Bonjour à tous
L'article de Vincent Artuso dans Rue 89 est non seulement médiocre, mais largement justiciable des reproches qu'il fait lui-même à l'oeuvre de Daniel Costelle et d'Isabelle Clarke : procès d'intention, négligences (les deux superbes fautes d'orthographe de l'introduction), incohérences...
Etant moi-même historien du nazisme et de la SGM, et auteur de quelques trouvailles dont certaines ici débattues (mort de Mandel, arrêt devant Dunkerque...), je n'écrirais pas le commentaire exactement de la même façon. Mais la sévérité de ce doctorant de Paris 1 me paraît très souvent déplacée.
Je n'aurai le temps que de contester un passage, offrant un échantillon de la plupart des défauts, pour mettre un couac dans l'unanimité qui régnait auparavant et, j'espère, lancer le débat.
Citer :
Troisième point. L'interprétation de la « solution finale » par Clarke et Costelle n'est pas « intentionnaliste » mais « fonctionnaliste », c'est-à-dire qu'ils estiment qu'Hitler n'avait pas d'emblée prévu le génocide mais que cette solution s'imposa à lui au gré des événements.
En soi, cela n'a rien de révisionniste, d'autres historiens le pensent. Ce qui l'est par contre, c'est de voir dans l'holocauste une action de représailles des Allemands. Cette thèse n'est pas exprimée explicitement dans « Apocalypse », mais elle est induite par la construction narrative.
D'abord, l'intentionnalisme n'existe pas... mais cela, je l'ai moi-même découvert récemment, aussi ne m'attarderai-je pas. Détails :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=384Ensuite et surtout, je ne me souviens pas (mais je n'ai pas tout le commentaire en tête, et dans ce cas j'accueillerai avec reconnaissance un démenti) que le texte dise ou suggère le moins du monde "qu'Hitler n'avait pas d'emblée prévu le génocide". Il observe au contraire, sur cette question controversée, un prudent silence : il y a donc ici un rattachement forcé et pédant du texte à une école historique (car le fonctionnalisme, lui, existe).
Je relèverai aussi un bel argument d'autorité : "En soi, cela n'a rien de révisionniste, d'autres historiens le pensent." Il me semblait que la vérité se jugeait en soi, et non par le fait qu'elle ait été préalablement proférée par d'autres...
Quant à la phrase "Cette thèse n'est pas exprimée explicitement dans « Apocalypse », mais elle est induite par la construction narrative. ", outre son comique probablement involontaire, elle me paraît une belle illustration du reproche de procès d'intention.
En effet, l'auteur enchaîne :
Citer :
Une fâcheuse erreur de chronologie
Au bout d'un quart d'heure, l'épisode 4 évoque les bombardements massifs des villes allemandes par les Alliés. Des raids qui feront de centaines de milliers de victimes civiles. Sur des images de villes dévastées et de civils allemands sous le choc, le texte dit :
« Quant aux Allemands, ils commencent à mesurer les conséquences de la politique hitlérienne. Le régime hitlérien qui s'enfonce dans la démesure meurtrière. Hitler, Goering, Himmler, son adjoint Heydrich mettent en place ce qu'ils appellent la “solution finale”, l'extermination des juifs d'Europe, organisée à la conférence de Wannsee, près de Berlin, en janvier 1942. »
L'intention est-elle de suggérer un lien de cause à effet entre ces deux sujets, abordés l'un à la suite de l'autre, ou est-ce simplement une construction hasardeuse ?
Le parti pris de ramasser tous les événements en six heures débouche ici sur une densité regrettable d'informations capitales d'ordres différents, l'inversion chronologique est faible mais réelle, la formulation sans doute perfectible. Cependant, est-ce bien une raison pour noyer le chien ? On remarquera d'ailleurs une contradiction : le classement autoritaire du début dans le fonctionnalisme est adouci à la fin par un point d'interrogation.
Il n'en reste pas moins que le commentaire n'induit aucunement, fût-ce par sa "construction narrative", que la Solution finale ait été décidée en représailles des bombardements. Ce qui est suggéré est plutôt une concomitance, assez exacte ma foi, et prolongée (jusqu'à l'automne 44 pour les gazages, et jusqu'à la fin pour les "marches de la mort", la persécution des Juifs étant bel et bien "vendue" par la propagande nazie comme une réplique à la volonté adverse de détruire l'Allemagne). Le procès d'intention se fait ici très glauque.
J'avais annoncé que je me limiterais à un passage, mais je citerai tout de même, sans commentaire, le paragraphe conclusif :
Citer :
Clarke et Costelle croient-ils donc si peu en leur propre affirmation de vouloir « raconter la véritable histoire de la Seconde Guerre mondiale » ? Si leur approche était réellement convaincante, ne pourrait-elle pas, au contraire, faire taire définitivement les assassins de la mémoire ? Il n'est pas à exclure que, conscients de leur tartufferie, ils aient préféré ne pas la pousser aussi loin.