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 Sujet du message : Angkor au temps de sa splendeur
Message Publié : 02 Oct 2012 8:57 
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Mémoires sur les coutumes du Cambodge de Tchéou-Ta-Kouan
Traduction de Paul Pelliot, édition de 1951, Librairie d'Amérique et d'Orient.

Ecrit vers 1300 (Tcheou était au Cambodge en 1296), l'ouvrage original a été perdu mais il avait éte partiellement recopié dans des annales chinoises de 1380 qui existent encore. Une grande partie du texte originel est donc perdue à jamais.

Introduction
Le Tchen-la est aussi appelé Tchan-la. Le nom indigène est Kan-po Tche. La dynastie actuelle, se basant sur les livres religieux tibétains, appelle ce pays kan-p'ou-tche( (Kamboja), ce qui est phonétiquement proche de Kan-po-tche.
En s'embarquant à Wen-Tcheou( au Tchö-kiang), et en allant Sud Sud-Ouest, on passe les ports des préfectures du Fou-kien, du Kouang-tong et d'outre-mer, on franchi la mer des Sept-Iles (Ts'i-tcheou, Iles Taya), on traverse la mer d'Annam, et on arrive au Champa ( à sin-tcheou, Quinon). Puis, du Champa , par bon vent, en quinze jours environ, on arrive à Tchen-p'ou (région Cap Saint-Jacques ou Baria) : c'est la frontière du Cambodge.
Puis, de Tchen-p'ou, en se dirigeant Sud-ouest-1/6 Ouest, on franchit la mer de K'ouen-louen (= de Poulo-Condor) et on entre dans les bouches. De ces bouches il y en a plusieurs dizaines, mais on ne peut pénétrer que par la quatrième: toutes les autres sont encombrées de bancs de sable que ne peuvent franchir les gros navires. Mais, de quelque côté qu'on regarde, ce ne sont que longs rotins, vieux arbres, sables jaunes, roseaux blancs ; au premier coup d'oeil il n'est pas facile de s'y reconnaître; aussi les marins considèrent-ils comme délicate la découverte même de la bouche.
De l'embouchure, par courant favorable, on gagne au Nord, en quinze jours environ, un pays appelé Tch'a-nan,(Kômpon Chnan), qui est une des provinces du Cambodge. Puis à Tché-nan on transborde sur un bateau plus petit et , en un peu plus de dix jours, par courant favorable, en passant par le village de la mi-route et le Village du Bouddha (probablement Pôsat) et en traversant la Mer d'eau douce, on peut atteindre un lieu appelé Kan-p'ang (=kômpon, <Quai>, ) à cinquante stades de la ville murée.
Selon la Description des Barbares (le Tchou-fan tche, paru en 1225), Le royaume a 7000 stades de largeur. Au Nord de ce royaume, on arrive au Champa en quinze jours de route; vers le Sud-Ouest, on est à quinze jours d'étapes du Siam; au Sud, on est à dix jours d'étapes de P'an-vu(?); à l'est, c'est l'Océan.
Ce pays a ôté depuis longtemps en relations commerciales avec nous. Quand la dynastie sainte(= la dynastie mongole) reçut l'auguste mandat du Ciel et étendit son pouvoir sur les quatre mers, et que le généralissime Sôtu eut créé (en 1281) l'administration du Champa, il envoya une fois, pour se rendre ensemble jusqu'en ce pays-ci, un centurion avec insigne au tigre et un chiliarque à tablette d'or, mais tous deux furent saisis et ne revinrent pas. A la sixième lune de l'année yi-wei de la période yuan-tcheng (14 juillet -11août 1295), le saint Fils du Ciel envoya un ambassadeur rappeller [les gens de ce pays] au devoir, et me désigna pour l'accompagner.

La deuxième lune de l'année suivante ping-chen (5 mars-2 avril 1296) nous quittions Ming-tcheou (=Ning-po), et le vingt (24 mars 1296). Nous obtîmes l'hommage et retournâmes à notre navire la sixième lune de l'an Ting-yeou de la période ta-tö (21 juin -20 juillet 1927). Le douze de la huitième lune ( 30 août 1297), nous mouillions à Sseu-ming (Nong-po). Sans doute les coutumes et les choses de ce pays n'ont pu nous être connues dans tous leurs détails; du moins avons-nous été en mesure d'en discerner les traits principaux.


1. La ville murée. (Angkor Thom)

La muraille de la ville a environ vingt stades de tour. Elle a cinq portes, et chaque porte est double. Du côté de l'Est s'ouvrent deux portes; les autres côtés n'ont tous qu'une porte. A l'extérieur de la muraille est un grand fossé; à l'extérieur du fossé, les grands ponts des chaussées d'accès.
De chaque côté des ponts, il y a cinquante-quatre divinités de pierre qui ont l'apparence de "généraux de pierre" : ils sont gigantesques et terribles. Les cinq portes sont semblables.
Les parapets des ponts sont entièrement en pierre, taillée en forme de serpents qui ont tous neuf têtes. Les cinquante-quatre divinités retiennent toutes le serpent avec leurs mains, et ont l'air de l'empêcher de fuir.
Au dessus de chaque porte de la muraille, il y a cinq grandes têtes de Bouddha en pierre, dont les visages sont tournés vers les quatre points cardinaux: au centre est placée une des cinq têtes qui est ornée d'or. (C-C : Aucune recherche n'a pu confirmer ce point)
Des deux côtés des portes, on a sculpté la pierre en forme d'éléphants.
La muraille est entièrement faite de blocs de pierre superposés : elle est haute d'environ deux toises. L'appareil des pierres est très serré et solide, et il ne pousse pas d'herbes folles. Il n'y a aucun créneau.
Sur le rempart, on a semé en certains endroits des arbres Kouang-lang (arbres à sagou). De distance en distance sont des chambres vides. Le côté intérieur de la muraille est comme un glacis large de plus de dix toises. Au haut de chaque glacis, il y a de grandes portes, fermées à la nuit, ouvertes au matin. Il y a également des gardiens des portes. L'entrée des portes n'est interdite qu'aux chiens. La muraille est un carré très régulier, et sur chaque côté il y a une tour de pierre. L'entrée des portes est également interdite aux criminels qui ont eu les orteils coupés.
Au centre du royaume, il y a une Tour d'or (Bayon), flanquée de plus de vingt tours de pierre et de plusieurs centaines de chambres de pierre. Du côté de l'Est est un pont d'or ; deux lions d'or sont disposés à gauche et à droite du pont; huit Buddha d'or sont disposés au bas des chambres de pierre.
A environ un stade au Nord de la Tour d'or, il y a une tour de bronze (Baphuon) encore plus haute que la Tour d'or et dont la vue est réellement impressionnante; au pied de la Tour de bronze, il y a également plus de dix chambres de pierre.
Encore environ un stade plus au Nord, c'est l'habitation du souverain. Dans ses appartements de repos, il y a à nouveau une tour d'or. Ce sont, pensons-nous, ces monuments qui ont motivé cette louange du "Cambodge riche et noble" que les marchands d'outre-mer ont toujours répétée.

La tour de pierre est à un demi-stade en dehors de la porte du Sud ; on raconte que Lou Pan (ancien artisan chinois légendaire) l'érigea en une nuit. La tombe de Lou Pan (= Angkor vat) est à environ un stade en dehors de la porte du Sud et a à peu près dix stades de tour ; il y a plusieurs centaines de chambres de pierre.

Le Lac oriental est à environ dix stades à l'Est (= erreur probable, lire le lac occidental) de la ville murée, et à peu près cent stades de tour. Au milieu il ya une tour de pierre et des chambres de pierre (= le Mébon Occidental). Dans la tour est un Bouddha couché en bronze, dont le nombril laisse continuellement couler de l'eau (photo).

Le lac septentrional est à cinq stades au Nord de la ville murée. Au milieu il y a une tour d'or carrée (= Neak Pean) et plusieurs dizaines de chambres de pierre. Pour ce qui est du lion d'or, Bouddha d'or, éléphant de bronze, beuf de bronze, cheval de bronze, tout cela s'y trouve.



2- les habitations

Le Palais Royal ainsi que les bâtiments officiels et les demeures nobles font tous face à l'Est.
Le palais royal est au Nord de la Tour d'Or et du Pont d'Or ; proche de la porte (?), il a environ cinq ou six stades de tour. Les tuiles de l'appartement principal sont en plomb; sur les autres bâtiments du palais, ce sont toutes des tuiles d'argile et jaunes.

Linteaux et colonnes sont énormes; sur tous, des Buddha sont sculptés et peints. Les toits (?) sont imposants. Les longues vérandas, les corridors couverts s'élancent et s'enchevêtrent, non sans quelque harmonie. Là où le souverain règle ses affaires, il y a une fenêtre en or ; à droite et à gauche du châssis, sur des piliers carrés, sont des miroirs; il y en a environ quarante à cinquante, disposés sur les côtés de la fenêtre. Le bas de la fenêtre est en forme d'éléphants.

J'ai entendu dire qu'à l'intérieur du palais , il y avait beaucoup d'endroits merveilleux; mais les défenses sont très sévères, et il m'a été impossible de les voir.

Pour ce qui est de la Tour d'or à l'intérieur du palais (le Phiménéakas), le souverain va coucher la nuit à son sommet. Tous les indigènes prétendent que dans la tour il y a un génie qui est un serpent à neuf têtes, maître du sol de tout le royaume. Ce génie apparaît toutes les nuits sous la forme d'une femme. C'est avec lui que le souverain couche d'abord et s'unit. Même les épouses du roi n'oseraient entrer . Le roi sort à la deuxième veille et peut alors dormir avec ses épouses et ses concubines. Si une nuit le génie n'apparaît pas, c'est que le moment de la mort du roi barbare est venu; si le roi barbare manque une seule nuit à venir, il arrive sûrement un malheur.

Les habitations des princes et des grands officiers ont une tout autre disposition et d'autres dimensions que les maisons du peuple
Tous les bâtiments périphériques sont couverts de chaume, seuls le temple de famille et l'appartement principal peuvent être couverts en tuiles. Le rang officiel de chacun détermine les dimensions des demeures.

Le commun du peuple ne couvre qu'en chaume, et n'oserait mettre sur sa demeure le moindre morceau de tuile. Les dimensions dépendent de la fortune de chacun, mais jamais le peuple n'oserait imiter la disposition des maisons nobles.



3. Les vêtements

Tous, à commencer par le souverain, hommes et femmes se coiffent en chignon et ont les épaules nues. Ils s'entourent simplement les reins d'un morceau d'étoffe. Quand ils sortent, ils y ajoutent une bande de grande étoffe qu'ils enroulent par-dessus la petite. Pour les étoffes, il y a beaucoup de règles, suivant le rang de chacun; Parmi les étoffes que porte le souverain, il y en a qui valent trois à quatre onces d'or ; elles sont d'une richesse et d'une finesse extrêmes.
Bien que dans le pays même on tisse des étoffes, il en vient du Siam et du Champa, mais les plus estimées sont en général celles qui viennent de l'Inde, pour leur facture habile et fine.

Seul le prince peut se vêtir d'étoffes à ramages continus. Il porte un diadème d'or, semblable à ceux qui sont sur la tête des vajradhara. Parfois il ne porte pas de diadème et enroule seulement dans son chignon une guirlande de fleurs odorantes qui rappellent le jasmin. Sur le cou, il porte environ trois livres de grosses perles. Aux poignets, aux chevilles et aux doigts, il a des bracelets et des bagues d'or enchâssant tous des oeils-de-chat. Il va nu-pieds. La plante de ses pieds et la paume de ses mains sont teintes en rouge par la drogue rouge. Quand il sort, il tient à la main une épée d'or.

Dans le peuple, les femmes seules peuvent se teindre la plante des pieds et la paume des mains; les hommes n'oseraient pas. Les grands officiers, et les princes peuvent porter de l'étoffe à groupes de ramages espacés. Les simples mandarins peuvent seuls porter de l'étoffe à deux groupes de ramages. Dans le peule les femmes seules y sont autorisées. Mais même si un Chinois nouvellement arrivé porte une étoffe à deux groupes de ramages, on n'ose pas lui en faire un crime parce qu'il est ngan-ting pacha. Ngan-ting pa-cha, c'est qui ne connaît pas les règles



4. Les fonctionnaires

Dans ce pays aussi, il y a ministres, généraux, astronomes et autres fonctionnaires, et, au-dessous d'eux, toutes espèces de petits employés ; les noms seuls diffèrent de nôtres.
La plupart du temps on choisit des princes pour les emplois ; sinon, les élus offrent leurs filles comme concubines royales.
Quand les fonctionnaires sortent, leurs insignes et leur suite sont réglés par leur rang. Les plus hauts dignitaires se servent d'un palanquin à brancard d'or et de quatre parasols à manche d'or; les suivants ont un palanquin à brancard d'or et un parasol à manche d'or, enfin simplement un parasol à manche d'or ; au-dessous on a simplement un parasol à manche d'argent ; il y en a aussi qui se servent de palanquin à brancard d'agent.
Les fonctionnaires ayant droit au parasol d'or sont appelés pa-ting (mraten?) ou ngan-ting (amten); ceux qui ont le parasol d'argent sont appelés sseu-la-ti( ? sresthin).
Tous les parasols sont fait de taffetas rouge de Chine, et leur "jupe " tombe jusqu'à terre. Les parasols huilés sont tous faits de taffetas vert, et leur "jupe " est courte.



5. Les trois religions

Les lettrés sont appelés Pan-k'i; les bonzes sont appelés tch'ou-kou; les taoïstes sont appelés passeu-wei.

Pour ce qui est des pan-k'i (pandita,=ici brahmanes), je ne sais de quel modèle ils se réclament, et ils n'ont rien qu'on puisse appeler une école ou un lieu d'enseignement. Il est également difficile de savoir quels livres ils lisent. J'ai seulement vu qu'ils s'habillent comme le commun des hommes, à l'exception d'un cordon de fil blanc qu'ils s'attachent au cou et qui est la marque distinctive des lettrés. Les pan-k'i qui entrent en charge arrivent à de hautes fonctions. Le cordon du cou ne se quitte pas de toute la vie.

Les tch'ou-kou (=iamois chao ku, " bonze") se rasent la tête, portent des vêtements jaunes, se découvrent l'épaule droite ; pour le bas du corps, ils se nouent une jupe d'étoffe jaune, et vont nu-pieds. Leurs temples peuvent être couverts en tuiles. L'intérieur ne contient qu'une image, tout à fait semblable au Buddha Sakyamuni, et qu'ils appellent Po-lai (=Prah ). Elle est vêtue de rouge. Modelée en argile, on la peint en diverses couleurs; il n'y a pas d'autre image que celle-là. Les Buddha des tours sont tous différents; ils sont tous fondus en bronze. Il n'y a ni cloche ni tambours, ni cymbales, ni bannières, ni dais, et... Les bonzes mangent tous du poisson et de la viande, mais ne boivent pas de vin. Dans leur offrandes au Buddha, ils emploient aussi le poisson et la viande. Ils font un repas par jour, qu'ils vont prendre dans la famille d'un donateur ; dans les temples , il n'y a pas de cuisines. Les livres saints qu'ils récitent sont très nombreux; tous se composent de feuilles de palmier entassées très régulièrement. Sur ces feuilles, les bonzes écrivent des caractères noirs, mais comme il n'emploient ni pinceau ni encre, je ne sais avec quoi ils écrivent. Certains bonzes ont aussi droit au brancard de palanquin et au manche de parasol en or ou en argent ; le roi les consulte dans les affaires graves. Il n'y a pas de nonnes bouddhistes.

Les Pa-sseu-wei [ tapasvi] s'habillent absolument comme le commun des hommes, sauf que sur la tête ils portent une étoffe rouge ou une étoffe blanche, à la façon du Kou-kou (? Kükül) des dames mongoles, mais un peu plus bas. Ils ont aussi des monastères, mais plus petits que les temples bouddhistes; c'est que les taoïstes n'arrivent pas à la prospérité de la religion des bonzes. Ils ne rendent de culte à aucune autre image qu'un bloc de pierre (= le linga) analogue à la pierre de l'autel du dieu du sol en Chine. Pour eux non plus je ne sais de quel modèle ils se réclament. Il y a des nonnes taoïstes. Les temples taoïques peuvent être couverts en tuiles. Les pa-sseu-wei ne partagent par la nourriture d'autrui, ni ne mangent en public. Ils ne boivent pas non plus de vin. Je n'ai pas été témoin de leurs récitations de livres saints, ni de leurs actes méritoires pour autrui.

Ceux des enfants des laïcs qui vont à l'école s'attachent à des bonzes qui les instruisent . Devenus grands, ils retournent à la vie laïque. Je n'ai pu tout examiner en détail.



6. Les habitants

Les habitants ne connaissent que les coutumes des barbares du Sud.
Physiquement ils sont grossiers et laids, et très noirs. Ce n'est pas le cas seulement(?) de ceux qui habitent les recoins isolés des îles de la mer, mais pour ceux mêmes des agglomérations courantes il en est sûrement ainsi. Quant aux dames du palais et aux femmes des maisons nobles (nan-p'ong), s'il y en a beaucoup de blanches comme le jade, c'est parce qu'îles ne voient pas les rayons du soleil.
En général, les femmes, comme les hommes, ne portent qu'un morceau d'étoffe qui leur ceint les reins, laissent découverte leur poitrine d'une blancheur de lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même pour les épouses du souverain; Le souverain a cinq épouses, une de l'appartement principal, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et filles du palais, j'ai entendu parler d'un chiffre de trois mille à cinq mille, qui sont elles aussi divisées en plusieurs classes; elles franchissent rarement leur seuil.
Pour moi, chaque fois que je pénétrai au palais pour voir le souverain, celui-ci sortait toujours avec sa première épouse et s'asseyait dans l'encadrement de la fenêtre d'or de l'appartement principal. Les dames du palais étaient toutes rangées en ordre des deux côtés de la véranda en dessous de la fenêtre, mais changeaient de place et s'appuyaient [à la fenêtre] pour jeter un regard [sur nous] ; je pus ainsi les très bien voir.
Quand dans une famille il y a une belle fille, on ne manque pas à la mander au palais. Au-dessous sont les femmes qui font le service de va-et-vient pour le palais; on les appelle tch'en'kialan (seeinka<skr. Srengara); il n'y en a pas moins d'un ou deux mille. Toutes sont mariées et vivent au milieu du peuple un peu partout. Mais sur le haut du front elles se rasent les cheveux à la façon dont les gens du Nord "ouvrent le chemin de l'eau". Elles marquent cette place de vermillon, ainsi que les deux côtés des tempes; c'est là le signe distinctif des tch'en-kialan. Ces femmes peuvent seules entrer au palais; toutes les personnes au-dessous d'elles ne le peuvent pas. [Les tch'en-kialan] se succèdent sans interruption sur les routes en avant et en arrière du palais.

Les femmes du commun se coiffent en chignon, mais n'ont ni épingle de tête ni peigne, ni aucun ornement de tête. Aux bras elles ont des bracelets d'or, aux doigts des bagues d'or; même les tch'en-kia-lan et les dames du palais en portent toutes; Hommes et femmes s'oignent toujours de parfums composés de santal, de musc et d'autres essences.

Toutes les familles pratiquent le culte du Buddha.

Dans ce pays il y a beaucoup de mignons qui tous les jours vont en groupe de dix et plus sur la place du marché. Constamment ils cherchent à attirer les Chinois, contre de riches cadeaux. C'est hideux, c'est indigne.



7. Les accouchements

Sitôt accouchée, la femme indigène prépare du riz chaud, le malaxe avec du sel et se l'applique aux parties sexuelles. Après un jour et une nuit elle l'enlève. Par là l'accouchement n'a pas de suites fâcheuses, et il se produit un resserrement qui laisse l'accouchée comme une jeune fille. Quand je l'entendis dire pour la première fois, je m'en étonnai et ne le crus guère. Mais, dans la famille où je logeais, une fille mit au monde un enfant, et je pus ainsi me renseigner complètement : le lendemain, portant son enfant dans les bras, elle allait avec lui se baigner dans le fleuve; c'est réellement extraordinaire.

Toutes les personnes que j'ai vues disent en outre que les femmes indigènes sont très lascives. Un ou deux jours après l'accouchement, elles s'unissent à leur mari. Si le mari ne répond pas à leurs désirs, il est abandonné comme [|Tchou] Mai-tch'en (mort en 116 av.J.-C.). Si le mari se trouve appelé par quelque affaire lointaine, cela va bien pour quelques nuits. Mais, passé une dizaine de nuits, sa femme ne manque pas de dire: "Je ne suis pas un esprit ; comment pourrais-je dormir seule?" Leurs instincts licencieux sont très ardents; toutefois j'ai aussi entendu dire que certaines gardaient leur foi; Les femmes vieillissent très vite, sans doute à cause de leur mariage et de leurs accouchements trop précoces. A vingt ou trente ans, elles ressemblent à des Chinoises de quarante ou cinquante.



8. Les jeunes filles.

Quand dans une famille il naît une fille, le père et la mère ne manquent pas d'émettre pour elle ce voeu : "Puisses-tu d'ans l'avenir devenir la femme de cent et de mille maris!"
Entre sept et neuf ans pour les filles de maisons riches, et seulement à onze ans pour les très pauvres, on charge un prêtre bouddhiste, taoïste de les déflorer.
C'est ce qu'on appelle tchen-t'an.
Chaque année, les autorités choisissent un jour dans le mois qui correspond à la quatrième lune chinoise, et le font savoir dans tout le pays. Toute famille où une fille doit subir le tchen-t'an en avertit d'avance les autorités, et les autorités lui remettent d'avance un cierge auquel on a fait une marque. Au jour dit, quand la nuit tombe, on allume le cierge et, quand il a brûlé jusqu'à la marque, le moment du tchen-t'a est venu.
Un mois avant la date fixée, ou quinze jours, ou dix jours, le père et la mère choisissent un prêtre bouddhiste ou taoïste, suivant le lieu où ils habitent. Le plus souvent, temples bouddhiques et taoïques ont aussi chacun leur clientèle propre.
Les bonzes excellents qui suivent la voie supérieure sont tous pris à l'avance par les familles mandarinales et les maisons riches; quant aux pauvres, ils n'ont même pas le loisir du choix.
Les familles mandarinales ou riches font au prêtre des cadeaux en vin, riz, soieries, arec, objets d'argent, qui atteignent jusqu'à cent piculs, et valent de deux à trois cents onces d'argent chinois. Les cadeaux moindres ont de tentre à quarante, ou de dix à vingt piculs; c'est suivant la fortune des gens.
Si les filles pauvres arrivent jusqu'à onze ans pour accomplir la cérémonie, c'est qu'il leur est difficile de pourvoir à tout cela. Il y a aussi des gens qui donnent de l'argent pour le Tchen-t'an des filles pauvres, et on appelle cela "faire une bonne oeuvre". Un bonze ne peut en effet s'approcher que d'une fille par an, et quand il a consenti à recevoir l'argent, il ne peut s'engager vis-à -vis d'une autre.
Cette nuit-là on organise un grand banquet, avec musique. A ce moment, parents et voisins assemblent en dehors de la porte une estrade élevée sur laquelle il disposent des hommes et des animaux d'argile, tantôt plus de dix, tantôt trois ou quatre. Les pauvres n'en mettent pas. Le tout est d'après des sujets anciens, et ne s'enlève qu'après sept jours. Le soir venu, avec palanquins, parasols et musique, on va chercher le prêtre et on le ramène.
Avec des soieries de diverses couleurs on construit deux pavillons ; dans l'un on fait asseoir la jeune fille; dans l'autre s'assied le prêtre. On ne peut saisir ce que leur bouche se disent; le bruit de la musique est assourdissant et cette nuit-là il n'est pas défendu de troubler la nuit.
J'ai entendu dire que, le moment venu, le prêtre entre dans l'appartement de la jeune fille; il la déflore avec la main et recueille ses prémices dans du vin. On dit aussi que le père et la mère, les parents et les voisins s'en marquent tous le front, ou encore qu'ils les goûtent. D'aucuns prétendent aussi que le prêtre s'unit réellement à la jeune fille; d'autres le nient. Comme on ne permet pas aux Chinois d'être témoins de ces choses, on ne peut savoir l'exacte vérité.
Quand le jour va poindre, on reconduit le prêtre avec palanquins, parasols et musique.
Il faut ensuite racheter la jeune fille au prêtre par des présents d'étoffes et de soieries; Sinon elle serait à jamais sa propriété et ne pourrait épouser personne d'autre.
Ce que j'ai vu s'est passé la sixième nuit de quatrième lune de l'année Ting-yeou de la période ta-työ (28 avril 1297).
Avant cette cérémonie, le père, mère et filles dormaient dans une même pièce; désormais, la fille est exclue de l'appartement et va où elle veut, sans plus de contrainte ni de surveillance.

Quand au mariage, bien que la coutume existe de faire les présents d'étoffes, c'est là une formalité sans importance. Beaucoup ont d'abord des rapports illicites avec celle qu'ils épousent ensuite; leurs coutumes n'ont font pas un sujet de honte, non plus que l'étonnement.
La nuit du Tche-t'an il y a parfois dans une seule rue plus de dix familles qui accomplissent la cérémonie; dans la ville, ceux qui vont au-devant des bonzes ou des taoïstes se croisent par les rues, il n'est pas d'endroit où l'on n'entende les sons de la musique.



9. Les esclaves

Comme esclave, on achète des sauvages qui font ce service.
Ceux qui en ont beaucoup en ont plus de cent; ceux qui en ont peu en ont de dix à vingt; seuls les très pauvres n'en ont pas du tout.
Les sauvages sont des hommes des solitudes montagneuses. Ils forment une race à part qu'on appelle les brigands "Tchouang" (les Tchong). Amenés dans la ville, ils n'osent pas aller et venir hors des maisons. En ville, si autour d'une dispute on appelle son adversaire "tchouang", il sent la haine lui entrer jusqu'à la moelle des os, tant ces gens sont méprisés des autres hommes.
Jeunes et forts, ils valent la pièce une centaine de bandes d'étoffe ; vieux et faibles, on peut les avoir pour trente à quarante bandes.
Ils ne peuvent s'asseoir et se coucher que sous l'étage. Pour le service ils peuvent monter à l'étage, mais alors ils doivent s'agenouiller, joindre les mains, se prosterner ; après cela seulement ils peuvent s'avancer.
Ils appellent leur maître Pa-t'o (patau) et leur maîtresse mi (mi, mé); pa-t'o signifie père, et mi mère.
S'ils ont commis une faute et qu'on les batte, ils courbent la tête et reçoivent la bastonnade sans oser faire le moindre mouvement.
Mâles et femelles s'accouplent entre eux, mais jamais le maître ne voudrait avoir de relations sexuelles avec eux. Si d'aventure un Chinois arrivé là-bas, et après son long célibat, a par mégarde une fois commerce avec quelqu'une de ces femmes et que la maître l'apprenne, celui-ci refuse le jour suivant de s'asseoir avec lui, parce qu'il a eu commerce avec une sauvage. Si l'une d'elles devient enceinte des oeuvres de quelqu'un d'étranger à la maison et met au monde un enfant, le maître ne s'inquiète pas de savoir qui est le père, puisque la mère n'a pas de rang civil et que lui-même a profit à ce qu'il ait des enfants; ce sont encore des esclaves pour l'avenir.
Si des esclaves s'enfuient et qu'on les reprenne, on les marque en bleu au visage; ou bien on leur met un collier de fer au cou pour les retenir; d'autres portent ces fers au bras ou aux jambes.



10. Le langage.

Ce pays a une langue spéciale.
Bien que les sons soient voisins des leurs, les gens du Champa et du Siam ne le comprennent pas.
Un se dit mei (muï); deux, pie (pi); tois pei (baï); quatre, pan (boun); cinq; po-lan (pram) ; six po-lan-mei ( pram muï) ; sept, po-lan -pie (pram pir) ; huit, prolan-pei; (pram bei); neuf, p-lan -pan (pram buon); dix, ta (dop);
père, pa-t'o (patau); oncle paternel aussi pa-t'o; mère, mi (mi,mé); tante paternelle ou maternelle et jusqu'aux voisines d'âge respectable; au mi; frère aîné, pang (ban) ; soeur aînée, également pang; frère cadet, pou-wen (phaon); oncle maternel, k'i-lai (khlai): mari de la tante paternelle aussi k'i-lai.

D'une façon générale, ces gens renversent l'ordre des mots.
Ainsi, là où nous disons: cet homme-ci est de Tchan san le frère cadet, ils diront << pou-wen Tchang San>>: cet homme-là est de Li Sseu l'oncle maternel, ils diront <<Pei-che>>: un mandarin, pa-ting; un lettré, pan-k'i. Or, pour dire << un mandarin chinois>>, ils ne diront pas pei-che pa-ting, mais pa-ting pei-che; pour dire <<un lettré chinois>> ils ne diront pas pei-che pan-k'i, mais pan k'i pei-che; il en est ainsi généralement; Voilà les grandes lignes.

En outre, les mandarins ont leur style mandarinal de délibérations; les lettrés ont leurs conversations soignées de lettrés ; les bonzes et les taoïstes ont leur langage de bonzes et de taoïstes ; les parlers des villes et des villages différent. C'est absolument le même cas qu'en Chine.




12. L'écriture

Les écrits ordinaires tout comme les documents officiels s'écrivent toujours sur des peaux de cerfs ou daims et matériaux analogues, qu'on teint en noir. Suivant leurs dimensions en long et en large, chacun les coupe à sa fantaisie. Les gens emploient une sorte de poudre qui ressemble à la craie de Chine, et la façonnent en bâtonnets appelés so (siamois=sô)

Tenant en main le bâtonnet, ils écrivent sur les morceaux de peaux des caractères qui ne s'effacent pas. Quand ils ont fini, ils se placent le bâtonnet sur l'oreille. Les caractères permettent chez eux aussi de reconnaître qui a écrit. Si on frotte sur quelque chose d'humide, ils s'effacent. En gros, les caractères ressemblent absolument à ceux des Ouigoours. Tous les documents s'écrivent de gauche à droite et non pas de haut en bas. J'ai entendu dire à Asän-qaya que leurs lettres se prononçaient presque absolument comme celles des Mongols; deux ou trois seulement ne concordent pas. Ils n'ont aucun sceau. Pour les pétitions, il y a aussi des boutiques d'écrivains où on les écrit.



13. Le jour de l'an et les saisons

Ces gens font toujours de la dixième lune chinoise leur premier mois. Ce mois-là s'appelle Kia-tö (katik< skr. Karttika).
En avant du palais royal, on assemble une grande estrade pouvant contenir plus de mille personnes, et on la garnit entièrement de lanternes et de fleurs; En face, à une distance de vingt toises, au moyen de [pièces de] bois mises bout à bout, on assemble une haute estrade, de même forme que les échafaudages pour la construction des stupa, et haute de plus de vingt toises. Chaque nuit on en construit trois ou quatre, ou cinq ou six. Au sommet on place des fusées et des pétards. Ces dépenses sont supportées par les provinces et les maisons nobles. La nuit tombée, on prie le souverain de venir assister au spectacle. On fait partir les fusées et on allume les pétards. Les fusées se voient à plus de cent stades; les pétards sont gros comme des pierriers, et leur explosion ébranle toute la ville.
Mandarins et nobles contribuent avec des cierges et de l'arec: leurs dépenses sont considérables. Le souverain invite aussi au spectacle les ambassadeurs étrangers. Il en est ainsi pendant quinze jours, et puis tout cesse.

Chaque mois il y a une fête. Au quatrième mois "on jette la balle".
Au neuvième, c'est le ya-lie (rap riep, "énumérer, recenser" : le ya-lie consiste à rassembler dans la ville la population de tout le royaume et à la passer en revue devant le palais royal.
Le cinquième mois, on va "chercher l'eau des bouddha" ; on rassemble les Bouddha de tous les points du royaume, on apporte de l'eau(?) et, en compagnie du souverain, on les lave(?).
[le sixième mois?] on fait naviguer les bateaux sur la terre ferme : le prince monte à un belvédère pour assister à la fête.
Au septième mois, on brûle le riz. A ce moment le nouveau riz est mur; on va le chercher en dehors de la porte du Sud , et on le brûle comme offrande au bouddha. D'innombrables femmes vont en char ou à éléphant assister à cette cérémonie, mais le souverain reste chez lui.
Le huitième mois, il y a le ngai-lan; ngai-lan(ram) c'est danser. On désigne des acteurs et musiciens qui chaque jour viennent au palais royal faire le ngai-lan; il y a en outre des combats de porcs et d'éléphants. Le souverain invite également les ambassadeurs étrangers à y assister. Il en est ainsi pendant dix jours. Je ne suis pas en mesure de rappeler exactement ce qui concerne les autres mois.

Dans ce pays, il y a comme chez nous de gens qui entendent l'astronomie et peuvent calculer les éclipses du soleil et de la lune. Mais pour les mois longs et courts ils ont un système très différent du nôtre. Aux années, eux aussi sont obligés d'avoir un mois intercalaire, mais ils n'intercalent que le neuvième mois, ce que je ne comprends pas du tout.
Chaque nuit se divise en cinq (?) veilles seulement.
Sept jours font un cycle; c'est analogue à ce qu'on appelle en Chine K'i pi kien tch'ou.
Comme ces barbares n'ont "ni nom de famille, ni nom personnel", ils ne tiennent pas compte du jour de leur naissance, on fait pour beaucoup d'entre eux un "nom personnel" avec le jour [de la semaine] où ils sont nés.
Il y a deux jours de la semaine très fastes, trois jours indifférents, deux jours tout à fait néfastes. Tel jour on peut aller vers l'Est, tel jour on peut aller vers l'Ouest. Même les femmes savent faire ces calculs.
Les douze animaux du cycle correspondent également à ceux de Chine, mais les noms sont diffèrents. C'est ainsi que le cheval est appelé pou-si (sèh); le nom du coq esy man (ma¨n); le nom du porc est che-lou (cruk); le boeuf est appelé ko (ko),etc.

14. La justice

Les contestation du peuple, même insignifiantes, vont toujours jusqu'au souverain.
On ne connaît aucunement la peine [de la bastonnade] avec le bambou léger ou lourd, et on condamne seulement, m'a-t-on dit, à des amendes pécuniaires.
Dans les cas particulièrement graves, il n'y a pas non plus de strangulation ou de décapitation, mais, en dehors de la porte de l'Ouest, on creuse une fosse où on met le criminel on la remplit ensuite de terre et de pierre qu'on tasse bien: et tout est fini.
Pour des cas moindres, il y a l'ablation des doigts des pieds et des mains, ou l'amputation du nez. Toutefois il n'y a pas de prescription contre l'adultère et le jeu. Si le mari d'une femme adultère se trouve mis au courant, il serre entre deux éclisses les pieds de l'amant qui ne peut supporter cette douleur, lui abandonne tout son bien, et alors recouvre sa liberté. Il y a aussi [comme chez nous] de gens qui montent des coups pour escroquer.
Si quelqu'un trouve un mort à la porte de sa maison, il le traîne lui-même avec des cordes en dehors de la ville dans quelque terrain vague; mais rien n'existe de ce que nous appelons une "enquête complète".

Quand des gens saisissent un voleur, on peut lui appliquer le châtiment de l'emprisonnement et de la mise à la question.
On recourt aussi à un procédé remarquable. Si quelqu'un perd un objet et soupçonne d'être son voleur quelque autre qui s'en défend, on fait bouillir de l'huile dans une marmite, et on oblige la personne soupçonnée à y plonger la main. Si elle est réellement coupable, sa main est en lambeaux, sinon, peau et chair sont comme avant.
Tel est le procédé merveilleux de ces barbares.

En outre, soit le cas où deux hommes sont en contestation sans qu'on sache qui a tort ou raison; En face du palais royal, il y a douze petites tours de pierre. On fait asseoir chacun des deux hommes dans une tour, et les deux hommes sont surveillés, l'un l'autre par leur parenté. Ils restent un ou deux jours, ou bien trois ou quatre jours. Quand ils sortent, celui qui a tort ne manque pas d'avoir attrapé quelque maladie; soit qu'il lui vienne des ulcères, ou qu'il attrape catarrhe ou fièvre maligne. Celui qui a raison n'a pas la moindre chose. Ils décident ainsi du juste ou de l'injuste; c'est ce qu'ils appellent le "jugement céleste". Telle est la puissance surnaturelle du dieu du pays.



15. Les maladies et la lèpre.

Les gens de ce pays guérissent spontanément beaucoup de leurs maladies courantes en allant se plonge dans l'eau et en se lavant la tête de façon répétée. Toutefois il y a beaucoup de lépreux de distance en distance sur les routes. Même quand ceux-ci[viennent] coucher avec eux, manger avec eux, les indigènes ne s'y opposent pas. D'aucuns disent que c'est là une maladie due aux conditions climatiques du pays. Il y a eu un souverain qui a attrapé cette maladie ; c'est pourquoi les gens ne la considèrent pas avec mépris. A mon humble avis, on attrape en règle générale cette maladie si, immédiatement après la jouissance sexuelle, on entre dans l'eau pour se baigner ; et j'ai entendu dire que les indigènes, à peine leurs désirs satisfaits, entrent toujours dans l'eau pour se baigner. De leurs dysentériques, il meurt huit à neuf sur dix. On vend comme chez nous des drogues sur le marché, mais très différentes de celles de Chine, et que je ne connais pas du tout. Il y a aussi une espèce de sorciers qui exercent leurs pratiques sur les gens; c'est tout à fait ridicule.



16. Les morts.

Pour les morts, il n'y a pas de cercueils; on ne se sert que d'espèces de nattes, et on les recouvre d'une étoffe. Dans le cortège funéraire, ces gens aussi emploient en tête drapeaux, bannières et musique. En outre ils prennent deux plateaux de riz grillé et le jettent à la volée au alentours de la route. Ils portent le corps hors de la ville, jusqu'en quelque endroit écarté et inhabité, l'abandonnent et s'en vont. Ils attendent que les vautours, les chiens et autres animaux le viennent dévorer.
Si le tout est achevé vivement, ils disent que leur père, leur mère avaient des mérites et ont par suite obtenu cette récompense; si le corps n'est pas mangé, ou n'est mangé que partiellement, ils disent que leur père, leur mère ont amené ce résultat par quelque faute.
Maintenant il y a aussi peu à peu des gens qui brûlent leurs morts ce sont pour la plupart des descendants de Chinois. Lors de la mort de leur père de leur mère, les enfants ne mettent pas de vêtements de deuil, mais les fils se rasent la tête et les filles se coupent les cheveux en haut du front, grand comme une sapèque, c'est là leur deuil filial. Les souverains eux, sont enterrés dans des tours, mais je ne sais si on enterre leurs corps ou si on enterre leurs os.


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Message Publié : 02 Oct 2012 8:59 
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17. Agriculture

En général, on peut faire trois à quatre récoltes par an ; c'est que toute l'année ressemble à nos cinquième et sixième lunes et qu'on ne connaît ni givre ni neige.
En ce pays il pleut la moitié de l'année, l'autre moitié de l'année, il ne pleut pas du tout. De la quatrième à la neuvième lune, il pleut tous les jours l'après-midi. Le niveau des eaux du Grand Lac peut [alors] s'élever à sept ou huit toises. Les grands arbres sont noyés ; à peine leur cime dépasse. Les gens qui habitent au bord de l'eau se retirent tous dans la montagne. Ensuite, de la dixième lune à la troisième lune [de l'année suivante] il ne tombe pas une goutte d'eau. Le Grand Lac n'est alors navigable qu'aux petites barques ; aux endroits profonds, il n'a pas plus de trois à cinq pieds d'eau. Les gens redescendent alors.

Les cultivateurs tiennent compte du temps où le riz est mûr et des endroits où la crue peut atteindre à ce moment-là, et sèment en conséquence selon les lieux.
Pour labourer, ils n'emploient pas de boeufs. Leurs charrues, faucilles et houes, tout en ayant quelque analogie de principe avec les nôtres, sont de construction tout à fait différente.
Il y a en outre une espèce de champs naturels où le riz pousse toujours sans qu'on le sème; quand l'eau monte jusqu'à une toise, le riz aussi croit d'autant; je pense que c'est là une espèce spéciale.

Toutefois, pour fumer les champs et cultiver les légumes, ces gens ne font aucun usage de fumier, qui leur répugne comme impur.
Les Chinois qui sont là-bas ne leur parlent jamais des épandages de fumier en Chine, de peur d'exciter leur mépris.
Par deux ou trois familles, les gens creusent une fosse qu'ils recouvrent d'herbe(?) quand elle est pleine, ils la comblent et en creusent une autre ailleurs.
Après être allés aux lieux, ils entrent toujours dans le bassin pour se laver, mais n'y emploient que la main gauche; la main droite est réservée pour prendre la nourriture Quand ils voient un Chinois se rendre au lieux et s'essuyer avec du papier, ils le raillent et vont jusqu'à désirer qu'il ne passe pas leur seuil.
Parmi les femmes, il y en a qui urinent debout ; c'est vraiment ridicule.



18. La configuration du pays

Depuis l'entrée de Tchen-p'ou, ce sont presque partout les épais fourrés de la forêt basse ; les larges estuaires du Grand fleuve s'étendent sur les centaines de stades ; les ombrages profonds des vieux arbres et des longs rotins font des couverts luxuriants. Les cris des oiseaux et des animaux s'y croisent partout. Arrivé à mi-route dans l'estuaire, on aperçoit pour la première fois la campagne inculte, sans un pouce de bois. Aussi loin qu'on regarde, ce n'est que millet [sauvage] abondant. Par centaines et par milliers, les buffles sauvages s'assemblent en troupes dans cette région. Il y a ensuite des pentes couvertes de bambou qui s'étendent elles aussi sur plusieurs centaines de stades. Aux noeuds de ces bambous, il pousse des épines, et les pousses ont un gout très amer. Des quatre cotés, il y a des hautes montagnes.



19. Les productions.

Dans les montagnes, il y a beaucoup de bois rares. Les endroits où il n'y a pas de bois sont ceux où rhinocéros et éléphants s'assemblent et se reproduisent. Les oiseaux précieux, les animaux étranges sont innombrables; Les produits de valeur sont les plumes de martin-pêcheur, les défenses d'éléphant, les cornes de rhinocéros, la cire d'abeille. Comme produits ordinaires, il y a le laka-wood, le cardamome, la gomme-gutte, la gomme-laque, l'huile de chaulmoogra.

Le martin-pêcheur est fort difficile à prendre. Dans les forêts épaisse il y a des étangs, et dans les étangs des poissons. Le martin-pêcheur vole hors de la forêt pour chercher des poissons. Le corps caché sous des feuilles, l'indigène est tapi au bord de l'eau. Il a dans une cage une femelle comme appât, et tient à la main un petit filet. Il épié la venue de l'oiseau, et le prend sous le filet. Certains jours il en prend trois ou cinq, parfois pas un de toute la journée.

Ce sont les habitants des montagnes reculées qui ont les défenses d'éléphants. Pour chaque éléphant mort on a deux défenses. On racontait autrefois que l'éléphant renouvelait ses défenses une fois par an, mais cela n'est pas. Les défenses provenant d'un animal tué à la lance sont les meilleures. Viennent ensuite celles qu'on trouve peu après que l'animal est mort de mort naturelle. Les moins estimées sont celles qu'on trouve dans la montagne bien des années après la mort.

Le cire d'abeille se trouve dans les arbres pourris des villages. Elle est produite par une espèce d'abeille au corselet fin comme celui des fourmis. Les indigènes la leur prennent. Chaque bateau peut en recevoir deux à trois mille rayons; un gros rayon pèse de trente à quarante livres; un petit, pas moins de dix-huit à dix-neuf livres.

La corne de rhinocéros blanche et veinée est la plus estimée; la noire est inférieure.

Le laka-wood vient dans les forêts épaisses. Les indigènes se donnent beaucoup de mal pour le couper; c'est que c'est là le coeur d'un arbre, et autour il y a jusqu'à huit et neuf pouces d'aubier; les petits arbres en ont au moins quatre à cinq pouces.

Tout le cardamome est cultivé dans la montagne par les sauvages.

La gomme-gutte est la résine d'un arbre spécial. Les indigènes incisent l'arbre un an à l'avance, laissant suinter la résine, et ne la recueillent que l'année suivante.

La gomme-laque pousse dans les branches d'un arbre spécial, et a absolument la forme de l'épiphyte du mûrier. Il est aussi fort difficile de se la procurer.

L'huile de chaulpoogra provient des graines d'un grand arbre. Le fruit ressemble à un coco, mais est rond: il contient plusieurs dizaines de graines.

Le poivre se trouve aussi parfois. Il pousse enroulé autour des rotins, et s'attache comme le l-ts'ao-tseu (houblon?). Celui qui est frais et vert-bleu est le plus amer.



20. Le commerce

Dans ce pays ce sont les femmes qui s'entendent au commerce.
Aussi, si un Chinois en arrivant là-bas commence toujours par prendre femme, c'est qu'il profite en outre des aptitudes commerciales de celle-ci.
Chaque jour se tient un marché qui commence à six heures et finit à midi. Il n'y a pas [à ce marché] de boutiques où les gens habitent, mais ils se servent d'une espèce de natte qu'ils étendent à terre. Chacun a son emplacement. J'ai entendu dire qu'on payait aux autorités la location de la place.
Dans les petites transactions, on paie en riz, céréales et objets chinois ; viennent ensuite les étoffes ; pour ce qui est des grandes transactions, on se sert d'or et d'argent.

D'une façon générale les gens de ce pays sont extrêmement simples. Quand ils voient un Chinois, ils lui témoignent beaucoup de crainte respectueuse et l'appellent "Buddha". En l'apercevant, ils se jettent à terre et se prosternent. Depuis quelque temps, il y en a aussi certains qui trompent les Chinois et leur font tort. Cela tient au grand nombre de ceux qui y sont allés.



21. Les marchandises chinoises qu'on désire.

Ce pays ne produit, je crois, ni or ni argent; ce qu'on y estime le plus est l'or et l'argent chinois, et ensuit les soieries bigarrées légères à double fil. Après quoi viennent les étains de Tchen-cheou, les plateaux laqués de Wen-tcheou, les porcelaines vertes (=céladons=) de Ts'iuan-tcheou, le mercure, le vermillon, le papier, le soufre, le salpêtre, le santal, la racine d'angélique, le musc, la toile de chanvre, la toile de houang-ts'ao, les parapluies, les marmites de fer, les plateaux de cuivre, les perles d'eau douce(?), l'huile d'abrasin, les nasses de bambou(?), les vans, les peignes de bois, les aiguilles. Comme produits plus communs et lourds, il y a par exemple les nattes de Ming-tcheou (Ning-po). Ce que ces gens désirent vivement obtenir, ce sont des fèves et du blé, mais l'exportation [de Chine] en est interdite.



22. La flore

Seuls la grenade, la canne à sucre, les fleurs et racines de lotus, le carambolier, la banane et le coniosélin(?) sont identiques à ceux de Chine.
Le letchi et l'orange sont de même forme [que chez nous], mais acides.
Tous les autres [fruits] n'ont jamais été vus en Chine.
Les arbres aussi sont très différents. Les plantes florales sont en nombre encore plus grand, et de plus ont à la fois parfum et beauté. Les fleurs aquatiques sont d'espèces encore plus nombreuses, mais j'ignore leur noms. Quant aux pêchers, pruniers communs, abricotiers, pruniers mume, pins, cyprès, sapins, genévriers, poiriers, jujubiers, peupliers, saules, canneliers, orchidées, chrysanthèmes, etc..., ils n'en ont pas.
Dans ce pays, il y a déjà à la première lune [chinoise] des fleurs de lotus.



23. Les oiseaux

Parmi leurs oiseaux, le paon, le martin-pêcheur, le perroquet n'existent pas en Chine. Pour le reste, ils ont [comme nous] vautours, corbeaux, aigrettes, moineaux, cormorans, cigognes, grues, canards sauvages, serins(?), etc...; mais il leur manque la pie, l'oie sauvage, le loriot, l'engoulevent, l'hirondelle, le pigeon.



24. Les quadrupèdes

Parmi leurs quadrupèdes, le rhinocéros, l'éléphant, le buffle sauvage et le cheval de montagne n'existe pas en Chine.
Il y a en grande abondance tigres, panthères, ours, sangliers, cerfs, daims, gibbons, renards, etc... Ce qui manque, c'est le lion, le sing-sing, le chameau. Il va sans dire qu'on a en ce pays poules, canards, boeufs, chevaux, porcs, moutons. Les chevaux sont très petit. Les beufs abondent. Les gens montent les boeufs vivants, mais morts il n'osent ni les manger, ni les écorcher ; ils attendent qu'ils pourrissent, pour cette raison que ces animaux ont dépensé leurs forces au service de l'homme. Ils ne font que les atteler aux charrettes. Jadis il n'y avait pas d'oies; depuis peu des marins en ont apporté de Chine; aussi ont-ils cet animal. Ils ont des rats gros comme des chats, et aussi une espèce de rats dont la tête ressemble absolument à celle d'un tout jeune chien.



25. Les légumes.

Comme légumes, ils ont les oignons, la moutarde, le poireau, l'aubergine, la pastèque, le citrouille; le concombre, l'ansérine(?): ils n'ont pas la rave, la laitue, la chicorée, l'épinard. Dès la première lune on a cucurbitacées et aubergines; il y a des plants d'aubergines qui ne s'arrachent pas de plusieurs années. Les arbres à coton peuvent dépasser en hauteur les maisons ; il y en a qui ne se remplacent pas pendant plus de dix ans. Beaucoup de légumes existent dont j'ignore le nom; les légumes aquatiques sont également très nombreux.



26. Les poissons et reptiles.

Parmi les poissons et tortues, c'est la carpe noire qui est la plus abondante ; très nombreux sont ensuite les carpes ordinaires, les carpes bâtardes, la tanche. Il y des goujons(?), dont les gros pèsent deux livres et plus. Nombre de poissons existent dont j'ignore le nom. Tous les poissons ci-dessus viennent dans le Grand Lac. Quant aux poissons de mer, il y en a de toutes espèces, des anguilles, des congres de lac(?). Les indigènes ne mangent pas de grenouilles; aussi à la nuit pullulent -elles sur les routes. Tortues de mer et alligators(?) se mangent. Les crevettes de Tch'a-nan pèsent une livre et plus. Les pattes de tortue de Tche pou ont jusqu'à huit et neuf pouces. Il y a des crocodiles gros comme des barques, qui ont quatre pattes et ressemblent tout à fait au dragon, sauf qu'ils n'ont pas de cornes; leur ventre est très croustillant. Dans le grand Lac, on peut ramasser à la main bivalves et gastéropodes. On ne voit pas de crabes; je pense qu'il y en a également, mais que les gens ne les mangent pas.



27. Les boissons fermentées

Ces gens ont quatre classes de vins.
La première est appelée par les Chinois "vin de miel" ; on la prépare au moyen d'une drogue à fermentation, et en mêlant du miel et de l'eau par moitié.
La classe qui vient ensuite est appelée par les indigènes p'ong-ya-sseu; on l'obtient avec des feuilles d'arbre; p'ong-ya-sseu est le nom des feuilles d'un certain arbre.
Encore au-dessous est le vin fait de riz cru ou de restes de riz cuit, et qu'on appelle pao-leng-kio; pao-leng -kio ( ranko>anka) signifie "riz".
En dernier lieu vient le vin de sucre; on le fait avec du sucre.
En outre, quand on pénètre dans l'estuaire, on a encore le long de la rivière du vin de suc de kiao (vin de kajang?) ; il y a en effet une espèce de feuilles de kiao qui pousse au bord de la rivière, et son suc peut donner du vin par fermentation.



28. Le sel, le vinaigre, le soy.

Dans ce pays, l'exploitation de salines n'est soumise à aucune restriction. Tout le long de la côte, à partir de tchen-p'ou et Pa kien, on obtient le sel par cuisson de l'eau de mer. Dans les montagnes il y a aussi un minéral dont la saveur l'emporte sur celle du sel; on peut le tailler et en faire des objets.

Les indigènes ne savent pas faire de vinaigre. S'ils désirent rendre une sauce acide, ils y ajoutent des feuilles de l'arbre hien-p'ing (? Ampil). Si l'arbre bourgeonne, ils emploient les bourgeons; si l'arbre est en graines, ils emploient les graines.

Ils ne savent pas non plus préparer le soy, faute d'orge et de haricots.

Ils ne fabriquent pas de levure de grains. Quand ils font du vin avec du miel, de l'eau et des feuilles d'herbe, c'est d'une mère de vin qu'ils se servent, ressemblant à la mère de vin blanche de nos villages.



29. Les vers à soie et le mûrier.

Les indigènes ne s'adonnent pas à [l'élève des] vers à soie ni à [la culture du] mûrier, et leurs femmes n'entendent également rien aux travaux de l'aiguille et du fil, de la couture et du reprisage.
Ils savent juste tisser des étoffes avec le [coton de] l'arbre à coton; encore ne savent-ils pas filer au rouet, et font-ils leur fil à la main. Ils n'ont pas de métier pour tisser; ils se contentent d'attacher une extrémité de la toile à leur ceinture et continuent le travail à l'autre extrémité. Comme navettes, ils n'ont que des tubes de bambou.
Récemment des Siamois sont venus s'établir en ce pays, qui s'adonnent à l'élève des vers à soie et à la culture du mûrier ; leurs graines de mûriers et leurs graines de vers à soie viennent toutes du Siam. Les gens n'ont pas non plus de ramie, mais seulement du lo-ma. les Siamois se tissent avec la soie des étoffes damassées foncées dont ils se vêtent. Les siamoises savent coudre et repriser. Quand l'étoffe qu'ils mettent sur eux est déchirée, les indigènes prennent à gage [des Siamoises] pour la réparer.


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Message Publié : 02 Oct 2012 9:01 
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30. Les ustensiles.

Les gens ordinaires ont une maison, mais sans table, banc, cuvette ou seau. Ils emploient seulement une marmite de terre pour cuire le riz, et emploient en outre une poêle de terre pour préparer la sauce; Ils enterrent trois pierres pour faire le foyer, et d'une coquille de noix de coco font une louche. Pour servir le riz, ils emploient des plateaux chinois de terre ou de cuivre. Pour la sauce, ils emploient des feuilles d'arbre dont ils font de petites tasses qui, même pleines de liquide, n'en laissent rien couler. En outre, ils font avec de feuilles de kiao de petites cuillers pour puiser le liquide [dans ces tasses] et le porter à la bouche; quand ils ont fini, ils les jettent. Il en est ainsi même dans leurs sacrifices aux génies et au Bouddha. Ils ont aussi à côté d'eux un bol d'étain ou de terre plein d'eau pour y tremper les mains; c'est qu'ils n'emploient que leurs doigt pour prendre le riz, qui colle au doigts et sans cette eau ne s'en irait pas. Ils boivent le vin dans des gobelets d'étain; le pauvres emploient des écuelles de terre. Les maisons nobles ou riches emploient pour chacun des récipients d'argent, quelquefois même d'or. Pou le fêtes royales, on emploie nombre d'ustensiles faits en or, de modèles et de formes particuliers. A terre, on étend des nattes de Ming-tcheou; il y en a aussi qui étendent des peaux de tigres, de panthères, de cerf, de daims,etc... ou de nattes de rotin. Depuis peu, on a inauguré des tables basses, hautes environ d'un pied.
Pour dormir, on n'emploie que des nattes de bambou, et on couche sur des planches. Depuis peu, certains emploient aussi des lits bas, qui sont en général fabriqués par des Chinois. On recouvre les aliments avec une étoffe; dans le palais du souverain, se sert à cette fin de soieries à fil double tachetées(?) d'or qui sont toutes des présents des marchands d'outre-mer. Pour [décortiquer] le riz, on n'emploie pas de meules, et on se borne à le broyer avec un pilon et un mortier.



31. Les charrettes et les palanquins.

Les palanquins sont faits d'une pièce de bois qui est recourbée en sa partie médiane et dont les deux extrémités se relèvent toutes droites; on y sculpte des motifs fleuris et on la revêt d'or ou d'argent; c'est là ce qu'on appelle des supports de palanquin en or ou en argent.
A environ un pied de chaque extrémité on enfonce un crochet, et avec des cordes on attache aux deux croches une grande pièce d'étoffe repliée à gros plis. On se courbe dans cette toile et deux hommes portent le palanquin.
Au palanquin on ajoute en outre un objet semblable à une voile de navire, mais plus large, et qu'on orne de soieries bigarrées ; quatre hommes la portent et suivent le palanquin en courant.
Pour aller loin, il y a aussi des gens qui montent à éléphant ou qui montent à cheval; certains aussi emploient des charrettes, de modèle identique à celles des autres pays. Les chevaux n'ont pas de selles ni les éléphants de bancs pour s'asseoir.



32. Les barques et les avirons

Les grandes barques sont faites au moyen de planches taillées dans des arbres [en bois] dur. Les ouvriers n'ont pas de scies et n'obtiennent les planches qu'en équarrissant les arbres à la hache; c'est une grande dépense de bois et une grande dépense de peine. Quoiqu'on veuille faire en bois, on se borne de même à le creuser et le tailler au ciseau; il en est également ainsi dans la construction des maisons. Pour les grandes barques, on se sert aussi de clous de fer, et on recouvre ces barques avec des feuilles de Kiao (kajang) maintenues par des lattes d'aréquier. Un bateau de ce genre est appelé sin-na; il va à la rame. La graisse dont on l'enduit est de la graisse de poisson, et la chaux qu'on y mélange est la chaux minérale.

Les petites barques sont faites d'un grand arbre qu'on creuse en forme d'auge; on l'amollit au feu et on l'élargit par l'effort de pièces de bois; aussi ces barques sont-elles large au centre et effilées au deux bouts. Elles n'ont pas de voiles et peuvent porter plusieurs personnes; on ne les dirige qu'à la rame. Elles sont appelées P'i-lan.



34. Les villages

Chaque village a ou bien un temple, ou bien une tour. Si les habitants sont tant soit peu nombreux, ils ont aussi un mandarin local qu'on appelle mai-tsie (mé srok?). Sur les grandes routes, l y a des lieux de repos analogues à nos relais de poste; on les appelle sen-mou ( samnak). Récemment, au cours de la guerre avec le Siam,[les villages] ont été entièrement dévastés.




35. La récolte du fiel

Avant ce temps-ci, dans le courant de la huitième lune (chinoise), on recueillait le fiel : c'est que le roi du Champa exigeait annuellement une jarre contenant des milliers et des myriades de fiels humains. A la nuit, on postait en maintes régions des hommes dans les endroits fréquenté des villes et des villages. S'ils rencontraient des gens qui circulaient la nuit, ils leur couvraient la tête d'un capuchon serré par une corde et avec un petit couteau leur enlevaient le fiel au bas du côté droit.
On attendait que le nombre fût au complet et on les offrait au roi du Champa. Mais on ne prenait pas de fiels des Chinois. C'est qu'une année, on avait pris un fiel de Chinois et on l'avait mis avec les autres, mais ensuite tous les fiels de la jarre pourrirent et on ne put pas les utiliser. Récemment on a aboli la pratique de la récolte du fiel, et on a installé à part les mandarins de la récolte du fiel, et leurs subordonnés, en les faisant habiter dans la ville, près de la porte Nord.



36. Un prodige

Dans la ville, près la porte de l'Est, il y eut un barbare qui forniqua avec sa soeur cadette. Leur peau et leur chair collèrent ensemble sans se détacher, et après trois jours passés sans nourriture tous deux sont morts. Mon pays, M. Sie, qui a passé trente-cinq ans dans le pays, affirme avoir vu le cas se produire deux fois. S'il en est ainsi, c'est que [les gens de ce pays] savent utiliser la puissance surnaturelle du saint Buddha.

37. Les bains.

Le pays est terriblement chaud et on ne saurait passer un jour sans se baigner plusieurs fois.
Même la nuit, on ne peut manquer de le faire une ou deux fois. Il n'y a ni maisons de bains, ni cuvettes, ni seaux. Mais chaque famille a un bassin; sinon, deux ou trois familles en ont un en commun.

Tous, hommes et femmes, entrent nus dans le bassin. Seulement, quand le père, la mère, ou des gens d'âge sont dans le bassin, leurs fils et filles ou les jeunes gens n'y entrent pas. Ou si les jeunes gens se trouvent dans le bassin, les personnes d'âge s'en tiennent à l'écart.
Mais si on est de même âge, on n'y prête pas attention, les femmes cachent leur sexe avec la main gauche en entrant dans l'eau, et voilà tout.
Tous les trois ou quatre, cinq ou six jours, les femmes de la ville, trois par trois, cinq par cinq, vont se baigner hors de la ville dans le fleuve. Arrivées au bord du fleuve, elles ôtent la pièce d'étoffe qui leur entoure le corps et entrent dans l'eau. C'est par milliers qu'elles sont ainsi réunies dans le fleuve. Même les femmes des maisons nobles participent [à ces bains]et n'en conçoivent aucune honte. Tous peuvent les voir de la tête aux pieds. Dans le grand fleuve en dehors de la ville, il n'y a pas de jour où cela ne se passe. Les Chinois, aux jours de loisir, s'offrent souvent le plaisir d'y aller voir.
J'ai entendu dire qu'il y en a aussi qui entrent dans l'eau pour profiter des occasions.
L'eau est toujours chaude comme si elle était sur le feu; ce n'est qu'à la cinquième veille qu'elle se rafraîchit un peu; mais dès que le soleil se lève, elle s'échauffe à nouveau.



38. Les immigrés

Les chinois qui arrivent en qualité de matelots trouvent commode que dans ce pays on n'ait pas à mettre de vêtements, et comme en outre le riz est facile à gagner, les femmes faciles à trouver, les maisons faciles à aménager, le mobilier facile à acquérir, le commerce facile à diriger, il y en a constamment qui désertent pour y [ rester].



39. L'armée

Les troupes vont aussi corps et pieds nus. Dans la main droite elles tiennent la lance ; dans la main gauche, le bouclier.
Il n'y a ni arcs, ni flèches, ni balistes, ni boulets, ni cuirasses, ni casques.
On rapporte que, dans la guerre avec les Siamois, on a obligé toute la population à combattre.
D'une façon générale, ces gens n'ont d'ailleurs ni tactique ni stratégie.




40. La sortie du souverain

J'ai entendu dire que, sous les souverains précédents, les empreintes des roues de leur char ne dépassaient jamais leur seuil; et cela pour parer aux cas fortuits.
Le nouveau prince est le gendre de l'ancien souverain. Primitivement il avait charge de diriger les troupes. Le beau-père aimait sa fille; la fille lui déroba l'épée d'or et la porta à son mari. Le vrai fils fut par suite privé de la succession. Il complota pour lever les troupes, mais le nouveau prince le sut, lui coupa les orteils et le relégua dans une chambre obscure. Dans le corps du nouveau prince est incrusté un [morceau de] fer sacré, si bien que même couteaux et flèches, frappant son corps, ne pourraient le blesser. S'assurant là-dessus, le nouveau prince ose sortir. J'ai passé dans le pays plus d'une année, et je l'ai vu sortir quatre ou cinq fois. Quand le prince sort, des troupes sont en tête d'escorte; puis viennent les étendards, les fanions, la musique. Des filles du palais, de trois à cinq cents, en étoffes à ramages, des fleurs dans le chignon, tiennent à la main des cierges, et forment une troupe à elles seules; même en plein jour leurs cierges sont allumés. Puis viennent des filles du palais portant les ustensiles royaux d'or et d'argent et toute la série des ornements, le tout de modèles très particuliers et dont l'usage m'est inconnu. Puis viennent des filles du palais tenant en mains lance et bouclier, et qui sont la garde privée du palais elles aussi forment une troupe à elles seules. Viennent ensuite des charrettes à chèvres des charrettes à chevaux, toutes ornées d'or. Les ministres, les princes sont tous montés à éléphant; devant eux(?) on aperçoit de loin leurs parasols rouge, qui sont innombrables.

Après eux arrivent les épouses et concubines du roi, en palanquin, en charrette, à cheval, à éléphant ; elles ont certainement plus de cent parasols tachetés(?) d'or. Derrière elles, c'est alors le souverain, debout sur un éléphant et tenant à la main la précieuse épée. Le défenses de l'éléphant sont également dans un fourreau d'or. Il y a plus de vingt parasols blancs tachetés(?) d'or et dont les manches sont en or. Des éléphants nombreux se pressent tout autour de lui, et à nouveau il y a des troupes pour le protéger.
Si le souverain se rend à un endroit voisin , il se sert seulement de palanquins d'or, qui sont portés par des filles du palais.

Le plus souvent, le roi en sortant va voir une petite tour d'or devant laquelle est un Bouddha d'or. Ceux qui aperçoivent le roi doivent s'agenouiller et toucher la terre du front; c'est ce qu'on appelle san-pa ( sambah). Sinon, ils sont saisis par les maîtres des cérémonies(?) qui ne les relâchent pas pour rien.

Chaque jour le souverain tient audience deux fois pour les affaires du gouvernement. Il n'y a pas de liste(?) arrêtée. Ceux des fonctionnaires ou du peuple qui désirent voir le souverain s'assoient à terre pour l'attendre. Au bout de quelque temps, on entend dans le palais une musique lointaine; et au dehors on souffle alors dans des conques comme bienvenue au souverain.

J'ai entendu dire que le souverain ne se servait là que d'un palanquin d'or; il ne vient pas de loin. Un instant après, on voit deux filles du palais relève le rideau de leurs doigts menus et le souverain, tenant en l'épée, apparaît debout à la fenêtre d'or. Ministres et gens du peuple joignent les mains et frappent le sol du front; quand le bruit des conques a cessé, ils peuvent relever la tête. Le souverain immédiatement après(?) va s'asseoir.

Là où il s'assied, il y a une peau de lion, qui est trésor royal héréditaire. Dès que les affaires à traiter sont terminées, le prince se retourne; les deux filles du palais laissent retomber le rideau; tout le monde se lève. On voit par là que tout en étant un royaume de barbares, ces gens ne laissent pas de savoir ce que c'est qu'un prince.


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Message Publié : 02 Oct 2012 11:14 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 15 Nov 2006 17:43
Message(s) : 3549
Localisation : Lorrain en exil à Paris
C'est un texte bien connu de qui s'intéresse un peu au Cambodge ancien (sur lequel les textes sont rarissimes). Mais où voulez-vous en venir en le postant ici?

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"[Il] conpissa tous mes louviaus"

"Les bijoux du tanuki se balancent
Pourtant il n'y a pas le moindre vent."


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