Clio a écrit :
Suite à la légitime question de Simaqian, j'ai fouillé mes archives et il faut bien dire que cet épisode tibétain est très peu développé dans les ouvrages sur l'Histoire de Chine, une ligne par ci par là noyée dans la masse...Peut-être que dans l'Histoire du Tibet (il y a un ouvrage de ce type chez Fayard) on pourrait en apprendre plus.
Après avoir un peu cherché, je crains qu'il n'y ait eu une certaine confusion dans vos sources.
Ce que j'ai découvert c'est qu'apparemment il y a bien un pillage impliquant la Chine et le Tibet en 763.... mais c'est celui de Lhassa. Enfin, je ne sais pas si "pilage" est exact mais "invasion" c'est certain. Il est vrai que jusqu'en 822 (traité de paix sino-tibétain) les guerres impliquant les deux pays sont nombreuses, et les tibétains, comme les arabes, certains peuples d'asie centrale et certains peuples mongols sont très souvent en conflit avec la Chine.
Par ailleurs il y a bien eu des pillages de Chang'An vers cette époque, mais dans des circonstances bien différentes. Je vais essayer de replacer le contexte rapidement. Dans la première moitié du VIII siècle, l'empire Tang est à son apogée: puissant, riche, culturellement très développé. Il se trouve cependant (ou pour cette raison) engagé dans de nombreux conflits:
- avec le Tibet, effectivement pour sécuriser les routes bouddhistes entre l'Inde et la Chine
- avec certains peuples mongols
- à l'intérieur avec la pacification en gros de ce qui est aujourd'hui la province du Fujian
- mais le principal danger est la poussée des Arabes en Transoxiane, avec la prise en particulier de Samarkand en 712, puis de Boukhara, etc, qui menacent son pouvoir en Asie Centrale, et donc la route de la soie. Plusieurs rois de la région demandent le soutien de la Chine, qui grosso modo envoie des troupes jusqu'aux confins du Xinjiang actuel et dans le nord de l'Afghanistan, et ne s'aventure pas aussi loin que Samarkand.
Or vers la moitié du VIII siècle arrive sur le trône l'empereur Xuanzong, homme brillant, féru d'arts et de lettres... mais surtout follement amoureux de sa splendide favorite, Yang Guifei. Pour elle, il se désintéresse totalement des affaires politiques et militaires. Cet amour et la beauté de Yang Guifei sont célèbres en particulier grace aux grands poètes Li Bo et Du Fu. Or plusieurs évènements se précipitent vers 750: un général chinois censé porter secours à un roi vassal de l'empereur en Asie Centrale décide de piller la capital de ce vassal pour s'en approprier les richesses. Plusieurs royaumes d'Asie Centrale se retournent alors contre la Chine et préfèrent réclamer le soutien des Arabes; loin de leurs bases, ayant perdu le soutien local, les armées chinoises subissent alors de lourdes défaites dans cette zone. Moins d'un an plus tard s'ajoutent d'autres défaites dans le nord du pays contre des peuples mongols et un mécontentement populaire lié au coût de nombreuses années de guerre. Sur Yang Guifei et son influence de nombreuses histoires circulent: le mythe de la femme fatale manipulatrice, info ou intox? Toujours est-il que Xuanzong ne tient plus le pays.
Le général chinois (apparemment d'origine mongole) An Lushan se fait alors confier une importante armée pour aller combattre dans le nord, mais se révolte et marche sur Chang'An, qu'il prend et pille en 753. Mais, Xuanzong et Yang Guifei ont fui vers le Sichuan; durant la fuite la garde personnelle de l'empereur massacre quelques dignitaires et exige la tête de Yang Guifei, considérée comme celle qui a détourné l'empereur de son devoir. Xuanzong accepte, mais abandonne le pouvoir à son fils Suzong (je ne suis pas sûr du pinyin). Ce dernier reconquit le pouvoir grâce à l'appui d'un roi turco-mongol (ouighour) fidèle aux Tang dont les redoutables cavaliers ont raison de An Lushan en 757, puis mettent définitivement fin à la rebellion en 763 avec une nouvelle prise (mais au nom du pouvoir "légitime" celle-là), suivie de pillage de Chang'An, à nouveau. La dynastie Tang est rétablie, mais très affaiblie; une révolte semblable a lieu en 880, et en 907 la brillante dynastie s'écroule dans le chaos, ce qui déclanche 60 ans de guerre jusqu'à l'avênement des Song.
Pour la petite histoire (encore que pas vraiment), les rois ouighours, devenus des soutiens indispensables des Tang vont alors se voir régulièrement offrir des princesses chinoises en cadeau jusqu'à la fin du IX siècle, donnant ainsi le sujet de tristes et déchirants poèmes sur le thème de la pureté sacrifiée.
Vous remarquerez qu'il semble que Chang'An et Lhassa aient été pillées la même année, en 763... (ceci étant je n'ai trouvé que peu de suorces sur cette prise de Lhassa).