L’interdiction de l’alimentation carnée au Japon ne date pas de l’époque moderne japonaise comme il a été écrit ci-dessus. Le règlement promulgué par ce shogun ne fait que reprendre un interdit bien plus ancien (et toujours en vigueur) à l’époque des faits. Il s’agit, à l’origine des réflexions religieuses à résonnance bouddhiste, et de la discussion de la notion de pureté à l’époque Heian qui ont débouché sur ces interdits alimentaires. La proximité du sang, de la mort d’un animal et le problème de la réincarnation sont autant de raisons, parmi quelques autres, qui ont poussé les autorités impériales à aller vers ces réglementations. Un certain nombre de personnes de la noblesse (de cour ou guerrière, surtout en province) ou au sein de la population ne suivront pas complètement cet interdit, sans véritables conséquences dans la plupart des cas. Nonobstant, peu a peu, la grande majorité de la population va s'y conformer.
Cette notion de pureté a été suivie par une classification des personnes, par les autorités compétentes, en fonction du degré de souillures qu’ils pouvaient côtoyer. Les notions d’ « hinin » et de « eta » se sont alors dégagées et rigidifiées pour former des classes sociales distinctes dès Heian-Kamakura. Se faisant, ces populations de gens souillés se devaient de vivre à l’écart des hommes de par leur métier (tanneur, boucher, gardien de cimetière, bandit de grands chemins, etc.) ou par leur état social ou personnel (saltimbanques, prostituées, paysan en fuite, meurtrier, etc.). Les distinctions entre les eta et les hinin sont à consulter dans les ouvrages en références ci-dessous. De nombreux moyens furent mis en place pour contrôler ces populations (registres, vêtements, lieux d’habitation, formes linguistiques…) et les tenir à l’écart tout en ayant parfois une grande utilité, avec le travail du cuir notamment. Il faut attendre la fin du 19ème siècle pour que ces deux classes sociales disparaissent officiellement. Le décret du 28 août 1871 proclamait que les « dénominations Eta (être souillés), hinin (non humains) et autres seront abolies et, par conséquent, les personnes appartenant à ces catégories sociales seront traitées dans la même manière tant en ce qui concerne leur occupation et leur statut social que les heimin (gens du commun) ». Malheureusement, cette idée de souillure ne disparaitra pas complètement et un autre terme/notion apparaît : burakumin (habitants des villages spéciaux). Notion qui perdura jusque dans les années 1980 avec divers scandales sur la vente de fichiers/listing à des entreprises privées des personnes ayant des parents/liens burakumin.
Petite Biblio
Revue de Annales : Histoire, Sciences sociales n°2, de mars-avril 1995, « Éviter la souillure. Le processus de civilisation dans le Japon ancien », Yoshie Akio.
Actes de colloques ‘Marges, Médiations : regards croisés sur la société japonaise’, « Tabous et alimentation carnée dans l’histoire du Japon », Taira Masayuki, EFEO.
Religions croyances et traditions populaires au Japon, H. O. Rotermund, Maisonneuve & Larose.
L'autre Japon : Les Burakumin, Jean-François Sabouret, La Découverte.
Le Japon Mal Rasé, de Jean-Manuel Traimond, ACL.
Misère et crime au Japon du XVIIe siècle à nos jours, Philippe Pons, Gallimard.
Cordialement,
Fuse
|