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Message Publié : 09 Fév 2011 16:04 
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Georges Duby
Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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Je n'ai fait que reprendre plusieurs ouvrages dont Richesse et pauvreté des nations de Landes, universitaire américain spécialiste de l'histoire de l'économie ainsi que l'Europe et la conquête du monde de Jean Meyer ancien professeur à la Sorbonne.
La réalité est là, la Chine très avancée ne progresse pas comme l'occident. Parfois, elle régresse souligne Landes qui semble très informé dans ce domaine.
Etienne Balazs grand sinologue hongrois, évoque les raisons d'une faillite de la technologie chinoise qu'il attibue "au totalitarisme chinois" du à l'emprise de l' Etat sur les activité de la vie sociale. Tout est réglementé par "une bureaucratie toute puissante", jusqu'aux vêtements. L'Etat a "tué l'invention technique en Chine" .. "l'ambiance de routine, de traditionalisme et d'immobilisme qui jette la suspicion sur toute innovation". Cet auteur est cité par Landes, p. 88-89.
Mais d'accord pour dire que l' Europe a connu aussi sa période de controle et de suspicion à l'égard des idées nouvelles et du progrès. Elle a su se libérer des interdits et lancer un mouvement unique de libération des esprits," inventant l'invention" et l'innovation technique notamment.
Ces auterurs citent des cas où la Chine invente puis oublie et régresse, elle ne trouvera pas la mécanisation du filage, la fonte du métal à l'aide du charbon et du coke tombe en désuétude, l'imprimerie sera délaissée avant d'être reprise. L'industrie horlogère regressera ( Landes ).
ON ne peut quand même pas enlever à l' Europe sa révolution scientifique, technique et industrielle, révolution que la Chine ne connaitra pas alors qu'elle avait tout pour être en tête, personne ne nie qu'elle a beaucoup inventé et qu'elle a eu une avance sur l'Europe mais elle n'en a rien fait.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 09 Fév 2011 16:12 
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La Chine a inventé pas mal de choses, dont certaines invention qu'elle n'exploitera pas. L'Occident va s'emparer de ses inventions et les exploiter à son maximum. Ce sont des faits indéniables. Les raisons qui font que la Chine n'est pas capable de mettre à profit ce qu'elle a elle-même inventé sont nombreuses. Paradoxalement, il parait que la force de l'Occident c'est sa grande fragmentation du pouvoir qui permet aux gens qui ont des idées subversives de trouver un asile et une protection. En fait, à plusieurs reprises certains souverains occidentaux tentent d'assurer la sujétion de leur pouvoir en "bloquant" leur société. La seule chose qu'ils réussissent, c'est de donner un coup d'arrêt au développement de leur pays qui se trouve dépassé par un voisin. Par conséquent, quelques années après, on change son fusil d'épaule et on suit les traces du voisin. La Chine domine insolemment toute son aire régionale. Quand elle freine, les voisins ne la dépassent pas, ils ne la rejoignent même pas. Du coup, elle aura le temps de bien se mettre en panne.

Étonnant que la force d'une région soit justement ce qu'on a perçu comme une faiblesse et que la faiblesse soit ce dont on pouvait être légitimement fier ...

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 09 Fév 2011 18:55 
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Jules Michelet
Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Ces histoires de "progrès", de "blocage" et de "régression", ça a plutôt tendance à me laisser froid. On en vient à blâmer la Chine de ne pas avoir été aussi bien que l'Europe : est-ce justifié ? Au fond ça s'applique à tout le reste du monde, et ça n'apporte rien. La question est plutôt de voir pourquoi l'Occident a pu dominer le monde. Le comparatisme avec les autres régions peut évidemment nous aider, mais il faut éviter de tomber dans le jugement de valeur et de poser des questions qui vont trop loin, notamment en percevant l'évolution des sociétés humaines comme linéaire, en se disant qu'elles devaient toutes tôt ou tard faire la révolution industrielle, et que celle qui y est arrivé en premier avait le meilleur système, de la même manière que le coureur qui gagne un sprint a les meilleures capacités ou le meilleur entraînement parce que la piste à parcourir est la même pour tous les concurrents. C'est tout ce que sous-entendent les termes que j'ai repris dans ma première phrase, or il me semble que l'histoire n'est pas une compétition.


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Message Publié : 09 Fév 2011 20:01 
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Jules Michelet
Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Je me suis rendu compte que mon dernier message est essentiellement critique, et n'apporte pas grand chose à la discussion, donc autant que je me mouille en précisant ma pensée, quitte à faire des simplifications.

En gros voilà comment je vois les choses, d'après mes lectures sur ce type de questions : il n'y a pas qu'un modèle de développement, mais il y en a plusieurs. Plutôt qu'une piste prédéfinie, on aurait un chemin que chaque "civilisation" aurait à se tailler, en sachant qu'il n'y a pas trente-six mille solutions et que donc les chemins vont se ressembler. La métaphore s'arrête là, car évidemment il y a des contacts entre les civilisations, qui s'influencent, se combattent, et en fin de compte le seul moyen de prouver indéniablement une forme de supériorité de l'une sur l'autre est quand il y a conflit militaire. En ce sens, la seule supériorité manifeste et incontestable de l'Europe sur la Chine au XIXe siècle est militaire. Elle est évidemment due à une supériorité technique, indéniable aussi. Ce n'est pas un gouffre indépassable, le cas du Japon le prouve, ainsi que la rapidité de l'adoption d'innovations européennes dans la Chine de la seconde moitié du XIXe siècle, qui ont bien souvent avorté en raison du principal handicap de la Chine durant cette période : son instabilité politique.

Schématiquement, le modèle chinois se présenterait, depuis le début de l'époque impériale (fin du IIIe siècle av. J.-C.), comme celui d'une société dominée à certaines périodes fastes par un empire unificateur, parfois conquérant mais pas toujours car l'idéologie de l'élite chinoise ne valorise pas les hauts faits militaires et la bravoure depuis la période des Royaumes combattants. C'est une élite lettrée, valorisant les savoirs et la façon dont ils se présentent (les "mandarins", élite formée autour du rite de passage plus ou moins biaisé des examens impériaux). En période d'unification, la Chine s'appuie sur des régions potentiellement très riches, et surtout un réservoir démographique inégalé dans le reste du monde, ce qui lui assure des périodes de prospérité très fastes, durant lesquelles elle est largement plus riche que les autres régions du monde. C'est le cas de la première partie de la dynastie Han, de la première partie de celle des Tang et surtout des deux parties de la dynastie Song, qui servent de modèle à cette idée d'une supériorité de la Chine sur le reste du monde. C'est à cette période que les innovations techniques sont le plus en mesure d'être appliquées et de servir à l'épanouissement de l'économie chinoise. Le facteur militaire est de moins en moins important pour les Chinois, et si un empire chinois dispose d'une grande armée à partir des Tang, c'est souvent parce qu'il est organisé par des peuples non chinois (Mongols, Mandchous). Quand on évoque la "fermeture" de la Chine, en fait on parle de son refus d'expansionnisme ultra-marin, qui évidemment tranche avec les ambitions des pays de l'Europe occidentale, mais c'est quelque chose de problématique car à part les Européens personne n'a vraiment eu ce genre de projet (on pourrait trouver des exemples isolés en Inde ou en Indonésie à la rigueur, mais rien de durable). Ce modèle traverse ses plus grosses difficultés durant les périodes de désunion politique, qui mènent à la constitutions d'entités politiques qui se combattent parfois très violemment, livrent le pays à des invasions extérieures, à des épidémies, des massacres, etc. De façon ponctuelle évidemment, car une période de désunion politique n'est sur le long terme pas forcément catastrophique sur le plan économique ou intellectuel ; s'il semble que la Chine ne se soit jamais mieux portée qu'en période d'unification cela peut ressortir d'une vue de l'esprit influencée par l'idéologie impériale chinoise. En tout cas, les périodes les plus désastreuses sont celles de faiblesse ou de désunion du pouvoir politique, et la situation de la Chine du XIXe siècle répond à cela. Qu'aurait valu une Chine forte et unie face à des Européens même supérieur techniquement et militairement ? On ne peut hélas pas le savoir. En tout cas le "retour" de la Chine au premier plan correspond à celui d'une nouvelle unification durable (je parle de la puissance politique et économique du pays dans son ensemble, les tensions internes que l'on observe aujourd'hui étant inhérentes à ce "modèle").

De l'autre côté, le modèle européen tel qu'il se constitue plutôt au Moyen-Âge (sans oublier l'héritage gréco-romain de la même manière que l'héritage pré-impérial a toujours marqué la civilisation chinoise), c'est celui d'un continent désuni politiquement, marqué par la grande importance du fait militaire, la valorisation de l'idéologie guerrière puis conquérante et expansionniste hors de ses limites (qui puise ses racines très loin dans le temps). La désunion a sans doute été en Europe un moteur de son développement économique et technique (mais cela n'est pas le cas dans toutes les régions du monde), du fait des émulations entre les différentes entités politiques. L'idéologie des européens (occidentaux avant tout) est évidemment déterminante dans tout cela, mais son rôle est ambigu puisqu'elle peut être - à mon sens - autant une cause qu'une conséquence du succès du modèle (cf. les débats sur les liens entre capitalisme et protestantisme, et l'éternelle question de la poule et de l'œuf). Quoi qu'il en soit, au XIXe siècle, l'Europe est en position de force sur le monde entier, et seuls quelques pays échappent à son emprise directe pour des raisons diverses (Afghanistan, Thaïlande, Japon), mais aucun n'a échappé à son influence. La Chine ne fait pas exception, et sa situation politique a aggravé la situation et l'a plongé dans un état de faiblesse qui explique la brutalité du choc, le tout étant vécu comme une humiliation encore présente dans le rapport de la Chine à l'Europe de nos jours.

Évidemment j'ai fait des raccourcis faciles qui sont critiquables, mais cela dessine quelques lignes directrices. Il faut ensuite affiner le tout car il y a des différences entre pays européens, et aussi entre régions chinoises, et la comparaison avec le Japon qui apporte d'autres éléments, voire pourquoi pas avec l'Inde. La problématique est très complexe. En tout cas je répète qu'a mon sens il faut éviter une vision linéaire du développement, et que ce n'est pas parce qu'un paraît avantagé à un moment qu'il l'est forcément pour longtemps, on le sait bien. Mais se dire que si la Chine est maintenant là où elle en est est dû au fait qu'elle a repris les apports occidentaux, je dirais que c'est en partie vrai, mais plus compliqué que cela, car chaque partie du monde a fait face à sa façon au choc de l'arrivée des Occidentaux. La Chine est bien différente de l'Europe, mais pas d'une autre planète, et elle partageait avec le Japon la fait qu'elle était l'une de celles qui étaient le plus en mesure de réagir à ce choc et de rivaliser avec les Occidentaux en reprenant leurs armes mais aussi ses propres héritages (et là se pose la question de l'évolution des autre pays dont ceux du Moyen-Orient, qui est pour d'autres discussions).

... et désolé d'avoir été aussi bavard, mais c'est encore bien peu en comparaison de l'ampleur du sujet.


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Message Publié : 10 Fév 2011 6:45 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon
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Inscription : 26 Juin 2008 8:11
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@ Alain

En préambule, je voudrais dire que je ne suis pas surpris que vous citiez David Landes étant donné qu’il est régulièrement accusé d’européocentrisme, ce qu’il revendique d’ailleurs lui-même. C’est peut-être une lecture plaisante mais gardez en tête qu’elle est tendancieuse à la base. :wink:

Toujours en préambule, une chose me chiffonne : le postulat que l’on retrouve un peu partout qui consiste à dire que c’est en s’ouvrant (et pour un européocentriste comme Landes, cela signifie évidemment s’ouvrir à l’Occident), c’est en s’ouvrant, donc, et en commerçant que l’on se développe et progresse (vers où ? Comment le mesurer ? C’est encore un autre débat, mais ne compliquons pas la chose…). Ce postulat fourre-tout, qui ne s’appuie sur aucun argument scientifique ou historique, vit de lui-même ; tout le monde en est persuadé, alors même que personne n’a analysé sa validité. Pourtant, on pourrait trouver de nombreux contre-exemples : des sociétés autarciques ou quasi-autarciques ont atteint un grand degré de civilisation (Aztèques, Mayas, Incas, Tibétains…) ; à l’inverse, des sociétés très ouvertes sur l’extérieur ont périclité (les pays européens dans la deuxième partie du XXème siècle…). Bref, ce postulat repose sur pas grand chose. Il est mu par des idéologies (libre-échangisme, peur du racisme…) ou tout simplement par la volonté de recourir à la facilité intellectuelle (c’est une solution clé-en-main très facile, qui dispense de réfléchir à la spécificité de chaque groupe humain, de chaque culture : "allez hop ! tout le monde logé à la même enseigne : si vous vous ouvrez, vous progressez, sinon vous mourrez"). On mesure là aussi l’européocentrisme qui sous-tend cette vision : "puisque l’Europe l’a fait à l’époque, c’est valable pour tout le monde !".

Troisième préambule, en partie lié : l’aspect téléologique de ce genre d’hypothèse me gêne un peu. Zunkir l’a expliqué mieux que moi et je suis tout à fait d’accord lorsqu’il dit qu’
Citer :
il faut éviter une vision linéaire du développement, et que ce n'est pas parce qu'un paraît avantagé à un moment qu'il l'est forcément pour longtemps.
La Chine a décroché vis-à-vis de certains pays européens (pas tous) au XIXème siècle, à un moment où le développement de ces mêmes pays européens explosait. Ça nous a donné l’image saisissante d’un décalage ahurissant. Fallait-il pour autant en tirer une conclusion générale et universelle sur la supériorité ou infériorité de tel système, culture ou organisation ? Je ne le pense pas. Ce décrochage ressemble plus à un accident de l’histoire, à un soubresaut. Et l’on voit bien à l’heure actuelle, alors que la Chine mange un à un les pays européens, combien cette idée était fausse. Et d’ailleurs, maintenant que la Chine parvient peu à peu au sommet et que les pays européens s’enfoncent relativement, je ne pense pas non plus qu’il faille en tirer des conclusions essentialistes sur la supériorité du modèle chinois : chaque groupe humain se développe selon ses propres critères, ses spécificités culturelles, en suivant sa voie, connaissant des temps d'arrêt. A certains moments, au vu des circonstances, telle voie semble la plus performante. A d’autres époques, telle autre voie semble la meilleure. Bref, la roue tourne comme dirait Shiva… :wink:
Prendre une période de temps (en gros 1800-1950) relativement courte à l’échelle historique – période durant laquelle la Chine stagne tandis que certains pays européens explosent dans la lignée de leur révolution industrielle – et en conclure à la supériorité intrinsèque du "système occidental" me semble une démarche tendancieuse et intellectuellement malhonnête. A l’inverse, je trouve tout aussi étrange de voir qu’on enseigne maintenant dans certaines entreprises occidentales Sun Zi ou les 36 stratagèmes sous le seul prétexte que le modèle chinois est celui qui actuellement procure les plus forts taux de croissance (ce qui ne veut pas dire que ces lectures ne sont pas à faire en soi ; au contraire, elles sont très stimulantes sur le plan intellectuel). Il en est des modes comme des saisons…

Ayant pas mal "préambulé", j’ai un peu la flemme d’engager le développement… :mrgreen: Je ferai donc juste quelques remarques :

- Vous continuez à parler "d’Occident" alors que cette discussion ne concerne en réalité qu’un tout petit nombre de pays occidentaux. Est-ce que la Chine a décroché par rapport à l’Espagne ? Aux États italiens ? A la Pologne ? A l’empire Habsbourg ? Au Portugal ? A la Belgique ? Non… Ce que vous appelez "Occident" est en fait la Grande-Bretagne, qui s’est engagée dans la révolution industrielle, rejointe ensuite par la France. Donc, on a un décrochage au XIXème siècle (et non au XVIIIème) par rapport à un voire deux pays qui ont engagé leur révolution industrielle (et ça aurait été la même chose si cela avait été la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou les Tuamotu :wink: ) et non par rapport à un système de valeurs, un système civilisationnel comme vous (mais vous êtes loin d’être seul dans ce cas) semblez le suggérer. Il me semble que c'est une question économique, non une question de valeurs civilisationnelles.

- Au XVIIIème siècle, l’Europe n’a encore rien à proposer à la Chine, notamment en ce qui concerne les marchandises. Les produits chinois sont supérieurs à ce qui est produit en Europe, ce qui explique le déficit énorme de la balance commerciale des pays européens avec la Chine. Les Européens importent de Chine soieries, thé, laques, porcelaines… et ne vendent rien en contrepartie, tout simplement parce qu’ils n’ont rien d’intéressant à proposer (et rien que la Chine ne produise déjà). L’excédent de la balance commerciale chinoise n’est donc pas un indicateur du refus d’ouverture de la Chine mais une preuve du retard productif des pays européens concernés. Pardon pour ce HS, mais c’est comme si l’on accusait aujourd’hui les trois principaux exportateurs mondiaux (Japon, Chine et Allemagne) d’être repliés sur eux et de ne pas s’ouvrir au monde ! Bah non… S’ils ont une balance commerciale excédentaire, c’est tout simplement que leurs produits surpassent ceux de leurs concurrents. C’est une force, non une faiblesse. Votre logorrhée consistant à voir la Chine refuser de "s’ouvrir aux produits occidentaux" reprend en fait les remarques aigries de certains Européens de l’époque désespérés de voir le numéraire partir en Chine. Et c’est pour y remédier qu’ils vont introduire de force et sans vergogne l’opium en Chine. L’opium : le seul produit "occidental" sortant de l’ordinaire et susceptible d’être vendu en Chine. Vous voyez une supériorité de l’Occident ; j’y vois au contraire la preuve de sa faiblesse productive (fallait vraiment être en dessous de tout pour ne pas être foutu de vendre autre chose que de l’opium afin de compenser le déficit de la balance commerciale…).

- Votre dernier message se penche sur les inventions. Là, je vous rejoindrais en partie. D’abord, il faut noter le paradoxe chinois : jamais peut-être un pays n’a autant inventé que la Chine (l’imprimerie, le papier-monnaie, la poudre, la boussole, les allumettes, le sismographe…). Or, jamais environnement culturel ne fut plus défavorable. Il y a déjà 2500 ans, Confucius enseignait qu’il valait mieux transmettre qu’inventer. Ses préceptes ont-ils influencé la société chinoise ou étaient-ils simplement la matérialisation d’un état de fait ? C’est la poule et l’œuf… Toujours est-il que c’est quelque chose de profondément ancré dans la psychologie chinoise : on ne sort pas du groupe par un procédé original, on ne se met pas en avant, on reste modestement à sa place, on n’invente pas, on reproduit… Donc, c'est un paradoxe étonnant de voir autant d’inventions dans un environnement aussi défavorable.
Quant à l’utilisation de ces inventions, vous exagérez sur certains points.
Le papier-monnaie a été utilisé, introduit par les Song. Sous la dynastie suivante (les Yuan), la planche à billets a trop tourné, ce qui a entraîné inflation et méfiance vis-à-vis des billets. Ni plus ni moins ce que connaîtra l’Europe, avec des siècles de retard.
Je me suis un peu renseigné sur la poudre, et il n’est pas vrai de dire que c’est une invention sans lendemain, comme le fait Landes. C’est en Chine, vers le Xème ou XIème siècle que sont inventés le lance-flammes et les grenades, utilisant les propriétés de la poudre. Cette utilisation de la poudre, transmise en Europe via les marchands arabes, y connaîtra une belle destinée, peut-être plus "belle" qu’en Chine même où les guerres sont moins nombreuses. C’est également un point important : on n’utilise une invention que si on en a, merci monsieur Lapalisse, l’utilité. N’oubliez pas qu’à partir du XIIIème siècle (Yuan, puis Ming, enfin Qing), la Chine ne connaîtra plus les divisions et guerres incessantes qu’elle a connu durant les deux millénaires précédents. Les seules guerres auront lieu contre les nomades (contre lesquels on n’utilise pas des canons) et lors des changements dynastiques (rare), ce qui réduira l’importance de posséder un armement performant. Une autre utilisation, plus souriante elle, de la poudre sera le feu d’artifice, domaine dans lequel la Chine restera insurpassable.
Pour les horloges, je vous avais déjà répondu précédemment. Tout d’abord, les horloges mécaniques ne sont pas la seule mesure valable du temps ; on peut mesurer le temps d’autres façons (horloges à encens, sablier, cadran solaire…). Ensuite, contrairement à ce que vous dites, les empereurs étaient très intéressés par l’horlogerie mécanique et ont utilisé les connaissances des Jésuites pour monter des ateliers de fabrication. Voir par exemple :
http://books.google.fr/books?id=_y9C80R ... ne&f=false
p. 64 et suivantes.


@ Narduccio

J’entends tout à fait ce que vous dites car je pensais la même chose. J’avais tiré cette idée du livre des époux Elisseeff : la division chinoise aurait été synonyme d’émulation entre ses différentes parties. J’en avais même parlé dans un autre fil qui ressemblait étrangement à celui-ci d’ailleurs. Mais je me rappelle que Zunkir (encore lui ! >:) :wink: ) m’avait fait remarqué que certaines des périodes les plus fastes de l’histoire chinoise – tant au point de vue politique qu’artistique, ou intellectuel ou scientifique - correspondaient à des périodes d’unité de l’empire (Tang, Song, première partie de la période Ming voire première partie de la période Qing…), mettant à mal cette hypothèse.


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Message Publié : 10 Fév 2011 14:16 
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Jules Michelet
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Enki-Ea a écrit :
Mais je me rappelle que Zunkir (encore lui ! >:) :wink: ) m’avait fait remarqué que certaines des périodes les plus fastes de l’histoire chinoise – tant au point de vue politique qu’artistique, ou intellectuel ou scientifique - correspondaient à des périodes d’unité de l’empire (Tang, Song, première partie de la période Ming voire première partie de la période Qing…), mettant à mal cette hypothèse.


En fait je suis un peu revenu sur cette vision des choses. Il est difficile de dire qu'une période est plus faste qu'une autre sur le plan intellectuel ou artistique, vu que c'est très subjectif. En tout état de cause on peut estimer que l'on peut évaluer les périodes les plus marquantes pour la postérité, et dans ce cas pour la Chine c'est plutôt kif-kif (comment départager les apports culturels des Royaumes combattants et ceux des Tang par exemple). Par contre sur les critères plus "subjectifs", comme la puissance économique ou militaire, l'unification semble mieux pour la Chine. Pour les progrès techniques, c'est un peu pareil que pour les périodes d'unification. En fin de compte, cela ne change pas votre argument : on ne peut pas vraiment dire que l'unification soit plus favorable que la division. Cela vaut aussi pour l'Europe : certes cela a créé de l'émulation et des rivalités qui ont incité aux progrès techniques et autres, quitte à ce que ce soit pour tuer son voisin (cf. la thèse de Cosandey), mais d'un autre côté c'est aussi la cause de nombreux conflits, dont ceux engendrés par l'expansion mondiale et la colonisation européennes, et les guerres de la première moitié du XXe siècle. Encore une fois il faut être nuancé, ne pas voir tout noir ou tout blanc, et ne pas imaginer qu'un contexte politique similaire aura des conséquences similaires où qu'il soit appliqué. Par exemple on ne peut pas dire qu'une organisation politique en un gigantesque État unifié soit néfaste à l'épanouissement du modèle européen, si on regarde les Etats-Unis, dont l'exemple a pu pousser les Européens à voir leur division comme un handicap.


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Message Publié : 10 Fév 2011 15:00 
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Georges Duby
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Enki-Ea, désolé mais je persiste car il n'y a pas que Landes à remarquer que la Chine n'a pas su développer ses inventions et s'est fermée. Certes les empereurs se passionnaient pour l'horlogerie mais en imitant l'occident et en faisant produire essentiellement pour la cour des chefs-d'oeuvres. Tout était soumis à autorisation comme le dit le site que vous indiquez.
Pour la balance commerciale, le professeur Meyer que j'ai cité précise qu'à partir de 1770, les produits européens entrent en Chine et Meyer pense même que la balance ss serait inversée!
Meyer se pose aussi la question: comment un pays aussi vivant " n'a t-il pas donné une impulsion autre à la science chinoise." Il note que " les mandarins, lettrés, se désintéressaient à peu près totalement des applications pratiques de la science." Or, ils gouvernaient la Chine et controlaient tout dans le détail.
Je n'ai voulu dans mes interventions que souligner l'importance des explications internes à la Chine et découlant de décisions prises par les gouvernants, du décalage qui s'est introduit entre les deux ensembles sur le plan économique, scientifique et technique. Il n'y a pas que l'armement qui soit le point fort de l' Occident !
Dans Meyer, on apprend que les fameux missionnaires jésuites, qui ont tant impressionné les empereurs, étaient fondeurs de canons, mathématiciens, médecins, astronomes, cartographes, horlogers, inventeurs d'automates. On comprend mieux leur role en Chine et l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu, chargés parfois par les empereurs de diriger des services techniques comme l'horlogerie ou scientifiques pour l'astronomie par exemple.

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Message Publié : 10 Fév 2011 18:20 
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Jules Michelet
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Alain.g a écrit :
Enki-Ea, désolé mais je persiste car il n'y a pas que Landes à remarquer que la Chine n'a pas su développer ses inventions et s'est fermée


Cela donne l'impression d'être en face d'un mur : un développement long pour dire que le développement n'est pas un chemin linéaire, et la première phrase que vous sortez c'est ça ... A voir la Chine comme un négatif de l'Europe, un pays qui a raté son développement, on limite furieusement son champ de vision. Avant de chercher à développer des arguments, il faut prendre du temps pour savoir si on se pose les bonnes questions.


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Message Publié : 10 Fév 2011 21:06 
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Georges Duby
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Il n'y a pas de mur mais des échanges d'arguments dans un forum. Je cite mes sources et des auteurs, auxquels j'ajoute Braudel qui écrit " la technique n'a pas suivi la science en Chine ". "Elle a marqué le pas." il cite " l'immobilisme social de la Chine". Parle de l'omnipotence de mandarins peu soucieux de changements; maintenir les hiérarchies est une règle constante et d'une société vouée à l'ordre et à la hiérarchie du confucianisme.
Braudel croit que la trop grande richesse d'hommes ( 100 M d'habitants au 13è siècle ), a gêné ce grand pays victime d'une misère générale. IL cite par ailleurs d'autres causes.
Mais il insiste aussi pour refuser qu'on parle d'immobilisme et de fermeture, la Chine a accumulé les expériences.
Il refuse aussi qu'on parle d'infériorité de la Chine même s'il y a un retard sur l' Occident dû surtout à "des structures mal préparées au capitalisme marchand".
On peut ajouter dans cette ligne que le titre du sujet qui nous occupe est inexact, j'en suis bien d'accord, ce n'est pas " la civilisation chinoise " qui peut être dite en retard, au 19è siècle, sur l'Occident mais certains aspects de cette civilisation, l'économie et la technique en bref. Le reste est en effet admirable très souvent. Je le pense aussi.

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Message Publié : 10 Fév 2011 22:26 
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Jules Michelet
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Mais justement, il y a un problème avec vos sources : elles sont un brin datées ou émanent de chercheurs pas vraiment spécialistes du sujet. Braudel était un très grand auteur en son temps, mais aujourd'hui on a une autre vision des relations interculturelles que celle qui dominait au temps de la rédaction de sa Grammaire des civilisations et du reste. Idem pour quelqu'un comme Needham, qui certes spécialiste de la Chine écrivait à une période où l'on avait une autre conception de l'histoire des sciences qu'aujourd'hui. David Landes est un très bon historien économique des Etats-Unis, mais pas de la Chine, et ses ouvrages sont trop anciens pour prendre en compte le développement de l'histoire globale, qui est un phénomène vraiment récent (après 2000). Cela ne veut évidemment pas dire que ces auteurs sont à ranger aux oubliettes, mais il faut savoir faire la part des choses, et prendre en compte les apports qui ont été faits depuis, avec l'histoire globale. Les postcolonial studies également, qui nous apprennent à éviter le prisme eurocentriste.

Sinon on en vient à rabâcher ces sempiternelles histoires de "retard", "blocage", et autres qui n'ont pas vraiment de fondement scientifique pour les raisons que j'ai exposé plus haut. Pourquoi diable les mandarins chinois devraient-ils être tenus responsables de ne pas avoir permis à leur pays de devenir une sorte d'Europe bis (avant l'Europe si j'ai bien compris), en n'ayant pas été aussi "géniaux" que les Humanistes ou les Lumières ? C'est d'autant plus dommage que non seulement on dénigre l'aspect original de la "voie" chinoise, en même temps que l'on fait pareil pour la "voie" européenne, puisque dans la vision européo-centrée des choses ce continent n'a fait qu'avoir de l'avance sur les autres (qui vont donc le "rattraper"), et cela ouvre la voie à toutes les théories sur sa "décadence" actuelle (elle a perdu son "avance"), alors qu'en fait il convient plutôt de mettre en avant l'originalité de la "voie" européenne, depuis les aspects politiques jusqu'aux innovations techniques et son approche des savoirs et du monde. Je trouve ça bien triste d'avoir une vision linéaire des choses, comme si tout le monde devait faire pareil ...


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Message Publié : 11 Fév 2011 5:35 
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Jean Mabillon
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Un mur de pelote basque... :mrgreen:

Alain, vous ne répondez pas à l'idée générale, continuez à considérer une période très courte à l'échelle historique (1800-1950) comme symptôme du retard intrinsèque d'un système sur tel autre... Je vous réponds donc sur les détails.

Pour continuer sur les sources, les travaux de Balazs sont un peu dépassés d'après les compte-rendus que j'en ai pu lire ; plusieurs historiens ont montré que sa vision d'une bureaucratie omnipotente et sclérosante est exagérée. Les historiens ont montré que la Chine connaît un développement économique certain au XVIIIème siècle, notamment agricole, qui a conditionné un essor démographique. Les réseaux de commercialisation et d'échanges sont poussés (importance du commerce interrégional ou villes-campagnes). Bref, on est loin de l'image d'une Chine faisant du surplace, paralysée par une bureaucratie confucéenne omniprésente.

Alain.g a écrit :
il n'y a pas que Landes à remarquer que la Chine n'a pas su développer ses inventions et s'est fermée. Certes les empereurs se passionnaient pour l'horlogerie mais en imitant l'occident et en faisant produire essentiellement pour la cour des chefs-d'oeuvres. Tout était soumis à autorisation comme le dit le site que vous indiquez.
J'ai l'impression que le débat se centre maintenant sur la seule horlogerie et que celle-ci est la preuve de la fermeture de la Chine. :mrgreen:
Vous aviez d'abord affirmé que la Chine n'avait rien fait de l'introduction de l'horlogerie mécanique. Maintenant, vous sous-entendez que certes, elle en a fait quelque chose, mais que c'était une imitation servile et que la production en était contrôlée (je me demande d'ailleurs si ce n'est pas ça qui au final vous gêne :wink: ).
Pour l'imitation, vous avez raison. Mais cela prouve quoi? En Europe, on a bien imité la porcelaine chinoise (les porcelaines de Saxe) sans que personne n'en conclut à l'imitation servile de la Chine par l'Europe.

Citer :
Pour la balance commerciale, le professeur Meyer que j'ai cité précise qu'à partir de 1770, les produits européens entrent en Chine et Meyer pense même que la balance ss serait inversée!
LE produit européen: l'opium. C'est incroyable que dans toute cette discussion, vous n'ayez pas encore mentionné cette drogue qui est pourtant centrale dans la question des relations entre la Chine et ce que vous appelez l'Occident et qui, en réalité, se résume à la Grande-Bretagne, accompagnée de la Hollande et du Portugal au début. Est-ce que vous avez entendu parler des Guerres de l'opium?
Au XVIIIème siècle, les marchands européens (anglais, hollandais et portugais) importent de Chine quantités de produits (soieries, laque, thé, porcelaines...); le siècle des Lumières est également celui des "chinoiseries" en Europe. En contre-partie: rien. Les Européens n'ont rien à offrir qui intéresse les Chinois. Devant le déficit de la balance commerciale et la fuite du numéraire que ça implique, ils vont donc trouver LE produit susceptible d'être vendu en Chine et de rééquilibrer la balance commerciale: l'opium. La contrebande d'opium commence au XVIIème siècle par l'intermédiaire des Portugais et des Hollandais qui vont chercher la drogue en Inde et la débarquent avec la complicité de certains fonctionnaires chinois (corruption), puis s'accentue au XVIIIème avec l'East India Company anglaise. Je le répète, c'est le seul moyen qu'ont trouvé les Européens pour équilibrer la balance commerciale avec la Chine. Ne faites pas semblant de l'ignorer, ça devient lassant... Que la Grande-Bretagne, d'abord en compagnie de la Hollande et du Portugal, ressorte à la vente d'opium pour rééquilibrer son commerce extérieur est une preuve de sa faiblesse productive, non de sa force.

Devant le danger que cette drogue fait courir à sa population, le pouvoir chinois tente de l'interdire à plusieurs reprises (ça commence en 1729, puis 1796, 1800, 1813, 1821...). Avec une hypocrisie merveilleuse, la Grande-Bretagne utilise ce prétexte d'interdiction de l'opium (qu'ils assimilent, comme vous le faites, à un commerce comme un autre) pour entrer en guerre. Ça donnera les trois Guerres de l'opium - où l'infériorité militaire chinoise et la faiblesse du pouvoir sera criante, personne ne le nie ici - et les Traités inégaux...

Alors arrêtez de nous ressortir la ritournelle de la Chine passéiste qui refuse de s'ouvrir aux produits et idées pacifiques et merveilleuses de l'Occident, c'est ridicule. Imaginez que la Colombie fasse la guerre à la France pour y vendre sa cocaïne... :rool: La Grande-Bretagne - et à sa suite quelques autres puissances européennes - s'est imposée en Chine par ce qu'on appelait à l'époque la "diplomatie de la canonnière" (gunboat diplomacy), usant de corruption et de contrebande pour introduire son seul produit intéressant - la drogue - puis, devant le refus des autorités chinoises d'accepter cela, faisant la guerre, où sa supériorité technique (que personne ne nie ici) a fait merveille. Ça, c'est la réalité historique ; elle n'est pas très idyllique.


NB: 1770 est trop tôt pour le point d'inversion de la balance commerciale. C'est plutôt vers 1810-1820 que ça s'est passé d'après ce que j'ai lu.

Citer :
Je n'ai voulu dans mes interventions que souligner l'importance des explications internes à la Chine et découlant de décisions prises par les gouvernants, du décalage qui s'est introduit entre les deux ensembles sur le plan économique, scientifique et technique. Il n'y a pas que l'armement qui soit le point fort de l' Occident !
Comment expliquez-vous alors le présent décalage, inverse de ce qui s'est passé au XIXème? Comment expliquez-vous le décalage au VIIIème siècle entre l'avancement de la civilisation Tang et le vide des Rois fainéants? Vous croyez vraiment qu'il faut passer son temps à comparer l'état d'avancement des civilisations à chaque moment de l'histoire?
En 700, avantage à la Chine. Attention, l'Europe est en forme et revient un peu en 1200. Oh la la, terrible redémarrage de la Chine en 1350, quel jeu de jambes! Ah, attention, la Chine a une crampe en 1800, l'Europe la dépasse. Oh la la, la Chine revient du diable vauvert et redépasse l'Europe en 2010...
Surtout, vous croyez vraiment que cela permet de définir la valeur de chaque système? Car c'est bien là ce que sous-entend votre position et que l'on retrouve dans bien d'autres écrits qui se focalisent uniquement sur la période 1800-1950 pour en tirer une conclusion générale sur la supériorité du modèle occidental libre-échangiste, capitaliste, plutôt démocratique (car c'est souvent cela que l'on retrouve dans les écrits étudiant le décalage de cette époque). Le problème, c'est qu'on ne peut ramener des millénaires d'histoire à un tout petit siècle et demi et en tirer une conclusion générale.

Citer :
Dans Meyer, on apprend que les fameux missionnaires jésuites, qui ont tant impressionné les empereurs, étaient fondeurs de canons, mathématiciens, médecins, astronomes, cartographes, horlogers, inventeurs d'automates. On comprend mieux leur role en Chine et l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu, chargés parfois par les empereurs de diriger des services techniques comme l'horlogerie ou scientifiques pour l'astronomie par exemple.
Et ces Jésuites impressionnaient autant les rois européens que les empereurs chinois ! L'histoire passionnante de cet ordre incroyable, notamment sur le plan intellectuel, est à lire.
Ceci dit, comme vous le dites, c'est dans certains domaines bien précis que les Jésuites ont été utilisés en Chine: astronomie et mécanique, principalement. En citant toutes leurs qualités, vous sous-entendez que la Chine était larguée dans tous ces domaines, ce qui est bien entendu faux. Voilà un procédé bien jésuitique, mon cher Alain... :wink:


Zunkir a écrit :
En fait je suis un peu revenu sur cette vision des choses. Il est difficile de dire qu'une période est plus faste qu'une autre sur le plan intellectuel ou artistique, vu que c'est très subjectif. En tout état de cause on peut estimer que l'on peut évaluer les périodes les plus marquantes pour la postérité, et dans ce cas pour la Chine c'est plutôt kif-kif (comment départager les apports culturels des Royaumes combattants et ceux des Tang par exemple).
Zunkir,
à l'époque, ma vision était que les périodes de division de la Chine (Printemps et automnes, Royaumes combattants, Trois royaumes...) avaient apporté une émulation tandis que les périodes d'unité avaient été synonymes de stagnation et de surplace. Or, vous m'aviez très bien fait remarqué qu'il y avait eu des périodes d'unité tout à fait brillantes (Tang, Song...). Je n'ai pas retourné ma veste et reste persuadé que l'émulation tirée de la division a forcément eu une certaine importance. Mais j'ai mis de l'eau dans mon vin: ça ne peut être une règle générale.


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Message Publié : 11 Fév 2011 18:58 
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Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Sinon, tant qu'on y est à enfoncer le clou, je viens de relever ce passage du Monde chinois de Jacques Gernet (p. 344 de l'édition de poche de 2005) :

Citer :
Libre entreprise et démocratie libéral sont le résultat d'un développement particulier aux nations occidentales : croire que toutes les sociétés doivent nécessairement passer par les mêmes étapes d'une évolution linéaire dont l'Occident aurait donné le modèle une fois pour toutes, c'est méconnaître la diversité des civilisations et leurs caractères particuliers.


Cette idée n'est qu'une reprise des recherches des historiens spécialistes de la Chine qui se sont penchés sur les échecs de ce pays dans le domaine économique au XIXe siècle et au début du XXe siècle, pour finalement chercher à s'éloigner de l'optique européo-centrée depuis les années 1970-1980. Pour ceux qui sont encore sceptiques, voir l'introduction de l'ouvrage suivant, P. Richardson, Economic Change in China, c. 1800-1950, Cambridge University Press, 1999 (surtout le p. 2 et 3), accessible sur Google Books : http://books.google.fr/books?id=ZgU6m59 ... &q&f=false

Le premier chapitre manque hélas, mais il offre un résumé commode des différentes interprétations de l'évolution de l'économie chinoise aux XIXe-XXe. Voir aussi Pomeranz et sa Grande divergence sur ce sujet, déjà abordé dans un autre fil de discussion du forum. Il y a chez ces auteurs à placer les causes de la perte de distance de l'économie chinoise par rapport à celle de l'Occident dans des causes économiques. Pas de blocage des systèmes de pensée a priori (contre les interprétations découlant des lectures de œuvres de Max Weber), notamment parce qu'il y a moult exemples d'hommes d'affaires chinois adaptant les progrès techniques apportés par les Occidentaux. Le problème viendrait soit d'un souci de débouchés, en raison d'un manque d'ouverture de l'économie chinoise incapable d'exporter ses surplus et d'empêcher une crise de croissance, ou encore, selon Pomeranz, un insuffisant accès à la houille ou à d'autres matières premières que les Occidentaux avaient en quantité dans leur sol ou dans leurs colonies. Beaucoup de spécialistes du monde chinois (pas vraiment Pomeranz qui s'intéresse au comparatisme de l'histoire économique de la Grande Bretagne, la Chine et d'autres) mettent néanmoins en avant le poids des problèmes politiques intérieurs (puis extérieurs) de la Chine, comme je l'ai dit plus haut : c'est le cas de Gernet qui développe longuement ce point dans l'ouvrage cité ci-dessus, ou encore de plusieurs historiens économiques qui invoquent ce problème dans les causes de l'incapacité de la Chine à faire face aux premières crises qu'elle affronte autour de 1800 et dans les décennies suivante, ce qui est décisif pour la suite. En plus cela aurait pu causer un contexte défavorable aux diffusions des nouvelles techniques. Il faut cependant prendre en compte la diversité de l'espace économique chinois. On remarquera cependant que l'idée d'une stagnation de l'économie chinoise pose problème au regard de sa croissance démographique impressionnante entre 1800 et 1950 : il est possible qu'elle ait en fait connu une croissance, mais c'est impossible à prouver car il n'y a pas de données pour mesurer l'évolution de son économie globale. Le rôle de cette croissance démographique dans l'évolution économique chinoise est à mieux définir, mais c'est compliqué ; notons que certains avancent encore des idées d'un seuil démographique, bien que ça soit loin de faire l'unanimité.

Je ne vais pas m'étendre plus sur ces débats, en tout cas il faut retenir le fait que pour les historiens spécialistes de l'histoire chinoise ou même du comparatisme entre civilisations, il n'est pas question de blocages mentaux, qui est un des arguments des historiens d'il y a trente/quarante ans qui ont été écartés.


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Message Publié : 11 Fév 2011 19:06 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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Enki-Ea a écrit :
Je le répète, c'est le seul moyen ( l'opium ) qu'ont trouvé les Européens pour équilibrer la balance commerciale avec la Chine. Ne faites pas semblant de l'ignorer, ça devient lassant
Non, en partie seulement et pas le seul moyen, car devant le déficit, les européens ont progressivement réduit leurs importations et ils ont mis en place explique Jean Meyer des productions de remplacement très elaborées des produits chinois qui avaient tant de succès, spécialement pour la porcelaine. Les porcelaines européennes, toujours très recherchées des collectionneurs et des amateurs du beau, moins chères et plaisantes ont fini par réduire les importations de Chine. Par ailleurs progressivement les entreprises chinoises ont voulu plaire à l' Europe pour vendre et ils auraient affadi leur production de luxe pour des produits moins attractifs. " La demande européenne finit par casser le gout chinois écrit Meyer. "
Mais OK pour reconnaitre le poids financier des exportations d'opium, grace à l' Inde notamment, dans le commerce anglais spécialement, ainsi que les guerres déclenchées par l'interdiction chinoise.
Qu'on l'appelle retard, décalage, recul ou simple indifférence chinoise, le moindre engagement de la Chine dans la science, la technique, les techniques commerciales ( le crédit notamment et la liberté de commercer et de produire ), s'est bien traduit par le maintien d'une misère du peuple en Chine et ailleurs, au regard d'un enrichissement considérable des européens.
Landes dans son remarquable ouvrage, édité en 1998, assez récent donc, souligne qu'il y a 250 ou 300 ans, l'écart de niveau de vie entre l'europe (de l'ouest) et la Chine était de 1 à 2, voire 1,5. Il passe au 20è siècle de 1 à 400 entre la Suisse et les pays les plus pauvres. Cet écart demeure très élevé et il faudra du temps pour que le niveau de vie moyen en Chine rattrappe le niveau européen (ouest) qui est toujours parmi les premiers du monde. La Chine actuelle a le 2è ou 3è PIB du monde mais pour 1 Milliard d'individus. Telle est la conséquence sociale, d'un différentiel économique intervenu au 18è siècle, dont ce pays n'a pas eu conscience. On ne juge pas, on constate. Ni mal ni bien là dedans. Chacun voit midi à sa porte au demeurant.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 12 Fév 2011 13:08 
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Jean Mabillon
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Inscription : 26 Juin 2008 8:11
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Alain.g a écrit :
Non, en partie seulement et pas le seul moyen, car devant le déficit, les européens ont progressivement réduit leurs importations et ils ont mis en place explique Jean Meyer des productions de remplacement très elaborées des produits chinois qui avaient tant de succès, spécialement pour la porcelaine. Les porcelaines européennes, toujours très recherchées des collectionneurs et des amateurs du beau, moins chères et plaisantes ont fini par réduire les importations de Chine.
C'est curieux: quand la Chine reproduit des produits européens (horloges), c'est une imitation servile qui prouve le peu de génie créatif et innovateur de la Chine; quand ce sont des pays européens qui imitent des produits chinois (porcelaines), ce sont des "productions de remplacement très élaborées". lol Vous dites que chacun voit midi à sa porte, mais vous, vous l'enchaînez à votre porte ce pauvre midi... :wink: Soyons sérieux voulez-vous?

A partir du XIXème siècle, les produits chinois se vendent effectivement moins en Europe, la mode des chinoiseries ayant passé. Parallèlement, les importations d'opium introduites de force par les Européens en Chine explosent:
1762: 200 caisses (de 65 kg chacune)
1767: 1 000 caisses
1817: 4 228 caisses
1821 : 5 000 caisses
1828: 18 000 caisses
1830: 18 760 caisses
1832: 20 000 caisses
1836: 30 000 caisses
1839: 40 000 caisses
1850: 70 000 caisses
1873: 96 000 caisses

On comprend pourquoi la balance commerciale chinoise, largement excédentaire jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, devient déficitaire à partir de 1810-1820. Si ce retournement s'explique en partie par la baisse des exportations chinoises dont j'ai parlé, c'est surtout les exportations européennes d'opium qui ont complètement changé la donne.

Citer :
Qu'on l'appelle retard, décalage, recul ou simple indifférence chinoise, le moindre engagement de la Chine dans la science, la technique
Une page de messages détaillés et conséquents de Zunkir et de moi-même vous démontrant que vous faites fausse route, et vous nous ressortez ça. Ça devient lassant... :rool:

Citer :
les techniques commerciales (le crédit notamment et la liberté de commercer et de produire)
Le crédit a évidemment toujours existé en Chine. Le problème est que vous jugez la situation à l'aune des techniques occidentales de crédit (prêts bancaires...). En Chine, ce n'est pas la banque qui fournit le crédit, mais la famille et les relations. Et, à bien des égards, cela reste le cas actuellement. On peut discuter de l'efficacité relative de ces différentes formes de crédit, mais pas en conclure que le crédit n'existait pas en Chine sous prétexte qu'il ne prenait pas les mêmes formes qu'en Europe.
Pour la liberté de commercer et de produire, c'est en partie vrai. Mais ça ressemble plus à un argument idéologique qu'autre chose de votre part. Et je sais bien que c'est pour défendre cela que que vous tordez les faits historiques... :wink:

Citer :
s'est bien traduit par le maintien d'une misère du peuple en Chine et ailleurs, au regard d'un enrichissement considérable des Européens.
Du grand n'importe quoi...
Paul Bairoch, l'un des plus grands historiens économistes de l'après-guerre, et bien plus récent que les auteurs que vous citez, a montré dans son Victoires et déboires. Histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours que le niveau de vie de la Chine était supérieur à celui de l'Europe au XVIIIème siècle!
Il a calculé qu'en 1750, le produit national brut par habitant en Chine s’élevait à l'équivalent de 228 dollars, contre 150 à 200 dollars en Europe (ayant seulement lu des compte-rendus et non l'ouvrage lui-même, je ne peux pas vous dire comment il a calculé cela de façon aussi précise; toujours est-il que, même avec des chiffres arrondis, ça donne une indication très claire). Il a également montré que le niveau d’industrialisation de la population - c'est-à-dire la production manufacturière par habitant - ainsi que la productivité étaient supérieures en Chine.
Bref, votre cliché d'une Chine miséreuse au XVIIIème siècle vole en éclat...
Jacques Gernet ne disait pas autre chose, pour qui le paysan chinois était bien mieux nourri et plus riche que le paysan français sous le règne de Louis XV.

A partir de 1800, l'Europe rattrape son retard sur la Chine. L'Angleterre est dans sa révolution industrielle et la France s'y engage. Toujours selon Bairoch, le PNB par habitant ouest-européen rejoint celui de la Chine à ce moment. Et c'est au XIXème siècle que l'écart se fera et deviendra conséquent: en 1860, le ratio PNB/hab est de 2 pour 1 en faveur de l'Europe de l'Ouest par rapport à la Chine (1 pour 1 en 1800, comme on l'a dit).

A cette époque (milieu du XIXème siècle), la Chine est grignotée par certaines puissances européennes, de terribles révoltes éclatent (Taiping), des guerres sont perdues par une armée qui n'a pas évolué sur le plan technique, l'opium gangrène la société et le pouvoir central est en crise. Bref, c'est au XIXème que la Chine "décroche", momentanément au regard de l"échelle historique. Et comme, en même temps, les pays européens connaissent leur révolution industrielle et technique, ça nous a donné le cliché d'un gouffre séparant les deux mondes, gouffre objet de tous les fantasmes explicatifs (tel système/organisation de la société est supérieur). En réalité, cela ressemble plus à un accident de l'histoire qu'autre chose. La Chine était économiquement plus puissante et performante que l'Europe pendant des siècles, ce jusqu'au XVIIIème siècle inclus. Après une brève éclipse à partir du XIXème, elle est en train de le redevenir. Bref, rien d'original...

Citer :
Landes dans son remarquable ouvrage, édité en 1998, assez récent donc, souligne qu'il y a 250 ou 300 ans, l'écart de niveau de vie entre l'europe (de l'ouest) et la Chine était de 1 à 2, voire 1,5.
Non, voir ci-dessus.
1750: 1,5 pour en en faveur de la Chine.
1800: 1 pour 1.
1860: 2 pour 1 en faveur de l'Europe occidentale.

Citer :
Il passe au 20è siècle de 1 à 400 entre la Suisse et les pays les plus pauvres.
Que vient faire la Suisse ici et quel est le rapport avec la Chine et notre discussion? :rool:


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Message Publié : 12 Fév 2011 14:57 
Un autre exemple de la capacité de la Chine à innover (inventer) et d"incapacité à développer : la double-coque en marine.
Pendant 28 ans au XV° siècle (1405-1433) 7 expéditions maritimes seront menées à bien par l'eunuque d'origine musulmane Zheng-He. Il ira jusqu'à Ormuz et le Canal de Mozambique. Ces expéditions lointaines, plus de 7000 kilomètres de traversée, sont possibles grâce à un principe qui sera brillamment utilisé par les Britanniques plus tard : le double-coque, qui en compartimentant celle-ci permet de limiter les voies d'eau et les incendies.
Malheureusement, passées les expéditions de Zheng-He tout ça ne servira plus à rien puisque, une fois n'est pas coutume, la Chine se referme sur elle-même, devant faire face à de nouvelles invasions mongoles.


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