1) Première question: pourquoi y a t'il eu peu de révoltes d'esclaves dans le Sud des EU? Les révoltes d'esclaves étaient la hantise, la peur qui obsédait tous les planteurs. Mais cette peur ne correspond pas, vu la rareté de ces révoltes, à un risque réel majeur pour les blancs sudistes. Un bref rappel de l'histoire de ces révoltes dans ces régions: - en 1739, le 9 septembre, le "Sunday Uprising", qui comme son nom l'indique eut lieu un dimanche, jour que redoutaient les blancs, car ils étaient à l'office, et les noirs sans surveillance. Près de Charleston (Caroline du Sud), dans la paroisse de Saint Paul, sur les rives de la Stono River, un groupe d'esclaves mené par un esclave nommé Jemmy fit irruption dans un magasin général, décapitant les deux hommes qui le surveillaient , et ils s'enfuirent en emportant fusils et poudre. Ce groupe d'une cinquantaine d'insurgés fit route vers le Sud, se dirigeant vers St Augustine, en Floride, à 200 miles de la SC, destination habituelle des esclaves en fuite, pillant et maraudant sur leur passage, brûlant des maisons et tuant d'autres blancs (en tout 22/25). Ils furent finalement interceptés par le lieutenant gouverneur de la colonie, William Bull, à la tête de la milice de l'état. Il y eut une fusillade, certains esclaves purent s'enfuir, les autres furent tués ou capturés. Finalement, les fuyards furent aussi rattrapés peu après, et ils furent tous exécutés et leurs têtes exposées sur des pieux le long de Stono River Road. Peu après cette révolte, en 1740, un nouveau code noir, plus strict, "Act for the Better Ordering and Governing of Negroes" fut passé. Il stipulait qu'aucun esclave de pouvait sortir des limites de sa plantation sans un "pass", signé par son maître. Si un esclave était localisé par une patrouille, et après 3 sommations, refusait de s'arrêter pour produire ce document, la patrouille tirait sur lui. Ce nouveau code noir spécifiait aussi quels vêtements devaient porter les esclaves (en tissus special nommé "negro cloth") et interdisait la détention d'armes par les esclaves, sauf en cas de chasse dument autorisée par le maître (auparavant, bizarrement, ce n'était pas le cas).
Durant la guerre d'Indépendance, des esclaves ( "black loyalists") s'enfuirent des plantations et rejoignirent les troupes britanniques: on leur avait promis l'émancipation s'ils se ralliaient aux Anglais. Ils furent utilisés par ceux ci comme cuisiniers, ordonnances, artisans etc.
- en 1815, il y eut des rumeurs d'une possible révolte des noirs alliés aux indiens, qui ne se concrétisèrent pas. - en juin 1822, une autre conspiration a lieu , de nouveau en SC, fomentée par un esclave affranchi, nommé Denmark Vesey, arrivant sans doute originellement de Saint-Domingue. Vesey , esclave "de maison" sur la plantation Vesey, a la chance de gagner à une lotterie la somme de 1 500$ qui lui permet de se racheter. Il devient charpentier et, très religieux voire un brin illuminé, fonde l'African Methodist Church à Charleston , où il officie et tient des discours enflammés qui inquiètent les blancs. Son église est donc fermée; Denmark Vesey est furieux et, inspiré par l'exemple de Toussaint Louverture, décide que, le jour du Bastille Day, le 14 juillet 1822, une insurrection dont il prendra la tête sera lancée par les esclaves de la ville, qui d'abord exécuteront leurs propriétaires, puis libéreront temporairement Charleston, et enfin se saisiront de bateaux et s'enfuiront à Haiti. Des dizaines d'esclaves sont contactés/mis au courant,mais deux esclaves opposés à Vesey révèlent la conspiration aux blancs. Des dizaines d'arrestations ont lieu, un procès s'ensuit, 131 esclaves sont déférés en justice, 67 sont condamnés, 35 pendus, dont Denmark. Là aussi, il peut y avoir eu une part de paranoia de la part des blancs, et pas grand chose de plus que des discours enflammés; les historiens en débattent. - en 1832 a lieu la plus célèbre des révoltes d'esclaves, celle de Nat Turner, en Virginie cette fois. Nat, un esclave de la plantation Turner, avait appris à lire et écrire. Il était aussi très religieux, recevant des visions célestes et des messages de Dieu, lui aussi officiant et prêchant dans une église baptiste (il était nommé "le prophète " par les autres esclaves). Ayant reçu une vision où le Saint Esprit lui apparut et lui enjoignit de "combattre le Serpent", Nat en conclut qu'il avait une mission, et que celle ci était de mener une révolte contre les blancs. Des signes dans le ciel l'avertiraient si le moment était venu. Une première éclipse solaire annulaire ayant eu lieu en 31, Nat en déduisit que les temps étaient proches; une deuxième éclipse en 32 lui signifia qu'il fallait passer à l'action: ce qui fut fait le 21 juillet: un petit groupe d'esclaves se déplaça de plantation en plantation, libérant les esclaves (finalement au nombre de 70) et tuant les blancs. Nat donna la consigne d'épargner les blancs pauvres, parce que, selon lui, leur situation n'était pas très différente de celles des esclaves. 60 blancs furent tués, mais l'insurrection fut stoppée au bout de 2 jours. Turner, en fuite, fut arrêté le 30 octobre seulement, et pendu. En tout, 18 des insurgés furent pendus, 12 vendus. A noter que Vesey et Turner auraient été tous les deux issus de la tribu des Coromantees, de l'actuel Ghana, qui avaient une réputation d'insubordination. - en 1848, il y a eu l'affaire de Back River (c'est un affluent de la Cooper River en SC). Sur la plantation des Akinfield, un esclave nommé Agrippa (les esclaves n'avaient pas de nom de famille, juste des prénoms ou des surnoms), envoyé par son maître faire une course en bateau à Charleston, profita de sa "liberté" pour rencontrer d'autres esclaves sur les plantations traversées par la rivière (il y avait très peu de routes, et les rivières étaient donc les principales voies de communication). Il s'arrêta sur une autre plantation, la plantation Vanderdussen, et discuta avec des esclaves qui se plaignaient de leur maître, qui avait la réputation d'être violent. Avec deux d'entre eux, Pompei et Billy, Agrippa aurait décidé de "refaire Stono" (dixit témoignage recueuilli pour le procès), et prennent contact avec des esclaves d'autres plantations, dont un nommé Joe. Des réunions qui attirent pas mal d'esclaves ont lieu, les blancs commencent à s'inquiéter, une grange est brûlée. Un certain nombre de meneurs sont arrêtés, un procès a lieu mais ils nient et prétendent qu'il ne s'agissait que de fêtes, que le but était de danser et de s'amuser. Quelques uns sont exécutés, mais il parait probable de nouveau que la soi-disant conspiration n'est pas allée très loin et qu'il y avait une grande part de rumeurs et de fantasmes.
Donc, finalement, 2 révoltes d'esclaves aux EU seulement. Et quelques conspirations, sans doute plus ou moins exagérées par la rumeur. A première vue--et à première vue seulement--cela semble surprenant: en Caroline du Sud, la population était à certaines époques, très majoritairement noire: 75% dans Saint John Parish vers 1820. La famille Ball, une des 3 ou 4 plus puissantes familles de planteurs et de trafiquants d'esclaves du Sud, a eu un total (sur un peu moins de 2 siècles) de 4 000 esclaves, répartis sur une douzaine de plantations. Le cas d'un des membres de la famille Ball est cité: vers 1820/1830, étant resté célibataire, il vivait donc, seul blanc avec son "overseer" (intendant) , sur une plantation isolée à une centaine de kms de Charleston, entouré de presque 200 esclaves noirs. Il y a plusieurs explications à ce petit nombre de révoltes. Avant de les évoquer, (dans l'état actuel de mes connaissances), quelles sont vos explications?
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