Je retrouve des raisons de la cession du Canada qui n'ont pas été citées.
Pour se remettre les faits en mémoire :
http://frontenac.ameriques.free.fr/traite-de-paris.php
Quelqu'un a parlé "d'aveuglement politique". Pas si sûr… Choiseul aurait déclaré "
nous les tenons" lors de la signature du traité de Paris, qui laissait le Canada aux Anglais mais gardait les riches Antilles aux Français (bien que quelques îles étaient déjà entre les mains de l'adversaire). Il a précisé : "
Il n'y aura que la révolution d'Amérique, qui arrivera mais que nous ne verrons vraisemblablement point, qui remettra l'Angleterre dans l'état de faiblesse où elle ne sera plus à craindre en Europe".
La vision a long terme n'était pas absente chez ces anciens hommes politiques Français (ainsi que certains Anglais, pareil), ce qu'on oublie. Ainsi, Bougainville en 1759 écrit : "
Quand le Canada sera bien établi, il essuiera bien des révolutions, n'est-il pas naturel qu'il s'y forme des royaumes et des républiques qui se sépareront de la France ?". En d'autre termes, l'idée était déjà dans l'air, certains se doutaient que des colonies d'outre-mer ne resteraient dans l'orbite de la patrie d'origine que le temps de leur fondation… Choiseul a-t-il été un aveugle ou un visionnaire ? Quand il a dit "nous les tenons", on ne peut exclure qu'il ai eu en tête alors une vaste vision planétaire et à long terme.
Ce qui tenait les colonies anglaises dans le giron de la Grande-Bretagne était la frousse des Français alliés aux indiens. En supprimant l'ennemi rassembleur, on supprime du même coup la "cohésion des troupes" et l'on prépare la voie à une émancipation des colonies pour affaiblir la métropole anglaise. Ainsi l'observait le marquis de Capellis en décembre 1758 : [l'abandon du Canada à l'Angleterre] "
sera une cause de plus qui accélérera sa ruine, en avançant la défection de ses colonies dans l'Amérique septentrionale ; elles surpasseront bientôt en richesse la vieille Angleterre, et secoueront indubitablement le joug de leur métropole".
Le danger a été aussi vu du côté britannique. Un marchand aurait déclaré : "
Si nous allions prendre le Canada, nous trouverions bientôt l'Amérique du Nord trop puissante et trop populeuse pour être gouvernable d'aussi loin". Dans le même sens on rapporte aussi une conversation entre James Murray, acteur de la conquête, et l'officier français Malartic où il lui dit :"
Si nous sommes sages nous ne le [le Canada]
garderons pas. Il faut que la Nouvelle Angleterre ai un frein à ronger et nous lui en donnerons un qui l'occupera en ne gardant pas ce pays-ci."
Beaucoup ne partageaient pas ce point de vue… Parmi eux, un certain qui, affirmait-il, ne pouvait croire à une rébellion des colonies sans que l'Angleterre ne se comporte de façon très hostile envers elles. De passage en Angleterre en 1760, il argumenta contre l'idée que les Etats américains puissent se liguer, eux si désunis habituellement… Ainsi parlait Benjamin Franklin.
On peut donc avancer dans le débat que l'indépendance des colonies anglaises avait été calculée par les Français avant même d'avoir été aidée militairement lorsque les évènements ont éclatés quelques années plus tard…
Il ne faut pas prendre les hommes politiques de l'ancien régime pour des perdreaux de l'année, leur attribuer un aveuglement qui n'a pas lieu d'être, juger trop sommairement les Anciens seulement parce que nous avons sur eux le privilège de savoir ce qu'il est advenu…
Et justement en considérant cela : ces homme du XVIIIe siècle n'avaient-ils pas une vision de la colonisation plus réaliste que celle de ceux qui leur succèderont au XIXe ?
Entre temps, un changement de taille était apparu : l'idéologie…
Je sais qu'en parlant de tout cela, c'est comme jouer du couteau dans la plaie toujours non refermée de nos chers cousins du Québec. Je voudrais juste leur dire qu'à titre personnel, je regrette que l'aspect culturel, linguistique, sociétal, n'ait pas été envisagé à l'époque, qu'ils se sentent si isolés alors que quelques Français se sentent si proches d'eux… Il n'y a qu'un seul remède à tout ça : en parler plus en France !
Je tire toujours ces infos de l'excellente somme :
Histoire de l'Amérique Française, de G. Havard et C. Vidal, Flammarion, Paris, 2003. (je cherche
Les Indiens blancs de Philippe Jacquin et
Empire et métissages dans les pays d'en Haut de Gilles Havard, hélas épuisés).