuelle avec l"Espagnol, et que lorsqu'ils sont en territoire ennemi, à des lieues de leurs ports d'attache, et dans la crainte d'être pris par l'ennemi, ils ne peuvent que faire autrement que d'être «féroces» dans une certaine mesure. Et si l'on entend par «féroce» le fait qu'ils utilisent la torture à chaque fois pour obtenir des renseignements divers sur leur ennemi ou sur l'endroit où il cache ses richesses, ils ne le sont pas plus que les autres hommes de guerre de leur temps qui faisaient la même chose, mercenaires ou soldats des armées nationales.

J'ai aussi été séduit par Exquemelin il y bien 20 ans maintenant. Depuis j'ai lu bien des documents de cette époque, et je peux vous dire que le récit que certains personnages ont laissé et qui n'ont pas été publiés, car il s'agissait avant tout de correspondance privée ou encore de rapports officiels, donc qui n'étaient pas destinés à être publiés, sont aussi, sinon plus, savoureux que celui d'Exquemelin, qui lui sans doute bien malgré lui) a bénéficié d'une entreprise de réécriture en règle de la part de ses éditeurs.

Et je ne suis pas historien, même si certaines personnes m"on affublé de ce titre: je cherche juste à dépoussiérer le sujet, et à montrer qu'au delà des récits comme celui d'Exquemelin, la vérité et la réalité est toute aussi étonnante, et passionnante.


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Message Publié : 11 Déc 2010 9:16 
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Thucydide
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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Eh bien ! De plus en plus surprenant. Morgan n'aurait pas été enfermé à la Tour ? C'est la première fois que je lis cela - même chez les historiens jamaïcains. Vous semblez avoir de sérieuses raisons d'avancer cela maîs je m'étonne que les apologistes de Morgan (dont Long qui avait accès à tous les papiers officiels) n'aient pas insisté sur ce point. Morgan sous Carlisle, en Angleterre ? Pourrait-il s'agir d'un homonyme ou vos sources sont-elles formelles ? Après tout, sa description après sa mort que l'on doit au célèbre Hans Sloane (passé en Jamaïque sous Albermale fils, d'ailleurs) ne repose que sur ses initiales.

J'ai aussi du mal à croire que l'exploit de Panama qui eut un retentissement international n'ait rien à voir dans l'emprisonnement de Morgan (je ne suis pas encore convaincu :) ) et son anoblissment ! Deux actes politiquement très forts - donc certainement pas innocents. Quant à la réalité des flibustiers, nul n'imagine qu'elle fût lisse. Comme vous le remarquiez vous-mêmes, les rapports officiels eux-mêmes mentent, soit par omission, soit par intérêt. Et Morgan, malgré une défense apparemment médiocre, ne fut pas inquiété par les accusations portées par Vaughan.

Puis-je vous demander à quelle occasion vous avez ainsi creusé cette période historique ?

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Message Publié : 11 Déc 2010 10:14 
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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PS : au temps pour moi, je me suis replongé dans mes bouquins d'histoire jamaïcains et, effectivement, Morgan n'aurait pas été enfermé à la Tour où Modyford lui-même " vivait à ses aises avec tout le confort possible." Pendant ce temps, " Morgan était fêté en héros dans la capitale, passant des nuits agitées avec toute la jeune noblesse londonienne, dont le Duc d'Albermale..." (Black). Le roi Charles, l'ayant fait Sir, assura officiellement " avoir foi en sa loyauté, sa prudence, son courage" et rendit hommage " à sa longue expérience de cette colonie."

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Message Publié : 11 Déc 2010 11:58 
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Thucydide
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Inscription : 02 Mars 2009 15:31
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PS2 : et Cundall ne mentionne pas plus cet enfermement, même s'il signale que Morgan est rapatrié en Angleterre en tant que "prisonnier" mais que ses amis le tirent rapidement de sa "disgrâce". Je finis même plutôt par me demander où j'ai lu cela (pas dans Oexemlin non plus, a priori). ;)

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Message Publié : 11 Déc 2010 14:14 
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Bonjour,

Quant à mon intérêt pour cette période précise, elle provient de ma lecture d'Exquemelin quelque part vers 1991, dans une version tronquée paru chez J'Ai Lu (1984). Comme je suis curieux par nature, j'ai fouillé lentement, je me suis renseigné, et au fil du temps, j'ai fait plusieurs découvertes, etc. Voilà.

Pour la nomination du Morgan comme major dans le régiment de Carlisle en Angleterre, je n'ai trouvé que récemment cette information dans le très bon livre de Stephen Saunders Webb, The English Army and the definition of the Empire, 1569-1681, Volume 1. Cependant, comme je ne contente jamais (ou que très difficilement) d'une source de seconde main, j'ai fouillé et j'ai finalement trouvé une confirmation (si l'on veut). Il s'agit de l'English Army Lists and Commission Registers, 1661-1714, Vol. I. (1661-1685). À la page 135 de cet ouvrage, il y a la liste des officiers des 10 compagnies de ce régiment. En sa qualité de major, Morgan commande le 3e. Il est intéressant de noter que le capitaine de la 9e compagnie est Ralph Fetherstone, qui sera ensuite capitaine-lieutenant de la compagnie d'infanterie (l'une des deux dont le Roi autorise la levée en Angleterre pour servir à la Jamaïque en 1678), dont Morgan est le capitaine en titre (le capitaine de l'autre compagnie étant le gouverneur Carlisle).

Vaughan échoue là où quelques années plus tard Sir Thomas Lynch réussira, car en octobre 1683, celui-ci décapitera littéralement le parti de la flibuste à la Jamaïque («the privateer faction») en suspendant à la fois Morgan et ses beaux-frères Robert Byndloss et Charles Morgan (fils d'Edward) de toutes leurs fonctions dans la colonie, ce qui cette fois sera confirmé par le roi. C'est un juriste, Roger Elletson, qui prend alors la tête de l'opposition. Il est à noter que durant ce conflit entre les deux groupes, celui de Lynch est qualifié de «whig» et celui de Morgan de «tory».

Cette disgrâce de Morgan et de ses alliés est suivie d'un retour à la flibuste pour plusieurs Jamaïquains, notamment Coxon et Sharpe, et de la seconde vague des flibustiers dans la mer du Sud (1684-1685). Il est difficile de ne pas voir là l'oeuvre des vaincus qui ont vraisemblablement poussé ces hommes à causer des ennuis à leur ennemi Lynch. Cette «faction favorable aux flibustiers» (car ceux-ci leur sert d'arme politique) reviendra au pouvoir graduellement suite à la nomination du duc d'Albemarle (le fils) comme gouverneur de la colonie, et elle serait sans doute rentrée en grâce bien avant car le frère du comte de Carlisle, Sir Philip Howard avait été désigné dès 1685 pour être gouverneur de la Jamaïque, mais il meurt l'année suivante avant son départ d'Angleterre.

Toute la situation politique de la Jamaïque dans ces années-là est intimement lié à ce qui se passe en Angleterre, où le roi Charles II doit affronter une vive opposition de la part du Parlement, notamment touchant sa propre succession et toute la question des catholiques anglais. Il y a alors en gros (car je résume beaucoup ici, la situation est beaucoup plus complexe) le «parti de la Cour» ou Tories (qui soutient le roi et son frère et héritier le duc d'York) et le «parti du pays» ou Whigs (dont le leader est l'ancien chancelier Shaftesbury, et qui prône une succession protestante, car le duc d'York est converti au catholicisme). Dans ce contexte, Carlisle est envoyé à la Jamaïque en 1678 avec comme mission d'imposer (par la manière douce, il va s'en dire) la même forme de gouvernement qu'en Irlande. Cette forme de gouvernement enlève virtuellement à l'Assemblée coloniale son pouvoir de légiférer. Désormais, les lois applicables à la Jamaïque seront rédigées en Angleterre par le Comité pour le commerce et les plantations, envoyées dans la colonie pour approbation telles qu'elles sont, sans possibilité d'être amendées par l'Assemblée locale. Évidemment, Carlisle échoue et ce sont les grands planteurs de la colonie qui finalement remportent la partie (à la tête desquels se trouvent Samuel Long, William Beeston) et finalement le roi renverra Lynch à la Jamaïque avec les pleins pouvoirs.


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Message Publié : 11 Déc 2010 17:33 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 02 Mars 2009 15:31
Message(s) : 46
J'ai trouvé ! C'est la traduction française d'une partie de l'oeuvre de Sloane (chez Nourse, au 18e siècle) qui indique que Morgan a été arrêté puis emprisonné à tort - qu'il a contracté une longue maladie dûe au chagrin et qu'il en est mort peu après. Quelques erreurs, donc.

Morgan et sa clique étaient mal partis mais ce qui leur fut fatal, fut un tonitruant : " que Dieu maudisse l'Assemblée !" lancé un soir de beuverie par Morgan à Port Royal. Il y eut, malheureusement, un témoin... Enfin, le Poyning Act (qui régissait l'Irlande) était vu comme une infamie par la Jamaïque, comme une punition pour son refus de voter le Revenue Act (revenu permanent versé à la couronne). Le Long qui s'est en effet illustré le plus dans cette guerre légale était le père d'Edward Long, l'un des plus célèbres historiens de l'île (History of Jamaica, 1774). Pro-planteur, paternaliste avec les esclaves, assez menteur (ou du moins truqueur) dans quelques récits... mais son bouquin reste un must absolu pour l'histoire de l'île. Il dresse un portrait dytirambique de Morgan, d'ailleurs (qui était très respecté dans l'ensemble).

Intéressant, le parcours anglais de Morgan...

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Message Publié : 11 Déc 2010 21:26 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 09 Déc 2010 3:18
Message(s) : 6
À propos des événements d'octobre 1683 à Port Royal, qui conduisent à la disgrâce de Morgan et de sa clique, et qui se déroulèrent en partie dans la taverne de Charles Barré (un protestant français, originaire de Normandie et naturalisé anglais, ancien commis du bureau du comte d'Arlington et ensuite secrétaire de Morgan), je vous recommande vivement le texte “More Rude and Anticque than ‘ere was Sodom:” Piracy and the Tavern Community in Port Royal, Jamaica, 1680-1692, dont l'auteur est Jordan Smith, étudiant gradué du Carleton College (au Minnesota) : http://apps.carleton.edu/curricular/eng ... _Entry.pdf

Juste pour corriger, l'historien Edward Long était bien le fils d'un Samuel Long (d'où la confusion peut-être), mais ce Samuel était le fils de Charles Long, qui lui-même était l'unique fils survivant du lieutenant-colonel (de milice) Samuel Long (m. 1683), ancien président de l'Assemblée de la Jamaïque et juge en chef de cette île. Cela fait donc d'Edward l'arrière-petit-fils du Long contemporain de Morgan, qui d'ailleurs ne l'aimait du tout!

Plusieurs documents relatifs à cette crise constitutionnelle qui frappe la Jamaïque sous l'administration de Carlisle sont notamment reproduits dans la longue préface de l'ouvrage The Laws of Jamaica: 1681-1759, disponible en texte intrégral sur Google Livres.


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Message Publié : 11 Déc 2010 21:35 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 02 Mars 2009 15:31
Message(s) : 46
Oui, oui, cela aurait fait un père (ou un fils) très très vieux ! :D

Je connais the laws of jamaica, mais pas le premier document, je vais m'y pencher - merci.

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Message Publié : 26 Jan 2011 13:01 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon
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Inscription : 26 Juin 2008 8:11
Message(s) : 2722
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Hé mes amis, braves compagnons de chopine, je vais lire avec plaisir vos échanges. :P


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