En fait, on peut probablement faire remonter la découverte de l’Amérique au IVème ou IIIème siècle avant J-C. Cette découverte ayant été faite par les Phéniciens, non par la traversée directe de l’Atlantique central, mais par la route du Nord : îles britanniques, Islande, Groenland, Labrador. La même qu’emprunteront les Vikings bien plus tard, et de manière logique puisque c’est la seule possible pour les techniques de navigation d’avant la caravelle et la boussole.
Les spécialistes s’interrogent pour savoir si l’explorateur Pythéas (vers 340 av JC) a pu parvenir lui-même en Amérique ou si la découverte fut l’œuvre de ses continuateurs. Le voyage de Pythéas vers les îles britanniques et au moins jusqu’en Islande (le fameux pays où le jour ne dure que 2 heures) est en effet bien documenté, mais une grande partie de son récit est perdue. Il est au moins vraisemblable qu’il soit parvenu jusqu’au Groenland (« île de Thulé »). Dès lors, cette voie étant ouverte et prometteuse (Pythéas parle longuement des ressources locales, étain, ambre, etc), les navigateurs phéniciens se sont logiquement intéressés à cet axe de découverte et ont probablement abordé l’Amérique dans les décennies suivantes.
La route classique des Phéniciens prend son départ dans le golfe de Gascogne. Les régions de Bordeaux et de Bayonne occupent une situation privilégiée, au débouché du fameux « isthme gaulois » de Strabon ; on pense d’ailleurs que Pythéas a emprunté cet axe commercial, traversant la Gaule par voie terrestre depuis Marseille jusqu’à cette région avant d’entreprendre son voyage maritime. Ainsi, dès l’époque gauloise et malgré le désintérêt des Grecs (qui explique le manque de sources écrites), cette région est le centre florissant du commerce phénicien vers l’Atlantique et l’Amérique. Il est difficile de situer avec précision la limite Sud des expéditions phéniciennes en Amérique. La mention d’un naufrage au Brésil, et les fameuses inscriptions de Pedra de Gavea (
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pedra_da_Gavea) , fort sujettes à caution, incitent à penser qu’ils sont allés jusqu’à cette région, sans certitude. En tout cas, les traditions religieuses aztèques (notamment les sacrifices humains, coutume probablement issue du culte de Baal en Phénicie et à Carthage), ainsi que le mythe du Quetzalcoatl attestent de leur très probable présence au Mexique.
Ces liens commerciaux seront stoppés nets par la conquête romaine et le « recentrage » forcé sur la Mare Nostrum. Il n’est pas surprenant que ces établissements phéniciens, soutiens naguère de Carthage, soient impitoyablement détruits par Rome. (Il n’est d’ailleurs pas exclu que cette destruction soit le but réel, d’autant plus primordial qu’il n’est jamais nommé, de la conquête des Gaules par César).
Néanmoins, la connaissance de ces itinéraires ne s’éteindra pas. Comme on sait, dès le Haut Moyen-âge les pêcheurs basques (bientôt suivis par les bretons) iront fréquemment jusqu’à Terre-Neuve à la recherche des baleines et de la morue ; ces expéditions de pêche étant essentiellement un leurre permettant de camoufler des liens commerciaux bien plus fructueux (or, épices, etc. dont notamment le cacao et le piment, traditions basques bien connues). Les richesses apportées par ce commerce devenu monopolistique expliquent en grande partie la puissance des principautés bretonne, et surtout basque, capable de vaincre l’armée de Charlemagne à Roncevaux. D’autres traces plus palpables de ce commerce ont été retrouvées. Citons le fameux livre de Kells :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_de_KellsCet ouvrage (comme toute une série d’autres manuscrits) est fabriqué dans l’ouest de l’Ecosse au début du IXème siècle : soit la période la plus florissante du commerce transatlantique basque, et sur la route principale des expéditions. Le caractère exceptionnel des pigments utilisés pour enluminer ce manuscrit s’éclaire dès lors que l’on prend en compte leur origine américaine et non pas européennes voire afghane (comme l’avancent certaines hypothèses extravagantes).
Ces quelques exemples illustrent l’étendue des richesses apportées par ce trafic et suffisent à expliquer la discrétion des marchands basques et l’absence de mention de ce commerce dans les sources écrites (par ailleurs rares à cette période).
Ces richesses expliquent également l’intérêt particulier porté, par la suite, par les Vikings à cette région, intérêt mis en lumière par des travaux récents :
http://www.lepetitjournal.com/content/view/7566/619/L’auteur de ces travaux fait toutefois une erreur sur l’objectif des Vikings : il ne s’agissait nullement de s’installer en Gascogne, mais bien entendu de s’emparer des richesses et surtout des connaissances précieuses des Gascons concernant ces routes commerciales maritimes. Ce fut chose faite dès la fin du Xème siècle avec le voyage de Leif Ericson, qui n’a donc rien d’une découverte. Il est logique que les sagas écrites à la gloire des marins nordiques ne fassent pas état de cette vaste opération d’espionnage commercial et industriel (dont, par ailleurs, les Vikings étaient spécialistes).
La suite est plus connue : la fondation puis l’extinction des colonies scandinaves (alors que le commerce basque et breton se poursuit) ; le fameux Imago Mundi, de Pierre d’Ailly (qui a fait ses études au Collège de Navarre, ce qui prouve ses liens avec le monde basque) ; ouvrage dont s’inspirera Colomb pour projeter son voyage. L’exploit de Colomb n’est donc pas tant d’avoir redécouvert l’Amérique que d’y être parvenu par une nouvelle voie, directe à travers l’océan. Exploit d’autant plus remarquable qu’il avait à bord de son expédition de nombreux marins basques dont la majorité connaissait certainement la route traditionnelle phénico-basque de l’Amérique.
Tout ceci étant bien connu, il est évident que les théories de la duchesse de Medina Sidonia ne sont que des élucubrations sans queue ni tête.