sisy a écrit :
Bonsoir,
En me baladant dans les Amériques je repensais à mes cours de civilisation américaine où ma professeure s'était exprimée sur l'extermination des Indiens (ou génocide ou je ne sais pas trop comment appeler le phénomène).
Elle a dit qu'il était un peu injuste de tout reprocher aux Européens en gros, et que n'importe quel peuple/nouveaux arrivants auraient fait pareil. C'est à dire décimer les troupeaux de bisons, massacre d'Indiens etc... en plus des maladies.
Qu'en pensez vous?
(PS si le sujet doit se trouver dans une autre section, à votre aise)
Je pense que c'est un poil plus compliqué, tous les colonisateurs n'ont pas eut une politique d'extermination des indiens.
Il ya tout d'abord un problème sur l'origine des indiens: soit ils viennent de l'ancien monde, soit ce sont autochtones. Dès le début du XVI, cette population fait l'objet d'études ethnographiques conduites par des religieux établis au Mexique juste après la conquête. Les religieux font ça au service de l'
évangélisation. Deux objectifs: apporter la civilisation et la foi. L'idée que les colonisateurs ont une mission providentielle est répandue chez tous les pays colonisateurs. Christopher Carleill dit qu'il s'agit « d'amener les populations sauvages au christianisme et à la civilisation ».
La question est alors de savoir si les indiens peuvent accéder à la foi et à la civilisation des civilisateurs. Ceux des européens qui s'en préoccupent ne sont pas d'accord sur la nature des indiens, il y a deux thèses: pour les uns, les indiens sont des hommes comme ceux de l'ancien monde, et donc ils sont naturellement avide de sagesse; pour les autres, il y a une échelle hiérarchique entre les populations humanoïdes, ils les qualifient d'homoncules, soit on considère que c'est une catégorie inférieure (esclaves par nature), soit des grands enfants perpétuels qui auront toujours besoin des blancs pour s'occuper d'eux.
Charles Quint va organiser un débat opposant un tenant de chacune de ces positions: Juan Gines de Sepulveda et Bartolome de las Casas. Sepulveda est un des plus grands humanistes espagnols, il défend que les indiens sont des homonculi, en face de lui, de las Casas, dominicain, qui soutient la thèse de l'unicité du genre humain à qui il manque plus que l'évangélisation. Las casas est l'un de ceux qui dénonce les atrocités commises par les espagnols. Ce débat est indissociable d'un autre enjeu qui est la question du droit des indiens sur leur terre. La première argumentation est la comparaison d'enfants qui jouent dans un jardin et qui sont sous la responsabilité de leurs parents. On va aussi les assimiler à des infidèles, de même que la conquête des infidèles est légitime, celle des idolâtres païens l'est aussi. Une autre argumentation défend le fait que la terre n'est pas mise en valeur, or, Dieu a chargé les hommes d'exploiter la nature, les indiens n'assument pas ce rôle et vont perdre leurs droits sur leurs terres au profit de ceux qui vont exploiter la nature. C'est l'idée selon laquelle le continent serait vierge, sauvage.
Il existe tout de même en Europe des défenseurs du droit des indiens, dont un théologien espagnol, Francisco de Vittoria, il affirme que tout groupe humain a une propriété légitime sur ses terres s'il respecte le droit naturel mais il est possible d'intervenir, d'abord au nom même de la loi naturelle et que les convertis doivent être protégés.
ça c'est la théorie, en pratique... c'est la résistance (religieuse et/ou politique) des indiens qui va légitimer la conquête. Le
Requerimiento est un texte générique qui rappel que le Pape a concédé les terres nouvelles aux souverains espagnols,et qui invite les indigènes à reconnaître la souveraineté espagnole. Les colons lisent ce texte aux indiens et
tout refus par la suite est considéré comme une rébellion donc peut faire l'objet d'une guerre juste.
Les anglais vont quant à eux, faire signer des traités aux indiens, il y aura aussi des achats de terre avec des produits manufacturés. La question est de savoir si les indiens avaient conscience de ce qu'ils signaient.
De plus, les écarts culturels sont immenses. Chez les indiens, l'agriculture est une activité féminine. Autre incompréhension, les européens vont faire du commerce, pour les indiens, cet échange d'objet constitue une alliance entre égaux, si un lien commercial est rompu, c'est un acte de guerre.
De plus, les indiens ne vont pas chasser les nouveaux arrivants alors qu'ils sont en position de force. Il y a un effet de surprise et de crainte. Et les indiens vont intégrer ces nouveaux peuples dans leur stratégie: il n'y a pas de réelle unité entre les différentes tribus, les blancs peuvent donc être des alliés.
L'arrivée des blancs est aussi le moyen de faire des échanges, et on peut voir des phénomènes croissants de dépendances aux marchandises européennes. Il y a des guerres entre indiens pour garder la maîtrise des liens commerciaux avec les blancs.
Il y a une grande illusion indienne, en effet, ils vont se croire indispensables aux blancs. Dans la sphère anglaise, les peuples qui servent d'intermédiaires vont être rapidement des subordonnés aux blancs, par l'économie (dettes) et la politique (perte d'indépendance et de leur territoire).
Il y a aussi le choc des microbes, des nouvelles maladies, et l'arrivée de nouveaux animaux (bovins, ovins, porcins) et de nouvelles plantes qui vont modifier l'écosystème.
Le recul démographique des indiens s'explique aussi par une surmortalité par la violence de la conquête, d'autres se laissent mourir. Cependant, la principale cause de la mortalité est l'invasion des microbes et virus, parmi elles la variole, la rougeole, la grippe, le typhus. La grippe de 1576 aurait tué 1/3 des indiens du Mexique. Les blancs sont les acteurs involontaires de cette contamination et vont chercher des explications religieuses.
Cet effondrement est le pire cataclysme de l'histoire humaine. En 10 ans, des populations indiennes sont divisées par 2, et par 10 en 50 ans. Les estimations les plus probables feraient passer la population du Mexique de 11M en 1500 à 2M en 1600. Alcoolisme spectaculaire qui est un facteur aggravant qui vient s'ajouter à ces traumatismes.